Chapitre V : Le garçon aux cheveux de jais
Les minutes semblaient s'étirer au fil des conversations qui s'enchaînait sur chaque lèvre, tandis qu'Edmund tentait en vain de se convaincre que la fille qui se trouvait à sa gauche était tout à fait ordinaire. Ce dernier s'amusait avec sa nourriture, et mis à part jongler du regard entre son assiette et Serena (qui au passage n'avait même pas remarqué cette attention qu'il lui portait, car elle était bien trop prise dans le sujet de discussion qui animait l'assemblée), le jeune homme restait dans sa bulle et ne semblait point envieux d'user de sa salive, jusqu'à ce qu'il ne soit extirpé de sa torpeur par la voix de Susan qui le sommait à participer à l'ambiance qui régnait à la table. Le brun leva les yeux de son assiette, tout en continuant à jouer avec sa fourchette, et prononça enfin ses premiers mots de tout le dîner. Et quand bien même il n'avait pas envie de participer aux débats qui opposaient les deux moitiés de la table, il s'était au moins pris au jeu pour la suite, et commençait même à se sentir moins tendu qu'en début de soirée. Serena et lui avaient même à plusieurs reprises échangés quelques sourires et mots, et cela avait fait énormément plaisir à la demoiselle, qui le voyait enfin se détendre, sans pour autant se dévoiler, et cela l'intriguait énormément. Du point de vue d'Edmund, cette image effrayante qu'il pouvait avoir d'elle s'était peu à peu estompée et il commençait même à l'apprécier.
Quand arriva le dessert, qui était une gelée aux fruits rouges en forme d'étoile, Serena eut une expression plutôt dégoûtée. Cette chose flasque et rouge ne lui donnait pas du tout envie, et Edmund esquissa un sourire en coin, car il la trouvait toujours aussi bizarre. Toutefois, la princesse ne voulant pas faire la difficile, observait d'abord comment les autres faisaient pour manger ce truc avant de goûter à son tour. Sans grand étonnement, son visage se crispa, montrant ainsi qu'elle n'aimait vraiment pas la texture de ce dessert, pas seulement au visuel mais aussi dans sa bouche. Tandis qu'elle attrapait son verre d'eau pour en boire le contenu, elle avait pu observer qu'Edmund la regardait d'un air moqueur, ce qui la fit rougir. La seule chose à laquelle pensait Serena, à ce moment-là, était qu'elle commençait à apprécier le sourire du jeune homme.
Lorsque le dîner touchait à sa fin, les femmes qui occupaient la maison s'étaient pour la plupart occupées de débarrasser et nettoyer la table, avant de faire la vaisselle. Monsieur Pevensie, quant à lui, était allé dans le salon pour aller fumer une pipe au coin du feu. Concernant Edmund, ce dernier était remonté dans sa chambre, poussant Serena à se demander si elle avait fait quelque chose de mal.
- Puis-je utiliser vos toilettes ? lança la brune, en s'adressant à Hélène, tandis qu'elles terminaient d'essuyer les couverts.
- C'est la troisième porte, au premier étage, l'informa-t-elle.
- Entendu.
Serena passa devant Monsieur Pevensie, qui lui lançait à peine un regard, car il était bien trop concentré sur ce qu'il écoutait à la radio, et elle s'autorisait enfin à monter les marches d'escalier.
La jeune femme n'avait pu s'empêcher de parcourir du regard tout ce qui se trouvait autour d'elle durant son court chemin. À vrai dire, elle se fichait pas mal de la couleur du papier peint ou encore des fleurs qui occupaient les buffets dans les coins du couloir, car elle espérait secrètement qu'Edmund ne vienne à sa rencontre.
Elle posa durant quelques secondes ses yeux sur les photos qui se trouvaient accrochées sur les murs, et sans s'en rendre compte, un léger sourire se dessinait sur son visage rond. Sans doute parce que ça lui rappelait à quel point la famille c'était sacré et qu'elle les enviait.
Serena n'aurait su expliquer ce qu'elle avait exactement, mais elle éprouvait une sensation étrange, qui la submergeait de toute part, depuis le début de la soirée. Un ressenti qui s'était intensifié alors qu'elle avait discuté avec Edmund, et tout cela la troublait à un point où il fallait se rendre à l'évidence, elle avait besoin de savoir ce qui la rendait comme ça, car tout ce qui lui était inconnu ne lui plaisait guère. Ce dont elle était certaine, en tout cas, c'est que ça n'allait pas être le jeune homme qui lui donnerait les réponses qu'elle désirait désespérément obtenir.
