10 - Errances du cœur

Assise devant son petit bureau, un miroir devant elle, Nao étala une couche de gloss sur ses lèvres. Elle étudia son reflet, changea de profil pour voir si cela lui allait, puis saisit un mouchoir et nettoya sa bouche.

Elle reboucha le tube et le rangea.

Elle avait dix ans maintenant et une forme de coquetterie la prenaient parfois.

Izana était sorti de maison de correction quelques mois plus tôt et tous les deux s'étaient revus.

Mais ça n'était plus le garçon qu'elle connaissait. Celui-ci était froid. Distant. Cruel parfois.

Complètement différent de celui dont elle gardait le souvenir.

La prison l'a transformé, se disait-elle.

Mais cela ne changeait rien, à ses yeux Izana demeurait le garçon parfait, celui dont elle était amoureuse.

Un coup à la porte lui fit lever la tête et elle se redressa.

– J'arrive Kaku ! Lança-t-elle à travers le battant.

Elle attrapa son sac et le rejoignit.

– Tu es prête ? Lui demanda-t-il.

Elle hocha la tête.

– Oui, allons-y.

Izana avait réintégré le foyer pour adolescents de Kutadai, près de la gare de Yokohama, mais ça n'était plus là désormais qu'il passait le plus clair de son temps. Lui et les garçons qui l'entouraient aujourd'hui, une bande de délinquants qu'il avait rencontrée en maison de correction, se retrouvaient le plus souvent dans un ancien entrepôt, près du chantier naval.

Et cette fois, Kakucho avait accepté de l'emmener avec lui.

Parvenus dans l'entrée de l'orphelinat, il hésita à nouveau.

– Tu es sûre ? Dit-il. Ça n'est peut-être pas une bonne idée...

Nao se chaussa, elle se redressa et se dirigea vers la porte avant qu'il ne change d'avis.

– Mais si, tout va bien, dit-elle. C'est Izana.

Puis elle sortit pour ne pas lui laisser le choix.

Depuis qu'il avait retrouvé la liberté, Nao n'avait pas vu Izana aussi souvent qu'elle l'aurait voulu.

Ou plutôt chaque fois qu'elle l'avait vu, un sentiment étrange s'était mêlé à l'amour qu'elle lui portait.

De la peur.

Je n'ai pas à avoir peur, se disait-elle. C'est Izana, il ne me fera jamais de mal. Il doit faire le dur à cause de ces garçons qui l'entourent, mais en réalité il est toujours lui. Ce sont eux de véritables délinquants.

Parmi ces cinq là, ceux qui lui faisaient le plus peur, c'étaient les deux frères Haitani. Ceux-là semblaient toujours jeter sur elle un regard où brillait une ombre de sourire qui la faisait frissonner. Surtout l'aîné.

Comme Izana, ils avaient tous quatorze ans, presque quinze ans, et aux yeux de la fillette ils ressemblaient déjà à des hommes.

Leur bande semblait très occupée. Ils préparaient quelque chose, mais Nao n'y comprenait rien. Il était question de gangs, de dragon noir. Il était question du frère de Izana aussi parfois. Mais Nao ne voyait pas ce que le garçon avait à voir avec le reste.

Kakucho la rattrapa à la sortie du bâtiment et tous les deux se mirent en route.

– Quand on sera là-bas, reste bien près de moi Nao, lui recommanda-t-il non pour la première fois. Et si tu veux qu'on s'en aille, tu n'as qu'à me faire signe, d'accord ?

Nao opina.

En réalité, elle n'avait pas envie une seule seconde d'écourter les moments qu'elle passait avec Izana.

S'il passe tout son temps avec ces garçons, alors je dois m'en accommoder si je veux le voir.

Leur groupe s'était donné le nom de Tenjiku, le royaume idéal dont rêvait Izana lorsqu'il était plus jeune, même si Nao ne voyait pas trop le lien avec son rêve. Izana savait sûrement ce qu'il faisait. C'était Izana après tout.

Malgré son jeune âge, Kakucho ne semblait pas déplacé parmi eux. Sa grande taille, comme l'impressionnante cicatrice qui lui barrait le visage, lui donnait l'air plus âgé que ses dix ans. Sans compter sa musculature qui inspirait le respect, même à des garçons qui avaient déjà connu la prison.

Après vingt minutes de trajet, tous les deux descendirent à la station de Torihara, dans le quartier de Sachiura, là où se trouvait le port de Negishi Bay et l'entrepôt où le Tenjiku avait élu domicile.

