21 - Négociations

Nao changea son sac de course de bras en entendant son téléphone sonner. Elle le sortit et consulta le message.

Rien d'urgent, ça pourrait attendre lundi.

Elle le rangea et reprit la route pour le foyer qui apparaissait déjà au bout de la rue.

Le dimanche soir, c'était elle qui était chargée des courses et du repas.

La cuisine ça n'avait jamais été son fort, mais le règlement du foyer était clair. Chacune des filles s'occupait à tour de rôle du ménage, des courses, des repas...

Je devrais peut-être chercher un autre endroit où vivre ? Se dit-elle.

Ça n'était pas la première fois qu'elle se faisait cette réflexion. Ses années de travail avaient payé et, si elle le voulait, Umemiya s'arrangerait pour qu'elle touche une part plus importante des bénéfices de leurs affaires.

Il me suffirait de trouver quelqu'un qui signe pour moi et je pourrais avoir mon propre appartement... Oui, mais le foyer a quand même des côtés pratiques. D'abord je ne suis pas seule, et puis c'est grand...

Même si Nao n'avait pas développé avec les filles du foyer les mêmes liens qu'elle avait autrefois avec les enfants de l'orphelinat, l'idée d'aller vivre toute seule dans un petit studio étriqué ne l'attirait pas.

Pas besoin de se presser... Conclut-elle. Mieux vaut mettre de l'argent de côté. Ça m'évitera de devoir aller vivre dans un appartement minuscule.

En arrivant à proximité du portail, elle fit un petit signe de tête au garçon chargé de sa protection appuyé contre un réverbère, non loin, et ce dernier se redressa.

Les Wind Breaker prenaient vraiment sa sécurité au sérieux.

Son garde du corps disparut dans la ruelle voisine et elle se dirigea vers l'entrée du foyer.

– Nao Kihito ? Dit une voix.

Nao se retourna et vit un gamin qui devait avoir treize ou quatorze ans approcher.

Il avait les mains dans les poches et l'air sûr de lui. 

Il pouvait. Il avait attendu que le membre du gang s'en aille pour l'aborder. Ça voulait dire qu'il savait qui elle était et pour qui elle travaillait. 

En plus, il l'avait appelée par son nom.

Sa présence l'intrigua et elle se tourna vers lui.

– Je m'appelle Tetta Kisaki, reprit-il, et j'aimerais qu'on discute.




Dix minutes plus tard, Nao avait déposé les courses à l'intérieur et elle était ressortie.

Kisaki piquait sa curiosité, elle devait le reconnaître. Il avait pris ses renseignements sur elle. Ça ne devait pas être n'importe qui.

Le garçon l'attendait de l'autre côté de la rue, à l'endroit où se tenait le membre des Wind Breaker quelques instants plus tôt.

– Tu voulais me parler ? Dit-elle.

Il avait une allure de voyou, mais elle était dans la rue et en vue du foyer, elle ne risquait pas grand-chose.

Kisaki se redressa.

– On va boire un verre ? Dit-il. On sera plus à l'aise pour parler.

Elle fronça les sourcils et il ajouta :

– Tu choisis l'endroit, on peut même aller dans un lieu public si tu préfères, du moment qu'on peut parler tranquillement.




Nao finit par accepter et ils rejoignirent le petit salon de thé qui faisait l'angle de la rue, à deux pas du boulevard qui menait à la gare. 

Ils choisirent une table en retrait, contre le mur du fond, et la serveuse vint prendre leur commande.

– Prends ce que tu veux, lui assura Kisaki, c'est moi qui invite.

Nao choisit un café et il se contenta d'un soda.

– Alors, reprit-elle une fois qu'ils furent seuls. De quoi voulais-tu me parler ?

– Avant, dit-il, j'aimerais qu'on mette les choses au point...

– Hmm ?

– Je sais qui tu es, dit-il, et je sais ce que tu fais et pour qui tu travailles.

Nao croisa les mains à hauteur de son visage et sourit.

– Tu me menaces ? Dit-elle.

Ce gamin avait de l'aplomb. Elle en avait envoyé en prison pour moins que ça.

Kisaki se pencha en avant.