Elle entra dans la salle de bains pour y
faire ses besoins, et quand elle eut terminé, elle avait volontairement traîné un peu, afin de s'approcher du lavabo pour se jeter de l'eau froide au visage et se dévisager dans la glace.
Je ne comprends pas ce qui m'arrive. Pourquoi est-ce que je me soucie de ce genre de chose ? Edmund est un garçon plein de mystère... Ce doit sûrement être ce qui m'intrigue chez lui, pensait-elle.
La princesse attrapa la serviette, qui était accrochée sur un crochet, et essuya son visage, avant de sortir de la pièce en se disant qu'elle était dans cet état parce qu'elle avait toujours adoré lire les passages consacrés au roi Edmund, dans les bouquins qui relatait les événements de l'âge d'or.
- Je l'ai toujours idolâtré, ce ne peut être que pour cette raison, soufflait-elle, en prenant le chemin inverse, avec l'intention de retrouver le rez-de-chaussée, mais elle fut soudainement ralentie par un bruit dans son dos qui attirait son attention.
- Je rêve où tu parlais toute seule ? lança d'une voix moqueuse le roi ébène, qui sortait de sa chambre pour apparaître dans le dos de la jeune femme.
Le cœur de la brune avait failli rater un battement. Il était clair qu'elle ne s'était pas attendue à ce qu'il ne montre réellement le bout de son nez. Ses lèvres s'étaient pincées, tandis qu'elle faisait un tour sur elle-même pour lui faire face.
- Je... je pensais à voix haute, je ne parlais pas seule, balbutia-t-elle. Je repensais à une histoire que j'adore. On ne dirait pas comme ça, mais j'aime énormément la lecture, en partie tout ce qui touche aux univers historiques. J'admire, tout particulièrement, un roi qui a toujours su faire preuve de courage face aux dangers qui l'entourent. (Serena parlait évidemment des textes qui racontaient les aventures des Pevensie, mais elle ne pouvait pas le mentionner).
- Oh... J'ignorais que tu appréciais lire. Et quelles sont tes œuvres du moment ?
Edmund, qui se trouvait toujours au niveau de sa porte, s'était légèrement écarté de cette dernière pour se rapprocher de Serena, tout en la regardant avec plus d'intérêt.
- Hm, disons que c'est assez compliqué de savoir lequel livre choisir, je me pencherai plutôt sur un auteur... J'aime bien Jacques Belenger, celui qui a écrit notamment « La légende du Roi Arthur et les chevaliers de la Table Ronde ». Et toi ?
- Tout comme toi, ce serait sûrement difficile de te donner le titre exact d'un roman, en revanche je suis très fan des œuvres d'Arthur Conan Doyle.
- Tu m'excuseras, mais je n'ai pas la moindre idée du genre littéraire de cet écrivain, avait avoué la jeune femme sur un ton gêné.
- Ce n'est rien, tu n'es pas forcément obligée de tout connaître, la rassurait-il. Il écrit des romans policiers, notamment les « Sherlock Holmes », et si ça t'intéresse, j'ai une petite bibliothèque qui leur est consacrée, tu veux voir ? avait-il annoncé avec un sourire.
- Oh oui, ce serait avec plaisir !
Sur ces mots, le garçon invita cette dernière à le suivre dans sa chambre. Elle était peu éclairée, et n'avait pas beaucoup d'espace. Il y régnait deux lits une place, ce qui fit rapidement comprendre à Serena qu'Edmund partageait sa chambre avec Peter.
La princesse avança en direction de la bibliothèque et caressa du bout des doigts plusieurs reliures de bouquins, avant d'en saisir un pour le feuilleter.
- « Le chien des Baskerville », lisait-elle en refermant la couverture sur les pages.
- Je peux te le prêter, si tu veux.
