La nuit était tombée dehors, mais Izana ne la voyait pas. Il ne voyait plus rien.

Quelques jours plus tôt, la nouvelle de la mort de Mikey leur était parvenue. Selon les médias, ce dernier se serait suicidé avec son arme dans un bâtiment abandonné de Manille, aux Philippines.

Il n'avait cependant pas fallu longtemps aux enquêteurs du Toman pour découvrir qu'en réalité, Mikey avait été abattu par un policier japonais en civil.

Naoto Tachibana.

Les services de police des deux pays avaient passé ce fait sous silence lors de la conférence de presse pour ne pas déclencher un incident diplomatique. De toute façon, Manjirō Sano était un mafieux notoire et un assassin présumé. Sa mort ne chagrinait personne.

Ou presque.

Deux coups furent frappés à la porte et Kakucho entra sans attendre de réponse.

Durant un instant, il s'immobilisa devant la pièce plongée dans le noir. Il hésita à allumer la lumière, puis il se dit que Izana préférait sans doute rester dans l'obscurité.

Il déposa un petit paquet sur un meuble, non loin du canapé où Izana fumait, le regard dans le vide, un fin ruban blanc montant au-dessus de lui.

Kakucho s'arrêta derrière son épaule.

– Voici les cendres de Mikey, dit-il. C'est un de nos contacts au sein de la police qui m'a permis de les récupérer.

Pendant un instant, seul le silence lui répondit.

– C'est bien, répondit Izana enfin à mi-voix. Envoie-leur la liste des types qui trempent dans la traite des enfants en guise de récompense.

– Compris.

Kakucho hésita, puis il reprit.

– Izana...? Tu devrais peut-être... prendre quelques vacances, tu ne crois pas ?

– Hmm...? Ne t'inquiète pas serviteur.

Lorsque Kakucho ressortit, il était aussi inquiet qu'en entrant.

Il regagna l'appartement situé à l'étage au-dessus et Nao se retourna en l'entendant entrer.

Elle avait le front barré par un pli préoccupé elle aussi.

– Comment va-t-il ? Demanda-t-elle à Kakucho.

Tous les deux se faisaient du souci pour Izana.

Il secoua la tête.

– Pas mieux, dit-il.

Depuis que la nouvelle de la mort de son frère leur était parvenue, Izana avait fermé sa porte à tout le monde à part Kakucho. Il passait désormais ses journées chez lui, ne venant plus au bureau que lorsque sa présence était indispensable et il ne disait plus un mot à personne ou presque.

Pour un peu, il se serait mis à ressembler à Mikey.

Nao ramena son attention sur Tokyo qui s'étendait en contrebas. Dehors, la nuit avait enveloppé la ville et ses lumières concurrençaient la lueur lointaine des étoiles. 

Kakucho vint l'entourer de ses bras.

– La petite dort ? Souffla-t-il.

Elle hocha la tête.

– Oui, je l'ai couchée il y a une heure...

L'esprit de Nao ne parvenait à chasser la pensée la hantait.

J'ai ma part de responsabilité dans ce qui est arrivé à Mikey... et dans l'état de Izana aujourd'hui...

Quelle que soit la façon dont elle regardait les événements, elle se faisait l'effet d'avoir lardé Manjirō Sano de coups de couteaux dans le dos avant même de le connaître.

Et maintenant, c'était Izana, leur ami, qui en payait le prix.

Les mots que sa fille avait prononcés, des années plus tôt, lui revinrent.

Il n'est pas méchant... Il est seul... Il est juste triste... Avait-elle dit.

Il paraît que la vérité sort de la bouche des enfants....

Kakucho enfouit son visage dans son cou. Il la serra plus fort et un frémissement le parcourut.

Nao leva les yeux vers lui, surprise.

– Je voulais te dire merci, murmura-t-il. Merci d'avoir interdit à Tama chan d'approcher Mikey... Je n'ose pas imaginer ce qui serait arrivé si elle s'était trouvée près de lui lorsqu'il a perdu la raison.

Comme les autres, il avait appris le sort que Mikey avait réservé à ses anciens amis et à la pensée de ce qui aurait pu arriver à sa fille, Kakucho sentit un frisson d'effroi lui dévaler la colonne.

Que serait-il arrivé si Tama chan avait continué à aller le voir ? Si elle s'était trouvée en sa présence le jour où il avait perdu pied ? Si elle avait fait partie de ses proches ?

Il préféra ne pas y penser et serra Nao plus fort.

– Merci... Souffla-t-il.

Nao lui rendit son étreinte.

– Dis Kaku... Dit-elle, une seconde plus tard. Est-ce que je suis un monstre ?

Il releva la tête pour la regarder et Nao reprit.

– Est-ce que tu penses que je suis une mauvaise personne ? Dit-elle. Est-ce que tu crois que Mikey est devenu ainsi à cause de moi ? Que Izana souffre aujourd'hui par ma faute ?

