9 - S-62
À genoux sur les tatamis de sa cellule, Izana relut la lettre encore une fois en laissant courir ses doigts sur l'empreinte laissée par le stylo de Shinichiro. Un sourire apparut sur ses traits et une vague de chaleur lui emplit la poitrine.
Puis il arriva aux dernières lignes.
... et je suis sûr que Manjirō et toi vous vous entendrez bien !
Ses mains se mirent à trembler et il commença à froisser le papier.
Avant qu'il ne soit réduit en boule, Izana se ravisa. Il déplia la feuille, la lissa et déchira soigneusement la bande de papier, à la fin, qui faisait allusion à l'autre frère de Shin, ce gamin qui aimait se faire appeler Mikey.
Le frère de Shin nii san, c'est moi ! Et personne d'autre !
Il chiffonna le petit morceau de papier et le balança à la corbeille sans lui accorder un regard.
Toutefois lorsqu'il ramena les yeux sur le reste de la feuille, la douce euphorie qui l'avait saisi un instant plus tôt s'était envolée.
Il me vole mon frère ! Ce bâtard me vole mon frère !
Il se mit à grincer des dents.
Trois mois plus tôt, Izana avait été condamné à un an de maison de correction pour violence et harcèlement ayant entraîné la mort.
Aussitôt qu'il l'avait appris, Shinichiro avait commencé à lui écrire.
Ses lettres lui parvenaient une fois ou deux par semaine. Elles étaient comme une bouffée d'air frais pour Izana, un coin de ciel bleu dans ce monde gris fait de murs.
Mais depuis peu, Shinichiro s'était mis à lui parler de plus en plus souvent de son autre frère. Manjirō.
Il lui racontait ses projets, son envie de monter un gang lui aussi, ses espiègleries sans fin. Et surtout, l'affection qu'il avait pour lui. Quelques semaines plus tôt, il avait même glissé une photo de Mikey dans l'enveloppe.
Le cliché avait fini en miettes au fond de la corbeille.
Désormais, lorsque les lettres de Shin s'espaçaient, Izana imaginait ce gamin en train de monopoliser l'attention de leur frère, éloignant Shin de lui pour mieux l'avoir pour lui tout seul.
C'est mon frère ! Grinça-t-il pour lui-même. MON FRÈRE, PAS LE TIEN ! Je te tuerais si tu me le prends !
Dans son esprit, il n'y avait aucun doute. Manjirō profitait de son absence pour s'approprier Shin.
Je vais te tuer ! JE VAIS TE TUER !
Rien ne parvenait à calmer la brûlure acide de la jalousie qui coulait dans ses veines et ça n'était pas la vie en prison qui allait l'aider.
Ici, il n'y avait rien à faire. Interdiction de parler, d'écouter de la musique. Même s'appuyer contre le mur de sa chambre était passible de réprimandes. Tout ce que les gardes autorisaient, c'était la lecture.
Sa seule distraction, c'était la demi-heure que Izana passait chaque jour dans la petite cage grillagée, avec les autres garçons de son âge.
Izana se redressa quand la sonnerie retentit. Il avait les jambes ankylosées à force de rester assis dans la même position, mais le feu qui brûlait sous son crâne le lui faisait oublier.
Les serrures des cellules s'ouvrirent dans une série de claquements et les jeunes détenus sortirent un à un, leurs pieds traînant sur le sol.
Ils s'alignèrent, la main posée sur l'épaule du garçon devant eux, le bras tendu, et le garde passa pour vérifier la position réglementaire. Lorsqu'il fut satisfait, il donna le signal de départ et la rangée de garçons se mit en branle silencieusement en direction de la cour pour leur sortie quotidienne.
Debout dans un coin de la cour de promenade, les mains dans les poches, Izana retournait encore toutes ces pensées dans sa tête.
Sept mois, c'était le temps qu'il lui restait à passer ici.
Ensuite... Ensuite je récupérerai ce qui est à moi...
Une voix lui fit lever la tête et il vit un garçon, un des autres détenus, s'approcher de lui en jetant des coups d'œil par-dessus son épaule pour s'assurer que les gardes ne l'avaient pas remarqué.