Serena leva les yeux sur le brun, et elle lui répondit avec un sourire, ce qui, même si Edmund ne l'aurait sûrement pas reconnu, lui faisait un certain effet. C'était comme si l'image de cette fille qu'il s'était faite, avait complètement disparue. Il se passa une main dans les cheveux et s'appuya maladroitement contre son meuble, ce qui fit rire la princesse, avant d'aller en direction de la fenêtre. Son regard se posa sur les lampadaires qui éclairaient la petite rue, et cette vue était très agréable, en partie parce qu'elle lui faisait penser à la Lande du Réverbère. Elle avait beau résider en Angleterre depuis presque un mois, Narnia lui manquait terriblement. Un léger soupir s'échappait de ses narines, et lorsque le garçon s'était aussi mis à observer par la fenêtre, elle avait cet étrange ressenti qui s'emparait à nouveau d'elle. Immédiatement, elle s'était décalée de quelques centimètres, comme si elle craignait ce rapprochement qui était à la base d'une nature tout à fait anodine.
- J'aime bien cette vue, déclara-t-elle, en rompant le blanc qui avait pris place entre eux.
Les yeux de Serena n'avaient pas quitté les lampadaires, et c'est sûrement pour ça qu'elle ne remarqua pas que ceux d'Edmund la contemplait du coin de l'œil, d'un air fasciné. Elle avait un visage qui reflétait quelque chose de plutôt chaleureux.
- Moi aussi, avait-il répondu sans se rendre compte du sens véritable de ce dont il parlait.
- Ces réverbères... Ça me rappelle chez moi, souffla Serena sur un ton morose.
- Moi, ça m'évoque un endroit dans lequel je suis allé, il y a longtemps, enchaîna le roi ébène. Dans ce lieu, je m'y sentais à ma place, on me respectait. Ce monde-là craint... Entre les gens qui ne me prennent pas au sérieux ou encore le fait que la guerre est toujours autant problématique...
Serena avait facilement deviné qu'il était en train de comparer Narnia et l'Angleterre. Elle devait lutter intérieurement pour ne pas discuter de tout ça avec lui, car il était préférable que ni lui ni aucune autre personne ne soit au courant de ses origines. Pour Serena, la règle était simple, les liens qu'elle entretenait avec les Pevensie ne devaient pas dépasser un certain stade, car elle ne tenait en rien à leur faire du tort le jour où elle devrait à nouveau retourner à Narnia.
- Ce devait être un endroit merveilleux, se contentait-elle de dire, avant d'être coupé par une voix qui provenait du rez-de-chaussée.
- Serena ! s'écriait Abigail, qui courait dans l'escalier.
Edmund sembla quelque peu déçu d'être interrompu dans ce moment, et c'est sûrement pour cela qu'il baissait les yeux, alors que la blonde apparaissait dans l'encadrement de porte.
- Nous devrions être parties depuis longtemps !
- Sacre bleu... grommela la brunette, qui regardait par-dessus son épaule pour lire l'heure sur le réveil matin, posé sur une table de chevet. Nous allons en prendre pour notre grade. Je suis sincèrement désolée, Edmund, poursuivit-elle en s'adressant au concerné.
- Ce n'est rien, Serena, répondit le roi ébène, en l'observant marcher à reculons en ne le lâchant pas du regard.
Les deux jeunes femmes descendirent l'escalier, suivies de près par Edmund, et s'étaient excusés auprès de tous les membres de la famille présents dans la cuisine et le salon. Évidemment, tout le monde fût compréhensif, notamment Lucy, qui s'était excusée à plusieurs reprises et regrettait de ne pas avoir rendu service à ses amies. Serena l'avait néanmoins rassurée en lui affirmant qu'elle se fichait des représailles, bien que ce ne soit pas le cas de la blonde. Au moment où les deux jeunes femmes s'étaient préparées à passer la porte, à nouveau vêtues de leur manteau et chaussures, seule Abigail était sortie car Serena avait remarqué qu'Edmund se trouvait toujours dans le hall d'entrée.
- Ce fut une très bonne soirée, je serais ravie de te revoir, si tu voulais bien revenir. J'essayerai d'être plus aimable, la prochaine fois, lança-t-il d'un air taquin.
- Serait-ce une promesse ? demanda la brune, en lui souriant de toutes ses dents.
- À toi de voir, déclara le jeune homme en hochant un sourcil et lui souriant malicieusement.
Les yeux de la brune se posèrent sur le roman qu'elle tenait toujours entre ses mains, tandis qu'elle sentait ses joues légèrement s'empourprer. Elle le glissa dans son sac qu'elle passa ensuite par-dessus sa tête.