– Pas du tout, dit-il. En fait, c'est même tout le contraire. J'admire ton travail !

Une lueur s'était mise à briller dans son regard.

Il poursuivit.

– J'aimerais beaucoup apprendre à faire ce que tu fais, dit-il, mais j'ai dans l'idée que cela t'a pris des années de travail. Alors je voudrais te proposer autre chose...

Il se redressa et dit :

– Toi et moi, on s'associe.

Nao le regarda un instant en silence. Puis elle étouffa un rire.

– Qu'est-ce qui te fais croire que je veux m'associer avec toi ? Dit-elle enfin.

– Plusieurs raisons. La première, c'est que je connais parfaitement le monde des gangs, depuis Tokyo jusqu'à Yokohama, et que j'ai mes entrées dans plusieurs d'entre eux. Je peux t'offrir des perspectives bien plus vastes que ces minables de Tsubame Ouest...

Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il avait une très haute opinion de lui-même.

Reste à savoir si elle est justifiée... Se dit Nao.

– Et la seconde, poursuivit Kisaki, c'est que grâce à moi, tu pourras mettre la main sur le Yokohama Tenjiku et sur Izana Kurokawa.

Nao ne put masquer sa surprise cette fois. Elle se ressaisit aussitôt.

– Pourquoi est-ce que je voudrais mettre la main sur lui ? Demanda-t-elle.

Il sourit.

– Je remarque que tu n'as pas nié le connaître, dit-il.

Nao ne dit rien et il continua.

– J'ai découvert que toi et lui, vous aviez grandi dans le même orphelinat, dit-il. Le reste, c'est une simple déduction.

Elle sirota son café pour se donner le temps de la réflexion.

Il est malin, peut-être pas autant qu'il le pense, mais il est futé.

Elle se demanda si c'était là la chance qu'elle attendait.

Après tout, peut-être qu'il est temps ?

– Qu'est-ce que tu entends par association ? Reprit-elle.

– J'ai quelques projets en tête et j'aurais besoin de tes talents pour me couvrir, dit-il. En échange, je t'offre le Tenjiku.

Nao l'examina longuement.

Puis elle se redressa.

– Tu as déjà rencontré Izana ? Dit-elle.

– À une ou deux reprises, reconnut-il. Mais ce soir, nous avons une entrevue avec tous les cadres du gang pour la première fois mon autre associé et moi.

Elle réfléchit.

– Je veux être présente, dit-elle.

Kisaki tiqua.

– Ça peut être dangereux... Lui fit-il remarquer.

Elle rit de nouveau.

– Tu t'inquiètes pour ma sécurité ou bien pour tes projets ? Dit-elle.

Il s'appuya contre le dossier de la banquette.

– Les deux, dit-il.

Ce fut à son tour de réfléchir.

– Très bien, dit-il au bout d'un moment. Si je vois que Izana est disposé à discuter, je t'appelle et tu pourras nous rejoindre. Ça te convient ?

– C'est parfait, répondit-elle.

Kisaki reprit.

– On doit se retrouver ce soir au sommet du Minatomirai center building. J'imagine que tu vois où c'est...?

– Tout à fait, acquiesça-t-elle.

Le Minatomirai Center Building. Un complexe de bureaux et de commerces situé dans le quartier flambant neuf de Minatomirai 21, juste en face du parc d'attractions – le Cosmo Word – et de sa grande roue. Le Tenjiku avait fait du chemin depuis le vieil entrepôt de Negishi Bay.

Rien d'étonnant, se dit-elle, moi aussi j'ai changé... Cela fait presque quatre ans après tout...

Elle reposa sa tasse à présent vide.

– Je me débrouillerai pour être à proximité, dit-elle.

Kisaki lui tendit la main par-dessus la table.

– Si j'obtiens ce que je veux ce soir, conclut-il, alors toi aussi.




Nao le regarda s'éloigner depuis le pas de la porte du salon de thé.

On dirait que le moment est venu...

Cette idée faisait battre son cœur à un point qu'elle n'aurait pas cru possible. 

Lorsqu'elle reprit le chemin du foyer, elle avait le sourire aux lèvres.

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