T comme Tactile

Blondie travaille en tant que serveuse dans la brasserie L'Amazonia. Les gérantes, deux homosexuelles en couple depuis douze ans, l'avaient débauchée trois années auparavant  —quelques mois après avoir ouvert leur entreprise — alors qu'elle travaillait encore dans un café, à l'intérieure d'une gare. 

A ce moment, elle ne supportait plus l'humeur nerveuse des clients, leur morosité omniprésente ni leur haleine du réveil. Son patron n'était pas plus agréable à fréquenter que la clientèle et il en avait fallu très peu à Blondie pour la décider à suivre les lesbiennes. Celles-ci s'étaient retrouvées charmé par la vie bourdonnante et le sourire ravageur toujours accroché aux lèvres de la jeune fille. Ainsi, Blondie avait été leur première employée. 

Depuis, elle ne se voit pas quitter ce lieu de travail. La majorité des personnes travaillant dans la restauration ont pour vocation d'ouvrir leur propre établissement. Ce n'est — pour l'instant du moins — pas le cas de Blondie. Elle avait pris des parts dans la brasserie au bout d'un an, avait participé à la restauration et au relooking des lieux ainsi que choisi les employées qui avaient suivi. 

L'Amazonia n'est peut-être pas son bébé, mais la jeune femme se considère comme la marraine de la brasserie. Il en va sans dire qu'aux yeux des propriétaires, la réciproque est de mise.

C'est l'une des raisons principale qui fait que Blondie peut envoyer des messages avec son téléphone, même durant son service. 

Elle pose souvent ce dernier derrière le comptoir en mosaïque - faite main, s'il vous plaît ! - masqué par le sur-élèvement du bar pour que les clients ne la voient pas. C'est d'ailleurs ce qu'elle fait depuis la fin de l'après-midi, discutant et plaisantant avec celui qu'elle considère comme son meilleur ami.

  ✏  Mon Poulet Doré :  J'ai un empêchement de dernière minute. On envoi mon équipe pour assister la garde de l'Elysée, du coup je finirais sans doute plutôt vers 22h30/23h. Désolée pour le repas, mais ne m'attends pas. Tu veux quand même que je vienne ? Ça fera pas trop tard ? 

✎ Blondie : No soucis mon poulet aromatisé 😜 Tu loupes juste des tapas de mon invention, les meilleurs de la Galaxy ! 

✏ Mon Poulet Doré : Ça, ça veut dire que tu voulais te servir de moi comme cobaye. Quand suis-je devenu ton goûteur personnel ?  

✎ Blondie : Tu devrais te sentir flatté, tu es un client prioritaire ! 

Occupée comme elle est à rigoler sous cape, la jeune fille ne voit pas son employeuse s'approcher du comptoir pour voir ce que trafique son employée.

«Dites-donc, Didine, t'es payée à sourire à ton téléphone ou à ton client ? » la taquine Roro, la petite brunette à forte corpulence qui a été la première à vouloir l'embaucher comme serveuse.

Blondie relève la tête de l'écran avec brusquerie et offre son plus beau sourire à sa patronne, dorénavant amie. Elle lui fait un clin d'œil et ose répondre :

« Si Jojo te demande, la réponse sera toi, évidemment. »

Roro éclate de rire : 

« Ne fais pas trop la maligne, Jo va finir par te mettre à la porte !» 

« Elle n'osera jamais, elle m'aime trop, » la contredit Blondie en glissant son téléphone dans la poche arrière de son short. 

Ses patronnes, Roro et Jojo, comme elles se surnomment chacune, n'ont jamais mis en place d'ordre pré-établies en matière de choix vestimentaire. Toutefois, chacun est forcé de porter le tablier vintage à bavette de l'enseigne, bleu ou rose à pois et orné du logo de la brasserie : soit un paresseux qui se retient à une branche de ses pattes avant, son gros corps pendu dans le vide. Le dessin n'est pas sans rappeler le concept général de la brasserie, consistant en un savant mélange de confort et de verdure.

Le cadre de son travail est l'une des choses qui plaît le plus à Blondie, avec l'ambiance et le salaire. La décoration leur avait pris un temps infinie à se faire, même si le plus gros des travaux avaient été fait en l'espace d'un mois. Si la devanture vitrée n'a rien d'extraordinaire et se trouve majoritairement masquée par des plantes grimpantes, il suffit de s'approcher un peu pour découvrir l'univers qui se cache derrière la paroi : un lieu où le bois règne en maître, où ses veines sont représentées par un enchevêtrement de lianes pendantes et de faux lierre grimpant.

