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Auteur : @HiMoboroshi
thème : même les super-héros ont peur
TW : enfant victime de violences (child abuse) + alcool
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"Leaving me was okay. People leave me all the time, I'm used to it. What hurts like hell is when you made me feel so damn special yesterday, and then make me feel so unwanted today."
Peter aurait dû savoir que ça arriverait un jour. Il aurait dû s'y préparer, il le savait. A la place de quoi, il avait préféré fourrer tout ça dans une boite, scellée à double tour dans les tréfonds oubliés de sa mémoire, et il n'y avait plus jamais touché. Il s'était persuadé que c'était mieux ainsi.
Il avait toujours été doué pour se convaincre des choses.
Comme il s'était convaincu après le Snap, quand il était revenu après ce qui lui avait semblé n'être que deux minutes, pour découvrir que cinq années s'étaient écoulées sans lui. Que celui qu'il considérait comme un père avait construit une famille, une vie, et qu'il avait une fille. Qu'il n'avait plus besoin de Peter, maintenant. Mais ce n'était rien, s'était-il dit. Il pouvait vivre avec ça. Il pouvait plaquer un sourire heureux sur son visage et faire croire à Tony qu'il n'avait pas de problème avec tout ça. Il pouvait rire aux éclats en ayant l'impression que son cœur était brisé, et paraître convaincant.
Oui, Peter avait toujours été doué pour croire à ses propres façades.
C'est ce qu'il fit ce jour-là.
C'était une chaude journée d'automne. La vie reprenait lentement son cours, difficilement. May travaillait, et Peter était seul à l'appartement, avachi dans le canapé, son téléphone en main. Les yeux rivés sur les réseaux sociaux, sans vraiment faire attention, un peu déconnecté du monde.
Quand le téléphone avait sonné. Et c'était comme si on avait pris l'air de ses poumons, tout à coup.
D'un pas lent et fatigué, il se leva, avisa le numéro inconnu d'un œil intrigué et porta le combiné à son oreille.
- Allô ?
- Bonjour, je suis le Procureur Davis. Est-ce que je parle bien à... Peter Parker ? demanda une femme, d'une voix gentille, en faisant une pause sans doute pour vérifier son prénom.
- Oui, c'est moi.
Il ne savait pas comment expliquer cette soudaine anxiété qui s'était installée dans son estomac et qui le grignotait lentement.
- Je vous appelle pour vous dire que Steven Wescott vient d'être libéré pour bonne conduite. Il a été assigné à résidence pour une période de deux semaines et une injonction d'éloignement a été produite par le juge responsable de cette affaire.
Il ne pouvait plus respirer, se rendit-il compte avec effroi.
Sa cage thoracique était compressée et ses poumons enserrés dans un étau chauffé au fer rouge. Il essayait d'aspirer de l'air, mais rien ne fonctionnait. Il était paralysé. Son pire cauchemar venait de se réaliser.
Cette boite, scellée à double tour dans son esprit, s'était rouverte avec la violence et la vivacité d'un poignard en plein cœur.
Ce n'était pas possible. Ce n'était pas en train d'arriver.
Libéré pour bonne conduite. Steve Wescott. Assigné à residence.
Non.
Peter ne pouvait pas revivre ce cauchemar une nouvelle fois. Il avait mis tant de temps à se relever de tout ce qui s'était passé, tant de temps à essayer d'enfouir tout ça au plus profond de lui pour ne plus jamais y penser...
Et cet appel, soudainement, réveillait l'enfant endormi qui somnolait dans un coin de sa poitrine. Il réveillait l'enfant blotti sous ses couvertures en espérant que le monstre derrière la porte de sa chambre s'en irait sans lui faire de mal. L'enfant à qui on avait appris à se taire par la force des choses, parce que personne n'a besoin de l'entendre, parce que personne n'a envie de l'entendre ; l'enfant qui croyait pouvoir faire confiance à cette personne qui se disait son ami, et qui n'avait fait que –
Peter crut qu'il allait vomir.
Le téléphone retomba rudement sur le sol, dans un claquement sourd, mais ça n'avait plus d'importance. Ni le allo ? répétitif du Procureur dans le combiné, ni le claquement du vent qui s'était soudainement levé contre les volets mal fermés, ni son cœur qui tambourinait dans sa poitrine, ni le sang qui battait contre ses tempes.
Il n'arrivait plus à respirer.
Quelque part, au fond de lui, il savait. Il savait que tout lui éclaterait de nouveau en pleine figure, malgré les efforts qu'il avait fait pour tout enfouir profondément dans cette boite scellée à double tour. Mais il ne pouvait pas faire face.
Parce que quelque part, dehors, dans le vent qui soufflait, dans les rues d'une ville grouillante de vie, se baladait un homme qui l'avait brisé, qui l'avait marqué au fer rouge et l'avait détruit de la pire manière qui soit.
Parce que le sentiment d'insécurité était là, tapi dans le creux de sa gorge, et manquait de l'étouffer.
Il ne sut pas comment il parvint à se lever. Ses jambes tremblaient si fort, son regard était trouble. D'un pas chancelant, Peter s'agrippa au dossier du canapé pour ne pas tomber et se précipita vers la porte d'entrée, trébuchant à plusieurs reprises. Il dut s'y reprendre à trois fois pour tourner le verrou et s'enfermer dans l'appartement vide, à l'affut du moindre bruit.
Skip – Steven – ne rentrerait pas. Il ne rentrerait plus chez lui, ne le toucherait plus jamais.
Il ne te touchera plus jamais, promit Spider-Man au jeune garçon terrifié qui hurlait à l'intérieur de lui. Plus jamais. Plus jamais, plus jamais, plus jamais. Il se l'était promis.
Peter ne savait pas combien de temps il était resté là, assis au fond de son lit après avoir fermé la porte de sa propre chambre à clé – une chose qu'il n'avait pas pu faire quand Skip était là et le persuadait qu'il avait le droit d'envahir son espace personnel pour le forcer à ce qu'il savait qu'il ne voulait pas faire. Le vent soufflait toujours aussi fort à l'extérieur, la pièce était plongée dans le noir. Sa respiration était courte et rapide, comme si sa poitrine était bloquée. Ses jambes remontées contre son torse, ses bras enroulés autour de ses genoux.
May n'était toujours pas rentrée. Et Peter était seul. Seul, seul, seul.
