58 - Proposition inattendue
Appuyé sur un coin du bureau de Izana, dans la pièce qui leur servait de lieu de rassemblement pour encore quelque jours, Kakucho regarda les cadres du clan débattre autour de lui de la dernière affaire en cours.
– Moi je dis qu'on doit pas laisser passer ! Dit Shion. Explosons-leur la gueule comme il faut !
Mochi grimaça.
– Et leurs liens avec ce clan yakuza, lui rappela-t-il, tu en fais quoi ?
L'adversaire actuel du Toman était un petit gang de bōsōzokus qui s'était taillé un territoire sur les quartiers de Minato et Shinagawa.
En soi, ces adolescents férus de motos et en manque de sensations fortes ne représentaient pas un grand danger. Le problème venait du clan yakuza avec lequel ces jeunes s'étaient alliés.
Grâce à cet appui, ils avaient entrepris de mettre en coupe réglée des quartiers appartenant au Toman et maintenant ils tentaient de leur couper la route de Yokohama, les terres du Tenjiku, pour prouver leur valeur.
Ces gamins n'étaient que des marionnettes, mais des marionnettes dont ils devaient se débarrasser.
Finalement, Izana se redressa et trancha.
– Mochi tu t'occupes de ces types avec Shion, dit-il. Fais-leur comprendre qu'on ne plaisante pas avec le Toman.
– Très bien Izana, répondit Mochi.
Shion bondit sur ses pieds et il fit craquer ses poings.
– Je suis chaud ! Confirma-t-il. On y va quand tu veux !
– Mucho, poursuivit Izana, tu les accompagnes en soutien avec tes hommes. Tu restes en retrait et tu n'interviens que si nécessaire.
Ce dernier hocha la tête.
– Ça marche, dit-il.
– Et nous, intervint Ran Haitani, on fait quoi ?
– Tch ! Cracha Izana en se détournant. Rien. Toi et ton frère vous êtes dans le viseur de la police à cause de vos conneries. Je ne veux pas vous voir mettre le nez dehors tant que la situation ne s'est pas calmée. Hors de question que vous entraîniez le Toman dans vos emmerdes.
Les deux frères échangèrent un regard, mais ils préférèrent se taire.
Quelques semaines plus tôt, ils avaient été rendre visite à des restaurateurs de Yoyogi, au sud de Shinjuku, sans attendre les ordres de Izana. Ils voulaient les convaincre de passer sous la protection du Toman.
Ce qu'ils ignoraient malheureusement, c'est que ce quartier était sous le contrôle d'un clan affilié au Sumiyoshi Kai, l'un des trois grands groupes yakuzas du Japon.
Dès le lendemain, sous couvert de plaintes déposées par les commerçants, les yakuzas avaient fait jouer leurs contacts au sein de la police et un avis de recherche avait été émis contre les Haitani.
Izana se mit à arpenter furieusement son bureau de long en large.
– Si vous aviez attendu qu'on les affaiblisse comme c'était convenu, dit-il, on n'en serait pas là ! Vous êtes vraiment des incapables tous les deux !
Ran et Rindō gardèrent le silence. Izana se tourna vers la fenêtre et ajouta :
– Si jamais vous vous faites prendre, le Tenjiku ne vous suivra pas ! Vous n'aurez qu'à aller pourrir en prison quelque temps, ça vous fera du bien !
Lorsque les garçons sortirent, laissant Izana et Kakucho seuls dans le bureau, Izana n'avait toujours pas décoléré.
Kakucho se redressa et il intervint.
– Tu sais, dit-il, ils voulaient te faire plaisir en réalité. C'était maladroit, mais ça partait d'une bonne intention.
– Qu'ils les gardent pour eux leurs bonnes intentions ! Explosa Izana. Avec ce genre de serviteurs, mon rêve ira droit dans le mur !
Il disait cela, mais Kakucho savait qu'il était plus contrarié que vraiment en colère contre les frères.
Les yakuzas continuaient à les traiter comme des enfants, alors même que le Toman était devenu une organisation criminelle avec laquelle il fallait compter dans la capitale, et ils refusaient de les affronter en face. Ils utilisaient tour à tour les services d'adolescents et ceux de la police, voire même de simples civils – comme ces commerçants – pour gêner l'expansion du Toman et leur attitude arrogante mettait Izana hors de lui.