Si des pans entiers de murs sont couvert d'une végétation luxuriante et de fontaines intégrées qui glougloutent, le sol a toutefois était conçu pour être pratique avant tout ; il se retrouve donc composé d'un parquet imitation bois stupéfiant. 

Ici et là, d'énormes troncs d'arbre taillés, polis et vernis, servent de table ronde et d'autres, rompus sur la longueur, ont été allongé pour servir de bar le long des baies vitrées. Mais ce n'est pas ce qui attire le plus l'œil. 

Ce qui rend l'endroit unique en son genre, c'est l'ensemble des hamac colorés, balançoire, balancelles, fauteuils, banc ou chaises suspendues, en rondin, en bois ou en tissus, avec ou sans dossier. 

Bien entendu, l'agencement n'est pas synonyme de succès. Comme on dit, l'habit ne fait pas le moine. 

Néanmoins, L'Amazonia ne possède pas qu'une belle apparence. Sa carte de tapas aux couleurs du monde, triés par thématique et offrant une variété de plaisirs pour toutes les papilles ainsi que ses cocktails 100% fruits frais ont eux aussi très largement contribué au succès de la brasserie. Avec ses cinq employés et ses deux gérantes qui tournent en continue toute la semaine, L'Amazonia ferme le dimanche soir et le lundi, ouvrant ses portes paradisiaque dés onze-heure du matin le reste du temps, pour fermer à quinze-heure trente et ré-ouvrir sur les coups de dix-huit trente. La fermeture officielle des cuisines est à vingt-deux-heures, mais l'heure de clôture de la brasserie serait davantage sur les coups de vingt-trois heure. 

Le dimanche matin, à l'occasion de leur brunch exotique et original à souhait, l'établissement ouvre à neuf-heure, proposant un brunch tardif qui se termine à quatorze-heure. 

Ces horaires variables, considéré comme confortable par les employées, jouent sur l'humeur générale de travail qui s'avère toujours excellente, raison de plus pour que Blondie idolâtre son job, malgré le côté peu reluisant souvent porté par la réputation de la restauration. 

Sans compter que son poste de responsable lui offre des avantages non négligeable en considération de la charge de travail supplémentaire. Puisque Blondie peut prendre des congés quand elle le souhaite et choisir les horaires qui l'arrangent.

Vous l'aurez compris, Blondie aime son boulot. Blondie aime ses patronnes. 

« Continue à dire des trucs comme ça et je me chargerai de te botter le cul, la menace Roro, aller, remets-toi un peu au boulot, branleuse. »

Sachant pertinemment que son amie ne fait que plaisanter, Blondie retourne à ses clients en souriant. A la fin de son service et après avoir grignoté sur le pouce avec Roro, elle récupère ses affaires, retire son tablier flashy rose bonbon et quitte la brasserie en souhaitant une bonne soirée à tous ses collègues qui font la fermeture. 

L'Amazonia étant situé dans une rue passante entre le 2e arrondissement de Paris et le Marais, Blondie se dirige à pieds vers Chatelet pour emprunter la ligne 1 du métro et sort à Clemenceau, au palais de l'Élysée. C'est la première fois qu'elle s'y rend, et n'a pas la moindre idée de la façon dont elle doit s'y prendre pour retrouver Matteo et lui faire la surprise. Alors, à la sortie de la bouche de métro, elle s'approche des quelques policiers armés qui papotent à un contrôle de sécurité où des gens vêtus de costumes plaisantent entre eux. 

La jeune fille s'avance vers les deux uniformes légèrement à l'écart, à la gueule avenante et au jeune age évident. Elle se fait même la réflexion qu'aucun ne doit être plus vieux qu'elle. Ils la voient arriver dés l'instant où elle traverse la route et lui offrent tout deux un sourire encourageant. Blondie s'imagine leur pensée : "Approche mignonne, approche, on aime la chair fraîche à cette heure de la nuit". 