– Hé, toi, dit-il, t'as pas une clope ?
Izana le regarda. Il savait que certains prisonniers se procuraient discrètement des cigarettes pour tirer une taffe ou deux pendant leur sortie quotidienne lorsque les surveillants regardaient ailleurs. Mais jamais encore l'un d'eux ne s'était adressé à lui.
Il tourna les talons sans répondre et se mit à longer la clôture. Il avait autre chose à penser.
Le garçon le rattrapa et il le saisit par le bras.
– Hé, je te parle ! Fais pas ton bâtard ! T'as une clope ?
Le poing de Izana fusa avant que l'autre ait compris ce qui se passait et il lui fit voler la tête en arrière, un jet de sang jaillissant de son nez.
Le tumulte attira l'attention des autres garçons.
– Hé toi ! Cria un des jeunes détenus. Tu fais quoi ?
Il se dirigea vers Izana à grands pas, suivi par toute sa bande.
– D'où tu frappes un de nos gars ? Dit-il.
Apparemment, le premier faisait partie de leur groupe.
– On va te pulvériser ! Ajouta un de ses compagnons.
Profitant de ce que les gardes ne les avaient pas encore remarqués, la bande tenta de se jeter sur Izana.
Mais ce dernier était loin d'avoir tout donné.
Il les attrapa un par un, repoussant un assaillant d'un coup pied au plexus avant de saisir un autre à la gorge pour lui asséner plusieurs coups de poing au visage.
Les autres détenus, ceux qui ne s'étaient pas encore joints au combat, approchèrent.
– Hé mais c'est qu'il joue au chef le petit, remarqua l'un d'eux.
– Et il s'imagine qu'on va le laisser faire ? Dit son voisin.
Tous échangèrent un regard et rejoignirent l'affrontement.
Malgré leur nombre, aucun ne réussit à lui asséner le moindre coup. C'était comme si la fureur avait décuplé les forces de Izana. Il démolit deux garçons qui faisaient chacun une tête de plus que lui et les laissa, pantelants, sur le sol, pour s'en prendre à deux frères qui avaient cru pouvoir le prendre en tenaille.
Lorsque les gardes s'aperçurent enfin de ce qui se passait, les détenus étaient tous à terre et Izana se tenait au milieu.
Deux surveillants se jetèrent sur lui et ils tentèrent de le maîtriser. Mais c'était sans compter la force de l'adolescent. Toute la rage et le ressentiment que ressentait Izana avait explosé.
Il frappa le premier garde et l'homme tomba à genoux, sonné, tandis que le second se retrouvait plaqué contre le grillage, une main lui enserrant la gorge.
Alors que le poing de Izana s'abattait encore et encore sur son visage, cinq garçons se redressèrent péniblement dans son dos.
Kanji Mochizuki, dit Mochi, Yasuhiro Muto, aussi appelé Mucho, Shion Madarame et les deux frères, Ran et Rindō Haitani, le regardaient faire, le visage vide.
– Izana, dit Mochi, c'est ça ton nom ? À partir d'aujourd'hui, on t'obéira. Tu es le seul digne d'être suivi.
Izana ne s'interrompit pas, même quand une dizaine de surveillants arrivèrent en courant, comprenant ce qui se passait, il les ignora.
Finalement, il se tourna à demi vers eux, sans lâcher l'homme qu'il tenait.
– Un jour, dit-il, vous et moi, on formera une team. D'ici là, débarrassez-vous de toute forme de pitié.
Suite à l'incident, Izana écopa de trois mois supplémentaires.
Mais il s'en moquait.
Désormais il avait un but. Il rassemblerait les pires crapules et avec eux il s'emparerait de tout ce qu'il souhaitait. Personne ne pourrait les arrêter.
Après tout, eux et lui étaient les mêmes.
Ils étaient la génération maudite.
La S-62.
NDA : Le S de S-62 fait allusion à l'ère Showa qui a débuté au Japon en 1926. Les membres de la S-62 sont presque tous nés en 1988 – c'est-à-dire la soixante-deuxième année de l'ère Showa – à part Ran Haitani, Mucho et Izana lui-même, qui sont nés en 1987.
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