Alors il fit la seule chose qu'il avait toujours faite, depuis qu'il avait rencontré Tony. Il l'appela au secours.
Soudainement, son téléphone était dans ses mains tremblantes, et son doigt appuyait sur le logo d'appel. Tony. Tony arrangerait les choses. Tony arrangeait toujours les choses, même s'il ne voulait pas lui dire ce qui se passait.
Il ne s'était rien passé. Pas vrai ? Rien du tout. Et Tony arrangerait tout. Tony chasserait les démons de sous ses paupières.
Mais s'il le dérangeait ? S'il était trop occupé, s'il n'avait pas de temps à lui consacrer ? Non, il lui avait toujours dit qu'il pouvait l'appeler et qu'il serait toujours là... Et à chaque fois que Peter avait eu besoin de lui, Tony avait répondu présent. Quoi qu'il arrive. Et c'était cette conviction, cette confiance qu'il avait en l'homme, qui le poussait à se tourner vers lui quand il allait mal et qu'il avait besoin de quelqu'un.
Tony le faisait toujours se sentir mieux.
Les tonalités résonnèrent dans le combiné. Les mains de Peter tremblaient.
N'allait-il pas répondre, cette fois ? Cette pensée lui retourna douloureusement le cœur. Il avait besoin d'entendre Tony lui dire que tout irait bien.
Enfin, quand il crut qu'il allait tomber sur la messagerie, on décrocha.
- Hey, gamin ! le salua la voix de l'homme, et la gorge de Peter se serra violemment.
Cette joie, dans ses mots, était un tel contraste avec la tempête qui le secouait et manquait de le submerger.
Il allait répondre, quand il entendit de l'agitation derrière Tony, une voix qui criait et qui riait.
- Oui, oui, Morgan, j'arrive, rit l'homme avant de retourner son attention vers Peter, qui n'avait pas répondu. Pete ?
- H-hey, se força-t-il à dire, avant de se râcler la gorge pour tenter de chasser les larmes qui s'y étaient logées et qu'il refusait de laisser sortir.
- Ça va ? Oui, Morgan, attends une minute –
Peter se mordit la lèvre. Il savait qu'il allait déranger Tony. Il le savait, mais il avait quand même appelé. Et maintenant... maintenant...
Tout était différent depuis Thanos...
- Excuse-moi, gamin, le nain de jardin est surexcité aujourd'hui. Comment tu vas ?
- Je voulais juste savoir si –
- Morgan, attends une minute, tu vois bien que je suis – oui, je sais, je sais, j'arrive – écoute, Pete, ça t'ennuie si on se rappelle ? Dès que j'ai mis Morgan au lit – oui, oui, une minute – je te rappelle ?
- O-ok, bégaya Peter en sentant ses mains trembler de plus en plus violemment contre le cellulaire collé à son oreille, et il y avait de nouveau ces larmes traitresses qui poussaient sous ses paupières.
- Est-ce que tout va bien, gamin ?
Le ton de Tony s'était fait inquiet, tout à coup, mais Peter pouvait entendre Morgan derrière qui gémissait une longue litanie de papa, papa, papa, papa d'une voix plaintive, et le sentiment de rejet qu'il ressentit fut tellement profond qu'il eut l'impression qu'on lui écrasait la poitrine.
Il ne savait pas à quoi il s'était attendu... à retrouver le Tony qui l'écoutait à chaque fois qu'il en avait besoin, avant le Snap ? Le même Tony qui était aujourd'hui marié et père ? Qui était Peter, dans tout ça, quelle était sa place ? Il n'était personne. Un simple gamin du Queens.
L'homme avait d'autres choses plus importantes à faire que de s'occuper de lui et de –
Non. Ces larmes ne couleraient pas. Jamais.
- Ouais, répondit plutôt Peter, en utilisant sa voix la plus convaincante, celle qui dissimulait le plus brisé des cœurs. On se rappelle plus tard.
- Ok – oui, chérie, j'arrive, allez – à tout à l'heure, Pete.
- A tout –
L'appel se termina avant qu'il ait pu finir.
**
Cette nuit-là, May rentra tard. Peter ne sut pas si Tony avait fini par le rappeler, ayant éteint son téléphone. Il était blessé et honteux à la fois. Il avait... il avait tellement, tellement besoin que Tony lui dise que tout irait bien, tellement besoin de sa voix lui racontant des choses banales et quotidiennes pour faire taire les craintes gémissantes de l'enfant recroquevillé dans le creux de son sternum, tellement... tellement besoin d'oublier.
C'était comme ça que Peter avait toujours survécu. En se persuadant que tout allait bien. En oubliant. En ignorant la douleur qui pulsait contre ses côtes et la terreur qui le secouait avec une violence tempétueuse.
Comme quand il avait dix ans et qu'il demandait à Skip de le laisser tranquille. Qu'il ne voulait pas qu'il le touche, ni qu'il s'approche de lui.
- Hey, Petey, tu veux pas jouer avec moi ?
- Non, renifla Peter. Je veux plus jouer. Laisse-moi.
- Oh, allez...
Ses yeux se fermèrent avec violence alors qu'il entendait de nouveau sa voix, qu'il pouvait presque ressentir la brûlure de ses doigts sur sa peau d'enfant.
- Lâchez-moi, lâchez-moi, lâchez-moi, gémit-il en serrant ses genoux contre sa poitrine, alors que dehors, l'orage grondait de plus en plus fort, éclairant la pièce par intermittence.
Il ne savait pas qui il suppliait de la sorte. Tout ce qu'il voulait, c'était que ça s'arrête. Il ne voulait pas retourner en ces temps sombres où tout l'effrayait. Il voulait que son cœur cesse de tambouriner contre sa côte, et que sa respiration s'apaise. Il voulait dormir, s'échapper de cette réalité effrayante et douloureuse.
Je veux oublier, je veux oublier, je veux oublier.
Longtemps, le silence ne fut bercé que par les grondements de l'orage qui approchait New-York et sa respiration sifflante et étouffée par son oreiller qu'il pressait contre lui, comme une barrière face à un monde trop chancelant pour lui.
Et puis, il l'entendit.
Le pas lourd qui montait les escaliers. La respiration hachée.
Boum. Boum. Boum. Boum.
