15 - Comme un frère

Nao se leva et elle se jeta dans ses bras.

– Kakucho !

Il la serra contre lui et il la sentit trembler.

– C'est bon Nao, dit-il en lui passant la main dans le dos, c'est bon, c'est fini maintenant.

Il y avait de la dureté dans sa voix, comme de la colère, et pour cause.

Un peu plus tôt, lorsque Kakucho était arrivé à l'entrepôt qui servait de planque au Tenjiku, il avait été surpris d'y découvrir les frères Haitani. Tous les deux lui avaient pourtant dit qu'ils devaient rentrer à Roppongi, leur territoire, pour régler plusieurs affaires pour Izana à Tokyo.

Kakucho s'était installé sur une ancienne machine-outil rongée par la rouille.

– Vous n'êtes pas partis finalement ? Leur avait-il demandé.

– Hmm ? Avait dit Ran.

Il avait relevé vers lui son regard indolent et un sourire s'était peint sur ses traits.

– Non, avait-il poursuivi, on a trouvé une autre solution. Ta copine a accepté d'apporter les papiers à Ichiki pour nous.

Kakucho l'avait regardé sans comprendre. Sa copine ? Qui ça ?

Puis il avait réalisé qu'ils parlaient de Nao.

Il s'était aussitôt redressé.

– Comment ça elle a accepté ? Avait-il demandé.

L'agressivité dans sa voix avait fait lever la tête aux deux frères. Kakucho était d'une carrure impressionnante, mais tous les deux étaient plus âgés. Sans compter qu'ils étaient deux.

Kakucho n'était pas impressionné pour autant.

Il s'était avancé, les poings serrés.

– Qu'est-ce que vous racontez ?

C'était Rindō, le plus jeune, qui lui avait répondu.

– Elle est partie à Tokyo ce matin, lui avait-il dit. Izana s'est dit que ça ne poserait pas de problème, comme ça fait un moment qu'elle fait des petites courses pour lui. Tu n'avais pas remarqué ?

Kakucho n'avait rien eu à répondre.

Il s'était bien aperçu que Nao était plus distante depuis quelque temps. Ces dernières semaines elle était souvent absente du foyer et les autres filles étaient incapables de lui dire où elle allait. Mais Kakucho n'avait pas imaginé qu'elle travaillait pour Izana. En fait, il s'était dit que Nao avait décidé de prendre ses distances avec lui et le monde de la délinquance et, au fond, même si cela le blessait, il devait admettre que c'était une bonne idée.

Kakucho s'était élancé hors de l'entrepôt sans perdre une minute. 

S'il faisait vite, il pourrait attraper le prochain train pour la capitale.

L'idée de demander aux deux frères de le conduire en moto ne l'avait même pas effleuré. En fait, à ce moment-là, il avait juste envie de leur écraser son poing dans la figure.

Dans la ruelle, Nao s'agrippait toujours à lui en sanglotant.

– C'est bon Nao, répéta-t-il en lui passant la main dans le dos. C'est fini maintenant.

Il jeta un œil autour d'eux, mais personne ne semblait les avoir suivis.

Lorsqu'elle se reprit et se redressa en essuyant ses yeux d'un revers de la manche, il la prit par les épaules.

– Nao, ils ne t'ont pas fait de mal ?

Elle secoua la tête.

– Non, je me suis enfuie en courant.

– Tu as bien fait, dit-il.

Il était rassuré.

Nao serrait toujours précieusement contre elle les papiers que Izana lui avait confiés et Kakucho les lui prit des mains.

– Donne-moi ça, dit-il.

Il y jeta un coup d'œil, avant de les fourrer dans la poche de son blouson. Il les rendrait à Izana plus tard.

– Qu'est-ce qui s'est passé ? Lui demanda-t-il.

– L'homme du restaurant a dit... Répondit Nao.

Elle s'efforça de se remémorer ses paroles exactes. 

– Il a dit que ça n'allait pas, reprit-elle. Que Izana essayait de ne pas respecter sa part du contrat et qu'il se prenait pour un petit malin.

Kakucho ne dit rien. Il savait plus ou moins de quoi il était question et il ne pouvait pas s'empêcher de penser que Izana était fou d'avoir envoyé Nao ici.

Il la prit par le coude.

– Allez viens, on rentre.




Tous les deux partirent en direction de la gare.

Nao était encore sous le choc, Kakucho le voyait. Elle restait près de lui, marchant presque sur ses talons et chaque fois que la foule se rapprochait d'eux, elle saisissait nerveusement le bord de son blouson pour ne pas le perdre.

Il finit par la prendre par la main.

– Viens, dit-il, on va attraper le prochain.




