49 - Effroi
La température avait encore baissé avec la nuit et Nao serra sa veste contre elle tandis qu'une fine buée blanche s'échappait de ses lèvres.
Allez vite...
Elle vit l'enseigne du konbini se rapprocher au bout de la rue et sourit en pressant le pas.
Je savais que ça n'était rien.
Quand elle atteignit le magasin, les portes s'ouvrirent devant elle et elle frissonna en sentant le souffle chaud de la climatisation réversible lui chatouiller la nuque.
Elle ne perdit pas une minute. Elle parcourut les rayons au pas de course et, après avoir trouvé ce qu'elle était venue chercher, elle revint vers la caisse.
– Merci, bonne soirée ! Lança la vendeuse lorsqu'elle ressortit.
Une fois dehors, Nao rangea son porte-monnaie dans la poche de sa veste, puis elle reprit le chemin de son appartement en courant.
Ça ne m'aura même pas pris cinq minutes... Se réjouit-elle.
Elle accéléra. Elle avait hâte d'être rentrée chez elle et de plonger dans son bain.
Il fait vraiment froid ce soir !
Lorsqu'elle arriva en vue de l'entrée de son immeuble, elle remarqua deux silhouettes adossées au mur. Elles n'étaient pas là un instant plus tôt.
Elle ralentit.
Qui étaient ces hommes ? Elle n'avait vu personne tout à l'heure...
Elle ralentit encore.
La pensée qu'ils étaient venus pour elle la traversa et elle s'arrêta.
Non, tu te fais sûrement des idées... Se dit-elle. Ce doit être des passants.
Elle ne parvint pourtant pas à faire taire son angoisse.
Toutes ces années à traîner au milieu des gangs avaient aiguisé sa méfiance et, quand ils se redressèrent en la voyant arriver, elle se raidit.
Elle fit deux pas en arrière, le cœur battant et ils avancèrent vers elle.
Nao eut l'impression d'entendre Kakucho crier à son oreille :
Fuis ! Ne reste pas là ! Va-t'en !
Il ne lui en fallut pas plus. Elle tourna les talons et s'élança en direction de l'autre extrémité de la rue.
Aussitôt une cavalcade, accompagnée d'un cri, monta derrière elle.
– Merde, elle s'échappe ! Rattrape-la !
Nao accéléra, terrifiée.
Ils étaient bien venus pour elle. C'étaient sûrement des ennemis du Tenjiku.
Elle courut sans regarder où elle allait, le sachet du konbini se balançant au bout de son bras. Elle était bien consciente qu'elle s'éloignait de plus en plus de son appartement et de la sécurité qu'il représentait, mais elle était incapable de réfléchir à un moyen de rentrer chez elle sans se faire prendre.
Il lui semblait que les pas, derrière elle, gagnaient du terrain, mais elle n'osait pas regarder par-dessus son épaule pour s'en assurer.
Elle continua à courir.
Son cœur cognait maintenant comme un fou contre ses côtes et sa poitrine se mit bientôt à brûler tandis que l'air froid de l'hiver dévalait sa gorge comme de la lave en fusion.
Incapable de reprendre haleine, Nao sentit qu'elle commençait à ralentir.
– On la tient !
Le cri lui rendit quelques forces et elle reprit de la vitesse.
Elle atteignit le boulevard voisin et jeta un rapide coup d'œil autour d'elle.
Les voitures passaient à toute allure, mais il n'y avait pas de badauds dans cette zone où la route s'engouffrait plus loin dans un tunnel souterrain.
Elle se tourna vers la passerelle qui passait au-dessus de la voie, plus loin, et reprit sa course effrénée.
Elle pensa alors à son téléphone et elle fouilla la poche arrière de son pantalon pour le sortir.
Sans regarder l'écran, elle appela le dernier numéro qu'elle avait composé.
Kakucho décrocha au moment où elle arrivait au pied des escaliers. En entendant sa voix, Nao ne put s'empêcher de hurler.
– KAKUCHO !
Puis elle manqua la première marche, tomba sur un genou et son téléphone glissa entre les deux plaques de béton pour finir sur le terre-plein qui courait en dessous.
Durant une seconde, Nao le regarda à travers l'interstice, désespérée.
Mais elle n'avait pas de temps à perdre. Les deux hommes étaient presque sur elle.
Elle se releva et reprit son ascension à toute allure.
Plus bas, la voix de Kaku continua à bourdonner.
– Nao ? NAO !
Dans l'appartement des garçons, Kakucho serrait son téléphone jusqu'à le faire craquer.
– Nao ? Nao ! NAO ! Réponds-moi ! Nao !
Assis dans un fauteuil, sa guitare sur les genoux et des feuillets de partition épars devant lui, Izana fronça les sourcils.
– Qu'est-ce qui se passe ? Demanda-t-il.
– C'est Nao, lui dit Kakucho. Je ne sais pas ce qui se passe...
Il avait l'impression de devenir fou. Nao avait juste eu le temps de crier son nom. Ensuite il avait perçu un bruit d'impact puis un silence inquiétant.
Il raccrocha et essaya de recomposer son numéro, mais il n'obtint plus que des tonalités.
Izana se leva et il attrapa aussitôt son propre téléphone.
– Kisaki, dit-il quand ce dernier décrocha. Nao a des problèmes.
Kisaki répondit et Izana reprit.
– Je ne sais pas, dit-il, c'est Kakucho qui l'a eue.
Il mit le haut-parleur et la voix de Kisaki emplie l'appartement.
– Est-ce qu'elle est chez elle ? Dit-il.
Kakucho se rapprocha.
– Je ne sais pas, dit-il, paniqué. J'en sais rien !
– Tu as entendu quelque chose autour d'elle ? Des voitures ?
Kaku réfléchit.
