53 - Sanzu

Le lendemain, ce fut un Sanzu douché et rasé de près qui se présenta à l'entrée du building.

Il examina un instant les vitres qui s'élevaient au-dessus de lui, puis il serra les poings et entra.

Il ne reculerait pas. Pas maintenant qu'il était si près du but.

Lors de la défaite du Toman face au Tenjiku, presque un an et demi plus tôt, Sanzu ne se trouvait pas dans les rangs du gang de Mikey. Et pour cause, à cette époque il avait suivi Mucho, dont il était le vice-capitaine, et il avait rejoint le Tenjiku.

Son projet à ce moment-là, c'était de garder un œil sur l'ancien capitaine du Toman pour le compte de Mikey. Sanzu n'attendait qu'un signe de la part de celui qu'il considérait comme son roi, pour faire tomber le traître.

Je ferai n'importe quoi pour toi Mikey... Je suis prêt à tuer si tu me le demandes... Je suis prêt à mourir... Ma vie est à toi... Je n'en ai pas besoin ...

Mais rien ne s'était passé comme il l'avait prévu. Juste avant la bataille, la sœur de Mikey était morte, assassinée par deux soi-disant escrocs avec lesquels le Toman aurait eu une embrouille, mais dont Sanzu n'avait jamais entendu parler, et Mikey avait sombré.

Si j'avais été là, si j'avais été près de lui à ce moment-là...

Sanzu ne se faisait pas d'illusion, il n'aurait jamais réussi à empêcher Mikey de s'enfoncer dans les ténèbres.

Mais au moins, je ne l'aurais pas laissé seul ! Je serais resté avec lui ! Ma place est à ses côtés ! Même en Enfer !

Ensuite, déboussolé, Sanzu avait déserté le Tenjiku et son premier réflexe avait été de se tourner vers Mikey.

Mais, là encore, rien ne s'était déroulé comme il s'y attendait.

Sanzu savait que Mikey serait en colère. Après tout, il l'avait trahi, au moins en apparence. Mais ce à quoi il ne s'attendait pas, c'était la fureur glacée qui s'était emparée de lui, comme ce jour, quand ils étaient enfants, où il l'avait défiguré.

Ce soir-là, au pied du sanctuaire Musashi où Sanzu lui avait donné rendez-vous, Mikey l'avait tabassé jusqu'à le laisser pour mort sur le parking.

Je l'ai mérité, s'était alors dit Sanzu étendu sur le bitume. J'ai trahi mon roi. Je mérite la mort...

Ce ne fut que plusieurs semaines plus tard, une fois remis de ses blessures, qu'il avait appris de la bouche de Draken que Mikey avait fait la même chose avec tous ses anciens amis.

– Mikey n'est plus le même... Lui avait dit Draken. Ne t'approche plus de lui Sanzu, ou il pourrait bien te tuer.

Cela, Sanzu s'en moquait. Au contraire, si Mikey pouvait prendre sa vie de ses propres mains, il s'estimerait heureux.

Mais à ses yeux, il avait même perdu ce droit.

Le message des poings de Mikey avait été clair.

Disparais.

Après cela, Sanzu avait perdu goût à la vie à son tour.

Désormais, plus rien n'avait d'importance. Il passait ses journées allongé sur son lit ou bien à arpenter les rues d'un pas traînant lorsque sa sœur le mettait à la porte pour qu'il se reprenne.

À quoi cela servirait-il de se reprendre ? Le seul à qui il avait désiré consacrer sa vie, ne voulait plus de lui.

C'est lors de l'une de ces errances sans but qu'il avait croisé la route de membres du Tenjiku.

D'abord, Sanzu n'avait pas fait attention à eux. il en avait fini avec les gangs croyait-il.

Mais lorsque ces hommes avaient fait allusion au frère de leur boss, cet ancien chef de gang et leader invincible du Toman, qui avait rejoint leurs rangs pour diriger le Tenjiku aux côtés de Izana, Sanzu s'était figé.

Mikey... avait rejoint le Tenjiku ?

Les semaines suivantes, il avait commencé à espionner tous les membres du Tenjiku qu'il trouvait et, peu à peu, il s'était rapproché du quartier général du gang.




Arrivé dans le hall d'entrée du building, Sanzu consulta la liste des entreprises qui occupaient les étages.

Il trouva rapidement le nom du Tenjiku et se dirigea vers les ascenseurs.

Mikey n'avait pas voulu prendre sa vie autrefois, mais peut-être accepterait-il aujourd'hui.




Assis sur un coin de son bureau, Izana consultait le rapport que l'un des hommes de Kisaki venait de lui apporter.

Tout cela l'ennuyait au plus haut point. Toute cette paperasse, ces formalités... Il n'y avait que Kisaki, Koko et Nao pour trouver cela intéressant.

– C'est d'ailleurs pour cela qu'ils sont là eux, grinça-t-il tout haut. Alors pourquoi moi je dois me farcir cette corvée aussi ?

C'était toujours le même refrain. Certains aspects du rôle de boss le faisaient hurler de frustration et lui donnaient envie de tout balancer à travers la pièce.

En vérité, il n'y avait que l'action qui l'intéressait. L'action et tourmenter son petit frère, Mikey.

Pseudo petit frère, corrigea-t-il pour lui-même.

Mikey et lui n'avaient en fait aucun lien de parenté.

En dépit des années, c'était un secret que Izana n'avait jamais révélé à personne, pas même à Kakucho. Il n'arrivait pas à s'expliquer pourquoi. C'était comme une sorte de honte secrète qu'il ne voulait pas voir étalée au grand jour.

