51 - Une famille

Nao ouvrit des yeux surpris.

– Habiter ici ? Dit-elle. Tu es sûr ?

Izana repartit vers la cuisine, sa tasse vide à la main.

– Évidemment, lui dit-il. Tu ne comptais tout de même pas retourner dans ton appartement, si ? Nos adversaires savent où tu habites. La prochaine fois, ils se débrouilleront pour entrer. Nous devons prendre des mesures.




Nao les avait laissés quelques heures plus tard, lorsqu'ils étaient arrivés dans les locaux du Tenjiku.

Tous les deux voulaient aller voir Koko et elle avait préféré rejoindre son bureau.

– Tu ne veux pas plutôt venir avec nous ? Lui avait demandé Kakucho dans le couloir tout en serrant ses doigts entre les siens. Tu devrais te reposer tu sais...

Un peu plus tôt, elle avait déjà refusé de rester chez eux et elle avait insisté pour les accompagner.

Nao avait secoué la tête.

– Non, je préfère travailler, avait-elle dit, comme ça je penserai à autre chose.

Puis elle l'avait rassuré :

– Ne t'en fais pas, lui avait-elle dit, je n'ai pas l'intention de me surmener. Je veux juste me changer les idées.

La vérité, c'est que Nao n'avait pas envie de se retrouver face aux autres membres du gang.

Elle avait parfaitement conscience que c'était de sa faute s'ils se retrouvaient dans cette situation et elle redoutait plus que tout de se l'entendre dire à voix haute.

Miki, sa secrétaire, l'attendait dans son bureau, un dossier entre les bras.

Apparemment, elle avait été prévenue de ce qui était arrivé car elle ne fit aucun commentaire sur l'état de son visage.

– Dis-moi ce que j'ai de prévu aujourd'hui, lui demanda Nao en se laissant tomber dans son fauteuil.

Elle masqua une grimace quand ses plaies l'élancèrent, mais elle essaya de ne rien laisser paraître.

Le moindre mouvement était une torture. 

Quand elle avait vu son apparence dans le miroir ce matin, elle avait compris pourquoi. Une hématome d'une taille impressionnante s'étendait sur son ventre, mais ce qui l'avait le plus choquée, c'était la marque violacée qui courait de mon menton jusqu'à son œil. Le tour de ce dernier avait d'ailleurs viré au noir et doublé de volume. Nao pouvait à peine l'ouvrir. Elle ne s'en était pas aperçue en se levant tellement elle avait les yeux bouffis de fatigue. Mais le miroir de la salle de bain avait été sans pitié.

Je ressemble à un monstre... S'était-elle dit en contemplant son reflet.

La réaction de Kakucho et Izana s'expliquait mieux.

Miki se redressa comme si on l'avait frappée.

– Rien du tout mademoiselle ! Répondit-elle précipitamment.

Nao lui jeta un regard.

Kakucho était passé par là apparemment et peut-être Izana aussi.

– Miki... Soupira-t-elle. Trouve-moi quelque chose à faire pour me changer les idées... par pitié.

La jeune secrétaire parut hésiter. Elle se demandait sûrement si cela valait le coup d'encourir la colère des garçons.

Nao tenta de la convaincre.

– Je ne leur dirai rien, dit-elle, c'est promis. Si tu veux, je leur raconterai même que tu m'as obligée à me reposer, mais si tu ne me donnes rien à faire, je vais devenir folle !

La jeune femme céda.

– Il y a bien le dossier Rakka Entreprise, dit-elle avec une pointe d'incertitude. Monsieur Arata a dit qu'il restait quelques points à vérifier concernant la réglementation bancaire, mais...

Nao lui tendit la main.

– C'est parfait, dit-elle, donne-moi ça et apporte-moi un café.




Deux heures plus tard, un coup frappé à la porte fit lever les yeux à Nao.

Kakucho entra.

Lorsqu'il la vit à son bureau, des piles de documents devant elle, il se figea. Nao désamorça la réplique qu'elle sentait venir avant qu'il ait ouvert la bouche.

