13 - Malfaitrice
Le paquet caché au fond de son cartable, Nao remonta la rue principale qui traversait le quartier d'Isezakichō, le cœur cognant dans la poitrine.
Sa jupe de collégienne lui battait les genoux au rythme rapide de ses pas et elle jetait régulièrement un œil aux enseignes qu'elle croisait pour être sûre de ne pas manquer celle qu'elle cherchait.
Izana lui avait expliqué qu'elle devait remettre ce paquet au barman du Blind Monkey, récupérer celui qu'il lui donnerait en échange et lui rapporter ce dernier.
C'était tout.
– Tu vois ? Avait-il dit. Rien de plus simple.
C'est vrai, ça n'avait pas l'air très compliqué. Alors pourquoi avait-elle si peur ?
Nao contourna une nouvelle patrouille de police et elle leur jeta un regard. Les policiers étaient nombreux dans les rues. Ils avaient l'air de chercher quelque chose, la main posée sur leur matraque.
Elle détourna la tête et serra plus fort la poignée de son sac.
Est-ce que cela avait un lien avec le service que Izana lui avait demandé ?
Nao n'était pas stupide. Elle se doutait bien que le Tenjiku trafiquait des choses illégales. Mais c'était la première fois que Izana lui demandait son aide alors, même si elle avait peur, elle ne se tenait plus de joie.
Je lui suis utile ! Maintenant je peux l'aider à accomplir son rêve !
Elle savait toutefois qu'elle ne parlerait certainement jamais à personne de la course qu'elle avait faite aujourd'hui et surtout pas à Kakucho.
Il m'aurait dit de refuser, j'en suis sûre... se dit-elle. Mais je ne fais rien de mal, j'emmène juste un paquet d'un endroit à un autre, rien de plus...
Plus loin, l'enseigne qu'elle cherchait apparut.
Debout sur le trottoir, Nao inspira et expira plusieurs fois avant de pousser la porte du club.
Un carillon retentit au-dessus de sa tête et il fit lever les yeux à l'homme qui se tenait derrière le bar.
– On est fermé, revenez ce soir... Dit-il.
Puis il vit la fillette.
– Qu'est-ce que tu fais là toi ? Demanda-t-il. Tu t'es perdue ?
Nao rejoignit le comptoir sans perdre une seconde.
Elle posa son cartable sur un des hauts tabourets, l'ouvrit et en sortit le petit paquet enveloppé de papier kraft.
– Je dois vous donner ça, dit-elle simplement.
L'homme posa son torchon et il le saisit.
Il le retourna entre ses mains avant de dire :
– Bouge pas de là, je reviens.
Puis il disparut à l'arrière de la boutique, laissant Nao seule dans le bar.
Autour d'elle, la pièce était déserte et les sièges étaient remontés sur les tables. Il régnait dans la salle une odeur de produits ménagers mêlée à des restes de tabac froid. Les bruits de la rue ne lui parvenaient que étouffés, le club était bien insonorisé.
Enfin, le barman fut de retour. Il lui tendit une enveloppe.
– C'est bon, dit-il. Dis à ton boss qu'on a bien réceptionné la marchandise.
Nao ressortit, le cœur battant à tout rompre.
Izana avait raison ! C'était très facile !
L'appréhension qu'elle avait ressentie en poussant la porte du bar avait laissé place à une sorte d'excitation nerveuse. Nao reprit la direction de la gare d'un pas pressé en oubliant presque la présence des policiers.
Elle n'avait qu'une hâte, rejoindre la planque du Tenjiku pour annoncer à Izana que tout s'était bien passé.
Dans sa tête, une petite voix se demandait si ce qu'elle venait de faire était légal, mais Nao refusa de l'écouter.
Moi je n'ai fait qu'apporter ce paquet, peu importe ce qu'il contenait, je n'ai rien fait de mal...
Quand le métro s'arrêta à la station de Torihara, non loin du chantier naval de Yokohama, Nao sauta sur le quai.
Elle partit aussitôt en courant en direction du hangar et ne ralentit qu'une fois parvenue à la porte, pour reprendre son souffle.
Izana était seul vit-elle une fois à l'intérieur, les autres étaient repartis à Tokyo.
Il était assis sur une caisse, les yeux clos, et il paraissait dormir, une jambe repliée sous lui et le dos appuyé contre le mur.
Durant une seconde, Nao admira son profil.
