3 - Damnum intulerat

Du sang jaillit à gros bouillons de la plaie lorsque Gunvor ôta la lame. Lucius Lucca s'était transpercé le cœur, et pourtant il vivait. Il respirait. La plaie semblait même saigner de moins en moins, pour se tarir comme un ruisselet durant une sécheresse. Allongé dans son cubiculum, le centurion sentit cette étrange force qui l'habitait le guérir, comme par enchantement. Ancastos, pourtant terrorisé, assistait la nourrice en chevrotant des prières osismes. Le maître était devenu un démon.

— Tu... tu me crois, maintenant, Mammamilla ? murmura Lucius en saisissant la main d'Ancastos.

— Maître, je suis là.

Lucca sursauta. Il ne semblait pas disposer de toute sa conscience.

— À qui est cette main, dans ce cas ?

— Elle est au vieil Ancastos, répondit le Gaulois, des larmes plein la voix. Je reste pour te soigner, maître.

— Ancastos... articula Lucius.

Il pâlit encore violemment et tout son corps se contracta, comme saisi d'une souffrance abominable.

Damnum intulerat... siffla le centurion dont le dos s'arqua. Da...

Sa respiration se coupa et il retomba sur le lit où ses deux esclaves l'avaient allongé. Il gardait serrée dans son poing la main tremblante du vieillard. Quelques interminables secondes s'égrenèrent et, sans crier gare, le terrible officier éclata en sanglots. Il pleurait comme un enfant qui aurait perdu sa mère et il fallut attendre encore plusieurs minutes avant qu'il ne reprenne conscience du monde qui l'entourait.

— Je t'ai fait du tort... répéta-t-il en se tournant sur le côté pour voir Ancastos. Ancastos... je t'ai fait du tort. C'est moi qui t'ai marqué...

Le vieillard sentit son cœur se serrer sous un mélange de colère et de pitié bien étrange. Le jeune homme qui venait de se transpercer le cœur et d'y survivre par un prodige divin ne l'avait jamais appelé par son vrai nom, toujours par une injure spirituelle. Il sentit la main rude du centurion frôler son visage et ferma les yeux.

— Je t'ai...

— Maître, tu dois te reposer, bafouilla Gunvor, qui ne comprenait plus.

Lucca avait-il dit la vérité, finalement ? Était-il sous l'emprise de cette malédiction étrange ? La jolie enfant qu'il avait ramenée en était-elle la clé ?

— J'ai fait du tort à tant de gens, Gunna... souffla Lucius en touchant de l'index les cicatrices blanchâtres qui creusaient les épaules d'Ancastos. Regarde ce que j'ai fait... regarde ce que je lui ai fait...

Gunvor crut comprendre l'expression d'horreur qui avait parcouru les traits du Romain, mais elle n'y crut pas. Du remords ? Lucius Lucca, centurion impérial, ressentait des remords ?! Impossible ! Un long silence s'écoula. Ancastos sentait les doigts hésitants de son maître toucher ses vieilles blessures. Ces blessures, il les devait au centurion ainsi qu'à son père.

— Ton œil... est-ce moi qui... ?

L'Osisme ferma encore les yeux. Lui ne pouvait pas croire à des remords. Pas le maître. Le maître était impitoyable.

Lucca finit par se redresser, afin de partir au village. Il fallait qu'il aille trouver une nourrice pour la petite, c'était primordial. Ancastos ne fuit pas, même s'il craignait une punition plus terrible encore que toutes celles qu'il avait subies. Cependant, sur le pas de la porte, lorsque le maître lui saisit le bras et lui murmura quelque chose à l'oreille, aussi fébrile qu'un enfant qui commet une faute, le vieillard resta figé. Non de peur, mais de stupéfaction.

Lucius n'attendit pas de réponse. Il n'y en aurait pas avant longtemps, car il avait posé la question la plus terrible qu'un criminel puisse demander :

— Ancastos... Dis-moi ce que je dois faire pour que tu me pardonnes. 

*

Merci beaucoup à vous pour votre lecture (et spécialement à ceux qui ont laissé un commentaire, c'est bien simple : vous êtes deux ! Vous vous reconnaîtrez ;-)).

Bisous et bonne semaine ! 

Sea

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