Souriant à son tour en anticipant la scène à venir, Blondie rajuste le petit sac à main en bandoulière sur son épaule d'une main, gardant l'autre dans la poche de sa veste en jean, celle qui s'interrompt au-dessus de la taille. Du haut de ses talons, elle gagne facilement sept bons centimètres. Elle sait parfaitement que son short moule ses fesses, que le débardeur au décolleté pointu attire le regard au creux de sa poitrine. 

 « Bonsoir ! Excusez-moi de vous déranger, j'aurai besoin d'avoir un petit renseignement...  

— Bonsoir, répondent en cœur les deux policiers. Dites-nous tout ? 

— Je cherche à rejoindre un ami, qui serait avec la... garde de l'Élysée ? Vous sauriez par où il faut aller ? C'est ici ? »

Le policier le plus imposant dans son équipement regarde son collègue, un air moqueur sur ses traits.

   « Bah, ça dépend ce que tu cherches. Ici, c'est le commissariat du 8e. 

— Je ne sais pas ce que je cherche... leur salle de pose ? Leur vestiaires ? L'endroit où ils finissent leur journée, quoi. »

Le second flic, plus chétif que l'autre, lui indique du doigt la route qui semble longer le palais.

  « Tu continues tout droit, à l'angle là-bas, tu verras des voitures de patrouilles garées devant. Y a une petite porte, un peu discrète, c'est la seule tu peux pas la louper. Si ton pote fait partie de la garde, il doit être là-bas avec son escouade.

 — Merci beaucoup, répond sincèrement Blondie en leur envoyant un superbe sourire.

  — Avec plaisir, fait le plus costaud. Oh, et si jamais tu trouves pas ton pote, tu n'as qu'à revenir nous voir, on te tiendra compagnie, nous.  »

La proposition, loin d'être étonnante de la part d'un jeune flic qui joue les piliers à vingt-deux heure un mardi soir pour faire acte de présence, arrache un petit saut-périlleux à l'estomac de la jeune fille, qui réalise qu'elle n'a pas été draguée aussi ouvertement depuis... et bien, depuis la veille, en fait.

Blondie aurait pu l'ignorer, refuser poliment ou même lever les yeux aux ciels : mais ce n'est pas ce qu'elle fait. Parce que les flirts respectueux se font rare, et parce que ça lui fait toujours plaisir d'avoir l'ego flatté. 

  « Je n'y manquerai pas, dit-elle donc, ajoutant un clin d'œil en prime. Merci pour l'info et bon courage. »

Tandis qu'elle s'éloigne, les deux policiers ne manquent pas de mater son boule.

  « Si elle revient, je lui paie à boire.

— T'es fou, toi, elle reviendra pas.

— Qu'est-ce t'en sait ? 

— Tu lui as fait peur avec ton sourire de pédo.

— C'est toi avec tes dents de travers, oui. »

Blondie n'entends pas leur échange, ses talons claquant sur le bitume lorsqu'elle s'éloigne dans la nuit chaude de ce mois de juin. Elle suit la route comme on le lui a indiqué et, arrivé à l'angle du bâtiment, repère une porte surplombée de l'écriteau "Palais de la découverte". Mais tout est fermé et personne n'est devant. Et elle est loin d'être discrète.

Blondie tourne la tête et voit un autre policier en civil qui fume une clope, dix pas plus loin. La jeune fille se dirige vers le type qui lui fait un signe de tête nonchalant en l'apercevant. Derrière lui, partiellement masquée par un angle du mur d'où elle se trouvait, se tient une petite porte vitrée. Une feuille scotchée dessus indique "Compagnie de Garde de l'Elysée". 

La jeune fille sort son téléphone.

✎ Blondie : T'es toujours avec la garde de l'Elysée ? 

✏ Mon Poulet Doré : Ouaip, je leur taxe un café et après on se casse. 

✎ Blondie : Tu peux sortir dehors ? 

✏ Mon Poulet Doré : Pourquoi, y a une pluie de météorite ? 

Blondie éclate de rire toute seule en voyant le message de son ami, avant de se détourner quand le flic lui jette un regard suspect. Elle s'apprête à téléphoner à son Matteo pour le faire sortir, lorsque celui-ci pousse la fameuse porte devant laquelle elle se trouve.

«C'est complètement dingue, tu me croiras jamais, dit-il en dévoilant l'immense sourire aux dents pointues dont Blondie est totalement in love. J'ai des pouvoirs magiques. Il me suffit de penser à toi et pouf, tu apparaisses. »

Imposant dans son uniforme pourtant débarrassé de son habituel gilet pare-balle, Matteo s'avance à la rencontre de Blondie en ouvrant ses bras. 