Une fois à bord du train qui rentrait à Yokohama, Nao s'assit sur la banquette et serra nerveusement son sac contre elle.

L'expression sur le visage de Kakucho ne lui avait pas échappé. L'adolescent était plus sombre qu'elle ne l'avait jamais vu. À tel point qu'elle avait peur de l'interroger.

Finalement, quand ils arrivèrent en vue de Yokohama, elle rassembla son courage.

– Tu es en colère ? Demanda-t-elle.

À côté d'elle, Kakucho souffla.

– Non Nao, je ne suis pas en colère. Pas contre toi en tout cas.

Elle se tourna vivement vers lui.

– Tu sais, ça c'est toujours bien passé les autres fois ! Lui dit-elle.

Elle ressentait le besoin de lui raconter, de lui expliquer la raison pour laquelle elle avait fait ça.

– En plus, je ne fais rien de mal ! Reprit-elle. Ce ne sont toujours que des papiers... ou des petits paquets... tu vois ? Presque rien ! Et puis il ne m'est rien arrivé !

Elle avait saisi sa manche du bout des doigts, comme si sa proximité pouvait aider à le convaincre.

Quand le train s'immobilisa en gare, Kakucho se redressa.

– Lève-toi, dit-il, je te ramène.




Tous les deux prirent la route du foyer pour jeunes filles en silence.

Kakucho marchait deux pas en avant, Nao derrière lui, ses doigts triturant nerveusement le bord de ses manches.

Elle aurait aimé lui dire, lui faire comprendre que, tout cela, c'était pour Izana qu'elle l'avait fait. Au fond, ça n'était pas très différent de ce qu'il faisait lui tous les jours. Ils étaient pareils tous les deux.

Mais les mots n'arrivaient pas à sortir. Chaque phrase qu'elle préparait lui semblait puérile et maladroite.

Finalement ils arrivèrent devant le portail.

Autour d'eux, la petite rue était déserte et le soleil du début de l'été tapait sur leurs crânes comme un marteau brûlant.

– Kakucho...

– Nao, dit-il sans la laisser finir, je ne veux plus que tu viennes à l'entrepôt. Jamais, tu m'entends ?

Nao baissa les yeux. Elle avait l'impression d'être une enfant prise en faute.

Il a raison, songea-t-elle confusément.

Avant qu'elle ait eu le temps d'ouvrir la bouche, Kakucho reprit.

– Et, à partir d'aujourd'hui, dit-il, je ne veux plus que tu nous approches, ni moi, ni Izana.

La stupeur qui se peignit sur le visage de Nao se passa d'explication.

Kakucho continua.

– C'est fini Nao, dit-il. Tu vas sortir de nos vies. Et tu n'y reviendras plus. Je ne veux plus jamais te revoir. Si tu essaies de nous retrouver, je te ramènerai moi-même ici par la force s'il le faut, tu as compris ?

Devant lui, Nao semblait ne pas réaliser ce qu'il était en train de lui dire. Les mains pressées l'une contre l'autre, elle secouait la tête, comme pour chasser ses paroles.

– Non... Non... Non... Dit-elle.

Elle leva les yeux vers lui, de la détresse dans le regard.

– Non, répéta-t-elle, tu ne peux pas me faire ça, Kakucho... Tu avais promis... Tu avais promis...

Elle bafouillait maintenant.

– Si c'est à propos de ces papiers, reprit-elle, j'y retournerai... Je ferai ce que vous me demanderez, je ferai tout ce que vous me demanderez, mais ne fais pas ça !

Elle attrapa son bras. 

Kakucho saisit son poignet pour lui faire lâcher prise.

– Ça suffit, dit-il.

– NON ÇA NE SUFFIT PAS ! Se mit-elle à hurler d'une voix hystérique. JE REFUSE, TU M'ENTENDS ? JE REFUSE ET TU NE PEUX PAS ME FORCER !

La gifle lui fit voler la tête en arrière et, durant une seconde, Nao resta interloquée.

Il m'a... frappée ?

Son cerveau ne parvenait pas à y croire.

Elle ramena lentement les yeux devant elle et le regarda. Mais tout ce qu'il y avait dans les yeux de Kakucho, c'était du chagrin.

– Au revoir Nao, dit-il.

Puis il tourna les talons.

Ce fut comme si le vide se rouvrait sous les pieds de Nao, comme le jour de l'accident.

– KAKUCHO ! Cria-t-elle. NE FAIS PAS ÇA JE T'EN SUPPLIE ! TU M'AVAIS PROMIS QUE TU SERAIS MON AMI ! NE ME LAISSEZ PAS TOUTE SEULE ! NE ME LAISSEZ PAS !

Un instant plus tard, il avait disparu.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top