– Avant que tu dises quoi que ce soit, dit-elle, je ne travaille pas, je suis juste en train de lire pour me changer les idées. Ma propre secrétaire m'interdit le moindre effort.

Kakucho sourit et il referma derrière lui. Il la rejoignit, il se pencha vers elle et posa ses lèvres sur les siennes.

– D'accord, dit-il.

Quand il s'écarta, Nao reprit.

– D'ailleurs ça serait bien que vous évitiez d'intimider cette pauvre fille, dit-elle. Elle fait déjà un crochet dans les couloirs chaque fois qu'elle croise Kisaki...

Il rit.

– Promis, dit-il dans un souffle, je ne le ferai plus.

Puis il se redressa et ajouta :

– Izana veut te voir, dit-il. Nous allons avoir besoin de tous les renseignements que tu pourras nous donner sur l'agression d'hier soir.

Nao se raidit.

Elle avait redouté ce moment, mais elle s'était doutée qu'elle ne pourrait pas l'éviter.

Elle se leva.

Puisqu'il faut y aller...

– Très bien, allons-y.

Une fois dans le couloir, Kakucho fouilla dans sa poche.

– Tiens, dit-il en lui tendant quelque chose. Un de mes hommes l'a retrouvé sous les escaliers, pas très loin du lieu de l'agression.

C'était son téléphone.

La gorge de Nao se serra. La dernière fois qu'elle l'avait eu en main, elle était en train de fuir, terrifiée.

Elle le prit et le fourra dans sa poche sans le regarder.

– Dis, reprit-elle en chemin, je me demandais... est-ce que tu crois que tu pourrais m'apprendre deux ou trois choses pour me défendre ? Rien de très compliqué... Juste histoire que je puisse riposter à l'avenir...

L'idée lui était venue durant la nuit. Si elle avait eu au moins des bases de self défense, les choses ne se seraient sûrement pas passées comme ça.

À côté d'elle, Kakucho demeura silencieux.

– Je ne vais pas te mentir Nao, dit-il enfin. Je pense que c'est une mauvaise idée. Même si tu devenais ceinture noire de karaté d'ici l'année prochaine, ça ne changerait rien. On n'est pas dans un manga. Une femme ne fait jamais le poids ou presque face à un homme. Et encore moins face à trois hommes. Au mieux, tu arriverais à les frapper une fois ou deux, mais pas à les mettre hors de combat en un coup. C'est le monde réel ici. En plus, lorsqu'ils se relèveraient, ils seraient encore plus furieux qu'avant et c'est toi qui en ferais les frais.

Nao baissa les yeux.

Il avait raison, elle le savait.

Kakucho reprit.

– Mais si tu y tiens, il y a une chose que je peux t'apprendre...

Elle releva la tête, le regard brillant.

– Ah oui ?

– La meilleure réaction dans ce genre de situations, reprit-il, c'est celle que tu as eu. Courir. Les types comme ça abandonnent très vite quand ils voient que leur victime les distance. Chaque seconde qui passe leur fait prendre le risque de se faire repérer. Alors s'ils ne t'ont pas rattrapée dans les premiers mètres, généralement ils lâchent l'affaire.

C'est vrai, c'est du bon sens, se dit Nao. Même moi, la première chose à laquelle j'ai pensé, c'est chercher une rue avec du monde... Si j'avais couru un peu plus vite, ils n'auraient pas pu me contourner si facilement. Sauf que, au bout de même pas cent mètres, je n'avais déjà plus d'air...

Elle entendait encore ses poursuivants se réjouir quand elle avait commencé à ralentir.

– D'accord, dit-elle, entraîne-moi à courir plus vite.

Kaku glissa un bras autour de sa taille.

– Méfie-toi, la prévint-il avec un sourire, je suis un instructeur sévère.

Nao lui rendit son sourire.

– Je n'ai pas peur, dit-elle. On commence quand tu veux !

– On va quand même attendre que tu sois remise, je ne voudrais pas que tu te blesses.

Il garda une seconde le silence et ajouta :

– Mais j'étais sérieux quand je disais que je ferai ce qu'il faut pour que ça n'arrive plus, dit-il. Compte sur moi pour prendre soin de toi mieux que ça désormais.




