39 - Juristes

Trois mois plus tard, Nao dut se rendre à l'évidence. Embaucher un juriste diplômé pour le mettre au service du Tenjiku – mais surtout au service du Toman, la branche illégale de la compagnie – allait être plus compliqué que prévu.

Les premiers temps, Nao s'était dit que le plus dur allait être de trouver une personne capable de mettre ses principes de côté pour accepter de travailler pour un gang. Mais contrairement à ce qu'elle s'était imaginée, ils avaient été nombreux à se présenter suite à l'annonce que Kisaki avait fait circuler dans le milieu.

Il y en avait de tous les âges. Des jeunes tout juste sortis de l'université, des plus âgés à la recherche d'une reconversion qui payait bien, mais aussi des avocats réputés qui espéraient jouer sur les deux tableaux, conserver leur cabinet tout en représentant la société bâtie par Izana et son frère.

Mais ce à quoi elle ne s'était pas attendue, c'était leur réaction.

À ce souvenir, elle grimaça.

Elle remonta le couloir après sa réunion avec Kisaki, Miki, sa secrétaire, sur les talons.

Cette dernière énuméra ses tâches de la journée d'une voix rapide :

– Vous avez un rendez-vous avec l'envoyé de la Shinzu Compagnie à quatorze heures trente. Les documents concernant la filiale de la Unbō Construction sont sur votre bureau et j'ai besoin de votre validation pour les dossiers Fuyaha et MeHo...

Elle s'interrompit, hésita et Nao lui jeta un œil par-dessus son épaule. Ces derniers mois, elle avait appris à connaître la jeune femme et elle savait maintenant quand celle-ci redoutait de lui annoncer quelque chose.

– Quoi d'autre Miki ? Demanda-t-elle.

Elle l'appelait désormais par son prénom. Toutes les deux passaient le plus clair de leur temps ensemble après tout.

La secrétaire inspira et reprit.

– Vous avez un entretien pour le poste de juriste de la compagnie dans quinze minutes, conclut-elle.

Nao se raidit. Elle lui coula un regard, mais ne dit rien.

Finalement, elle souffla.

– Allons-y, dit-elle enfin, autant en finir vite.

Miki lui tendit la fiche de synthèse du candidat qu'elle lui avait préparée et Nao la parcourut.

Kaburagi Juzō, lut-elle, trente-sept ans, un palmarès impressionnant d'affaires remportées et des diplômes de la plus grande université de droit du pays.

Un cador, se dit-elle. Si l'on parvient à le recruter, il représentera un plus pour la société.

Nao toutefois ne se faisait pas d'illusion.

Quinze minutes plus tard, elle rejoignit la salle de conférence où elle procédait aux entretiens et y retrouva un de ses assistants qui avait commencé à interroger le candidat.

Elle s'assit en silence en bout de table et examina l'homme qui prétendait entrer au Tenjiku.

Plutôt grand, l'air sur de lui, il était assis comme si c'était lui qui procédait au recrutement, ayant bien compris qu'il avait en face de lui un subalterne. Ses réponses d'ailleurs étaient pédantes et évasives. Il attendait que son véritable employeur se présente.

Nao se redressa.

– Monsieur Kaburagi, commença-t-elle.

Il la coupa aussitôt.

Maître Kaburagi, dit-il.

Nao ferma les yeux et inspira.

Je te donnerai du « Maître » quand tu m'auras prouvé que tu peux m'être utile, se dit-elle.

Elle préféra toutefois le garder pour elle.

Maître Kaburagi, reprit-elle les dents serrées, pouvez-vous me dire pour quelles raisons un juriste avec votre expérience souhaite intégrer notre compagnie ?

Les termes de l'annonce que Kisaki avait diffusés dans le milieu étaient très clairs. Ils recherchaient une personne qui n'avait pas peur de se salir les mains et qui était prêt à entacher sa réputation pour couvrir toutes sortes de malversations.

L'avocat se pencha en avant. Il posa les coudes sur ses genoux et sourit.

– Ne le prenez pas mal jeune fille, dit-il, mais je crois préférable de discuter de cela avec votre patron... Entre grandes personnes en somme.

Il rit à son propre trait d'esprit et ajouta :

– Dites-moi plutôt, quand est-ce qu'il arrive ?

Voilà, c'était cela le problème que Nao n'avait pas anticipé. Aucun de ces juristes inscrits au barreau et bardés de diplômes ne la prenaient au sérieux. Pour eux, elle n'était qu'une gamine de dix-sept ans tout juste bonne à leur apporter le café.

