Kisaki était furieux. 

Il se retenait d'arpenter la ruelle à grands pas pour une seule raison. Parce que s'il y avait bien une chose qu'il détestait presque autant que perdre, c'était se donner en spectacle.

Hanma était adossé au mur voisin et il le regardait, une cigarette aux lèvres et son éternel petit sourire en coin.

Ce bâtard de Hanagaki, grinça Kisaki les poings serrés. Tout est de sa faute, encore une fois il s'est mis en travers de mon chemin !

Quelques heures plus tôt, Kisaki, Hanma et la totalité de leurs hommes s'étaient fait virer du Tokyo Manji, le gang de Manjirō Sano, le petit frère de Shinichiro. Pourtant Kisaki était persuadé d'avoir réussi son coup cette fois, même si tout ne s'était pas déroulé comme il le voulait. Le Black Dragon était passé sous le contrôle du Toman avec toutes ses relations et ses richesses et le gang de Mikey était devenu le plus puissant de la capitale.

Pendant quelques minutes seulement.

Ensuite, Mikey les avait dégagés, lui, Hanma et leurs hommes issus des anciens Moebius et Valhalla, deux clans qui avaient été soumis par le Toman.

Après tout ce que j'ai fait pour lui, il me fout à la porte comme ça ! Alors que c'est à moi qu'il doit la grandeur du Toman d'aujourd'hui ! À moi seulement !

Kisaki était allé jusqu'à se traîner au pied de Mikey devant tout le monde pour le convaincre de revenir sur sa décision, en vain. Le boss lui avait tourné le dos.

Je me suis ridiculisé et tout ça pour rien... Mais il va me le payer... Ils vont tous me le payer !

Hanma se redressa et il vint vers lui.

– Alors Kisaki, dit-il, on fait quoi maintenant ? On laisse tomber ?

Kisaki ne prit même pas la peine de se retourner.

– Bien sûr que non, pour qui tu me prends ? Dit-il.

Il réfléchit. Tout n'était pas perdu, bien au contraire. Mais il avait espéré ne pas avoir à en arriver là.

Il va falloir que je me salisse les mains... comprit-il. Mais pour ça, j'ai intérêt à préparer mon coup avec soin... Pas question d'échouer cette fois. Si seulement Hanagaki ne s'était pas mêlé de mes affaires...

Mais il était trop tard pour y penser.

Kisaki leva un œil vers Hanma. Ce dernier souriait de toutes ses dents.

– J'espérais bien que tu dirais ça, dit Hanma. Alors ? C'est quoi le plan ?

Kisaki sourit à son tour et il releva ses lunettes du bout du doigt.

– Tu vas adorer...

Au moins Hanma était toujours là. Lui, tout ce qu'il demandait, c'était de la baston et du sang. Rien de plus. Un garçon simple. 

Le clown et le Dieu de la Mort. 

Voilà des surnoms qui leur convenaient parfaitement, surtout ce soir.

Le lendemain, Kisaki et Hanma prirent le train pour Yokohama.

– Et tu es sûr que ce Izana acceptera de t'écouter ? Demanda Hanma.

Le plan de Kisaki lui semblait reposer entièrement sur un type dont il n'avait jamais entendu parler et qui ne vivait même pas à Tokyo.

– Aucun problème, répondit Kisaki. Izana déteste Mikey. Il le hait même. Il fera tout ce que je lui demande si c'est pour le détruire, lui et son gang.

– Oh ? Et pourquoi il le déteste à ce point ?

– Parce que Izana et Mikey sont frères.

Cette fois Hanma était surpris.

Deux ans plus tôt

La lumière des réverbères éclairait à peine le petit parc. Plongé dans l'ombre, assis seul sur un banc, Izana était méconnaissable. Il avait les cheveux sales et emmêlés, le menton mal rasé et le regard hagard. Il n'était plus que l'ombre de lui-même.

Kisaki s'approcha et il s'immobilisa au-dessus de lui. 

Il lui jeta un regard méprisant accompagné d'un reniflement.

– Voilà ce qu'est devenu l'homme le plus fort de sa génération, hein ? Dit-il.

