Mikey remonta le couloir d'un pas traînant, Sanzu sur ses talons.

Tous les deux n'avaient pratiquement pas échangé un mot de la soirée.

Sanzu contemplait la nuque de Mikey en silence.

Cela faisait deux mois maintenant qu'il avait rejoint le Tenjiku après avoir fait irruption dans le bureau de Izana.

Le Tenjiku. Le gang qu'il avait déserté juste après la défaite du Toman.

Non... ce gang, ça n'est pas le Tenjiku... C'est le Toman. C'est le nouveau Toman. C'est ce que Mikey a décidé, c'est ce que mon roi a choisi.

Mikey. L'homme à qui il avait décidé de consacrer sa vie.

Quand Izana l'avait ramené avec lui ce jour-là, Sanzu était persuadé de vivre ces derniers instants. Du peu que lui avait dit Izana, Mikey n'était plus que l'ombre de lui-même. Sombre et possédé par ses démons, il s'enfonçait un peu plus chaque jour dans les ténèbres.

Mais la réalité qu'il avait découverte était toute autre.

Le Mikey que Sanzu avait retrouvé avait tout simplement cessé de lutter. Il avait accepté le monstre qui l'habitait et il avait remis sa vie entre les mains de Izana.

Son frère... Izana est son frère...

Sanzu avait encore du mal à l'accepter.

Il avait beau avoir grandi auprès des Sano, il n'avait jamais entendu parler de Izana avant aujourd'hui. Pour lui, Shinichiro était le seul frère que Mikey et Emma aient jamais eu et Izana n'était personne.

Mais il pouvait comprendre qu'aux yeux de Mikey, Izana représentait le frère aîné qu'il avait perdu.

Les premiers instants, tous les deux étaient restés tétanisés sous l'œil amusé de Izana qui semblait alors être le seul dans son élément.

Puis, Mikey avait rompu la glace.

– Ça me fait plaisir de te voir, Haru... Avait-il dit. Je vois que tes blessures vont mieux...?

Sanzu n'aurait jamais rêvé que Mikey lui réserverait un accueil aussi chaleureux. Il s'était senti à deux doigts de pleurer.

– Oui... Avait-il dit. Oui, ça va mieux Mikey. Merci.

La conversation s'était poursuivie, aussi embarrassée d'un côté que de l'autre et lorsque Izana les avait enfin laissés, Sanzu était tombé aux genoux de Mikey.

– Je ne te quitterai plus jamais Mikey, lui avait-il dit. Tu peux me battre ou me tuer même. Ma vie t'appartient, tu peux en faire ce que tu veux. Tu es mon roi et je te promets que je ne te laisserai plus jamais seul. C'est un serment.

À compter de ce jour, Sanzu avait rejoint le Tenjiku.

Au début, les relations avec les autres membres du gang avaient été tendues. Nombreux étaient ceux qui n'avaient pas oublié que Sanzu avait disparu aussitôt que le Toman était tombé et ils n'entendaient pas lui pardonner sa défection.

Mucho, surtout, l'avait regardé avec une drôle d'expression. Sanzu était autrefois son bras droit et il l'avait suivi lorsque Mucho lui avait annoncé qu'il trahissait Mikey pour rejoindre Izana.

À cette époque-là, Sanzu lui avait assuré qu'ils étaient tous les deux comme des frères et il n'avait pas hésité une seconde quand Mucho lui avait demandé de choisir entre Mikey et lui. 

Sanzu s'en souvenait encore.

Mais cela, comme le reste, ça n'avait été qu'une manœuvre. Aux yeux de Sanzu, le seul qui avait jamais compté, c'était Mikey.

Peu à peu, les tensions s'étaient apaisées – le fait que Sanzu ne s'éloigne jamais ni très loin ni très longtemps de Mikey avait beaucoup joué – et le nouveau venu avait trouvé sa place au sein du gang.

Sanzu en réalité se moquait bien de tout cela. Pour lui, tous les autres faisaient office de figurants. Ils n'étaient que des pantins dans le théâtre dédié à son roi.

Dans le couloir de l'hôtel, Mikey lui jeta un regard par-dessus son épaule.

– Sanzu, dit-il, Izana veut que demain tu ailles voir du côté de Yoyogi avec quelques-uns de ses hommes. Apparemment il y a des types qui trafiquent des trucs pas très net là-bas. Il paraît qu'ils se font passer pour le Toman.

Sanzu se redressa.

– Très bien Mikey, répondit-il. Ce sera fait.

C'était ainsi que se passaient les choses désormais. Izana transmettait ses ordres à Mikey qui en faisait lui-même part à Sanzu.

