21 - Rébellion
Halthor avait été retrouvé assez rapidement pour l'empêcher d'abandonner Esther – qu'il avait enlevée sans aucun état d'âme – dans la forêt qui menait à Lucca. Le soleil commençait à se coucher lorsqu'il fut ramené par les hommes de la villa, devant les yeux éplorés des femmes. Dagana avait voulu se joindre aux recherches, mais Ciaran et Lucius s'y étaient vigoureusement opposés. Lucius avait fini par jouer sur la corde sensible de la jeune fille en lui demandant de rester auprès de Talitha, pâle de terreur, pour la soutenir. Gunvor, qui se sentait coupable au-delà de toute expression, avait supplié le centurion de la laisser participer aux recherches, mais l'homme lui avait serré la main avec une maladroite tendresse.
— Rien de tout cela n'est ta faute. Reste ici, Gunna. S'il te plaît. Je t'en prie, avait insisté le Romain.
Ciaran, encore blessé, avait aussi voulu venir, mais Dagana lui avait démontré avec vigueur que lui aussi n'aurait fait que retarder l'équipée. À présent que les hommes étaient rentrés à la villa – Esther endormie dans les bras de Sargon et Halthor traîné sans aucun ménagement par Lucius. Gunvor croisa les mains dans le dos et baissa la tête, honteuse, quand son petit protégé l'appela au secours. Après ce dernier coup d'éclat, elle ne pouvait plus le soutenir. Elle était révulsée à l'idée que l'enfant ait tenté de faire du mal à un nourrisson. Ses yeux s'étaient dessillés.
— Maman ! gémit pitoyablement le gamin en se tortillant pour échapper au centurion.
Gunvor pinça les lèvres, s'avança vers Sargon pour lui prendre Esther – Ciaran avait demandé à Samuel de dire à Talitha de ne pas s'approcher de Halthor – et la confier à sa mère. Les femmes s'en furent, mais Lucca lut dans le regard fatigué de sa vieille nourrice une peine immense. Il avait eu l'intention, dans sa fureur, d'infliger un châtiment corporel au garçon afin de le dissuader de jamais recommencer. Il pensait alors à Livia, égoïstement. Il se doutait que le petit Viking avait pris Esther plutôt que Livia pour lui lancer une forme d'ultimatum. Or, le centurion venait de lire le chagrin et la résignation de Gunvor, qu'il avait déjà tant fait souffrir. Il se retourna vers Halthor, qui ne feignait cette fois plus la peur devant tant d'hostilité. Avec la dureté du bourreau qu'il avait été, Lucius saisit le dangereux gamin par le cou et le souleva légèrement. Pas assez pour l'étouffer mais suffisamment pour lui faire peur.
— Je n'épargne ta peau que parce que c'est ma mère qui t'a pris sous son aile. Je n'aurai pas cette faiblesse deux fois. As-tu compris ?
Halthor tremblait mais il garda la bouche close, des éclairs de fureur glissant sur son visage.
— Réponds !
Lucius serra le poing avec brusquerie et le jeune Viking put à peine laisser échapper un « Oui », étouffé.
— Bien. Je n'en ai pas fini avec toi.
Le patricien libéra le jeune garçon et emboîta le pas aux femmes. Il avait besoin de voir Livia, de la tenir dans ses bras. Il avait projeté sur Esther les inquiétudes paternelles dont il entourait sa propre fille. Il devait s'assurer que Livia allait bien.
Tandis que le maître des lieux s'enfermait avec Gunvor, Samuel et Talitha pour s'occuper des deux nourrissons, Halthor restait sous la surveillance des autres esclaves du domaine. Tous, hommes comme femmes, le dévisageaient avec colère, stupeur ou mépris. Ciaran l'attrapa par le bras.
— Papa... commença Dagana.
— Reste en dehors de ça, gronda l'homme. Les femmes, hors de ma vue.
— Mais...
— Hors de ma vue !
Seuls restèrent les quelques hommes qui travaillaient à la villa. Ils votèrent à main levée et Halthor reçut dix coups de baguette infligés par Ciaran. Une règle avait été posée des décennies auparavant, sous le joug du père du centurion : suite aux conditions terribles dans lesquelles ils se retrouvaient, il avait été décidé qu'un esclave ne pouvait pas s'attaquer à un autre sans subir un châtiment à la hauteur de son crime. C'était une loi intrinsèque à la petite communauté car sans soutien mutuel, il aurait été impossible de survivre. Sargon attacha le jeune Viking dans l'un des ergastules désormais désaffectée.
