6 - Envol
Lorsque Nao descendit déjeuner le lendemain, elle trouva Kakucho et Izana assis côte à côte à l'une des tables du réfectoire, un crayon à la main et une feuille de papier devant eux.
Dans leur dos, un des éducateurs les surveillait, l'air furieux. Il était en robe de chambre et il tenait un grand éventail en papier à la main.
La fillette s'approcha des deux garçons.
– Qu'est-ce qui se passe ? Demanda-t-elle, étonnée.
– On est puni... Lui répondit Kaku à mi-voix. On doit écrire une lettre d'excuse.
Izana approuva de la tête.
– C'est ça, dit-il.
Puis il se pencha et ajouta tout bas à l'intention de Kakucho :
– Mais avoue que ça en valait la peine !
L'éventail claqua sur leurs deux têtes dans un Paf ! Paf ! sonore et tous les deux s'attrapèrent le crâne à deux mains.
– Ne vous avisez pas de fanfaronner en plus ! Les prévint l'éducateur.
Surprise, Nao finit par reculer pour éclater de rire, la main sur la bouche pour ne pas risquer de vexer les deux garçons.
– Je vous laisse, leur dit-elle enfin en s'éloignant. Moi je vais déjeuner. Amusez-vous bien !
Les deux garçons grommelèrent, mais ils n'osèrent pas répliquer. Dans leur dos, le jeune éducateur ne paraissait pas du tout d'humeur à plaisanter.
À cause d'eux, il n'avait presque pas dormi et il allait devoir maintenant expliquer à la directrice où les deux garnements avaient passé la nuit après qu'il ait découvert leurs lits vides.
– Et vous avez intérêt à vous appliquer ! Dit-il aux deux gamins qui étaient retournés se pencher sur leurs feuilles de papier. Je veux deux belles lettres !
Le futur chef de gang et son bras droit étaient bien loin en cet instant.
Le printemps suivant, Izana entra au collège.
Kakucho se tenait dans l'entrée de l'orphelinat, les larmes aux yeux.
Il s'efforçait de ne pas le montrer et pinçait les lèvres de toutes ses forces pour ne pas se mettre à pleurer.
Izana se pencha sous son nez.
– Tu vas pleurer ? Dit-il.
– Bien sûr que non ! Protesta Kakucho en relevant la tête. Je suis un homme !
Izana rigola et il lui tapotait la tête.
– T'es encore un petit ! Lui dit-il. Alors ça va. Quand tu seras plus grand, tu ne pourras plus pleurer !
Ce qui affectait particulièrement Kakucho, ça n'était pas que Izana entre au collège. Il savait bien qu'il allait quitter l'école primaire où ils allaient ensemble depuis presque deux ans. Non, ce qui le blessait surtout, c'était qu'il allait aussi rejoindre un foyer pour adolescents.
L'orphelinat de Kofu – comme les autres d'ailleurs – n'accueillait les enfants que de six à treize ans. Au-delà, les pensionnaires étaient placés en institution jusqu'à leur majorité.
– Tu me rejoindras vite, lui assura Izana. Et on reprendra nos projets. Tu verras, on va faire naître le Tenjiku toi et moi, tu as ma parole !
Kakucho hocha fermement la tête. Il préféra ne pas répondre de peur de se mettre à pleurer.
À côté de lui, Nao, elle, pleurait sans retenue, essuyant par instant son visage avec sa manche.
Izana lui tapota la tête à son tour.
– Arrête de pleurer Nao chan, lui dit-il. On dirait que je vais te manquer pour de bon...
Elle releva les yeux après les avoir essuyé une fois de plus.
– Bien sûr... Dit-elle. Parce que... parce que...
Les mots qu'elle brûlait de lui dire se pressaient sur le bout de sa langue.
Parce que je t'aime. Parce que je suis amoureuse de toi !
Mais un reste de gêne la retint et elle se contenta d'ajouter :
– Parce que tu es quelqu'un d'important pour moi !
Izana la regarda, surpris. Puis il se pencha devant elle.
– Alors grandis vite, lui dit-il, et toi aussi tu pourras rejoindre le Tenjiku.
Les larmes de Nao cessèrent aussitôt.
Jamais Izana ne lui avait parlé ainsi.
Depuis qu'ils se connaissaient, il lui semblait toujours qu'elle n'était à ses yeux qu'une petite fille. L'amie de Kakucho. Le plus souvent, il lui prêtait à peine attention.