- J'en prendrais soin, et je te le ramènerai assez rapidement, ça je peux facilement te le promettre, lui assurait-elle en soutenant le regard du brun.
- Oh, ne te soucis pas de ça. Prends le temps qu'il te faudra pour apprécier ta lecture.
Sur ces mots, la princesse et le roi se regardèrent d'un air bien différent, comme si les préjugés qu'ils avaient pu avoir l'un envers l'autre, en début de soirée, s'étaient effacés de leur mémoire, pour se centrer sur le moment qu'ils venaient de partager, et ce fut à contrecœur que Serena tournait les talons en direction de l'extérieur enneigé.
Les deux jeunes femmes avaient grimpé sur leur bicyclette et se mirent en route pour le couvent, sous une neige qui avait décidé que c'était le moment pour tomber.
- C'était une superbe journée, aujourd'hui, s'exclamait la brune, qui peinait à pédaler sur la neige qui avait pris pas mal de centimètres.
- Si tu oublies le fait que nous allons, sans le moindre doute, nous faire scalper par Sœur Catherine, oui c'était sympathique.
- J'ai remarqué que tu t'entendais bien avec Susan, je suis très contente pour toi, enchaînait Serena.
- Moi aussi, je suis contente pour toi ! J'ai vu comment vous vous regardiez, Edmund et toi, toute la soirée, soulignait Abigail en lançant un regard plein de sous-entendus.
Les sourcils de Serena s'étaient froncés, et elle essayait d'éviter le regard de son amie. Il était clair qu'elle n'assumait pas du tout ce qui s'était passé. Sûrement parce qu'elle s'en voulait d'avoir enfreins ses propres limites qu'elle s'était fixée.
- Je... j'vois pas d'quoi tu parles.
Abigail secouait la tête tout en soupirant par le nez.
- Mais oui, bien sûr, avait-elle fini par conclure, avant qu'elles ne se décident à rouler dans le silence.
Elles avaient eu beaucoup de mal à pédaler et voir au loin, car les flocons les empêchaient de percevoir ce qui se trouvait autour d'elles, mais par chance elles étaient malgré tout parvenues à rentrer en état, avec seulement quelques heures de plus de retard. Il était environ vingt-deux heures, lorsqu'elles étaient enfin arrivées, avec les pieds, les mains et le bout de leur nez complètement gelés.
- J'aimerais autant rester ici plutôt qu'affronter la colère des sœurs, avait avoué Abigail, alors qu'elles sortaient du garage.
- Mais non, ne dis pas de bêtise ! Elles vont faire quoi, mis à part nous coller aux tâches ménagères pour sûrement tout le mois, tu peux m'le dire ? annonçait Serena d'un ton assuré.
Le visage rosi d'Abigail s'était durant un instant baissé, avant qu'elle n'ose croiser les yeux bleus de sa compagne de chambre. Soudain, son visage devint plus grave.
- Écoute, si toi ça t'amuse de faire ça, c'est ton souci, mais moi je n'aime pas m'attirer des problèmes... Je t'apprécie beaucoup, bien évidemment, l'avait-elle avertie, mais je ne peux pas continuer à faire des idioties avec toi. À l'avenir, j'aimerais ne plus être impliquée dans tes plans foireux. Même si cela concerne Lucy.
Serena retroussa son nez, tout en se rendant compte que son insouciance n'était pas forcément une bonne chose. Il est vrai qu'elle pouvait facilement se permettre de faire comme bon lui semblait, car ce n'était pas son monde, mais elle n'avait jamais véritablement réfléchi à l'impact de ses actes que cela pouvait avoir sur ses proches, en Angleterre.
- Je suis désolée, souffla cette dernière. Je n'avais pas réalisé à quel point ce pouvait être contraignant. Il est vrai que je ne me soucie pas assez des autres, et pourtant je devrais...
- Disons plutôt que tu es souvent trop centrée sur tes envies, sans te poser la question si cela est possible ou non... Mais bon, passons outre ce détail, et allons affronter notre destin, renchérit la blonde, tout en poussant la porte de bois, après avoir frottés leurs chaussures contre le paillasson.
À peine eurent-elles passé la porte d'entrée, que Sœur Catherine faisait son apparition, habillée d'une robe de chambre et de pantoufles à carreaux. Elle tenait une lanterne à la main, et contre toute attente, son visage présentait de l'inquiétude au lieu de la colère à laquelle pouvaient s'attendre les demoiselles. Elles se lancèrent un regard interrogé, avant d'avancer dans le sens de la directrice du couvent.