– Non, dit-il fermement. Non, Nao. Tu n'y es pour rien. Mikey... il y avait en lui quelque chose de noir.

– Quelque chose de noir... Répéta-t-elle.

– Oui et toi tu l'as simplement vue plus nettement que tout le monde. 

– Peut-être...

Elle ne semblait pas convaincue.

Kakucho se pencha à son oreille.

– Tu as simplement fait ton travail, dit-il. Ça ne fait pas de toi une mauvaise personne.

– Oui... Mais je me dis que s'il n'avait pas été seul peut-être que...

– Il n'était pas seul, la coupa Kakucho. Il avait son frère.

Nao fut forcée de reconnaître qu'il avait raison. 

Ces derniers mois, les relations entre Izana et Mikey avaient beaucoup évolué. Au point que, désormais, il n'était plus rare de les voir rire ensemble et même au détriment des autres membres du gang comme deux gamins espiègles.

Je me demande comment ils en sont arrivés là ?

Elle avait dans l'idée qu'elle ne le saurait peut-être jamais.

Ces pensées ramenèrent Izana à sa mémoire.

– Et pour Izana... ? Dit-elle.

Derrière elle, Kakucho se rembrunit.

Est-ce que Izana allait réussir à surmonter la mort de son frère ? C'était la seconde fois qu'il devait traverser cette épreuve.

– Ça ira, dit-il enfin. Il lui faut du temps, voilà tout. Mais nous serons là pour lui.

Le ton déterminé avec lequel il avait dit ces mots fit lever les yeux à Nao.

– Oui, tu as raison.

Quelques semaines après la mort de Mikey, Kisaki fit sa réapparition au QG du Toman. 

Il avait enfin réussi à se débarrasser des tueurs lancés à ses trousses et il avait retrouvé sa place au sein du gang, même s'il préférait se faire discret.

– Izana, dit-il en entrant dans son bureau. J'ai trouvé quelque chose qui va t'intéresser !

Il brandissait une feuille de papier et son sourire en disait long sur sa découverte.

Izana lui jeta un regard indifférent. Tout cela ne l'intéressait pas. Il n'était venu au bureau que parce que Koko avait besoin de lui. Sans cela il n'aurait pas bougé de chez lui.

– Hmm ? Dit-il sans manifester le moindre intérêt.

Kisaki s'assit dans un fauteuil en face de lui sans se départir de son sourire.

– Ce soir, dit-il, Hanagaki et Tachibana ont rendez-vous dans un restaurant du centre-ville. Mais pas n'importe quel restaurant. Celui de Taiju Shiba, le frère de Hakkai Shiba.

Pour la première fois, une étincelle de vie s'alluma dans le regard de Izana.

Il se redressa.

– Tachibana tu dis ?

– C'est cela, confirma Kisaki. Si on se débrouille bien, on pourra les cueillir tous les trois et toi tu pourras avoir la peau du meurtrier de Mikey.

Izana saisit le rapport que Kisaki lui tendait et il sourit à son tour.

– Oui... Dit-il. Tachibana...

L'idée de faire payer son crime à l'homme qui avait tué son frère lui semblait être exactement ce dont il avait besoin pour sortir de son marasme.

J'ai toujours été fait pour l'action de toute manière...

Il réfléchit.

– Très bien, dit-il finalement. Préviens nos hommes de se tenir prêts. Tu n'as qu'à demander à Koko et Inupi de prendre le commandement des troupes, ils seront ravis de revoir leur ancien boss. On pourrait aussi demander à Sanzu...

Il se ravisa aussitôt. Sanzu avait disparu après l'annonce de la mort de Mikey. Personne ne savait où il se trouvait, ni même s'il était toujours en vie.

S'il est mort, songea Izana, je ne vais pas m'en plaindre...

– Faisons cela, dit-il. J'ai hâte d'y être.

Ce soir-là, Izana, Kakucho et Kisaki restèrent en embuscade à quelques rues du restaurant.

Koko et Inupi avaient pour consignes de retenir l'ancien boss du Black Dragon, Taiju Shiba, et de laisser Tachibana et Hanagaki s'échapper par derrière, là où Izana et les deux autres les attendaient.

Lorsque les deux hommes arrivèrent aux abords de la ruelle, un premier coup de feu déchira le silence de la nuit. Kisaki n'avait pas réussi à toucher Hanagaki comme il le souhaitait. Naoto Tachibana s'était interposé à la dernière seconde.

– Ah ! Dit Izana en sortant de l'ombre. Je t'avais pourtant dit que Tachibana était pour moi Kisaki.

– Désolée Izana, s'excusa Kisaki en se tournant vers lui. Il a pris la balle destinée à Hanagaki.

Izana regarda un instant les deux hommes, dont l'un perdait déjà son sang.

– Kakucho, dit-il à l'ombre qui arrivait derrière lui en désignant Hanagaki. Tue-le.

Puis il tourna les talons sans attendre.

Kakucho braqua son arme sur celui qui avait été autrefois son ami d'enfance et il fit feu.