Les yeux de Peter s'ouvrirent d'un seul coup sur la porte de sa chambre qu'il avait pris soin de verrouiller.
La porte d'entrée... il avait fermé la porte d'entrée pas vrai ? Mais ensuite, May était rentrée... et si... et si elle n'avait pas bien verrouillé la porte ? Il pourrait rentrer... Il aurait tout le loisir d'entrer à nouveau. Peter était tiraillé entre le besoin d'aller vérifier que tout était bien fermé, et celui de rester dans son lit, sous ses couvertures. En sécurité.
Boum. Boum. Boum. Boum.
Les pas continuaient à résonner dans la cage d'escalier, et les yeux de Peter s'agrandissaient d'effroi. Non, il ne voulait pas revivre ça. Pas encore. Plus jamais. Il ne pouvait pas, il ne pouvait pas, il ne pouvait pas.
Et il aurait bien réveillé May, pour se blottir dans ses bras réconfortants, parce qu'elle seule savait ce qui s'était passé, elle seule avait été à ses côtés alors même qu'elle était encore rongée par la mort de Ben, elle seule avait bercé ses craintes jusqu'à ce qu'il réussisse à s'endormir... Mais il ne pouvait s'y résoudre. Il n'avait plus dix ans. Il était Spider-Man, maintenant, un super-héros... alors pourquoi aurait-il peur à nouveau ?
Boum. Boum. Boum. Boum.
Le cliquetis des clés – les yeux de Peter s'agrandirent de terreur, son cœur martelait contre sa poitrine – des clés qu'on tourne ensuite dans la serrure – non non non non non non – et le bruit d'une porte qui s'ouvre.
La porte voisine à leur appartement.
Peter aurait pu en pleurer de soulagement. A la place, il laissa échapper un souffle qu'il ne savait même pas qu'il était en train de retenir, ses poumons le brûlant avec agonie, alors que la porte se fermait à nouveau et que la clé était tournée dans la serrure une dernière fois.
Skip n'était pas là.
Et Peter était en train de faire une attaque de panique.
Ses mains se posèrent sur sa gorge, comme si ça pouvait l'aider à respirer, alors que sa respiration sortait par à-coups. Il n'est pas là, il n'est pas là, il n'est pas là.
Il avait besoin d'air.
Tremblant de tous ses membres, et bien que terrifié à l'idée de quitter l'espace sécurisé que lui offrait son lit, il repoussa les couvertures et se leva. Il n'eut pas à chercher longtemps pour son costume de Spider-Man, qui trainait sur sa chaise de bureau. Il lui fallut de longues minutes pour réussir à se coordonner suffisamment pour l'enfiler. Une fois son masque en place, il retomba à genoux sur le sol en essayant de respirer.
Son costume comme une seconde peau protectrice.
- Bonjour, Peter, fit la voix de Karen, alors que la pièce prenait une teinte bleutée derrière le filtre de son masque, et l'écran afficha ensuite ses premiers diagnostiques vitaux.
C'était un des nombreux protocoles mis en place par Tony. A chaque fois que Peter enfilait le costume, un premier diagnostic était effectué, pour vérifier qu'il était bien en état de l'utiliser.
Ce qu'il n'était assurément pas en ce moment, mais il fallait qu'il parle à quelqu'un, et Karen était sa seule véritable option.
- S-salut, Karen, souffla-t-il en essayant de se reprendre tant bien que mal.
- Peter, mes diagnostics révèlent une instabilité physique ; ton pouls et ta respiration sont trop rapides. Faut-il que j'appelle M. Stark ?
- N-non, ne l'appelle pas. Ça va, je vais bien.
- Tu sembles avoir une attaque de panique.
- Je – je sais, oui, laisse-moi – laisse-moi me reprendre.
Il pouvait le faire. Pense à autre chose, pense à autre chose, pense à autre chose.
- Karen, fais un scan des alentours, haleta-t-il en se redressant du mieux qu'il put, prenant appui sur son lit.
- Peter, tu n'es pas en état de sortir en tant que Spider-Man, en accord avec le Protocole Baby Monitor.
Il eut presque envie de rire à cette information, et déjà, l'étau qui enserrait sa poitrine se relâchait progressivement.
Il était en sécurité dans le costume. Il était Spider-Man, bon sang.
- Fais juste un scan.
- Scan en cours.
Trois points rouges éloignés apparurent sur la carte de New-York.
- Fais-moi une analyse, Karen, qu'est-ce qui se passe ?
Se concentrer sur autre chose l'aidait à se reprendre, alors qu'il écoutait les explications de Karen sur les scans qu'elle venait d'effectuer et ce qu'elle avait trouvé. Son esprit était totalement focalisé sur la voix agréable et amicale de son intelligence artificielle, sur les crimes qui se déroulaient en ce moment à New-York.
Quoi de mieux que d'aider quelqu'un d'autre quand vous étiez impuissant à vous aider vous-même ?
Mais avant ça, il avait une dernière chose à vérifier...
- Karen, est-ce que tu peux retrouver quelqu'un pour moi ?
- Bien sûr, Peter. Qui dois-je chercher ?
Peter déglutit et, pendant une seconde, se demanda si c'était une bonne idée. Mais il voulait savoir. Il fallait qu'il sache, il ne pouvait pas rester dans l'ignorance.
- Peter ? insista-t-elle face à son absence de réponse.
- S-Steven Wescott. Je veux savoir où il se trouve tout le temps, en temps réel.
- Recherches en cours.
Il s'écoula quelques secondes, pendant lesquelles Peter en profita pour sortir par la fenêtre et remonter vers le toit en se collant au mur, dans l'ombre. L'air frais lui faisait du bien. Il tremblait de moins en moins.
- Steven Wescott, 26 ans, assigné à résidence jusqu'au 3 Novembre prochain.
Le souffle de Peter se coinça dans sa gorge. Karen lui donna sa localisation, et l'afficha ensuite sur la carte, sur l'écran. Il était à dix kilomètres de sa position. Et c'était définitivement trop près. Mais il pourrait être dans une autre galaxie que ce serait toujours trop près pour Peter...
Il expira longuement pour se calmer.
Étrangement, l'IA resta silencieuse. Elle avait dû fouiller les dossiers de Skip pour le retrouver, sans doute. Alors peut-être qu'elle savait déjà ce qui s'était passé. Peter espérait juste qu'elle ne dirait rien à Tony, ou que ce dernier n'aurait pas la merveilleuse idée de regarder les enregistrements vidéo de son costume...