- Bonsoir, avait osé prononcer Serena. Nous sommes désolées pour...
- Puis-je savoir où vous avez passé la journée ? l'interrompit Sœur Catherine, en essayant d'avoir un ton énervé.
- Nous... nous étions, bredouillait Abigail. Nous étions chez une amie.
- Une amie ! s'étonnait la grosse dame. Et dire que je m'étais fait un sang d'encre à votre sujet... Une amie, répétait-elle. Non mais vous vous rendez un peu compte de ce que vous avez fait ? Vous me décevez énormément, surtout toi Abigail. Je croyais pouvoir te faire confiance, toi qui es si réservée dans tes habitudes.
Les yeux des jeunes femmes s'étaient posés sur leurs chaussures. Elles étaient très clairement en train de se faire remettre à leur place, et quand bien même elles s'étaient préparées psychologiquement à cet affront, il fallait avouer qu'elles ne s'étaient sûrement pas attendues à cette réaction précise. Serena avait conscience de son impertinence, et c'est sans l'ombre d'un doute pour cette raison, qu'une fois que les deux jeunes femmes furent retournées dans leur chambre, après que la bonne sœur leur a ordonné d'aller se coucher, car elles parleraient de leur punition le lendemain, que Serena s'était juré qu'elle fournirait des efforts pour éviter d'inquiéter ou mettre dans le pétrin qui que ce soit, à partir de maintenant.
- Bonne nuit, Abby, murmura-t-elle, tout en se glissant dans ses couvertures.
- Hm, bonne nuit, répondit la blonde d'un ton nonchalant.
Cette nuit-là, Serena avait rencontré quelques difficultés à trouver le sommeil. D'une part, parce qu'elle se devait de faire un gros travail sur elle-même et ses tendances à ne penser qu'à elle, de l'autre, elle repensait à cette superbe journée qu'elle venait de passer. Elle glissa sa main sous son oreiller, et attrapait le livre qu'Edmund lui avait prêté. Malgré l'obscurité de la pièce, ses yeux s'étant adaptés, Serena avait pu réussir à regarder la couverture, et un fin sourire en coin s'était formé sur son visage. Elle ignorait toujours pourquoi elle se sentait comme ça lorsqu'elle pensait au jeune homme, mais quoi que cela puisse être, elle n'avait pas très envie que ça s'arrête. Était-ce une mauvaise chose ? Elle s'en fichait, pour le moment.
***
Quand les premiers rayons de soleil apparurent, Serena fut arrachée de son sommeil par le réveil matin qui faisait un bruit toujours aussi assourdissant. Elle peinait à se lever, tandis que ses camarades se préparaient à la salle de bains. Comme à son habitude, la brunette était la dernière à s'habiller, faire un brin de toilette et se coiffer, avant de rejoindre les autres au réfectoire pour manger le petit-déjeuner. Abigail et Serena n'avaient pas beaucoup discuté, et les autres filles n'étaient pas très ouvertes à la discussion, ce qui avait quelque peu attristé Serena, qui se sentait un peu seule. Après qu'elle eut terminée de manger, elle fut sans grande surprise demander dans le bureau de Sœur Catherine, ainsi qu'Abigail. Les deux jeunes femmes traînaient des pieds tout en soupirant de temps à autres, jusqu'à ce qu'elles n'atteignent leur destination. Ce fut la brune, qui frappait à la porte, car toute la nervosité de la blonde se sentait à des kilomètres. Ses mains étaient moites, et son pouls était plus rapide. Contrairement à Serena, qui semblait parvenir à garder son calme dans cette situation. Sûrement parce qu'elle était persuadée que rien de grave n'allait se produire.
La princesse s'était attendue à simplement entendre un « Entrez !» mais au lieu de ça, la grosse dame avait ouvert d'elle-même la porte.
- Bonjour, les filles. Viens Abigail, on va commencer par toi, dit-elle en laissant entrer la concernée, avant de refermer derrière elle.
- Ok... Super, murmurait Serena.
La jeune femme s'était assise sur une chaise qui ne se trouvait pas trop loin du bureau, et avait attendu presque vingt minutes, avant de voir enfin la porte s'ouvrir sur les deux femmes. Abigail avait lancé un regard rapide à son amie, et s'était ensuite éclipsée à une vitesse remarquable, poussant Serena à se poser de sérieuses questions.