Il était loin le temps où Kakucho et elle craignaient de prendre le métro seuls.

Il leur fallut encore longer un moment la route qui bordait le quartier industriel et ses bâtiments impersonnels, avant d'arriver en vue du pont qui menait au port.

Juste avant de l'atteindre, tous les deux s'introduisirent dans les locaux d'une entreprise qui avait fermé quelques années auparavant pour rejoindre le vaste hangar situé à l'arrière.

Toutes les têtes se levèrent quand ils entrèrent et Nao se cacha instinctivement derrière Kaku.

Elle se serait aussitôt mise des claques.

Comment tu veux qu'il te prenne au sérieux si tu te caches comme une gamine ? Se morigéna-t-elle.

Elle inspira et se replaça à côté de lui, pour le plus grand plaisir de Ran Haitani, le garçon portant des tresses.

– Tiens Kaku, dit-il, tu as amené la petite aujourd'hui ?

Nao aurait bien répliqué, mais Ran lui faisait peur et elle n'avait pas envie de discuter avec lui.

Il parut sentir sa gêne et, lorsqu'ils furent assez près, il se pencha vers elle.

– Tu n'as jamais rien à dire toi, remarqua-t-il.

Kakucho se plaça entre elle et lui.

– Laisse-la tranquille Ran, dit-il.

Le garçon se redressa et il se tourna vers Izana.

– Est-ce que c'est bien prudent de laisser cette fille venir ici ? Lui demanda-t-il. Elle pourrait parler...

Izana leva les yeux.

Il la regarda et se désintéressa immédiatement d'elle.

– Shion, dit-il, tu sais ce que tu as à faire. Je compte sur toi. Si tu échoues, je te tue.

L'ambiance dans l'entrepôt était pesante, en dehors de Ran Haitani et de son petit sourire narquois, personne n'avait l'air de plaisanter. Izana moins que quiconque.

Assis sur une caisse, une jambe repliée sous lui, il donnait l'apparence d'un garçon décontracté, mais Nao savait bien qu'il était tendu comme la corde d'un arc. Elle pouvait le voir à l'expression de son visage.

– Ne t'en fais pas Izana, répondit celui qui s'appela Shion. La sixième génération du Black Dragon est minable. On n'aura aucun mal à les exploser avec mes gars.

– N'oublie pas, reprit Izana, mon frère ne doit jamais savoir que je suis derrière tout ça.

Quelque temps plus tôt, en sortant de maison de correction, Izana était allé trouver Shin dans le garage où il travaillait.

– Dis Shinichiro, lui avait-il dit, tu serais d'accord pour me laisser diriger la prochaine génération du Black Dragon ? Je sais que ce gang représente tout pour toi et je voudrais suivre tes traces.

La réponse de Shinichiro l'avait fait blêmir.

– Ouais, avait dit Shin, ça a toujours été mon rêve de laisser mon gang à mes frangins. Merci Izana. Le Black Dragon, c'est toi et Manjirō qui en reprendrez les rênes.

Depuis, la haine que Izana vouait à son autre frère n'avait fait que grandir.

– Une fois le Black Dragon à terre, reprit-il, il me suffira de t'écraser pour mettre la main sur le gang. Ainsi personne ne se doutera de rien.

– Et nous ? Reprit l'aîné des Haitani. On fait quoi ? Tu veux qu'on rejoigne le gang avec toi ?

Izana réfléchit.

– Non, dit-il enfin. Personne ne doit savoir pour le Tenjiku. Pas encore. Il est trop tôt. Vous n'avez qu'à reprendre vos activités. Je vous le dirai quand j'aurai besoin de vous.




Lorsque Nao repartit un peu plus tard avec Kakucho, une chose lui était devenue évidente.

Si elle ne lui était d'aucune utilité, Izana ne la remarquerait jamais.

Dans le métro qui les ramenait à Honmoku, elle réfléchissait en silence.

Comment je peux lui être utile ? Comment je peux faire pour qu'il me remarque ? Je suis incapable de me battre et même si je savais, ces garçons sont beaucoup trop forts...

Elle regarda le paysage défiler par la fenêtre.

Je n'en sais rien, reconnut-elle. Je n'ai aucune idée. Mais déjà, il faut que j'arrête de me cacher derrière Kakucho. Si je passe mon temps à me planquer, Izana se dira que je suis un poids. Non, je dois m'affirmer. De toute façon, je n'ai pas à avoir peur, Izana ne laissera jamais ces garçons me faire du mal.

Nao était bien décidé à changer pour celui qu'elle aimait.

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