11 - Abîme
Le lendemain, tandis qu'il se promenait dans Shibuya, Izana fit une rencontre à laquelle il n'était pas préparé.
Sa mère, Karen Kurokawa, était installée dans un pachinko, cigarette au coin des lèvres.
(NDA : Pachinko, machine à sous très populaire au Japon)
– Maman ? Dit-il en s'approchant, stupéfait.
Karen était la dernière personne qu'il s'attendait à voir.
Six ans plus tôt, elle l'avait abandonné sans un regard en arrière. Lorsque les services sociaux étaient venus le chercher, elle lui avait raconté qu'ils allaient le conduire dans une école spéciale.
Izana se souvenait encore ses derniers mots :
À partir de maintenant, tu vas être tout seul Izana, il va falloir que tu sois fort.
Cette phrase tournait toujours dans sa tête des années plus tard.
Karen ne lui jeta qu'un regard par-dessus son épaule, avant de revenir à la machine qui bipait bruyamment face à elle.
– Qu'est-ce que tu veux... ? Tu me saoules... Lâcha-t-elle.
– Quoi ?
Izana n'y comprenait rien. Il se ressaisit, les poings serrés.
– Maman... Reprit-il. Pourquoi tu m'as abandonné ? Pour claquer tout ton fric dans les machines à sous ?
Il redoutait et il souhaitait en même temps entendre la réponse.
Karen ne tourna même pas la tête. Elle souffla la fumée de sa cigarette.
– T'es pas mon gamin, lui répondit-elle. T'es le fils que mon ex a eu avec sa pute philippine. C'était un pauvre type. Il s'est fait planté par un yakuza de bas étage. Tu piges ?
Izana était abasourdi.
– Hein ?
– Toi et moi, ajouta-t-elle, on n'a aucun lien de parenté.
Lorsqu'il s'éloigna dans la rue, Izana titubait encore sous le choc. La révélation de Karen lui avait fait l'effet d'un coup de poing à l'estomac. Mais c'était surtout ce que cela impliquait qui lui faisait mal à en crever.
Si elle n'est pas ma mère, alors ça veut dire que Shinichiro et moi... on n'est pas frères.
Le souffle lui manqua tandis que cette vérité se formait dans son esprit et, parvenu dans la ruelle voisine, il se mordit le poing jusqu'au sang pour réprimer le hurlement qu'il sentit monter à ses lèvres.
C'est pas vrai... C'est pas possible ! NON ! JE NE VEUX PAS ! JE NE VEUX PLUS ÊTRE TOUT SEUL !
Les yeux écarquillés et les membres parcourus de tremblements irrépressibles, Izana partit dans un rire hystérique qui avait quelque chose de dément.
Il se reprit. Il n'y avait qu'une seule personne qui pouvait répondre à ses questions. La personne qui était venue le trouver et qui s'était présentée comme son frère.
Shinichiro arriva en début de soirée au rendez-vous que Izana lui avait fixé.
À ce moment-là, il s'était déjà mis à pleuvoir sur la capitale. Des gouttes de pluie, épaisses comme des gouttes d'huile, les frappaient tous les deux et elles dégoulinaient sur le visage de Izana.
Mais il n'en avait rien à faire. Il voulait savoir, il en avait besoin.
Il rapporta à Shin les paroles de Karen, la poitrine toujours écrasée dans un étau.
En cet instant, Izana aurait donné n'importe quoi pour que Shin lui dise que c'était faux, qu'elle avait tout inventé.
Mais Shin ne nia pas.
– TU SAVAIS ?! Hurla Izana.
Son poing partit et il s'écrasa sur le visage de Shin qui n'essaya même pas de l'éviter.
– Tu le savais ! Tu le savais et tu ne m'as rien dit ? Cria Izana.
Shin se releva péniblement en essuyant le sang qui coulait de ses lèvres.
– Ouais, dit-il, je le savais. Mais on s'en fout, non ? Ça n'a aucune importance.
– Comment ça aucune importance ? Brailla Izana. Mais il n'y a rien de plus important au contraire !
– Je vois pas pourquoi tu dis ça, reprit Shin. On s'en fout des liens du sang. Ça ne change rien à ce qu'il y a entre nous...
Izana ne le laissa pas finir.
– TA GUEULE !
Il se mit à arpenter nerveusement la ruelle de long en large, repoussant des deux mains ses cheveux maintenant trempés qui lui retombaient dans la figure.
– Pourquoi tu as fait ça ? Dit-il. Pourquoi tu as débarqué dans ma vie ? Si j'étais resté seul j'aurais pu m'en tirer ! Au lieu de ça, il a fallu que tu débarques ! Que tu me fasses miroiter une famille ! Un frère !
Il pivota vers Shinichiro, une lueur de folie furieuse dans le regard et ajouta :
– Tu as la moindre idée de l'enfer que c'est de voir son bonheur s'évaporer tout à coup ?!
Izana reprit le chemin du foyer, les sens toujours en feu et une boule amère au fond de la gorge. Il avait envie de frapper tous ceux qu'il croisait, de détruire tous ces visages souriants qui semblaient n'être là que pour se moquer de lui.
En définitive, je n'ai personne au monde.
La pensée le frappa avec une violence qui lui coupa la respiration.
Il dut presser la main sur sa bouche pour retenir la nausée qui le saisit.
Puis il se redressa.
Si je n'ai personne... Alors ils n'auront personne eux non plus...
La lueur de démence était de retour dans son regard.
Je détruirai tout ce qui les entourent... Eux aussi vont goûter à l'enfer de tout perdre !
Il se souvint alors de Manjirō, le seul véritable frère de Shinichiro, et sa fureur ne connut plus de limites.
Pourquoi lui avait-il droit à ce qu'on lui arrachait ? Pourquoi connaissait-il la chaleur d'un foyer ? L'affection d'un frère ? Alors que Izana n'avait droit à rien de tout cela ?
L'injustice lui serra la gorge et des larmes brûlantes de haine lui dévalèrent le visage.
Je le briserai... Je prendrai tout ce qu'il a, je le détruirai sous ses yeux et puis je le briserai ! Et quand il ne sera plus qu'une poupée sans vie, j'en ferai ma marionnette... il n'aura plus d'autre volonté que la mienne ! Ce jour-là, quand nous serons aussi vides l'un que l'autre, alors nous serons vraiment frères...
NDA : Pour ce chapitre, j'ai dû me replonger dans l'histoire de Izana. Je ne m'en remets pas. Ce gamin me brise le cœur, il ne méritait vraiment pas ce qui lui est arrivé quand il était petit. Je trouve que c'est vraiment l'un des personnages avec lequel l'auteur a été le plus cruel. Dans un sens, son destin est pire que celui d'un orphelin qui a perdu ses parents, comme Kakucho. Izana lui, on lui a fait miroiter une famille, une mère, un frère... Mais en définitive, il n'avait rien de tout cela et Karen le lui a appris de la plus horrible façon qui soit.
Karen Kurokawa est vraiment un personnage détestable ! Loin devant Kisaki à mes yeux.
En écrivant ce chapitre, j'avais juste envie de rentrer dans l'histoire pour faire un gros câlin à Izana et lui dire qu'il n'était pas tout seul.
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