— Le maître a dit que...
— Le maître n'a rien à voir avec tout cela, gronda le Perse. Tais-toi.
— Tu n'es qu'un chien ! rugit soudain le garçon en tentant de se jeter sur le père de famille.
Il se mit à vociférer dans le dialecte norrois de ses ancêtres. Son visage encore juvénile était déformée par la rage la plus pure.
— Tu peux pleurnicher, je crains que tu ne sois pas de taille à nous affronter.
— Gunvor va...
Sargon, qui avait déjà entendu que quelle horrible façon dont le garçon traitait sa protectrice, eut un rictus de fureur :
— Comment oses-tu ?! Après tout ce qu'elle a risqué pour toi ! Elle était prête à s'opposer au maître pour toi ! Tout le monde le sait ! Si Ciaran t'entend parler ainsi de...
— Je crache sur toi ! Je crache sur ta mère et sur ton père ! hurla Halthor, dont le visage cramoisi contrastait avec les cheveux blond pâle.
Enchaîné, il ne put atteindre le père de famille. Ce dernier, atterré par la rage qui avait saisi celui qu'il pensait n'être qu'un enfant, comprit que dans le sang du jeune Viking courait davantage les furies aveugles de Thor que la douceur de Freja.
— Tout repose entre les mains du maître, petit, murmura Sargon avec pitié.
— Il ne me renverra pas ! Il ne peut pas me renvoyer !
— Il a droit de vie et de mort sur toi, sur nous tous. Il peut entrer ici et te trancher la gorge sans que le souvenir lui effleure la pensée le soir même.
— Il ne me renverra pas à cause de Gunvor !
Le sourire méchant du garçon fit frémit Sargon. Qu'un être si jeune, recueilli et sauvé par eux, se comporte comme un tel despote... cela le dépassait.
— Tu crois tout connaître, mais...
— La prochaine, ce sera ta fille ! siffla soudain Halthor.
— Il suffit.
Sargon se figea. Il n'avait pas même eu le temps de se mettre en colère : Lucius se tenait derrière lui.
— Ciaran m'a avoué la vérité, dit le centurion.
Lucca avait un air impénétrable. Sargon sentit ses entrailles se tordre de douleur, car cet air pouvait préluder à beaucoup de souffrances.
— Pourquoi as-tu fait cela ? questionna le patricien, les bras croisés.
— Lucius... commença crânement le garçon en rejetant ses cheveux blonds en arrière.
— Maître.
Un silence se posa dans l'ergastule obscur et humide. Le centurion était parfaitement immobile, son visage n'exprimait aucune émotion et le pauvre Sargon ne pouvait s'empêcher de trembler de peur. La dernière fois que son maître s'était comporté ainsi, un homme était mort et sa fille lui avait été arrachée. Après de longs instants d'un silence – un silence respecté par Halthor, qui avait baissé la tête – Lucius répéta en articulant chaque syllabe :
— Dominus. Maître. Il n'existe pas d'autre façon de s'adresser à moi.
Le garçon n'osa pas répondre. La voix grave de Lucca résonna à nouveau :
— Répète.
— Mais Gunvor et Ciaran...
— Pardon ?
Halthor déglutit, cilla à nouveau, et chuinta :
— Oui... maître.
— C'est mieux.
— Tu n'es pas un esclave de cette villa. Je ne t'ai pas acheté, mais j'ai fait une faveur à l'une de mes esclaves en acceptant ta présence ici. Souhaites-tu partir ?
— N... non.
— Non, maître.
— Non, maître.
— Pourquoi as-tu enlevé Esther ?
Le visage pâle de Halthor se convulsa sous une grimace de rage. Une grimace qui surprit autant Sargon que Lucius, même si ce dernier ne montra aucun de ses sentiments. Il lança un juron en norrois, mais déclara avec un accent de haine incompréhensible :
— Elle te corrompt ! Comme l'autre ! Comme la fille aux cheveux rouges ! Tu n'es plus un chef, avec elles ! Ni avec la vieille, ni avec le vieux ! cracha-t-il, désignant par là Gunvor et Ancastos.
— Mais par Mars, ils t'ont protégé ! Ils t'ont aimé ! J'aurais pu écorcher vif Ancastos pour ce qu'il a fait pour toi.
— Tu aurais dû !
— Ne me parle pas sur ce ton...
Il y eut un nouveau silence et soudain l'enfant se racla la gorge et cracha sur Lucius, en plein visage.
*
J'espère que Lucius pourra se maîtriser...
Merci pour votre lecture ! Bisous !
Sea
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