De cette façon, tout le monde y trouvait son compte. Mikey s'impliquait à nouveau dans les affaires du gang pour le plus grand plaisir de Izana et Sanzu servait son maître et, au travers de lui, le Tenjiku.

Sanzu n'avait pas oublié que c'était grâce à Izana qu'il avait retrouvé sa place aux côtés de Mikey. Sa reconnaissance n'était pas feinte. Lorsqu'il lui avait promis qu'il le servirait pour le restant de ses jours, il n'avait pas menti. Dans son esprit, cela n'avait tout simplement rien à voir avec la dévotion qu'il vouait à Mikey. Ce dernier était son roi et si, pour rester près de lui, Sanzu devait se soumettre aux ordres de Izana, cela ne lui posait aucun problème de conscience.

Je serai un bien meilleur bras droit que Draken ne l'a jamais été, songea-t-il non pour la première fois, parce que moi, je ne te contredirai jamais Mikey.

La pensée que l'ancien second du Toman était à présent en prison et attendait son exécution pour le meurtre des deux malfrats qu'il pensait être responsables de la mort de Emma ne lui faisait ni chaud ni froid. Pour lui, Draken n'avait été qu'un incident de parcours.

Le seul vrai lieutenant de Mikey, c'est moi, ça a toujours été moi.

La lueur de folie fiévreuse qui traversa son regard n'eut aucun témoin.

Tous les deux arrivèrent devant la porte du nouvel appartement de Mikey et ce dernier se tourna vers Sanzu.

– Je suis fatigué Haru, dit-il, je vais me coucher. Bonne nuit.

Puis il entra sans attendre de réponse.

Sanzu resta un long moment dans le couloir à contempler la porte en silence.

Enfin, il fit demi-tour et regagna sa propre chambre.

– Bonne nuit Mikey, dit-il en s'éloignant.

De l'autre côté du battant, Mikey se laissa glisser au sol, la tête dans les bras.

Cette nuit encore, il ne dormirait pas, il le savait.

Cela faisait longtemps que le sommeil le fuyait et lorsqu'il arrivait à s'assoupir, c'était pour voir défiler derrière ses paupières les visages de tous ceux qu'il avait perdu.

Baji... Emma... Pardon... Kenchin... Pardonne-moi...

Mais il savait que plus jamais il ne pourrait leur dire ces mots.

La musique qui résonnait dans la salle de bal, deux étages plus bas, semblait encore monter jusqu'à lui et il enfonça un peu plus sa tête dans ses bras.

Il ne s'était jamais senti aussi peu à sa place que ce soir.

Je suis content pour Kakucho, se dit-il. C'est un bon gars. Et cette fille... Comment est-ce qu'elle s'appelle déjà ?

Il n'arrivait pas à s'en souvenir. Il oubliait tellement de choses ces derniers temps.

Peu importe... C'est une fille bien aussi. Ils vont être heureux tous les deux. Je leur souhaite tout le bonheur du monde.

Il était sincère.

Finalement il se leva et gagna la salle de bain à tâtons.

Il n'avait pas allumé la lumière de l'appartement et seule la lueur qui provenait du ciel nocturne de Tokyo éclairait les lieux. 

Izana lui avait réservé une des meilleures suites de l'hôtel, juste à côté de la sienne. Mikey disposait désormais de tout le confort dont il aurait pu rêver.

Pourtant, il ne s'était jamais senti aussi vide. Comme si son cœur était mort à l'intérieur de lui.

Non... Ça n'est pas ça... Se dit-il. Être mort, ça ne fait pas aussi mal...

Arrivé dans la salle de bain, il alluma alors la lumière.

L'homme qui lui rendit son regard dans le miroir avait le regard éteint et le visage pâle.

– Cet homme, c'est moi, dit-il tout haut.

Oui, c'était lui ce cadavre en sursis qui attendait que les pulsions le dévorent.

Il se pencha en avant, les paumes appuyées sur la porcelaine glacée, et scruta son reflet de plus près. Ces traits, ces yeux... il ne les reconnaissait plus. Il n'était plus lui.

– Qui je suis... ?

Il n'était plus Manjirō Sano. Il n'était plus Mikey.

– Je ne suis plus personne...

Malheureusement, il savait mieux que quiconque que ça n'était pas vrai. Une braise brûlait encore au fond de sa poitrine.

Une braise qui le détruisait à petit feu.

L'espoir.

Je ne suis pas seul, se souvint-il. J'ai encore un frère et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas le perdre.

Izana. C'était pour lui qu'il se battait à présent.