Izana ne répondit pas. Il ne leva même pas la tête. Rien n'avait plus d'importance à ses yeux.

Quelques semaines auparavant, Shinichiro était mort, assassiné dans sa boutique par un cambrioleur.

Mais pas n'importe quel cambrioleur. Un gamin de treize ans. Un ami de Mikey.

Le destin jouait parfois des tours cruels.

Kisaki reprit.

– Je suis venu te voir parce que je voulais te proposer de faire du Tenjiku le plus grand gang que le Japon ait jamais vu.

Izana n'écoutait toujours pas. Tout cela ne l'intéressait plus.

Au-dessus de lui, Kisaki fit la moue.

– Je vois que je perds mon temps, dit-il. C'est dommage, parce que cela t'aurait aussi permis de détruire Manjirō Sano.

il tourna les talons, mais Izana l'arrêta d'un mot.

– Attends... Qu'est-ce que tu viens de dire ?

Les mains dans les poches, Kisaki revint vers lui.

– J'ai dit que si tu suivais mes directives, tu pourrais faire du Tenjiku le plus grand gang du Japon et détruire Mikey en même temps.

Dans le train qui les menait à Yokohama, Hanma ricana.

– Qui aurait cru que ça serait si simple ? Dit-il.

Kisaki grimaça. Ça n'avait rien eu de simple contrairement à ce que croyait Hanma. D'abord, Kisaki avait dû découvrir les liens qui unissaient Izana Kurokawa et Shinichiro Sano. Puis il lui avait fallu aller le trouver.

La mort de Shinichiro à ce moment-là l'avait bien servi, il devait le reconnaître. Un homme comme Izana Kurokawa était plus facile à manipuler lorsqu'il était au fond du gouffre.

Kisaki se renfonça dans son siège.

Mais on était à présent loin de son plan d'origine.

Au départ, ce qu'il voulait, c'était faire du Toman le plus grand gang de la capitale avant de lancer les deux frères l'un contre l'autre. Il n'aurait plus eu ensuite qu'à se poser en médiateur, comme il l'avait fait avec le Valhalla, avant de remettre Mikey entre les mains de Izana. Mikey, comme Izana, avait très mal vécu la mort de son frère. Mais contrairement à Izana, Kisaki avait fait en sorte que ce ne soit pour lui que le début d'une longue liste de pertes. Quelques mois plus tôt, il avait monté les anciens membres fondateurs du Tokyo Manji les uns contre les autres, et l'un des plus proches amis de Mikey, Keisuke Baji, y avait laissé la vie.

Sans compter cet abruti de Pachin qui s'est fait coffrer, comme Kazutora.

Aujourd'hui, il ne restait plus autour de Mikey que son bras droit, Draken, et l'ami d'enfance de ce dernier, Takashi Mitsuya.

Et bien sûr Takemichi Hanagaki.

– ... pas trop risqué ? Demanda Hanma.

Kisaki qui ne l'écoutait qu'à demi, leva la tête.

– Hmm ?

– Je dis, reprit Hanma, pourquoi tu veux te salir les mains toi-même cette fois ? C'est pas trop risqué ?

– Si, mais je n'ai pas le choix et puis ça apprendra à ce bâtard de Mikey qu'il ne faut pas déconner avec moi.

Hanma lui coula un regard en coin. Il découvrait tout à coup un Kisaki qu'il ne connaissait pas. Un garçon capable de prendre des risques pour assouvir sa vengeance. 

Ça ne lui déplaisait pas, loin de là.

Une fois arrivés à Yokohama, Hanma fit quelques pas sur le parvis de la gare et Kisaki, lui, restait en arrière.

– Va faire un tour, dit-il enfin à Hanma. J'ai un truc à faire avant d'aller voir Izana.

Hanma se tourna à demi.

– Hmm ? Quoi ?

Kisaki le rejoignit en quelques pas.

– T'occupes pas de ça, débrouille-toi seulement pour être là à l'heure ce soir.

– Ok ! ♡

Lorsque Hanma fut loin Kisaki resta un moment à regarder la rue.

Me salir les mains, oui, mais pas sans assurer mes arrières.