– Je vais leur montrer... Dit-il en arpentant de nouveau son bureau. Je vais leur apprendre à tous ce qu'il en coûte de se dresser sur la route d'un roi...
Kakucho savait malheureusement que cela ne se ferait pas du jour au lendemain. Il faudrait du temps avant que le Toman ne soit pris au sérieux par la pègre qui gangrénait la société.
En attendant, tout ce qu'ils pouvaient faire, c'était de ne rien laisser passer.
Izana s'immobilisa. Il inspira et expira plusieurs fois et il finit par retrouver un peu de calme.
Il se tourna vers Kakucho.
– Et d'ailleurs toi, aboya-t-il. Koko est venu me dire que tu n'as toujours pas donné ta réponse concernant ton nouveau logement. Tu attends quoi ?
De toute évidence, il avait encore besoin de passer ses nerfs sur quelqu'un.
À la mention de cet appartement, Kakucho rougit furieusement et il se détourna.
– C'est que... ce n'est pas si simple, dit-il.
Izana fut surpris par sa réaction.
Il le rejoignit en deux pas.
– Tu avais bien saisi que toi et moi nous n'habiterions plus ensemble, n'est-ce pas ? Lui dit-il.
Il scruta la réaction de Kaku, mais celui-ci pivota davantage pour cacher son visage.
– Bien sûr... Marmonna-t-il. C'est évident. Nous ne sommes plus des enfants.
– Et tu avais aussi pris ta décision en ce qui concerne Nao, pas vrai ?
Cette fois, Kakucho bafouilla une réponse inintelligible.
Izana s'approcha pour le regarder sous le nez.
– C'est quoi le problème Kaku ? Dit-il. Vous sortez ensemble depuis des années... tout se passe bien entre vous d'après ce que j'entends le soir... Alors vous allez habiter ensemble, non ?
Le visage de Kakucho parut prendre feu.
Il bredouilla, s'emmêla, marmonna et finit par grommeler une réponse incompréhensible.
Puis il resta là, devant la fenêtre, raide comme un piquet.
Tout ce que Izana avait pu saisir, c'était les mots « pas convenable avant le mariage ».
Pendant une seconde, il dut se retenir pour ne pas exploser de rire.
– Tu es sérieux Kaku ? Dit-il. Ça fait trois ans que vous êtes en couple, vous habitez dans le même appartement depuis des semaines et c'est maintenant que tu te poses la question ?
Kakucho bougonna :
– ... Pas pareil... colocation... différent...
Izana se laissa tomber dans son fauteuil pour rire à son aise. Kakucho pouvait être tellement coincé par moment.
– S'il n'y a que ça, dit-il une fois un peu calmé. Alors épouse-la !
Kakucho se raidit un peu plus.
– Impossible... Dit-il. Beaucoup trop jeunes... que dix-neuf ans...
Izana le regarda, abasourdi, et il secoua la tête.
– Tu es vraiment un abruti fini, tu le sais ? Dit-il. Qu'est-ce que ça peut bien faire, l'âge que vous avez ? Il y a un âge requis pour se marier ? Ou alors tu attends qu'une fille mieux se présente ?
Kakucho pivota avec vivacité, outré.
– Bien sûr que non ! S'exclama-t-il.
Izana se leva souplement.
– Et bien voilà, dit-il. Vous êtes fait l'un pour l'autre, je suis sûr que tu comptais lui demander sa main un de ces jours... Alors qu'est-ce que ça change que vous vous mariiez aujourd'hui ou dans dix ans ?
Kakucho ne sut que répondre. Il se contenta à nouveau de bafouiller.
Izana soupira. Il n'était pas si facile de le faire céder, il le savait mieux que personne. Kaku était un garçon avec des principes, parfois même un peu trop, et ces derniers avaient tendance à devenir un obstacle dans sa vie.
Dans ces moments-là, il n'y avait qu'une seule solution.
– Très bien, dit finalement Izana. Alors si tu ne la demandes pas en mariage, je vais lui demander sa main !
– Quoi ?!
Kakucho se retourna à toute vitesse, mais Izana avait déjà filé dans le couloir comme une flèche.
Nao tendit le contrat corrigé à Arata, l'homme qui tenait lieu d'avocat officiel du Tenjiku et du Toman.