Elle se mit à tapoter le plateau de la table avec la pointe de son stylo, excédée.

Je suis votre futur patron, lui apprit-elle.

Il la regarda, surpris, et Nao poursuivit, sa fiche à la main.

– Je vois que vous avez suivi un cursus de six mois dans une université américaine. C'est une bonne chose, nous avons l'intention de nous étendre à l'international dans les années à venir. Mais avec un tel bagage, qu'est-ce qui a bien pu vous amener chez nous ?

Il la scruta, pencha la tête et demanda :

– Tu as quel âge ? Dix-sept ? Dix-huit ans ?

Derrière son épaule, Nao sentit sa secrétaire se crisper tandis que, plus loin, son assistant rangeait ses papiers en s'efforçant de ne pas les regarder.

C'est reparti, songea-t-elle.

Elle soupira.

– Mon âge n'est pas le sujet de cet entretien, dit-elle. Nous sommes là pour déterminer si vous pouvez m'être utile dans le cadre des activités de la Tenjiku Corporation. Vous serait-il possible de répondre aux questions monsieur Kaburagi ?

L'homme regardait maintenant autour de lui, examinant les murs et les meubles de la salle de conférence.

– C'est une caméra cachée ? Dit-il. C'est ça ?

Il sourit, persuadé d'avoir vu juste, et Nao perdit patience.

Elle se pencha par-dessus la table.

– Non, monsieur Kaburagi, dit-elle, ça n'est ni une caméra cachée, ni un club pour enfants, ni une blague de votre femme ! Est-ce que nous pouvons revenir à notre sujet, je n'ai pas la journée devant moi figurez-vous !

Son éclat eut au moins le mérite de ramener à elle l'attention du juriste.

Il se leva, referma son veston et reprit son attaché-case qu'il avait posé à ses pieds.

– Vous m'excuserez, dit-il, je ne travaille pas avec des enfants qui veulent jouer aux gangsters.

Puis il se dirigea vers la porte et sortit.

Nao se laissa aller en arrière sur son siège et ferma les yeux.

Voilà. Encore un qui leur glissait entre les doigts.

Ce recrutement allait être plus compliqué que prévu.




En fin d'après-midi, elle se rendit dans le bureau de Kisaki.

Pendant plusieurs minutes, elle arpenta la pièce de long en large et lui raconta comment s'était déroulé ce nouvel entretien.

– Qu'est-ce que je dois faire ? S'exclama-t-elle en s'arrêtant devant lui. Dis-moi toi ? Aucun de ces types n'accepte ne serait-ce que d'envisager travailler sous les ordres d'une gamine de dix-sept ans ! Pourquoi moi je les fais fuir comme ça alors que toi qui n'a que seize ans ils te regardent tous comme un adulte ?

Kisaki grimaça, excédé par ses cris et il se replongea dans son travail en essayant de faire comme si elle n'était pas là.

– S'il n'y avait que ça ! Poursuivit-elle en reprenant ses va-et-vient. Mais ces abrutis se permettent de me parler comme si j'étais une gosse !

– Tu es une gosse, l'interrompit-il.

Nao se tourna vivement vers lui.

– Tu as dit quoi ?

Kisaki rassembla ses documents devant lui et il en fit une pile bien nette.

– J'ai dit que tu étais une gosse. La preuve, tu viens ici te passer les nerfs sur moi alors que ça ne sert strictement à rien. Au lieu de ça, tu ferais mieux de chercher une solution.

– Je pensais que tu aurais peut-être une idée à me donner ! Dit-elle en faisant deux pas vers lui.

Il haussa les épaules.

– Il n'y a pas de remède miracle, dit-il. Apprends à t'imposer. Si tu n'y arrives pas, trouve quelqu'un que ton âge ne gênera pas.




Nao ressortit de son bureau, plus en colère encore que lorsqu'elle y était entrée.

– Espèce de... Commença-t-elle.

Jamais, par le passé, elle ne s'était retrouvée face à un problème pareil. Tous ses interlocuteurs jusque là avaient été impressionnés par ses connaissances juridiques malgré son jeune âge et ils s'en étaient remis à ses conseils avec bonne grâce.

Mais cela n'avait rien à voir avec le fait d'embaucher un avocat diplômé pour la représenter et travailler sous ses ordres.

Kisaki avait raison même si cela lui coûtait de l'admettre. Il n'y avait pas de solution miracle.

– Il ne me reste qu'une seule chose à faire, dit-elle tout haut.

Trouver la perle rare, compléta-t-elle pour elle-même.

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