- Je veux que tu me communiques sa position en temps réel, Karen. Tu m'envoies les informations sur mon portable et sur ma montre. Je veux savoir quand il bouge.
- Bien, Peter, répondit sobrement l'IA. Que faisons-nous, ce soir ?
Peter souffla pour se donner une contenance, les yeux rivés sur le petit point brillant qui clignotait sur son écran. Au moins, comme ça, il avait un contrôle sur les choses. Plus jamais il ne l'approcherait.
- On va aller faire un petit tour en ville, arrêter quelques braquages ou deux. T'en penses quoi ? demanda-t-il en ignorant le tremblement de ses membres, avant de lancer une toile sur le bâtiment voisin.
Il se laissa tomber dans le vide, appréciant le vent qui le fouettait de part en part, la sensation grisante de chute libre qui libérait tout un tas d'adrénaline dans son corps. Son bras se tendit ensuite, agrippé à sa toile, et il remonta légèrement pour se propulser dans les airs avant de lancer une autre toile.
- Ça me semble être un bon programme, répondit Karen d'une voix qui semblait joyeuse, comme si elle avait compris le besoin de se distraire que ressentait Peter.
Ainsi dans les airs, l'esprit occupé, discutant avec Karen, Peter se persuada que tout allait bien. Que c'était une soirée normale.
Qu'il n'y avait pas ce trou béant dans sa poitrine, ni ces marques apposées au fer rouge sur son corps, ni ce manque, ni ce rejet et le sentiment de solitudes qui l'accompagnaient comme de vieilles amies.
Il n'y avait rien qu'il puisse espérer de plus. Il n'était qu'un ado du Queens.
Et pour le moment... Spider-Man s'occupait de bâillonner l'enfant qu'il n'avait pas pu sauver six ans plus tôt.
**
Il finit par tout avouer à May.
Ce n'était pas comme s'il l'avait planifié, mais après plus de quatre jours sans avoir allumé son téléphone, Tony avait finit par appeler sa Tante pour savoir ce qui se passait, et pourquoi Peter l'ignorait. Alors, quand elle était rentrée, un soir, et l'avait trouvé avec la porte de sa chambre fermée à clé, puis les yeux rivés sur la carte de New-York que lui avait envoyé Karen, sur sa montre, pour vérifier la position de l'autre, elle avait exigé de savoir ce qui se passait.
Et Peter était épuisé de lutter.
Épuisé de devoir faire semblant, d'être sans arrêt sur le qui-vive, d'avoir peur, tout le temps. Même ses nuits n'étaient pas reposantes... Il avait trop peur de fermer les yeux et de revoir tout ça, tout ce qu'il avait passé des années à repousser, à sceller dans cette boite, à double tour. Il finissait donc toujours par s'endormir d'épuisement, quand ses paupières devenaient trop lourdes pour qu'il puisse les soulever à nouveau et poser son regard sur le point lumineux sur la carte. Il n'y avait que ça à faire pour que les cauchemars ne le suivent pas pendant son sommeil.
May s'assit sur le bord de son lit après que Peter ait déverrouillé pour la laisser entrer. Soupirant doucement, elle glissa une main dans ses cheveux et avisa son air fatigué et la carte de New-York qui brillait dans le noir.
- Parle-moi, chéri, murmura-t-elle sans cesser ses caresses rassurantes.
Aussitôt, Peter sentit ses paupières devenir plus lourdes. Ça avait toujours eu cet effet sur lui.
- Dis-moi ce qui se passe. Je m'inquiète pour toi, et Tony a dit que tu ne répondais à aucun de ses appels... ça ne te ressemble pas...
- C'est rien, marmonna-t-il d'une voix enrouée. J'ai pas envie de lui parler pour le moment...
Il n'y avait rien de plus faux que cela. Tout son corps vibrait du manque occasionné par cette absence de contact avec Tony, mais d'un autre côté, il savait qu'il ne supporterait pas d'autre rejet de sa part. Il fallait qu'il se tienne éloigné de lui, pour son propre bien, il ne voulait pas que Tony se sente obligé de lui répondre parce qu'il allait mal, alors qu'il avait une vie de famille dont il devait déjà s'occuper.
- Vous vous êtes disputés ? demanda May en fronçant les sourcils.
Peter secoua la tête, jouant nerveusement avec ses doigts. Il ne voulait pas croiser le regard de sa tante.
- Explique-moi ce qui se passe, alors.
- J'ai...
Il souffla longuement.
- Prends ton temps.
Peter ferma douloureusement les yeux, alors que la vague qu'il avait tenté d'endiguer avec des ridicules sacs de sable déferlait de nouveau sur lui, le faisant se recroqueviller sur lui-même.
Incapable de parler, il lui montra l'écran de la montre, et appuya sur le petit point rouge clignotant qui n'avait pas bougé depuis qu'il avait demandé à Karen de le lui indiquer.
Un nom apparut. Steven Wescott.
May haleta et eut un mouvement de recul.
- Qu'est-ce que –
- Il a été relâché, souffla Peter en essayant de passer outre les couteaux qui s'étaient plantés dans sa gorge.
Sa tante ne dit rien. Elle savait. Elle savait ce que ça impliquait, elle savait tout ce que Peter avait traversé, avait pleuré des jours entiers quand elle avait tout découvert et s'était battue du mieux qu'elle pouvait pour que justice soit faite, alors que tout leur monde s'était écroulé sur leurs frêles épaules.
Elle s'allongea dans le lit avec lui, comme quand il était enfant, comme quand il avait dix ans, et le prit dans ses bras, le serrant fort contre elle. Elle le laissa volontairement tourné vers la porte fermée alors qu'il se blottissait contre elle sans un mot de plus, tremblant de tout son corps.
- Je suis là, chéri. Il ne t'arrivera rien. Je te le promets. Il ne te touchera plus jamais.
Peter hocha faiblement la tête contre son épaule, et May crut qu'elle allait pleurer, tandis qu'elle caressait doucement les boucles châtain de l'adolescent qui refusait de verser la moindre larme.
Longtemps après, quand la respiration de Peter se calma et qu'il n'était plus agité que par de faibles tremblements, May se recula légèrement pour le regarder. Elle croisa son regard épuisé et sourit tristement.