– Comme ça, ça devrait aller, dit-elle. Si jamais ils tentent d'utiliser l'article quarante-trois alinéa sept du code pénal, rappelez-leur qu'ils le font à leurs risques et périls. Je ne crois pas qu'ils s'y hasarderont. La dernière compagnie qui a joué à ce jeu-là a été condamnée et le cas a fait jurisprudence...
Elle n'eut pas le temps d'en dire plus. Un cri, accompagné d'une cavalcade effrénée, monta du couloir, devant son bureau.
– IZAANAAAAAAAA !
Nao avait reconnu la voix de Kakucho.
La porte s'ouvrit en coup de vent et Izana entra, le visage rouge.
Il avait les yeux brillants et il respirait rapidement, il devait avoir couru depuis son bureau à l'étage au-dessus.
– Izana ? Dit Nao. Il y a un problème ?
Derrière lui, un martèlement de pas leur apprit que Kakucho arrivait.
– Non, non, aucun problème, répondit Izana.
Kakucho surgit enfin et la porte alla de nouveau claquer contre le mur.
Nao fronça les sourcils.
– Mais enfin, à quoi vous jouez tous les deux ? Demanda-t-elle.
Izana répondit avant que Kakucho ait ouvert la bouche.
– Dis Nao, tu veux m'épouser ?
– Hein ? Dit-elle, stupéfaite.
Son expression était si surprise que c'en était comique.
Kakucho se mit aussitôt à hurler.
– IZANA ! ARRÊTE ÇA !
Izana se tourna vers lui.
– TU N'AVAIS QU'À TE DÉCIDER PLUS VITE ! Lui rétorqua-t-il.
– T'AS PAS LE DROIT DE FAIRE ÇA !
– J'AI TOUS LES DROITS ! JE SUIS LE ROI !
Izana revint alors vers Nao.
– Alors ? Dit-il.
Mais cette dernière ne l'écoutait plus. Elle venait de comprendre.
Elle leva les yeux vers Kakucho.
– Tu veux... m'épouser ? Lui dit-elle.
Elle avait des étoiles dans les yeux. Izana se redressa, ravi.
Il flanqua une claque dans le dos de Kaku qui bascula dans la direction de Nao.
Celle-ci prit sa main quand il fut à proximité.
– Kaku... ? Dit-elle.
Kakucho se mit à bafouiller.
– Euh... Oui... mais... C'est que...
Autour de lui, tout le monde semblait suspendu à ses lèvres. Mais celle dont le cœur battait le plus fort, c'était Nao. Elle attendait, son regard ancré dans le sien et leurs doigts étroitement entremêlés.
Après tout, se dit-il, pourquoi pas ? Izana a raison, je l'aime. Je n'aimerai jamais une autre fille... Pourquoi attendre ?
– Oui, dit-il enfin. Oui, j'aurais très envie qu'on se marie...
Un soupir parut traverser la pièce et Miki, la jeune secrétaire, étouffa un sanglot avec un sourire.
Kakucho poursuivit.
– Mais si tu penses qu'on est trop jeunes ou bien...
Izana ne le laissa pas finir. Il les rejoignit et il lui colla une baffe derrière la tête.
– C'est pas comme ça qu'on fait abruti ! Lui dit-il. D'abord, tu dois t'agenouiller et lui demander si elle accepte de t'épouser ! Pas lui dire que tu as très envie gna gna gna ! Et puis où est la bague ? Tu peux me le dire ? Tu es vraiment un petit ami en carton !
Kakucho lui jeta un regard outré. C'était uniquement de la faute de Izana s'ils étaient là.
La seconde d'après il s'agenouilla sans lâcher la main de Nao.
Il inspira pour se donner du courage.
– Nao, je veux t'épouser depuis que je te connais, lui dit-il. Je sais que ce sera toi et aucune autre. Je l'ai toujours su. Si tu veux de moi, je promets de tout faire pour te rendre heureuse, tu auras la bague que tu veux et tu auras tout ce que je pourrais t'offrir...
Nao se sentait sur le point de fondre en larmes.
Elle se contenta de hocher frénétiquement la tête, persuadée que si elle ouvrait la bouche, elle allait se mettre à pleurer.
Puis elle se laissa tomber près de lui et se jeta à son cou.
– Oui... Murmura-t-elle entre deux sanglots. Oui bien sûr que je veux... Je t'aime Kaku !
Derrière eux, Izana lâcha :
- Décidément, je dois tout faire ici ! Heureusement que je suis là !
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