Mais pour la première fois, elle avait le sentiment d'exister pour lui.
À son tour elle hocha la tête avec conviction.
– D'accord ! Dit-elle. Je ferai de mon mieux. C'est promis !
Étonné par la détermination dans sa voix, Izana la regarda une seconde en silence.
Puis il sourit.
– Ok !
Trois jours plus tard, Kakucho et Nao reprirent le chemin de l'école seuls tous les deux.
Le trajet fut morose et aucun d'eux ne parla pendant plusieurs minutes.
– Dis Kakucho... Demanda enfin Nao.
– Hmm ?
Kakucho était sombre. On aurait dit que la lumière qui éclairait ses jours s'en était allée.
– Quand est-ce qu'il viendra nous voir Izana ? Demanda-t-elle.
– Je ne sais pas.
L'adolescent leur avait promis de passer à l'orphelinat, mais les deux enfants ignoraient quand il en aurait le temps. Le foyer n'était pas très éloigné – à peine une dizaine de stations de métro –, mais c'était un tout nouveau monde qui s'offrait à lui, sans parler du collège. Il se passerait peut-être plusieurs jours avant qu'il ne pense à se libérer.
Quelques mètres plus loin, une idée traversa l'esprit de Kakucho. Il se porta en avant et se retourna pour parler à Nao.
– Et si on allait le voir, nous ?
Nao s'immobilisa, les yeux écarquillés.
– Comment ça ? Dit-elle.
– Oui ! Izana m'a dit que ça n'était pas très loin de la gare. On n'a qu'à y aller ! En métro ça sera facile et, une fois là-bas, il suffira qu'on demande notre route ! On y serait en un rien de temps !
L'idée mit une seconde à faire son chemin dans l'esprit de Nao.
– Oui ! S'exclama-t-elle, ravie. Bonne idée ! On y va tout de suite ?
Elle sautillait presque sur place d'excitation. Kakucho se redressa.
– Pas maintenant, lui dit-il avec une expression de grand frère. C'est la rentrée ce matin je te rappelle. On n'a qu'à y aller en sortant de l'école !
– D'accord !
À la fin de la classe, tous les deux se retrouvèrent devant le portail de l'école, leurs cartables sur le dos.
– Prête ? demanda Kakucho.
Nao hocha la tête. Elle était plus impressionnée qu'elle l'aurait avoué par ce qu'ils s'apprêtaient à faire. Mais elle était décidée.
Elle était très sérieuse lorsqu'elle avait dit à Izana qu'elle ferait de son mieux pour avoir une place dans son rêve et elle n'entendait pas reculer maintenant.
Tous les deux se dirigèrent vers la station de métro de Negishi, la plus proche de l'école, et Kakucho prit la tête des opérations. Depuis qu'il avait proposé son plan, il se sentait un peu dans le rôle du grand, comme Izana pendant leur escapade de l'hiver dernier.
– Reste bien près de moi, dit-il à Nao. Sinon, tu risques de te perdre !
– D'accord !
Parvenus à la station, il se dirigea avec assurance vers le quai.
Le métro arriva et tous les deux montèrent à bord, leurs cartes de transport à la main.
(NDA : Vous connaissez la carte Suica – ça veut dire pastèque – ? C'est LA carte de transport prépayée du Japon. Il suffit de la recharger pour pouvoir se déplacer dans tout le pays et même faire des petits achats dans certains magasins !)
Le trajet dura une quarantaine de minutes et lorsqu'ils arrivèrent dans le quartier de la gare, tous les deux descendirent.
Ce à quoi ils ne s'étaient pas attendus par contre, c'était la foule qui se pressait sur les lieux et dans les rues avoisinantes.
Nao attrapa machinalement le bas du blouson de Kakucho et elle regarda autour d'elle.
– C'est par où maintenant ? Demanda-t-elle, inquiète.
Kakucho n'en savait rien.
– Viens, on va demander.
Il la prit par la main et l'entraîna vers l'agent de police le plus proche.
Quelques minutes plus tard, ils prirent la direction du quartier Minami Saiwai, derrière la gare, et il ne leur fallut pas longtemps pour trouver foyer Kutadai niché au fond d'une petite rue.
– On y est Nao, dit Kaku, les yeux sur le panneau de l'entrée.
Il ne put retenir un soupir de soulagement. Ils avaient réussi.
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