- Tu n'es pas tout seul.
- Je sais, chuchota-t-il. Tu es là.
- Je suis là, acquiesça-t-elle en caressant tendrement sa joue avec son pouce. Mais Tony est là aussi. Ne le laisse pas à l'écart –
- Je veux pas lui raconter ça, rétorqua faiblement Peter.
Il n'en serait pas capable.
- Je peux le faire, si tu veux –
- Non. Je veux pas qu'il sache.
- D'accord, trésor. Mais rappelle-le, au moins, d'accord ? Ne l'éloigne pas de toi...
- J'essaierai, murmura-t-il en baissant les yeux.
Il y eut un moment de silence pendant lequel les deux appréciaient simplement la respiration de l'autre.
- Ned aussi a appelé. Il s'inquiétait de ne pas avoir de tes nouvelles.
- Je le rappellerai demain.
- Bien. Tu veux regarder Star Wars avec moi, dans le salon ? lui proposa-t-elle avec espoir.
- Bien sûr.
Rien de mieux pour se changer les idées. Tout serait mieux que de garder les yeux rivés sur sa montre, qu'il emporta quand même avec lui jusqu'au canapé.
Juste au cas où.
**
Il ne rappela pas Tony, même s'il avait rallumé son téléphone. Il l'avait appelé plus de dix fois, et laissé tout autant de messages inquiets. Mais il ne voulait pas encore lui faire face. Il ne savait pas s'il serait capable de sourire et de faire semblant pour le moment.
Il attendit trois jours de plus pour rappeler Ned, qui lui avait aussi envoyé quelques messages. Peter sortait presque toute la journée et une bonne partie de la nuit en tant que Spider-Man ; la ville, sans dessus-dessous depuis que tout le monde était revenu du Snap, avait besoin de quelqu'un pour réguler le désordre qui régnait, et Peter était plus que ravi par la distraction occasionnée.
La seconde distraction avait été proposée par Ned, et Peter avait d'abord hésité.
Et maintenant qu'il se trouvait debout, sur le trottoir, devant une maison très animée du Queens, il se demanda ce qu'il faisait vraiment là.
La fête battait son plein à l'intérieur, la musique résonnait contre les murs, beaucoup trop forte pour ses oreilles sensibles, l'alcool coulait visiblement à flot, comme certaines substances illicites, semblait-il, et Peter se sentit tout de suite mal à l'aise – pas à sa place.
- Hey, mec ! le salua Ned en lui donnant une tape sur l'épaule, quand il le vit, et Peter sursauta en se retournant.
- Ned ! s'exclama-t-il d'une voix forte pour couvrir le bruit insupportable de la musique.
- Je croyais que t'allais pas venir !
Peter grimaça. Il n'avait qu'une envie : faire demi-tour. Il n'était vraiment pas d'humeur à s'amuser.
- Écoute, Ned, commença-t-il en le prenant à part, en direction de la sortie, mais Ned s'arrêta avant.
- Mec, c'est l'occasion de s'amuser, avec tout ce qui s'est passé, dernièrement, on a besoin d'être cool et de se changer les idées ! lui dit-il avec de grands yeux, pour essayer de le convaincre.
Peter soupira et s'humecta les lèvres, croisant les bras sur son torse.
- Allez, mec, insista Ned. C'est peut-être l'occasion de plus être des loosers, cette année, ajouta-t-il d'un air convaincu, comme si aller à une fête les rendrait plus cools.
- Très bien, céda Peter avec reluctance, sentant déjà qu'il quitterait la fête bien assez tôt.
**
Il avait perdu Ned, depuis un moment déjà. Il ne savait plus quand exactement.
La seule chose qu'il savait, c'était qu'il s'était trompé. En vérité, il s'amusait. Il ne pensait plus à rien d'autre et riait à gorge déployée avec des gens qu'il ne connaissait même pas, et qui avaient passé la soirée à remplacer les verres qu'il vidait. Il ne savait pas trop ce qu'il buvait, mais c'était agréable et dégageait une chaleur bienfaisante dans sa poitrine.
Loin du froid et des brisures de verre. Et ça avait le mérite d'avoir fait taire l'enfant au cœur détruit.
Un peu chancelant, il se leva du canapé sur lequel il était avachi, son verre à moitié rempli en main, dans l'intention d'aller prendre un peu l'air. Mon Dieu, qu'est-ce qu'il avait chaud.
- Hé j'vais prend' l'air, bredouilla-t-il avant d'éclater de rire face à son incapacité à articuler correctement.
Les autres le suivirent dans son rire et il réussit à quitter le salon après avoir bousculé un paquet de monde et renversé son verre sur un type d'au moins deux têtes de plus que lui.
- Oups, pardon, rit-il en arrivant près de la porte, accueillant l'air frais avec joie.
Il savait qu'il n'était pas vraiment dans son état normal, mais honnêtement, si c'était ce dont il avait besoin pour oublier tout le reste – oublier quoi, d'ailleurs ? – alors il ferait ça plus souvent. Pourquoi n'avait-il jamais pris la peine de s'amuser comme ça, avant ?
Il rouvrit les yeux. S'était-il endormi ? En tout cas, il avait froid, et il tremblait violemment, dans le froid de ce mois d'octobre, assis sur les marches, dehors. Il se rendit compte avec un temps de retard, clignant des yeux pour chasser le flou qui obscurcissait sa vision, que son portable vibrait dans sa poche – et que c'était sans doute ça qui l'avait réveillé en sursaut.
Il mit tellement de temps à sortir le téléphone de sa poche qu'il arrêta de vibrer. Il avait manqué l'appel.
Peter haussa les épaules. Tant pis.
A peine quelques secondes après, cependant, le téléphone vibra de nouveau.
- Ah, s'exclama Peter sans vraiment s'en rendre compte, heureux de pouvoir répondre cette fois.
Il appuya sur le logo vert pour décrocher et porta le cellulaire à son oreille.
- Ouais ? répondit-il sans faire attention, d'une voix légère et un peu plus aiguë qu'à l'habitude.
- Peter ? ça va, gamin ? demanda immédiatement une voix qu'il reconnut tout de suite comme étant celle de Tony.
Il répondit sans réfléchir.
- Ouaiiis, ça va, et toi ?