Je n'ai personne...

Aussitôt, son visage se durcit et un sourire cruel se peignit sur ses lèvres.

Mais maintenant, Manjirō n'a plus personne lui non plus. Nous sommes devenus pareils. À défaut d'être de vrais frères, nous sommes devenus les mêmes lui et moi !

Cette idée lui réchauffait étrangement le cœur. Aussi malsaine puisse-t-elle être, la pensée que Mikey et lui partageaient une forme de fraternité lui faisait du bien.

Finalement il laissa tomber la feuille de papier sur son bureau et se pencha en arrière, les mains à plat derrière lui.

La réunion de la veille avait contrarié ses projets. Au départ, il comptait aller faire le tour de leurs infrastructures avec Mikey. Ces derniers temps, Manjirō était plus sombre et fermé que jamais et Izana brûlait de voir se rallumer dans ses yeux la flamme de l'envie.

Je vais lui montrer tout ce que j'ai bâti... Tout ce qu'il n'a pas réussi à construire, lui... Il en crèvera de jalousie.

Malheureusement son plan était tombé à l'eau et Izana n'avait pas eu une minute à lui de la journée.

En plus, se dit-il, avec tout le travail qui s'annonce, je ne vais pas avoir de temps à lui accorder dans les prochaines semaines.

Cette perspective le déprimait plus que tout sans qu'il en comprenne vraiment la raison.

J'ai envie de le voir souffrir comme moi j'ai souffert, voilà tout... Il n'y a rien d'autre.

Il étouffa bien vite la petite voix qui s'était mise à lui murmurer à l'oreille qu'il commençait peut-être à s'attacher à Manjirō et grimaça.

N'importe quoi, gronda-t-il. Ce type est une loque. Personne ne tient à lui, moi moins que les autres ! Il est encore plus misérable que je l'étais à l'époque !

La veille, c'était lui qui avait traîné Manjirō à la réunion des cadres pour parler de l'agression de Nao. Il voulait le voir s'impliquer, réagir. Mais à son grand désarroi, Mikey était resté assis dans son coin, le front bas et l'air absent et tous avaient fini par oublier jusqu'à sa présence.

Ça ne va pas du tout ! Je veux le voir résister ! Je veux le voir se battre et lutter ! Je veux voir encore cette lueur dans son regard quand je l'écrase du talon !

Mais il avait beau réfléchir, Izana ne voyait pas comment concilier ses devoirs de chef de gang et ses projets pour Manjirō à l'heure actuelle.

Il doit pourtant bien exister un moyen...

Un coup à la porte lui fit lever les yeux et un homme entra.

– Monsieur, il y a quelqu'un à l'accueil qui demande à voir Mikey.




Une foule de questions se pressa dans la tête de Izana.

Qui était-ce ? Qui était assez fou pour se présenter au quartier général du Toman et demander à voir l'un de ses boss comme si de rien n'était ?

Un de ses anciens amis ? Non, impossible, Manjirō les a tous envoyés au diable. Il les a même tabassés pour être sûr que la leçon soit bien rentrée... Aucun d'eux ne reviendrait vers lui maintenant et même s'ils le faisaient, Manjirō les chasserait, j'en suis sûr...

Mikey lui avait expliqué à son arrivée qu'il ne retournerait jamais vers les siens.

Parce que si je le faisais, je les mettrais en danger, avait-il ajouté. Je suis un monstre. Mieux vaut qu'ils me considèrent comme mort.

Izana se mordilla l'ongle du pouce.

Mais si c'était l'un d'entre eux, se dit-il, ça vaudrait peut-être le coup...

Une ébauche de plan commença à se former dans son esprit.




À genoux par terre, au milieu du bureau, là où se tenait l'homme de Kakucho la veille, Sanzu frappa plusieurs fois le sol de son front.

– Je t'en prie ! Dit-il. Je t'en supplie ! Izana !

Depuis qu'il était entré dans la pièce, Sanzu n'avait cessé de répéter les mêmes choses. Il suppliait Izana de le laisser voir Mikey, l'homme qui était tout pour lui et à qui il avait voué sa vie.

Izana le regarda avec une moue méprisante.

– Est-ce que tu as vu ta dégaine ? Dit-il. On dirait un crève-la-faim...

Sanzu avait tellement maigri ces derniers mois que ses vêtements semblaient flotter sur lui. Cela, plus l'éclat malade dans son regard, et l'on avait l'impression d'avoir en face de soi un fou furieux.

Sanzu s'inclina à nouveau et frappa le sol de son front.

– Je t'en supplie ! Cria-t-il. Je ferais tout ce que tu voudras ! Je serai ton esclave à vie ! Tu n'auras qu'à demander ! Mais laisse-moi le voir !

Izana feignit de réfléchir.

– Très bien, dit-il enfin. C'est d'accord. Je vais te conduire à lui...

Et s'il décide de te tabasser ou même de te tuer, se dit-il, je serai aux premières loges...

Il brûlait d'excitation à l'idée de voir la tête de Manjirō quand il croiserait le regard d'un de ses anciens amis. Mais plus encore, il frémissait de plaisir à la pensée du désespoir qui s'emparerait de lui quand Sanzu verrait ce qu'est devenu son ancien boss.

Il se redressa et ajouta :

– Mais ne compte pas sur moi pour oublier que tu es aussi un traître, dit-il. Tu as une dette à payer.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top