Il le fait systématiquement quand il voit la jeune fille, puisque depuis qu'elle le connaît, elle lui saute toujours dessus pour lui dire bonjour. Par rapport à elle, c'est une montagne, la forçant à se mettre sur la pointe des pieds pour espérer atteindre sa joue de sa bouche. Et s'il décide de faire le malin - comme il l'a déjà fait à de nombreuses reprises - en refusant de se pencher légèrement, elle parvient à peine à frôler son menton. Donc, pour parer à ce genre de réaction humiliante qui fait bien rire Matteo, Blondie a pris la fâcheuse tendance de se pendre à son cou pour le saluer.

Matteo ne l'avouera pas, mais il adore sentir le corps de Blondie se presser contre le sien. Il s'étonne toujours de son poids plume : des plans cul et des copines, il en a eu à la pelle, mais aussi fine et légère qu'elle ? Aucune. Il doit prendre sur lui pour ne pas la garder contre lui et se trimbaler avec, juste parce qu'il le peut. 

Et, chaque fois, il ne peut s'empêcher - très brièvement bien sûr - d'imaginer ce que ce serait de la tenir comme ça, dans ses bras, pour une toute autre raison.

  « Faut que tu me donnes ton secret alors, rit Blondie en posant ses pieds au sol. 

— Ah non, ce genre de miracle, ça se partage pas. »  

Blondie secoue la tête, souriant en coin exactement de la même façon que Matteo le fait. Ils se dévisagent deux petites secondes, histoire de profiter de cet instant précis où ils sont juste heureux de se voir. 

  « Dites donc, t'aurais fait quoi si j'étais plus là ? s'interroge brusquement Matteo en fronçant les sourcils.

— Je serais retourner avec les deux gentils garçon de là-bas en attendant que tu viennes me chercher, fait-elle en haussant les épaules, indiquant de la tête la sortie du métro. »

Les sourcils noirs de Matteo se fronce encore plus. Et des sourcils, il en a de sacré, surmontant ses yeux étrécies qui étincellent de ce lagoon incroyable. Avec son crâne presque rasé, ses joues émaciés et son menton volontaire, Matteo a cette gueule atypique qui vous fait dire que s'il n'est pas un criminel, il est forcément dans les forces de l'ordre.

  « Tu t'es faite accoster ? »

Matteo a toujours été un grand protecteur. Quand il traîne avec Blondie, il ne supporte pas beaucoup que d'autres hommes posent le regard sur "la femme de son meilleur pote".  

Blondie lui fait un clin d'œil, sorti tout droit de son répertoire d'aguicheuse. 

  « Tes collègues m'ont gentiment proposé de rester avec eux dans le cas où je ne te trouverai pas. »  

Matteo grogne et son regard dévie vers là où doivent se trouver les fameux "collègues", comme s'il peut, de là où il se trouve, les liquéfier sur place pour avoir osé parler à Blondie.

 « Tous des trous-du-cul de chaud lapin, marmonne-t-il. Foutus flics.»    

Son amie se mord un bout de paroi buccale pour ne pas rire. Mais elle fini par craquer et répliquer : 

 « T'en es un aussi.

— Justement. Je suis le mieux placé pour savoir ce qu'il se passe dans leur petite tête de volaille. Bref, passons. Il faut que j'aille me changer, mais mes affaires sont dans mon casier, à mon commissariat. Les gars et moi on allait bouger. Je suis désolé, je t'aurai dit de ne pas bouger si j'avais su ce qui te passait par la tête...

— Matt, on y va ? lance un nouveau policier en sortant de la compagnie. Oh, pardon, j'avais pas vu que tu discutais. Salut... ? »

Blondie voit l'air désemparé de Matteo et le soupire qu'il pousse en entendant la voix de son collègue. Intriguée par sa réaction, Blondie tend la main au nouveau venu, n'osant pas trop faire la bise à un policier qu'elle ne connaît pas, encore plus durant leurs heures de boulot.

  « Blandine, une amie de Matt, enchantée.

  — Kévin,» répond l'autre avec un grand sourire avant de s'emparer de sa main avec un peu trop d'entrain. 



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