- Allez Serena, c'est ton tour, s'exclama la bonne sœur, en ayant sa main posée sur la poignée de porte.
La jeune femme entra dans le bureau, en sentant une boule se loger au niveau de son estomac. Serena avait subitement un mauvais pressentiment, comme si tout n'allait pas se passer comme elle avait pu le penser.
- Assieds-toi, lui ordonna Sœur Catherine d'un ton autoritaire.
La brune s'exécuta et il y eut ensuite quelques secondes de silence, le temps que la directrice ne s'assoit elle aussi, dans son fauteuil. Elle avait joint ses deux mains potelées, et faisait des moulinets avec ses pouces, tout en fixant Serena dans les yeux d'un air grave. Cela la mettait vraiment mal à l'aise, jusqu'à ce que la bonne sœur ne se décide à rompre cela.
- J'aimerai bien savoir pourquoi aucune d'entre vous n'est venu me demander si vous pouviez aller rendre visite à votre amie.
La princesse avait dégluti bruyamment.
- Tout est ma faute, Sœur Catherine. Abby n'y est pour rien.
- Ce n'est pas ce que je te demande, ça je suis au courant que tu es l'unique responsable de cette histoire, la grondait la grosse dame. Je t'ai demandé pourquoi vous n'êtes pas venue m'en parler. J'aurais pu très bien vous laisser y aller, vous aviez terminé en avance vos tâches ménagères et vos devoirs, ça ne m'aurait pas posé de problème.
Les lèvres de la brunette s'étaient pincées.
- Je suis sincèrement désolée. Je ne sais pas ce qui m'a pris, il m'était soudainement passé dans la tête l'idée que vous n'accepteriez pas, voilà tout. Je tiens beaucoup à mes amies, et ça me faisait extrêmement plaisir de rendre visite à l'une d'elles, justement. Mais si vous craignez que l'on ait fait des bêtises, je peux vous rassurer et vous affirmer que nous avons seulement rencontré sa famille, bu le thé en leur compagnie, et partager un bon repas. Vous n'allez tout de même pas nous le reprocher ?
- Ce n'est pas ce que je te reproche, Serena. (Sœur Catherine se passa une main sous le menton, tout en soufflant par la bouche). Lors de notre toute première rencontre, j'ai vraiment cru que tu pouvais être responsable, et digne de confiance, mais je me trompais sur toute la ligne. Tu n'as même pas eu la décence de réfléchir et te dire qu'il suffirait de venir me voir ?
La brune, ne sachant pas quoi lui répliquer, restait de marbre.
- C'est bien dommage, franchement, d'agir de cette façon. Tu as énormément de potentiel. J'ai pu récemment discuter avec ton professeur d'école, et il est remarquablement surpris de tes connaissances et ta façon de travailler en classe. Tu as d'excellents résultats. Sans compter ta capacité à t'adapter rapidement à toutes les situations. Je veux dire, en quelques jours à peine tu étais arrivée à te sentir à l'aise au couvent, et m'obéir sans broncher. Si tu savais le nombre de filles avec lesquelles j'ai dû batailler pour les faire rentrer dans les rangs. (Elle souffla à nouveau) Mon problème, avec toi, c'est que je ne peux pas éprouver la moindre haine à ton égard, et ça m'énerve. Tu es une fille très gentille, j'en suis persuadée, mais je ne peux pas non plus me permettre de fermer un œil sur tes agissements irréfléchis. C'est pourquoi, j'ai pris la décision de vous séparer, Abigail et toi. Elle est transférée dans un autre dortoir.
- Quoi !? s'étrangla Serena. Faites nous tous, mais pas ça, s'il vous plaît !
- Et puis, c'est la vie. Et contrairement à toi, Jeune fille, Abigail a des parents. Je ne peux pas me permettre de la laisser faire des bêtises, ou c'est sa famille que j'aurai sur le dos. Ce n'est en rien contre toi, et si tu veux tout savoir, d'autres filles ont fait bien pire que vous deux. En vérité, je vous aurais sûrement fait faire les tâches les plus ingrates, et vous aurait seulement privée de sortie pendant quelques jours, pour vous punir, mais là c'est quelque chose de bien différent. Je sens que tu as une forte influence sur Abigail, et elle t'aime beaucoup. C'est pourquoi, la seule punition que vous aurez, sera votre séparation, pour quelques temps.
