9 - Parle, Seigneur !

Lucius en avait plus qu'assez des membres du Peuple Élu. Dès qu'ils avaient compris qu'il ne leur ferait aucun mal, toutes les portes s'étaient claquées devant lui. Certains ne parlaient pas araméen, d'autres étaient en train de manger, qu'il repasse, quelques-uns disaient qu'ils étaient trop pauvres pour rentrer chez eux mais pas assez pour se prostituer chez l'envahisseur. Une grand-mère lui cracha en plein visage en l'invectivant. Deux fois. Et derrière la tête : elle visa juste trois fois avant que son fils ne décide d'aller la chercher dans la rue. La nuit tombait, Lucius n'était pas encore allé chez les Marcus et le plus grave était qu'aucun juif n'acceptait de le suivre, ce à n'importe quel prix. Le seul prix qu'ils réclamaient était « la terre d'Israël » et « le Temple », ce que Lucius n'était malheureusement pas en mesure de leur offrir.

— J'avais bien dit que j'aurais dû utiliser la force, grommela Lucius après avoir fait face à un homme qui avait fait semblant d'être sourd.

Il marchait près de son cheval, un splendide étalon noir, le tenant par la bride. Une ombre se profila dans une ruelle et, tandis que Maleficus dressait les oreilles, Lucius porta la main au gladius qu'il avait glissé sous son manteau.

— Qui va là ?

— Tu cherches un juif, seigneur ?

La voix était basse, servile, analysa le centurion, mais il en avait assez de cette journée infernale.

— Parles-tu araméen ? demanda le Romain.

— Oh ! Je n'ai pas la chance d'être juif, moi, seigneur, ricana la silhouette. Mais si tu paies comptant, je t'indiquerai l'adresse d'un juif qui t'intéressera beaucoup ! Il est savant, je suis certain qu'il parle l'araméen le plus pur !

— Trêve de bavardage, montre-toi en pleine lumière, que je voie ton museau.

L'homme avança. Il faisait entre chien et loup et rien de particulier ne se dégageait de lui, si ce n'était le fait qu'il semblait malade et la lettre T gravée au couteau chauffé à blanc sur ses joues. Triremis. Cet homme était un ancien galérien.

— Comme c'est réjouissant... grogna Lucius. Alors, ton juif savant ?

— Mais seigneur, si tu ne paies pas d'avance, comment puis-je te faire confiance ? gémit l'homme en tendant pitoyablement la main.

Lucius se retint pour ne pas l'insulter. Il savait que c'était un piège, mais se refusa néanmoins à user de la force, ainsi qu'il en avait décidé. Il tira une bourse cachée sous la selle de Maleficus.

— Tiens, le double si ton juif est à la bonne place.

— Mais, seigneur ! se récria le galérien. Pour tout ça, je t'emmène jusqu'à Jérusalem !

— Emmène-moi à ton homme, pour commencer.

Méfiant comme un chat à qui on veut donner un bain, le centurion emboîta le pas au galérien dans les rues de Lucca. Ils parvinrent à une petite rue qui longeait les remparts sud.

— La cinquième porte, contre les remparts, dit l'inconnu en tendant une main entourée d'un bandage sale. Je crois que le juif est même devant chez lui !

Une grande et massive silhouette était allongée sous ce qui semblait être une carriole. Lucius fronça les sourcils mais tira pourtant une seconde pièce d'argent de la bourse. Le galérien s'en saisit et, au lieu de partir à toutes jambes, considéra longuement le centurion. Son regard n'avait rien d'engageant.

— N'as-tu pas mieux à faire ? aboya le Romain.

— Tu me rappelais quelqu'un, toi, fit l'homme en se redressant et en sortant les épaules. Mais j'ai dû me tromper.

Lucius fronça les sourcils : la voix avait changé, plus nasillarde mais plus franche, et son guide lui semblait à présent en bien meilleure santé.

— Les hommes qui m'emploient, c'est pas des hommes bien, tu sais, citoyen, murmura-t-il avec un immense sourire qui étira les T gravés sur ses joues. Maintenant, ils savent où est ton or... et surtout ils savent combien tu distribues à un mendiant des galères. On t'attendra à la sortie de la ville, à une lieue. Tu as de quoi te défendre ?

— Je rentre accompagné de plusieurs personnes, ricana Lucius.

— Les hommes qui m'ont mis le grappin dessus, ils sont une belle poignée. Pas des plus tendres, citoyen. J'ai connu des prétoriens plus aimables qu'eux...

— Quel intérêt de me dire tout cela, alors ?

— Je croyais que t'étais... mais non, je me suis trompé. T'as plutôt l'air d'être... ouais, un citoyen qu'on a pas envie de voir vidé de son sang au petit matin. Je te dis ça pour que tu sois justement pas accompagné. Tes amis s'en sortiront, eux, au moins.

— Et lui ? siffla Lucius, furieux, en désignant le prétendu juif du menton. Est-il vraiment... ?

— Ah oui, pour sûr, il est juif. Samuel Binyamin qu'il s'appelle, si c'est pas juif, ça ! Les autres ne l'aiment pas beaucoup, mais tu voulais un juif, en voilà un !

Le galérien commença à partir, mais il se ravisa et tourna les talons :

— Dis-moi citoyen, t'aurais pas comme un frère ?

— Non, je suis fils unique. Pars.

— Tu as été adopté ?

Cette fois, la lame du gladius siffla. Le bandit recula avec prudence :

— Non, ça va. Je demandais.

Il serra les dents.

— En fait, je pense quand même que tu es ce maudit centurion, gronda-t-il. Je reconnaîtrais cet air-là entre mille, quand t'as tiré le glaive.

— Je ne connais pas de centurion ! Je ne suis pas celui dont tu parles, mais je promets de... d'appeler la garde si tu ne pars pas !

— Bonne chance, avec le juif. À tout à l'heure, citoyen.

Le ton était ironique, le faciès était gercé de haine. Le galérien disparut, laissant à Lucius une impression désagréable, comme si le Romain venait de vomir. Il ne savait pas qui était cet homme sale et déguenillé. Un ancien esclave. Un mutin. Un passant innocent qui lui avait marché sur les pieds... Lucius décida qu'il aurait tout le temps d'élucider ce nouveau mystère plus tard : il avait un juif à démarcher. Il avança avec Maledicus jusqu'à la carriole sous laquelle Samuel Binyamin était étendu. Était-il ivre mort ? Avait-il été assassiné ?

— Samuel ? Samuel !

Un sursaut agita le corps et un fracas agita la carriole. Un long gémissement s'éleva, suivi d'un :

— Parle, Seigneur, ton serviteur écoute !

Samuel Binyamin s'extirpa de sous sa carriole et se redressa en se frottant le front : il était couvert de sciure, de cendre et ses mains étaient barbouillées d'encre. Son immense sourire s'effaça lorsqu'il croisa le regard de Lucius.

Ave, Samuel... Samuel Binyamin ?

Shalom, étranger. 

*

Mais qui est ce Binyamin ?! Et ce galérien ? Samuel acceptera-t-il d'aider Lucius ? Sortiront-ils de la ville vivants ? Les Marcus céderont-ils les Sargon à Lucca ? 

Vous en saurez plus... dans le prochain épisode ! 

;-)

Sea

PS : ça se voit tant que ça que je binge-watch la dernière saison des Real Housewives of Beverly Hills ?

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