Il y eut un instant de silence à l'autre bout du fil.
- Allo ? Allooo ? demanda Peter en fronçant les sourcils.
- Peter, est-ce que tu... t'es où, exactement ?
Pourquoi Tony lui demandait-il où il était ? En avait-il eu quelque chose à faire, ces derniers temps ?
- J'sais pas, répondit-il à la place en haussant les épaules, appuyant sa tête contre le poteau en béton des escaliers.
Les étoiles étaient super belles, ce soir. Il parvenait à peine à les voir, mais il savait qu'elles étaient belles. C'étaient des étoiles, quoi.
- Comment ça, tu sais pas – hey, est-ce que t'as bu quelque chose ?
Peter gloussa sans pouvoir s'en empêcher. Un peu qu'il avait bu. Et c'était la chose la plus cool qu'il ait jamais faite, mais quelque chose lui disait qu'il ne valait mieux pas l'avouer à son mentor.
Mon Dieu. Monsieur Stark va me tuer, pensa-t-il soudainement. S'il le voyait dans cet état, il allait assurément le tuer. Nope. Il ne vivrait pas assez longtemps pour vomir.
- Nooon, rien du tout, M'sieur.
- C'est ça, répondit sèchement Tony. Est-ce que quelqu'un est avec toi ?
- Ha-han, négatif.
- Super.
Il ne savait pas pourquoi Tony avait l'air en colère contre lui, en cet instant, et il fronça les sourcils, un étrange sentiment lui tordant l'estomac.
- Super, répéta Peter sans rien comprendre, complètement au-dessus de tout ça.
- Tu bouges pas de l'endroit où tu es, compris ?
Aucune chance. Même s'il grelottait, il ne voulait pas retourner à l'intérieur, il faisait trop chaud et il y avait trop de bruit. Et puis, sa tête lui tournait un peu. Et les étoiles étaient belles, non ?
- Peter ?
- Quoi ?
- T'as entendu ce que j'ai dit ?
- Quoi ?
Il entendit Tony souffler avec colère, à l'autre bout du fil.
- Tu restes où tu es. Tu pars avec personne. Et tu gardes ton téléphone. Compris ?
- Bien r'çu, mon Cap'taine. Affirmatif. Cinq sur cinq.
Peter rit bêtement, les yeux fermés, la tête toujours appuyée contre le poteau.
- T'as compris la blague ?
- Ouais, j'ai compris la blague, soupira Tony.
L'adolescent rit de nouveau, et Tony ne dit rien de plus.
- Je serai là aussi vite que je peux, gamin. Bouge pas.
Comment voulait-il qu'il bouge ? Sa tête lui tournait trop.
- Ouep.
Il n'allait pas bouger, nope.
**
Tony mit tellement de temps à arriver, que Peter se demanda s'il n'avait pas rêvé.
Malheureusement pour lui, quoi qu'il ait ingurgité en grandes quantités, son métabolisme l'évacuait déjà en grande partie et, de nouveau, il entendait les gémissements désespérés de l'enfant tapi au fond de lui.
- Ferme-là, marmonna-t-il, les yeux fermés.
Il sentait le froid plus fort que jamais, comme il n'avait pas bougé depuis son appel – s'il y en avait eu un – avec Tony. Il ne savait pas si les tremblements de son corps étaient dus au froid glacial qui régnait, ou à l'effroi qui s'était de nouveau installé dans sa poitrine.
Non, non, non.
Il ne voulait pas que ça revienne.
Il serra la montre qu'il avait à son poignet pour se rassurer. Ouvrant ses yeux troubles, il vit avec soulagement que le point rouge clignotait toujours au même endroit.
- Hey, mec, t'es là ! s'exclama soudainement quelqu'un en descendant les escaliers pour le rejoindre, un verre à la main.
Il manqua de trébucher à plusieurs reprises et finit par s'asseoir à côté de lui, complètement éclaté de rire. Peter fronça les sourcils ; il ne connaissait pas ce type...
- T'qui ? marmonna-t-il, les yeux plissés, ce qui fit encore plus rire le garçon.
- J'sais pas, réussit-il à souffler entre deux rires.
Peter, lui, ne se sentait pas de rire. Il voulait juste qu'il le laisse tranquille, qu'il aille voir ailleurs s'il y était.
L'autre finit par lui tendre son verre.
- Tiens, mec, bois un coup –
Peter regarda le verre d'un air critique, avant de se rappeler de la sensation grisante de plénitude qu'il avait ressentie plus tôt, et il tendit la main vers le verre –
- Si tu touches à ce verre, gamin, je te promets que tu le regretteras immédiatement, intervint une voix qui le fit sursauter, et le type renversa son verre sous la surprise.
Il se retourna pour voir Tony arriver, ayant l'air complètement échevelé, les traits plissés avec sévérité, et Peter haleta.
Oh, bordel, il n'avait pas rêvé le coup de téléphone. Tony était là.
Il était tellement, tellement dans la merde. Il allait définitivement le tuer.
- Hé, z'êtes qui, vous ? s'exclama le garçon à côté de lui avec incompréhension, alors que Tony se rapprochait d'eux.
- Crois-moi, tu veux pas t'en rappeler, marmonna Tony entre ses dents serrées en se penchant vers Peter. Allez, viens là, gamin, je te ramène à la maison, tu t'es assez amusé comme ça.
- Noooon...
- Oh si.
Il se pencha vers lui et agrippa son bras pour l'aider à se relever. Peter se laissa faire, et quand il trébucha, Tony le rattrapa. Il enroula un bras autour de ses épaules pour l'aider à marcher jusqu'à l'Audi qu'il avait garée un peu plus loin, sur le trottoir.
- Ciao, mec ! s'exclama l'autre adolescent, et Peter ne prit même pas la peine de se retourner.
Quelque part, même s'il savait qu'il devait être stressé par la présence de Tony, Peter ressentait plutôt du soulagement, et un intense sentiment de sécurité que l'homme lui avait toujours procuré. Sans réfléchir, il laissa tomber sa tête sur son épaule alors qu'ils atteignaient la voiture, et Tony ouvrit la portière passager.
- Allez, rentre là-dedans, gamin, lui dit doucement Tony, toute colère évaporée à la vue de l'état de faiblesse dans laquelle se trouvait Peter.
