37 - Break
Nao finit de remplir le dossier et elle le tendit à Kisaki qui attendait de l'autre côté de son bureau, derrière la pile de papiers qu'il était en train de traiter.
– C'est pas trop tôt, dit-il en feuilletant la liasse.
– Oui et bien tu m'excuseras de n'avoir que deux bras ! Répliqua-t-elle acerbe.
Les dernières affaires en date de l'organisation lui prenaient tellement de temps qu'elle venait de faire plusieurs nuits blanches pour en boucler une. Elle manquait de sommeil, elle manquait de temps... Il lui semblait qu'elle manquait de tout en ce moment !
Kisaki leva les yeux du dossier.
– Si tu prenais un ou deux assistants comme je te l'ai recommandé, dit-il, tu n'en serais pas là.
Nao se retint de l'insulter.
Il avait raison, elle le savait. Mais l'idée de laisser une affaire sensible entre les mains de néophytes la glaçait d'effroi.
Kisaki parut lire dans ses pensées.
– Tu n'es pas obligée de leur confier les parties les plus importantes du dossier, lui dit-il. Tu n'as qu'à leur déléguer les tâches répétitives...
– J'y penserai, dit-elle sans aucune intention de s'occuper de cela pour l'instant.
J'ai déjà assez de travail sans partir à la pêche à l'assistant compétent.
Une heure plus tard, Kakucho parut à la porte de son bureau.
– Hey, dit-il, ça te dit qu'on aille déjeuner ?
Nao leva les yeux de son travail. Elle avait l'impression qu'il ne s'était écoulé que quelques minutes depuis que Kisaki était parti.
Elle tendit la main vers son téléphone et écarquilla les yeux en voyant l'heure.
– C'est pas vrai ! S'écria-t-elle. Il est si tard que ça ? Non, non, non... Je n'ai pas fini !
En voyant sa réaction, Kakucho entra et ferma la porte derrière lui.
– Nao ça va ? Dit-il.
Elle s'était pris la tête dans les mains, la respiration paniquée.
– Oui... Non... Je ne sais pas... dit-elle. Je n'ai pas le temps de déjeuner... Je dois finir ça au plus vite !
Elle ramena le paquet de feuilles qu'elle avait repoussé sur le côté en prenant son téléphone et ses doigts saisirent son stylo en tremblant.
Kakucho vint s'emparer de sa main et il lui fit lâcher le stylo.
– Regarde-moi, dit-il.
Elle leva les yeux vers lui et ce qu'il vit ne lui plut pas.
Il se redressa et sortit son téléphone.
– Izana ? Dit-il une seconde plus tard. J'emmène Nao, elle prend son après-midi, ça te va ?
La réponse de Izana bourdonna dans l'appareil, mais Nao ne l'entendit pas.
– Oui, reprit Kakucho. Bien sûr, pas de problème.
Puis il raccrocha.
– Prends ta veste, dit-il, on mange dehors.
– Je n'ai pas le temps Kakucho, j'ai du travail à terminer...
Même elle perçut la détresse dans sa voix.
Il se pencha vers elle, prit son menton entre ses doigts et amena son visage près du sien.
– Pour aujourd'hui, dit-il, tu n'as plus rien à terminer.
– Mais...
– Pas de mais, insista-t-il.
Tous les deux quittèrent le bâtiment, Kakucho tenant Nao par le coude. Arrivée sur le trottoir, elle grimaça, éblouie par le soleil d'hiver. Elle était si peu sortie ces derniers jours que tout lui semblait trop vif, les bruits, la lumière...
– Tu préfères un ramen ou un curry ? Lui demanda-t-il.
Elle le regarda sans paraître comprendre sa question. Elle était tellement fatiguée que même les décisions les plus simples lui semblaient compliquées.
Kakucho fronça les sourcils et décida pour eux.
– Un curry, dit-il, c'est juste à côté.
Ils se dirigèrent vers le restaurant familial qui occupait le coin de la rue et Kakucho choisit un box à l'écart, dans le fond de la salle.
En attendant la serveuse, il regarda Nao de plus prêt. Elle avait les yeux rouges et les traits tirés. Ses mains tremblaient au moindre geste et elle semblait avoir du mal à fixer son attention.
– Depuis combien de temps tu n'as pas dormi ? Dit-il.
Elle se redressa, comme prise en faute, tenta de reprendre une contenance et se passa les deux mains sur le visage avec un maigre sourire.
– C'est bon, dit-elle, j'ai juste un peu de travail en retard. Mais tout va bien. Ne t'en fais pas.
– Bien sûr que non ça ne va pas Nao. Regarde-toi.
Elle ne put répondre et il posa sa main sur la sienne. La chaleur de ses doigts se répandit sur sa peau et elle soupira d'aise.
Elle retourna sa main pour prendre la sienne et serra ses doigts. Son contact était si agréable. C'était comme s'il lui insufflait l'énergie qui lui manquait au travers de la paume de sa main.
– Ce n'est rien, lui assura-t-elle. Le travail s'est accumulé, c'est tout, ce sont des choses qui arrivent. Mais ça va, ne t'inquiète pas.
– Ça ne va pas Nao, je m'inquiète, dit-il, tu tiens à peine debout.
Nao voulut répondre, mais elle fut interrompue par la serveuse qui vint prendre leurs commandes.
Lorsqu'elle repartit, Nao reprit.