Il était vraiment beau. Ses traits fins semblaient presque trop délicats pour un homme et, comme il avait laissé pousser ses cheveux en sortant de maison de correction, de longues mèches blanches lui caressaient les joues, laissant entrapercevoir les boucles d'oreilles rouge vif qu'il s'était mises à porter il y a peu.
Nao s'approcha et Izana rouvrit les yeux en l'entendant.
Il se redressa.
– Oh, Nao chan, c'est toi...
Nao fouilla dans son cartable et elle en tira l'enveloppe que lui avait donnée le barman.
– C'est fait, dit-elle en la lui tendant.
Izana la saisit.
Il l'ouvrit, en sortit à moitié la liasse de billets qu'elle contenait et sourit.
– C'est très bien Nao chan...
Il releva les yeux vers elle et ajouta :
– Tu n'as pas eu trop peur ?
– Non, bien sûr que non, mentit-elle. C'était facile, tu avais raison !
Izana sauta de la caisse d'un mouvement souple, presque félin, et il la rejoignit.
Il se pencha vers elle et ajouta :
– C'est parfait, dit-il. Tu crois que tu pourrais encore me rendre service de temps à autre ?
Nao avait accepté. Elle aurait été incapable de refuser. C'était Izana après tout.
En rentrant au foyer ce soir-là, le sentiment d'euphorie qu'elle avait éprouvé plus tôt était maintenant teinté d'une pointe d'inquiétude.
Tu pourrais encore me rendre service de temps à autre ?
Nao s'efforçait de se rassurer.
Ça ne sera sûrement presque rien, quelques courses comme celle d'aujourd'hui...
La liasse de billets de banque que Izana avait sortie de l'enveloppe revint toutefois danser devant ses yeux et elle pinça les lèvres.
Qu'est-ce qu'il pouvait y avoir dans ce paquet pour valoir autant d'argent ?
À bien y réfléchir, elle préférait ne pas le savoir.
Elle rejoignit sa chambre et attrapa ses affaires de bain pour aller se doucher avant le repas du soir.
Comme Izana quelques années plus tôt, Nao et Kakucho avaient finalement quitté l'orphelinat. Mais tandis que Kakucho rejoignait le foyer pour garçons où vivait déjà Izana, Nao, elle, avait dû aller vivre dans un foyer pour jeunes filles.
– Tu ne peux pas venir avec nous, Nao chan ! Lui avait dit Kakucho. C'est normal ! Tu es une fille !
– Mais pourquoi je dois être toute seule ?
– Tu n'es pas toute seule, lui avait-il rappelé. Tu as toutes tes amies avec toi.
Il avait raison, elle le savait. Ces dernières années, Nao s'était faite plusieurs amies à l'orphelinat.
Cependant aucune d'entre elles n'avait à ses yeux la même importance que Kakucho et Izana.
– Et puis, avait repris Kakucho, on se verra tous les jours au collège.
Il avait tenu parole heureusement et, avec le temps, Nao s'était détendue. Mais l'idée d'être loin d'eux ne lui plaisait toujours pas. Cela lui rappelait trop la perte brutale de ses parents et le vide insupportable qu'ils avaient laissé. Vide que les deux garçons avaient comblé.
Étendue dans son bain, Nao continuait à réfléchir.
Est-ce que j'aurai dû refuser ? Dire à Izana que je ne le referai plus ?
La pensée que Kakucho aurait certainement répondu oui sans hésiter la mettait mal à l'aise. Tous les deux avaient beau avoir le même âge, Kakucho lui avait toujours un peu tenu lieu de conscience.
Nao se laissa couler sous la surface de l'eau. Ses cheveux remontèrent et ils s'étalèrent au-dessus d'elle.
Oui... Mais c'est Izana qui me l'a demandé.
Cette pensée chassa sans mal la voix de la raison qui ressemblait étrangement à celle de Kaku.
Elle avait accepté parce que c'était Izana. Et elle recommencerait si Izana le lui demandait.
La semaine suivante, Izana eut à nouveau besoin de ses services.
– Ça n'est rien de très compliqué Nao chan, lui dit-il. je veux que tu ailles récupérer l'argent qu'un type me doit, c'est tout. Tu veux bien faire ça pour moi ?
Elle hocha la tête, mal à l'aise.
Après tout, si cet homme devait de l'argent à Izana, c'était normal de le récupérer, n'est-ce pas ?
Le lendemain, elle se retrouva de nouveau à longer les rues malfamées de Yokohama, le cœur battant.
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