- On va où ? marmonna faiblement ce dernier en se laissant guider, gémissant légèrement au changement de position quand il s'assit sur le siège en cuir.
- A l'hôtel, pour ce soir, et demain à la maison.
Il ne savait pas où était la maison, mais il était avec Tony, alors il n'avait pas vraiment envie d'y réfléchir. Ce n'était pas important. Il avait confiance en Tony.
- Essaie de pas vomir dans la voiture, le prévint l'homme après l'avoir attaché.
Il referma la portière, fit le tour de la voiture, et s'installa côté passager avant de démarrer.
Un long silence s'installa, et Peter était bercé par la chaleur qui régnait dans l'habitacle ; bientôt, ses tremblements se calmèrent, pour ne demeurer que des trémolos liés à cette douleur glaciale qui soufflait sur son cœur.
Tony tourna la tête vers lui, sans doute pour vérifier s'il dormait. Quand il vit que ses yeux étaient ouverts à demi, sa main serrée autour du poignet sur lequel se trouvait sa montre, il fronça les sourcils avec inquiétude.
- Qu'est-ce qui se passe, petit ? demanda-t-il doucement. C'était quoi, ça, ce soir ?
Peter haussa les épaules, incapable de répondre alors que de nouveau, des brisures de verre lui poignardaient la gorge avec vivacité. Il déglutit pour les chasser, en vain.
- C'est quoi, t'as voulu essayer ? On t'a forcé à boire ?
- On m'a pas forcé, j'en avais envie, marmonna Peter en détournant le regard vers la fenêtre.
- Tu sais que je te juge pas, je serais plutôt mal placé pour faire ça...
Tony soupira et se frotta les yeux avec sa main qui ne tenait pas le volant.
- C'est juste que tu m'as ignoré toute la semaine, après ton appel de la dernière fois. Est-ce que j'ai fait quelque chose qui t'a... mis en colère ?
Il y avait de l'hésitation dans sa voix, et c'était comme si on avait mis du citron sur la plaie béante qui saignait dans la poitrine de Peter. Un sourire amer incurva ses lèvres alors que ses yeux se brouillaient, le sentiment de rejet intense qu'il avait ressenti après ce fameux appel – et qui n'était qu'une réplique de tous les autres, depuis la défaite de Thanos – lui comprimant la poitrine.
L'alcool n'aida sûrement pas sa réponse.
- T'as rien fait du tout, répondit-il avec amertume. C'est juste comme ça.
Il rit, sans savoir si c'était drôle, alors qu'il avait juste envie de pleurer et que son cœur était comme brisé depuis ce qui lui semblait longtemps.
- Je peux rien y faire.
Tony sembla confus.
- Tu peux rien faire contre quoi ?
- Je sais trèèèès bien que tu m'aimes plus, dit-il sur le ton de la plaisanterie, alors qu'en vérité, il en pensait chaque mot.
- Quoi ?
- Ouais, mais c'est rien, cinq ans ça change beaucoup de choses, j'comprends, continua Peter en regardant la route devant lui, faisant de son mieux pour garder une expression nonchalante.
Il y eut un long silence, comme si Tony essayait de comprendre les propos de l'adolescent. Il s'était attendu à tout sauf à ça.
- Peter, tu sais bien que – tu dis pas ça sérieusement ?
Peter haussa les épaules, et Tony sentit sa poitrine se comprimer douloureusement. Est-ce qu'il croyait sincèrement que –
Il gara la voiture sur le bas-côté, incapable de conduire plus longtemps. Et parce qu'il fallait que le gamin comprenne.
- Regarde-moi, gamin.
Peter baissa la tête avant de la tourner vers lui, et Tony vit de la peur dans son regard, et des larmes qui ne demandaient qu'à déborder. Son visage se tordit avec empathie et douceur. Il leva une main qu'il posa sur sa nuque pour l'empêcher de se dérober.
- Tu sais très bien que c'est faux. Tu fais partie de ma famille. Tu le sais.
Peter secoua la tête.
- Tu as une fille, maintenant.
- Oui. Et je t'ai toi.
- Je suis pas ton fils.
- Oh, Peter, sérieusement...
Tony secoua la tête à son tour, mais continua en voyant l'air blessé qu'arborait le gamin.
- Tu es mon fils. Pas besoin de biologie pour ça. Je suis désolé si je t'ai donné l'impression que... je te mettais à part, ou que... enfin, je veux dire... je suis désolé pour l'autre fois. C'est vrai que j'étais accaparé par Morgan, et je ne t'ai pas écouté. Est-ce que tu crois que tu peux me pardonner ?
La lèvre inférieure de Peter tremblait, mais encore une fois, ses larmes ne coulèrent pas. Il hocha lentement la tête, de façon presque imperceptible.
Tony lui sourit faiblement et serra brièvement sa nuque.
- Merci, souffla-t-il. Est-ce que c'est pour ça que tu as ignoré mes appels cette semaine ?
Peter haussa les épaules et baissa les yeux, sa main se resserrant autour de son poignet.
- En partie.
- Je te promets que ça ne se reproduira plus.
Peter acquiesça, les yeux toujours baissés, et Tony serra de nouveau brièvement sa nuque, et ça le ramenait un peu sur terre.
- Peter. Parle-moi, souffla-t-il. J'ai parlé à May hier, et elle m'a dit que tu n'allais pas bien, mais que tu ne voulais pas m'en parler. Et elle a refusé de me dire pourquoi.
L'enfant hurlait, maintenant. La seule chose qu'il avait envie de faire, c'était de s'arracher la poitrine à mains nues, juste pour que ça cesse. Il en avait assez. Il voulait aller bien de nouveau, oublier, oublier, oublier, juste pour pouvoir regarder Tony dans les yeux et lui sourire.
Mais il n'était pas lui-même, ce soir, et la rechute de l'alcool était encore plus violente que la plénitude légère dans laquelle il s'était trouvé quelques heures plus tôt. Il n'avait pas cru pouvoir se sentir encore plus mal que ces derniers jours.
- Est-ce que c'était ce dont tu voulais me parler quand tu m'as appelé ? insista Tony.
Il avait un air de culpabilité dans le regard.
Tony savait qu'il ne pouvait pas changer ce qui s'était passé ce jour-là. Même s'il ne savait pas ce qui se passait, il aurait dû se rendre compte que quelque chose n'allait pas avec le petit. Il aurait dû savoir. Il aurait dû faire plus.