– Oui ! Dit-il. Il y avait des voitures derrière elle !
– Ok, reprit Kisaki, quand est-ce que ton gars l'a laissée ?
– Il n'y a pas plus de vingt minutes, répondit Kakucho. Il m'a appelé pour me dire qu'elle était bien rentrée.
– Alors elle a dû vouloir sortir faire une course. Elle ne doit pas être loin de chez elle. Envoyez des types quadriller le quartier, on va la retrouver.
La seconde suivante, Kakucho avait enfilé sa veste après avoir prévenu ses hommes.
– J'y vais ! Dit-il à Izana. Je vais essayer de la trouver moi aussi ! Préviens-moi si tu as du nouveau !
Puis il sortit en trombe.
Nao cavala le long de la passerelle et, arrivée au bout, elle dévala les marches pour rejoindre l'autre côté du boulevard avec l'espoir de trouver une zone fréquentée.
Mais lorsqu'elle posa le pied sur le trottoir, une main la saisit par le poignet et la projeta contre le mur, juste sous les marches en béton.
Le choc lui coupa la respiration et elle glissa par terre.
– Et bien voilà, dit l'homme qui l'avait interceptée, on dirait qu'on tient notre fuyarde.
Derrière lui, les deux types qui l'avaient prise en chasse apparurent à leur tour, essoufflés, et tous les trois l'entourèrent.
Nao se serra instinctivement contre la paroi en regardant autour d'elle.
Il n'y avait aucune issue. Même si elle arrivait à se relever et à s'échapper, elle était tellement fatiguée après avoir tant couru qu'ils la rattraperaient sans mal.
Un début de migraine commença à lui battre les tempes et le premier des hommes s'accroupit devant elle tandis qu'elle haletait, à bout de souffle.
– Tes potes m'ont piqué mon business, lui dit-il. À cause d'eux, j'ai presque tout perdu, tu comprends ce que je veux dire ?
Nao ne dit rien et il reprit.
– Tch ! Dit-il. Ils se croient où ces gamins, ils n'ont même pas de poils au menton...
Il s'interrompit et il la regarda, semblant s'apercevoir qu'elle n'était pas plus vieille qu'eux.
– Mais putain vous avez quel âge ? Demanda-t-il. On monte des gangs en sortant de l'école maintenant ?
Nao ne répondit pas. Toute son attention était concentrée sur son souffle. Elle devait retrouver sa respiration au cas où une occasion de s'enfuir se présentait.
L'homme se redressa.
– Je m'en fous en fait, dit-il. Avec toi entre nos mains, tes copains vont nous écouter. On va vous apprendre ce que c'est de jouer dans la cour des grands. Mais avant, on va t'arranger un peu la gueule et leur envoyer quelques photos histoire de les faire réfléchir.
Les deux autres s'approchèrent en faisant craquer leurs poings et Nao sentit la terreur l'envahir.
Dos au mur, elle poussa sur ses jambes pour se redresser, le cœur tambourinant follement.
Elle regarda encore une fois à gauche et à droite, mais elle était prisonnière entre le pied des escaliers et le pilier qui soutenait la passerelle.
Ses agresseurs lui bloquaient la retraite.
Le coup de pied la saisit au plexus alors qu'elle regardait ailleurs et tout l'air contenu dans ses poumons jaillit d'un coup, en même temps qu'un râle qui lui écorcha la gorge.
Nao retomba à genoux sur le sol, un cri étouffé aux lèvres et les bras serrés autour du ventre.
– Kaku... Eut-elle le temps de bredouiller.
Mais elle ne put dire un mot de plus. Le second coup de pied la cueillit à la mâchoire et cette fois elle heurta la paroi derrière elle avec violence tandis que des étincelles de douleurs éclataient derrière ses paupières.
Elle comprit qu'ils allaient la tabasser et qu'elle ne pourrait rien y faire.
Nao ne s'était jamais battue en dépit de toutes ces années passées auprès des gangs. Elle avait toujours laissé ce rôle à d'autres. Mais aujourd'hui, elle regrettait de ne pas avoir appris à se défendre.
Mais plus que tout, elle regrettait de n'avoir pas suivi les conseils de Kakucho et d'être sortie sans rien dire.
Au moment où un nouveau coup de pied allait l'atteindre, un cri monta depuis l'escalier, au-dessus d'eux, et une silhouette bondit par-dessus la rambarde et atterrit entre Nao et ses agresseurs, faisant reculer les trois hommes.
Le nouveau venu tourna la tête vers elle.
– Mademoiselle, ça va ?
Nao reconnut la voix de son garde du corps, ce garçon que Kakucho avait chargé de veiller sur elle quand il n'était pas là, et un soupir soulagé lui échappa tandis que des larmes se mettaient à couler sur ses joues.
Izumi... Se souvint-elle. Il s'appelle Izumi...
Elle avait honte d'avoir oublié un instant le nom de celui qui venait de lui sauver la vie.
Il se dressa devant elle pour la protéger et Nao se ramassa gauchement contre le mur.
Ils n'étaient pas tirés d'affaires pour autant comprit-elle en regardant la scène. Son sauveur était tout seul et ils étaient trois.
Pourtant, loin d'être impressionné, Izumi se jeta dans la bagarre sans hésiter.
Il distribua des coups et en reçut, mais il ne recula pas.
Ce furent des bruits de moteurs qui mirent fin à l'affrontement.
Des motos, arrivées en nombre, firent fuir les trois hommes qui n'avaient aucune envie d'affronter le Toman.
Recroquevillée contre le mur, dans le renfoncement sale et obscur qui s'étendait sous l'escalier, Nao n'arrivait pas à arrêter de trembler.
Une main lui prit le visage et elle leva les yeux, surprise.
C'était Kakucho.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top