- Je peux comprendre les raisons qui vous poussent à agir de la sorte, néanmoins, en venir à nous séparer comme ça, je trouve que c'est horrible.
- C'est la raison même qui me pousse à faire ça. C'est cruel, je le conçois, mais si c'est seulement comme ça que je peux arriver à maintenir l'équilibre, et bien je suis prête à tout. Mais si tu réfléchis bien, j'espère que de cette punition, tu en tireras une leçon, avait conclu la bonne sœur d'un ton solennelle. Bon allez, je ne vais pas te retenir plus longtemps. Tu dois aller à la messe, je te rejoindrai dans quelques instants.
Serena se leva lentement, comme si tout d'un coup, le poids de tous ses actes, que ce soient les choix qu'elle ait pu faire à Narnia, comme ceux d'ici, pesaient énormément lourd sur ses épaules. Son teint était quelque peu livide, et son regard était vitreux. La bonne sœur l'avait remarqué, mais n'avait rien dit de plus, se contentant de la laisser sortir du bureau avant de se concentrer sur ce qu'elle jugeait d'important.
La brune se laissait guider par les sons de la cloche provenant de l'église, et s'était rapidement mêlée à la foule de jeunes filles qui se rendaient à la messe du dimanche.
Sans grand étonnement, Serena n'était pas très attentive et participait à peine à la chorale. Celle-ci était bien trop prise par ses pensées noires, et ce fut le cas pendant toute la journée.
***
Le lendemain, Serena avait, par chance, retrouvé son éclat naturel, en ayant rejoint ses deux meilleures amies à l'institut. Elle fut d'ailleurs, plutôt surprise qu'Abigail ne lui en veuille pas, quand bien même elle lui assurait qu'elle ne ferait jamais plus rien de ce genre avec elle, ce que Serena approuvait. Le trio s'était trouvé un coin tranquille dans la bibliothèque de l'établissement pour discuter et manger, sans que la bibliothécaire ne les surprennent car c'était la pause déjeuner. Serena en avait d'ailleurs profité pour commencer à lire « Le chien des Baskerville », pendant qu'elles dégustaient leur panier repas. Et quand leur déjeuner fut terminé, Lucy s'était lancée dans une série de sujets de conversation tous très intéressants, ce qui avait détourné Serena de sa lecture.
- Je me demandais, lançait Serena à l'attention de Lucy. Où est-ce que tu achètes tes vêtements ? J'ai beaucoup aimé ta robe de l'autre soir.
- Oh, je te remercie ! rougissait-elle. Cette robe n'était pas donnée, ma mère me l'avait offerte pour les grandes occasions, dans une boutique relativement chère mais de qualité, et sophistiquée. Honnêtement, je ne pensais pas que la mode pouvait t'intéresser, toi qui dans tes habitudes semble t'en ficher de ton apparence, fit-elle ensuite remarquer.
- Hey ! Je sais que je ne suis pas très féminine, mais de temps à autres, j'aimerai bien soigner mon apparence, tout de même, bougonnait la princesse, tout en croisant les bras.
Cela fit rire ses deux amies, avant qu'Abigail ne se mette à sourire d'un air malicieux.
- Moi je sais pourquoi elle veut se faire toute belle. C'est pour Edmund ! gloussait-elle tout en attrapant le roman qui était posé devant la jeune femme.
- Eh ! Rends-le-moi ! Je veux pas qu'il soit abîmé !
- C'est vrai, Serena ? Mon frère te plaît ? s'étonnait l'ancienne reine en levant les sourcils.
La princesse ignorait la question de son amie pour essayer d'arracher le livre des mains d'Abigail, qui riait toujours autant, ce qui commençait à agacer Serena.
- S'il te plaît, Abby !
- Serena... ajoutait Lucy, d'un air perplexe.
- YEAH ! s'écriait la brune en ayant enfin réussi à attraper l'objet de sa convoitise. Pardon, tu disais ?
- Je disais, est-ce que c'est vrai que tu es intéressée par mon frère ?
- Franchement, tu poses encore la question ? sifflait Abigail. Tu as pu voir par toi-même son acharnement sur ce roman. Au cas où tu ne serais pas à jour, il s'agit du bouquin de ton grand frère.
