25 - Conscience et réflexion
Les semaines suivantes, Nao eut fort à faire. D'abord, comme elle se l'était promis, elle quitta le foyer pour jeunes filles dans lequel elle vivait depuis qu'elle était sortie de l'orphelinat et emménagea dans son propre logement.
Elle partit sans regrets. Elle n'avait pas beaucoup de souvenirs dans ce foyer et les seuls qui se rapportaient à Izana et Kakucho ne lui étaient pas agréables.
Un des hommes avec qui le Tenjiku était en affaires lui trouva un petit appartement, à deux pas d'Isezakichō, le quartier de divertissements de Yokohama où le clan avait son business, et il signa en son nom, comme il l'avait fait pour Izana et Kakucho.
C'était Kakucho qui les avait mis en contact quelques jours après qu'il soit venu la chercher.
– On a aussi eu recours à ses services avec Izana, lui avait-il expliqué. On loue un appartement ensemble à la sortie de Minatomirai 21. Il n'est pas très grand, mais c'est un début. Il faudra que tu viennes voir, je te ferai visiter.
Nao avait éludé le sujet.
Depuis qu'ils s'étaient retrouvés Kakucho et elle, elle évitait le plus souvent de parler de Izana.
La raison en était simple. Elle ne savait pas où elle en était.
L'admiration éperdue qu'elle vouait à Izana lorsqu'elle était enfant avait laissé la place à un sentiment de trahison qui s'était profondément ancré dans son cœur pendant des années. Même encore maintenant, elle ignorait ce qu'elle ressentait vraiment pour lui aujourd'hui.
Elle préférait attendre d'être au clair avec elle-même avant de le revoir.
Le modeste deux pièces dans lequel elle déposa ses affaires se trouvait juste au-dessus d'un restaurant, dans une petite rue de traverse, et, aux heures des repas, il en montait des odeurs qui mettaient à la bouche.
– Tu es sûre que ça te va ? Lui demanda Kakucho qui était venu l'aider à emménager. Ça n'est pas très luxueux...
– C'est parfait, répondit-elle, l'endroit est passant, j'ai vu sur la rue et l'entrée commune avec les cuisines du restaurant me garantit que personne ne pourra monter sans être remarqué.
Kakucho lui jeta un regard. Puis il sourit. Nao revint vers lui.
– Pourquoi tu souris ? Dit-elle.
– Pour rien, dit-il, tu as changé, c'est tout.
Ce n'était pas la première fois qu'il le lui disait. Cette perspective semblait étrangement lui plaire, comme s'il découvrait une personne dans laquelle il se reconnaissait.
– De toute façon, reprit-elle en retournant défaire sa valise, je ne vais pas avoir le temps de m'ennuyer avec tout le travail que j'ai à faire.
Tetta Kisaki avait pris leur nouvelle association très au sérieux et il lui avait déjà délégué plusieurs dossiers dont il s'occupait. Dans la plupart des cas, il s'agissait de faire libérer de prison ses complices, ceux dont il s'était servi pour mener à bien les différentes parties de son plan.
Il n'y avait rien de très compliqué en soi, mais Nao aimait le travail bien fait. Celui qui ne laissait pas de trace de son passage.
Comme à son habitude, elle travaillait par l'entremise de juristes à qui elle faisait parvenir ses consignes. Ces derniers étaient généralement spécialisés dans la défense des criminels ou bien ils accordaient simplement plus d'importance à leurs honoraires qu'à la justice. Les conseils que Nao leur avait fournis gratuitement à ses débuts leur avaient permis d'étendre leur clientèle et maintenant ils lui rendaient à leur tour service en traitant ses dossiers auprès des cours de justice. Si Nao avait les connaissances, elle n'avait en revanche pas les diplômes qui lui auraient donné accès aux tribunaux.
Cela ne la gênait pas vraiment. Elle préférait éviter de laisser son nom apparaître dans les registres officiels, cela valait mieux quand on visait un objectif comme le sien.
– Je vais y aller, lui dit alors Kakucho en se tournant vers la porte. On se fait toujours un resto samedi ?
Nao, qui s'était déjà installée au milieu de ses dossiers, leva la tête.
– Bien sûr, je suis impatiente !
Elle le regarda partir et il ferma derrière lui.
