38 - Recrutement

Le lendemain à la première heure, Nao se présenta dans le bureau de Kisaki.

– Je vais suivre ton conseil, dit-elle, et tâcher de me trouver un assistant compétent.

Elle y avait réfléchi une partie de la nuit une fois qu'elle était rentrée chez elle et elle avait compris que la meilleure chose à faire était de se tourner vers Tetta Kisaki. Lui-même avait embauché plusieurs personnes pour le seconder, il aurait certainement des conseils à lui donner.

Sauf que je lui ai aboyé dessus comme un pitbull hier...

Sans attendre la suite de sa phrase, Kisaki fit glisser une pochette cartonnée vers elle.

– Qu'est-ce que c'est ? S'étonna Nao.

Pendant une seconde, elle s'imagina que c'était le dossier qu'elle lui avait remis la veille et qu'il y avait décelé des erreurs grossières.

– Plusieurs profils qui pourraient convenir, lui dit-il. Je te conseille les numéros trois, sept et onze. Mais c'est toi qui vois. Sur le haut de la pile, je t'ai mis le CV d'une bonne secrétaire. Si elle te convient, embauche-la. Elle t'organisera les entretiens, tiendra ton agenda et pourra saisir et mettre au propre tous les documents que tu lui confieras. Tu peux lui faire confiance, c'est une fille sérieuse et discrète.

Stupéfaite, Nao feuilleta le document. Il contenait en effet plusieurs candidatures dont certaines portaient déjà des annotations. Sans doute Kisaki les avait-il auditionnés lui-même auparavant.

La fiche de la secrétaire se trouvait sur le dessus. Elle s'appelait Miki Fuda vit Nao. Elle avait vingt-deux ans, elle avait suivi des cours du soir pour devenir secrétaire l'année passée et elle venait de la campagne, du nord du Japon pour être précis.

– Si elle est si bien que ça, s'interrogea Nao, pourquoi tu ne l'as pas embauchée ?

Kisaki renifla sans même quitter son travail des yeux.

– Je l'ai fait, dit-il, mais cette petite dinde se met à pleurer dès que je hausse le ton. Je suis à deux doigts de la gifler pour la faire taire.

Nao réprima un rire.

– Tu lui fais peur ? Dit-elle.

Elle tourna les talons sans attendre de réponse.

Arrivée à la porte, elle hésita, la poignée dans la main.

– Merci, dit-elle, et... désolée pour hier.

– T'occupe, répondit-il. Je n'ai aucun intérêt à ce que tu tombes malade. Je me retrouverais à faire ton travail en plus du mien.

Nao sortit et elle regarda un moment la porte.

Kakucho avait raison, la seule chose qui intéressait Tetta Kisaki, c'était lui-même.

Je me demande quand même pourquoi il est comme ça...




Dès le jour suivant, Nao fit passer un bref entretien à la jeune Miki. Elle n'eut pas besoin de plus de quelques minutes pour se faire son idée. La jeune femme, avec son physique d'adolescente malgré son âge, était effacée et timide, mais pourtant avide de bien faire. Nao l'embaucha et lui confia immédiatement l'organisation du recrutement de ses assistants, plus toute une série de documents à trier et envoyer ainsi que plusieurs notes de synthèse à rédiger pour lui faire gagner du temps.

Miki se montra ravie de travailler pour elle. Tout valait mieux à ses yeux que d'être au service de Kisaki. Ce garçon du haut de ses seize ans la terrifiait.

Elle s'installa aussitôt parmi les autres employés de la Tenjiku Corp. et se mit à l'ouvrage.

De retour dans son propre bureau, Nao laissa échapper un soupir de soulagement.

Elle avait pris la bonne décision, Kakucho serait sûrement d'accord avec elle. Parfois, il fallait savoir prendre un peu de recul, quitter à s'arrêter en cours de route, juste pour ne pas aller droit dans le mur.

– Maintenant, je peux avancer, dit-elle tout haut en se remettant au travail.




Une semaine après, Nao avait embauché deux assistants avec l'aide de Miki et les dossiers qui lui avaient causé tant de nuits blanches furent bouclés en un temps record.

– Je dois reconnaître que Kisaki avait raison, dit-elle un soir chez les garçons. Avec un coup de main, tout va beaucoup plus vite.

Izana s'était installé dans le fauteuil, non loin du couple qui était assis sur le canapé. Il avait les jambes passées au-dessus d'un accoudoir et la tête posée sur l'autre.

– S'il y a une chose qu'on ne peut pas enlever à Kisaki, dit-il, c'est que c'est un homme avec les pieds sur terre. Pour lui, tous les moyens sont bons quand il s'agit d'atteindre son objectif.

Le bras de Kakucho autour de ses épaules, Nao médita ses paroles en silence.

C'était la vérité. Kisaki le reconnaissait lui-même. Tous les moyens étaient bons à prendre quand il avait un objectif en vue. Les meilleurs comme les pires.

Raison de plus pour s'en méfier.

Kakucho la sortit de ses pensées.

– En tout cas, dit-il en l'attirant contre lui, je suis content que tu ailles mieux.

– C'est vrai que tu avais vraiment une sale tête la semaine dernière, ajouta Izana. La preuve, j'ai trouvé un zombie endormi sur mon canapé en rentrant un soir !