En un fragment de secondes, les yeux de Lucy s'étaient illuminés. Cela faisait presque peur à Serena, qui ne savait plus si elle devait éviter son regard ou bien le soutenir.
- Je le crois pas ! Tu es bien la première ! Mais il faut marquer l'événement !
- Je ne suis pas intéressée par Edmund, pesta Serena. Nous avons simplement discuté de livre, je ne vois pas ce qu'il y a de mal à ça.
Abby et Lucy se regardèrent avant de se sourire et dire :
- Elle a complètement craquée !
- Arg ! Mais puisque je vous dis que c'est faux ! s'énervait-elle. Roh ! Vous savez quoi, vous m'exaspérer, j'ai besoin d'air.
- Et le prochain cours ? lançait Lucy.
- Bah j'irai pas. Je fais l'école buissonnière, cracha-t-elle avant de se lever, prendre ses affaires et sortir de la bibliothèque.
- Tu crois qu'elle en est consciente ?
- À mon avis, vue sa personnalité, elle a beaucoup trop de fierté pour reconnaître ce genre de chose. Laissons là y réfléchir, ce ne peut-être que pour ça qu'elle est partie comme ça. Ceci prouvant d'ailleurs le fait qu'elle s'intéresse à Edmund.
Un soupir s'échappa des narines de Serena, tandis qu'elle poussait la porte qui lui faisait obstacle. Tout en glissant ses mains dans les poches de son manteau, elle se laissait guider par ses pensées qui ne cessaient de se frayer un tas de passages au sein de son esprit. Elle avançait droit devant elle, en n'ayant que le son de la neige qui craquait sous ses pas, et de l'autre les passants dans la rue. Elle regardait droit devant elle, en ayant un air pensif, en ne se souciant pas véritablement de ce qui pouvait bien l'entourer.
Peut-être qu'elles ont raison. Edmund m'intéresse ? Mais pourquoi j'ai cet étrange sentiment qu'il ne m'intéresse pas juste ? Est-ce que... Nan, c'est impensable, songea-t-elle en secouant la tête. Est-ce qu'en réalité, je ne serai pas amoureuse de lui depuis plus longtemps que je ne le pense ? Serait-ce la raison même qui fait que je ne posais pas les yeux sur les autres hommes, auparavant ?
- Depuis tout ce temps, j'étais amoureuse d'un personnage de légende, qui est à présent ma réalité, murmurait-elle assez bas pour que personne ne l'entende à part elle. C'est complètement absurde !
Sans faire exprès, elle avait foncé dans l'épaule d'un passant, mais elle avait l'air tellement prise dans ses pensées fortes qu'elle n'y avait pas fait attention.
- Eh ! Faites attention, Mademoiselle !
- Oh, euh... Veuillez m'excuser ! bredouillait-elle enfin, en levant les yeux sur l'homme qu'elle venait de bousculer.
Cette dernière avait alors, soudain, vu une illumination se présenter à elle. Car derrière l'homme, se trouvait la vitrine d'un petit commerce de tissus portant le nom de « La fraicheur des couleurs ». Ce qui avait attiré l'attention de la brunette, ce n'était pas le magasin en lui-même, mais le petit écriteau sur lequel il y était écrit « Offre d'emploi : Contrat à durée déterminée, en temps partiel, généralement le week-end. Étudiante acceptée, à partir de seize ans » qui l'intéressait.
- C'est exactement ce qu'il me faut, souffla-t-elle en avançant en direction de la porte du magasin, afin de pénétrer à l'intérieur.
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Et voilà mes ami(e)s ! Qu'avez pensé de ce chapitre ?
N'hésitez pas à me donner vos avis en commentaire, voter et vous abonner si ce n'est pas encore fait.
Je sais que pour l'instant entre Edmund et Serena, ça n'avance pas énormément, même si déjà ils ont, ce qu'on peut communément appeler « un coup de foudre », je me devais de mettre tout de suite quelques freins afin de ne pas accélérer l'évolution de leur relation. Je veux qu'ils cogitent un peu. De plus, pour le développement de la suite, il était vraiment nécessaire que Serena se trouve un travail, pour l'instant vous ne savez pas pourquoi mais vous comprendrez bien assez tôt le pourquoi du comment 🙂
Sur ce, je vous souhaite de la patience, avant la suite qui n'arrivera pas avant une semaine 🙃
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