– Je te promets que je vais bien, dit-elle. C'est juste un petit coup de fatigue. Nous sommes sur plusieurs affaires importantes en ce moment et si je... si jamais...
Elle chercha ses mots, bafouilla, mais ne réussit pas à finir sa phrase.
Tout à coup, ses mains se remirent à trembler et toute la fatigue et la nervosité accumulées depuis plusieurs jours fondirent sur elle. Nao sentit les larmes couler sur ses joues avant d'avoir pu les retenir.
– Je suis désolée... Bredouilla-t-elle. Je suis désolée...
Elle s'essuya maladroitement le visage et Kakucho retourna chercher sa main.
– Tu vois bien que j'ai raison, dit-il, tu n'es pas en état de travailler. Tu dois te reposer.
– Mais c'est important... Tout le monde compte sur moi...
– Ils attendront bien une journée, lui assura-t-il.
– J'aurais voulu... J'aurais tellement aimé... Dit-elle. Mais je n'y arrive pas... Je suis tellement fatiguée... Kisaki a raison... Je ne peux pas tout faire toute seule...
– Pour une fois que cet abruti dit quelque chose de sensé.
Nao s'immobilisa et elle leva les yeux vers lui.
La seconde suivante, elle se mit à pouffer. Elle ne savait plus si elle voulait rire ou pleurer. Elle était si fatiguée qu'elle n'avait plus de contrôle sur ses émotions.
Lorsque la serveuse revint avec leurs plats, Nao en profita pour se détourner et piocher un mouchoir en papier dans son sac. Elle se tamponna les yeux avec, la respiration encore saccadée.
– Merci Kaku, dit-elle en retournant prendre sa main quand ils furent à nouveau seuls.
– C'est normal, lui dit-il. Promets-moi que tu vas lever un peu le pied. Je veux que tu prennes soin de toi. Je n'aime pas te voir comme ça.
Il avait l'air vraiment inquiet.
– D'accord, dit-elle, c'est promis. Dès demain, je vais tâcher de trouver un ou deux assistants et aujourd'hui je vais me reposer.
Les doigts de Kakucho se resserrèrent sur les siens.
– Je préfère ça.
Les plis sur son front ne disparurent pas toutefois.
Il reprit.
– Ça m'ennuie beaucoup de ne rien pouvoir faire pour t'aider, dit-il. Si seulement j'étais un peu plus intelligent, tu pourrais te reposer sur moi...
Ce fut au tour de Nao d'être choquée.
Elle serra ses doigts entre les siens.
– Ne dis pas ça ! Le coupa-t-elle. Tu es parfait comme tu es ! Tu es toujours là pour moi ! Je ne sais pas ce que je deviendrais sans toi ! Je ne voudrais pas que tu sois autrement pour tout l'or du monde !
Kaku parut surpris. Puis il sourit.
Il porta la main de Nao à ses lèvres et embrassa le bout de ses doigts.
– Allez, mangeons.
Une fois le repas terminé, Nao sortit sur le trottoir et Kakucho la rejoignit après avoir payé.
Elle fit quelques pas et il vint vers elle.
– Je vais rentrer me reposer maintenant, dit-elle.
Kakucho lui reprit le bras.
– En fait, dit-il, j'ai une meilleure idée...
Nao le regarda sans comprendre et il poursuivit.
– Un de nos clients a offert une boîte de yukimi daifuku haut de gamme à Izana hier, ça te dirait d'y goûter ?
(NDA : yukimi daifuku, mochi glacé, spécialité japonaise à base de farine de riz gluant fourrée de crème glacée et de pâte de fruit.)
– Il ne va pas être content si on en mange, lui fit-elle remarquer.
– Tu serais surprise de voir à quel point je sais mentir, dit-il.
Il y avait une lueur espiègle dans son regard et Nao sourit.
– Et puis, reprit-il, c'est pour la bonne cause. Je suis sûr que si je te laisse rentrer chez toi, tu finiras par travailler.
Nao ne pouvait pas dire le contraire, l'idée lui avait traversé l'esprit.
Elle glissa son bras sous le sien.
– Très bien, dit-elle, je te suis, allons voler les daifuku du boss, mais tu devras me protéger quand il l'apprendra.
Arrivée dans l'appartement que Kakucho partageait avec Izana, Nao alla s'asseoir sur le canapé pour admirer la vue pendant que Kakucho gagnait la cuisine.
Il fouilla dans le congélateur à la recherche des pâtisseries.
– Tu veux du thé avec ? Lui dit-il.
– Hmm... Répondit-elle à mi-voix depuis le séjour.
Il sortit la boîte et commença à disposer les mochis sur une assiette.
– C'est étrange quand même, reprit-il, je suis surpris que Kisaki t'ait suggéré d'engager quelqu'un pour t'aider. Moi je pensais que ce type ne pensait qu'à lui.
Un silence lui répondit depuis le séjour. Étonné, Kakucho leva les yeux vers le salon et il vit que Nao s'était endormie sur le canapé, les genoux repliés sous elle et la tête posée sur le coussin que Mikey étreignait quand il dormait chez eux.
Il sourit, la rejoignit et s'assit dans le fauteuil voisin.
Pendant un instant il la regarda dormir, puis, mu par une impulsion subite, il se pencha, écarta une mèche de cheveux qui s'était égarée sur sa joue et il lui embrassa le front.
– Je ferai de mon mieux pour te protéger, souffla-t-il. Je te le promets.
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