Il rigola et Nao lui tira la langue.

– Il reste une chose dont je voulais te parler, dit-elle un instant plus tard en s'asseyant sur le bord du canapé.

En entendant le sérieux dans sa voix, Izana cessa immédiatement de rire.

– Oui quoi ?

La faculté avec laquelle il repassait en mode chef de gang dès que la situation l'exigeait l'impressionnait toujours.

Nao reprit.

– Jusqu'à présent, dit-elle, j'ai utilisé les services de juristes extérieurs à la compagnie. Ce sont pour la plupart des gens qui me doivent des services ou qui ignorent tout simplement pour qui ils travaillent. J'ai toute confiance en eux, sinon je ne les emploierai pas. Mais je pense qu'il serait temps d'avoir notre propre juriste qui nous servirait de vitrine et nous représenterait dans les instances officielles.

– Hmm ? Dit Izana. Ça n'est pas plus prudent d'employer des types qui ne connaissent rien de nos activités ?

– Dans une certaine mesure, oui, lui répondit Nao. Mais quand une compagnie commence à avoir un peu de notoriété, cela finit par attirer l'attention. Les gens se demandent ce que cette société peut avoir à cacher, pourquoi elle emploie des types qui sortent de nulle part, et je crois que nous faire remarquer, c'est la dernière chose que nous voulons.

Izana se redressa de ce mouvement souple et félin qui avait toujours été le sien et il joignit les mains à hauteur de son visage.

– Tu veux mon autorisation pour embaucher un véritable avocat ? Dit-il.

– C'est ça, je pense que le moment est venu.

Izana réfléchit, puis il se réinstalla en travers du fauteuil, la tête sur l'accoudoir et les jambes pendant de l'autre côté.

– Très bien, dit-il. Fais-le.

– Vraiment ?

Nao était surprise de la rapidité avec laquelle elle l'avait convaincu.

– Bien sûr, reprit Izana. Tu es notre spécialiste juridique, si tu me dis de faire un truc, je le fais.

Au bout d'une seconde, Nao sourit. Même si Izana continuait à les qualifier de serviteurs,  Kakucho et elle, tous les deux étaient plus que cela à ses yeux. Simplement Izana ne le reconnaîtrait jamais.

– Dans ce cas, je vais commencer à chercher quelqu'un, dit-elle. Je vais demander à Kisaki de me préparer quelques dossiers, il aura sûrement des noms en tête. Je ferai passer les entretiens au plus vite et on devrait avoir notre avocat dans quelques semaines.

Elle n'avait pas idée à quel point elle se trompait.




Kakucho la raccompagna chez elle et, arrivés au bas de la résidence, il la retint.

Nao revint vers lui, posa la main sur son torse et leva les yeux pour plonger dans les siens.

Son regard faisait toujours naître une multitude de frissons dans son corps. De ceux qui lui donnaient l'impression d'être parcourue de minuscules décharges électriques plutôt agréables.

Kakucho glissa la main dans son cou et saisit sa mâchoire du bout des doigts.

– Tu es sûre que ça va mieux ? Lui demanda-t-il en l'examinant.

Elle rit.

– Oui, ne t'en fais pas. Je laisse les tâches ingrates et fatigantes à mes assistants maintenant. C'est pour leur santé à eux qu'il faut s'inquiéter désormais.

Il continua à la scruter d'un air grave, mais, rongée par l'impatience, Nao se hissa sur la pointe des pieds pour passer la main dans sa nuque et s'emparer de ses lèvres.

Kakucho répondit aussitôt à son baiser.

Ses lèvres, douces et fermes, dansèrent avec les siennes, comme si elles s'appliquaient à suivre le ballet que Nao leur imprimait sans prendre les devants.

Lorsqu'ils s'écartèrent, Nao avait le souffle court et les joues rouges, mais Kakucho semblait toujours maître de lui.

– Tu devrais aller dormir, lui dit-il.

Elle hocha la tête, les idées encore trop embrumées par leur baiser pour répondre.

Elle tourna les talons et s'arrêta à la porte pour lui faire un dernier signe.

– À demain, dit-elle.

Il lui rendit son au revoir, avant de disparaître au bout de la rue sur sa moto.

Dans l'ascenseur, Nao effleura ses lèvres du bout des doigts, pensive.

Depuis quelque temps, Kakucho était ainsi lors de leurs moments intimes. Distant, légèrement absent. Presque indifférent.

Elle fronça les sourcils et s'adossa à la paroi de la cabine.

Est-ce que c'est de ma faute ? Est-ce que j'ai fait quelque chose qu'il ne fallait pas ?

Ces questions revenaient encore et encore dans son esprit.

Et elles étaient toujours suivies de la même.

Est-ce qu'il ne m'aime plus... ?

Elle secoua la tête pour chasser cette idée.

Kakucho était toujours aussi doux et attentionné, cela n'avait pas changé. Il recherchait sa compagnie, semblait y prendre du plaisir. Il n'y avait que pendant ces moments, ceux où ils partageaient des gestes tendres qu'il paraissait se raidir et s'éloigner.

Je me fais peut-être des idées, se dit-elle en arrivant à l'étage de son appartement. Si ça se trouve, il est juste fatigué lui aussi.

Elle sortit sa clé de son sac en s'efforçant d'oublier ses inquiétudes.

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