Kakucho prenait vraiment leur réconciliation à cœur. Il n'avait de cesse de lui proposer de sortir dès que le gang lui laissait un peu de temps, que ce soit pour aller manger ensemble ou simplement pour aller se balader et discuter. Pourtant, il était très pris en ce moment. Izana avait un projet de grande envergure qu'il s'attachait à mettre en œuvre avec l'aide de Kisaki, et les membres du gang ne chômaient pas.
Izana souhaitait rien moins que de s'emparer de la capitale.
S'ils y arrivent, se dit-elle, le Tenjiku dont il rêve sera à portée de la main.
Un élément cependant revenait sans cesse la travailler. Le crime pour lequel Tetta Kisaki voulait être couvert personnellement.
C'était un meurtre.
Nao étala devant elle les informations qu'il lui avait fournies.
Nom, âge, adresse, emploi du temps.... Rien ne manquait.
Il a bien l'intention de supprimer cette fille.
Jusqu'à présent, les infractions pour lesquelles elle avait utilisé ses connaissances étaient des délits mineurs pour lesquels on n'encourait guère plus que quelques années de prison au grand maximum.
C'était la première fois qu'elle allait prêter main-forte à un meurtre.
Je savais que j'en arriverais là un jour, se dit-elle, c'est la voie que j'ai choisie...
Mais il y avait un pas immense à franchir entre le savoir et se jeter à l'eau.
Nao examina à nouveau la photo de la jeune fille blonde que Kisaki avait jointe au dossier. Au début, elle n'avait pas compris pourquoi Kisaki avait mis le cliché là. À quoi cela allait-il bien pouvoir lui servir de voir la tête de leur victime ?
Puis elle avait réalisé.
Il veut voir si je serais capable de le faire après avoir vu le visage de celle que nous comptons tuer.
Emma Sano était plutôt jolie et, de ce que savait Nao, elle n'avait aucun lien avec le monde de la délinquance si ce n'était que son grand frère était le boss du plus grand gang de Tokyo. Elle avait quinze ans et n'avait pas d'autre parent en dehors de son grand-père.
Nao imaginait sans mal les grandes lignes du plan de Kisaki. La petite sœur morte, le grand frère serait anéanti et son gang tomberait facilement.
Elle reposa le cliché.
Impossible de faire carrière dans le crime organisé sans en passer par le meurtre, elle l'avait toujours su.
Mais maintenant que le moment était arrivé, elle se demandait si elle y arriverait.
Nao se remit au travail en réfléchissant.
Est-ce que je suis vraiment prête à laisser tuer quelqu'un ? Une innocente qui n'a rien à se reprocher ?
Il lui fallut une seconde pour se rendre compte qu'elle connaissait déjà la réponse à sa question.
Notre victime... celle que nous comptons tuer... C'était ainsi qu'elle parlait de Emma Sano lorsqu'elle pensait à elle.
Son choix était déjà fait depuis longtemps comprit-elle. Il était fait depuis le jour où elle avait ramassé ce livre dans la librairie et où elle avait décidé de vivre en aidant des criminels.
Je sais que ce crime ne sera pas seulement celui de Kisaki, mais celui de tous ceux qui auront joué un rôle. Moi y compris.
Cette pensée n'était pas forcément agréable, mais elle avait l'avantage de fortifier sa résolution. Si elle voulait continuer dans cette voie, elle devait en passer par là. Alors mieux valait le faire bien.
Restait un point important.
Tremper dans un meurtre, c'était courir de bien plus gros risques qu'avant et, du peu qu'elle avait pu voir, Tetta Kisaki était le genre de garçons à se servir de tout ce qui lui tombait sous la main pour manipuler ses alliés à sa guise.
Hors de question de le laisser utiliser la moindre pièce de ce dossier pour me piéger. Je dois garder le contrôle dans cette affaire, que ce soit avec lui ou même face à Izana.
Nao entendait bien assurer ses arrières de la façon la plus complète possible. Et pour cela, elle avait déjà sa petite idée.
Plus elle y réfléchissait, plus elle se rendait compte que cette affaire allait représenter un tournant dans sa vie.
Soit je réussis et je pourrais traiter avec eux sur un pied d'égalité, soit j'échoue et je me retrouve à leur botte jusqu'à la fin de mes jours.
C'était sa vie toute entière qui était en jeu.
Désolée pour toi, Emma Sano.
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