- Et c'est pour cette raison que tu as bu ce soir ?
Peter haussa les épaules.
- C'était plutôt cool, admit-il d'une petite voix, sans oser regarder Tony, lequel soupira.
- C'est cool seulement sur le moment, tu sais...
- Je sais, chuchota Peter, parce que c'était la seule chose qu'il pouvait faire en cet instant, ne faisant pas confiance à sa voix pour parler plus fort.
Tony caressa doucement sa nuque et la peau derrière son oreille, ce qui l'apaisait toujours.
- Je veux juste que ça s'arrête, continua à chuchoter Peter en fronçant violement les sourcils pour retenir les larmes qui menaçaient de déborder de ses paupières. Je suis fatigué.
- Alors explique-moi... je ferai tout pour arranger ce qui ne va pas, Peter... dis-moi juste de quoi il s'agit... Je suis là pour t'aider, je suis là pour toi, bambino.
Pouvait-il vraiment le lui dire ?
Desserrant la prise qu'il avait autour de son poignet, Peter tapota la montre qui diffusait toujours son plan de New-York, avec ce point rouge qui clignotait.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda doucement Tony sans le relâcher, sentant qu'il était sur le point de tout lui avouer.
Peter ne répondit pas, et au-dessus du point rouge s'afficha le nom de Steven Wescott.
Steven Wescott. Ce nom ne lui disait absolument rien.
Tony y réfléchit pendant de longues minutes de silence, alors que Peter luttait pour se reprendre. Il avait envie que Tony lui dise que tout irait mieux bientôt, qu'il était là pour lui. Il n'était pas sûr de vouloir aller plus loin, et en même temps, c'était tellement difficile à porter pour ses épaules tendues et fatiguées...
- Il était...
Sa voix se brisa et il inspira profondément, le regard éclairé par ce minuscule point rouge clignotant.
- Si tu n'as pas envie d'en parler..., murmura Tony en voyant à quel point il était affecté, et incapable de supporter la souffrance qu'il lisait dans sa posture.
Il le serra contre lui, frottant sa main le long de son bras, de haut en bas, pour lui insuffler du réconfort.
- Il était censé s'occuper de moi, quand j'avais dix ans, et que May travaillait.
Je vais m'occuper de toi.
- Il...
Tony sentait que ce qu'il s'apprêtait à entendre le briserait au plus profond de lui-même.
- Il t'a fait du mal ? essaya-t-il de deviner en voyant que Peter luttait pour parler, ressentant une souffrance terrible à cette pensée.
- A plusieurs reprises.
Sa main se serra de nouveau autour de son poignet.
- Il a... il a été relâché il y a une semaine.
Tony n'avait pas besoin d'un dessin pour comprendre ce qui s'était passé, même si l'imaginer lui donnait envie de vomir mais aussi de retrouver cet homme et de le faire payer pour ses crimes de la pire manière qui soit.
- Je suis désolé, Peter, murmura-t-il à la place en prenant clairement Peter dans ses bras, cette fois, et celui-ci plaça son front contre son épaule.
Et ce fut le geste de trop pour l'adolescent et l'enfant gémissant. La douleur explosa dans sa poitrine et remonta jusque dans sa gorge, et il sentit qu'il perdait pied, que toutes ces larmes si longtemps retenues remontaient soudainement à la surface comme une bouteille de champagne qu'on aurait remué avec trop de vigueur et sur laquelle on aurait replacé le bouchon avec un espoir vain.
Ses doigts s'agrippèrent désespérément au t-shirt de Tony alors qu'il gémissait contre son épaule, les yeux débordants et le cœur au bord de l'explosion, humilié et abattu.
Tony le serra fort contre lui, le plus fort qu'il pouvait, comme pour le garder entier contre lui, comme pour éviter qu'il ne s'effondre et s'éparpille en milliers d'éclats dans l'habitacle surchauffé. En retour, Peter s'accrochait à lui comme un désespéré, un naufragé égaré – et c'était sans doute ce qu'il était.
Mais Tony était là. Il avait toujours été là, et le serait jusqu'à son cœur cesse de battre.
- Shhh, le berça-t-il doucement contre lui. Tu es en sécurité. Il ne t'arrivera rien. Plus jamais. Je suis là. Je te protègerai toujours. Tu m'entends, tesoro ? Toujours. Je te le promets.
- Je veux juste que ça s'arrête, gémit Peter contre son épaule.
- Je sais. Je sais...
Il fallut de très longues minutes pour que ses pleurs s'apaisent, au prix de nombreuses paroles réconfortantes et porteuses de promesses, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que des hoquets intermittents qui faisaient mal au cœur de Tony.
Il détestait voir ses enfants dans un tel état, et détestait qu'on ait pu faire plus de mal encore à cet enfant-là, blotti désespérément contre lui.
- Tony, murmura Peter entre deux hoquets, d'une voix rauque et fatiguée.
- Je suis là, bambino.
- Je suis désolé. J'ai eu peur de – je... je suis Spider-Man... je devrais pas –
- Avoir peur ? l'interrompit Tony d'une voix douce.
Il sentit Peter acquiescer mollement contre son épaule. Tony le serra plus fort contre lui.
- C'est pas parce que tu es Spider-Man que tu n'as pas le droit d'avoir peur. Même les super-héros ont le droit d'avoir peur. Et je t'interdis d'être désolé pour ça. C'est moi qui le suis de n'avoir pas été là quand tu en avais besoin. Tout va bien se passer, maintenant.
Et c'était tout ce qu'avait rêvé d'entendre Peter, qui ferma les yeux avec épuisement, son corps secoué par un hoquet, ses yeux brûlants.
- Tout va bien se passer, je te le promets.
Et il s'en faisait la promesse, à lui aussi. Ce Steven Wescott ne resterait pas en liberté bien longtemps une fois que Tony s'en serait mêlé.
Peu de temps après, le corps de Peter devint plus lourd, les hoquets disparurent. Sa respiration se fit plus profonde, et Tony ne bougea pas, continuant à caresser lentement son dos.
- Je suis là. Je te lâche pas, murmura-t-il en fermant les yeux, sa joue appuyée contre sa tête.
Parce qu'on ne touchait pas à ses enfants sans en payer le prix.
Tony s'en assurerait.
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