Parvenue devant le bureau de Izana, Nao inspira pour se donner du courage.

Allez, quand il faut y aller...

Elle poussa la porte et tous les visages se tournèrent vers eux.

Il y avait là les fondateurs du Tenjiku. Les frères Haitani, Mochi, Mucho, Shion Madarame. Mais aussi leurs nouveaux membres. Tetta Kisaki, Hanma et Kokonoi Hajime notamment. Ce dernier était accompagné de Seishu Inui qui avait rejoint leurs rangs en même temps que lui. Apparemment, Inui n'était pas un inconnu pour Izana d'après ce qu'avait compris Nao.

Elle remarqua Mikey, assis en silence dans un coin et sa présence acheva de la mettre mal à l'aise.

Kakucho referma derrière eux et il la rejoignit.

– La voilà, dit-il.

Les yeux continuèrent de la fixer. Nao savait ce qu'ils regardaient tous. Son visage.

Elle aurait aimé se cacher, mais elle se ressaisit. Elle n'était plus une gamine. S'ils avaient envie de lui faire des reproches, de lui dire qu'elle s'était conduite imprudemment, qu'ils le fassent, elle ne s'échapperait pas.

Ran Haitani laissa échapper un sifflement.

– Dis donc ils t'ont pas loupée... Dit-il.

Son franc-parler la surprit et son frère renchérit avant qu'elle ait ouvert la bouche :

– Dites-moi que nos gars ont fumé les types qui ont fait ça ?

Il fronçait les sourcils.

Kakucho intervint.

– Mes hommes ont ratissé le quartier toute la nuit, en vain, dit-il. Ils n'ont trouvé aucune trace des agresseurs.

On sentait que cette idée l'irritait particulièrement.

Mucho demanda à Nao :

– Est-ce que tu as noté quelque chose qui pourrait nous aider à les identifier ? Est-ce qu'ils ont dit à quel gang ils appartenaient ? Ou est-ce qu'ils portaient un uniforme ou un tatouage ?

Nao était encore sous le coup de la surprise. Elle ne s'attendait pas à leurs réactions.

Elle baissa la tête et réfléchit.

Elle n'avait rien remarqué de particulier. En fait, à part son instinct qui lui avait crié de fuir quand elle les avait compris qu'elle était face à des membres d'un clan adverse, elle ne savait rien des hommes qui l'avaient prise en chasse.

– Non rien, dit-elle en secouant la tête. La seule chose qu'ils ont dite, c'est que le Tenjiku leur avait pris leur business et que, à cause de nous, ils avaient tout perdu.

– Voilà qui réduit la liste des suspects, dit Koko.

Debout derrière son épaule, Inui hocha la tête. Il ne disait presque jamais un mot, il se contentait de ponctuer les paroles de Koko d'un geste ou d'un regard.

Izana se leva souplement du coin du bureau sur lequel il s'était assis.

– Dans ce cas, dit-il, il n'y a pas à hésiter. On balaye tous les clans qu'on a croisés !

Nao le regarda, stupéfaite. 

Elle ne pensait pas qu'il ferait cela. 

En fait dut-elle reconnaître, aucun d'eux ne réagissait comme elle s'y attendait.

Personne ne lui faisait de reproches et tous semblaient derrière elle.

Avant qu'elle ait pu dire un mot, les visages des garçons avaient pris une expression féroce.

– J'espérais bien que tu dirais ça Izana, lâcha Ran.

– Ça va être marrant, ajouta son frère.

– Ils vont voir ce qu'il en coûte de toucher à un membre du Tenjiku, confirma Mucho, le front sombre.

Même Kakucho avait une tête de tueur à présent. On aurait dit qu'il n'attendait que cet ordre.

Nao les regarda tour à tour.

Ces garçons n'étaient vraiment pas comme tout le monde.

En les parcourant des yeux, elle ressentit une forme de chaleur qu'elle n'avait plus éprouvée depuis longtemps. 

Il lui fallut un moment pour se souvenir de quoi il s'agissait.

Lorsque ce fut fait, elle sourit.

Ils sont ma famille.

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