15 - Un bon maître, un bon fils

Lucius ne put protester : Samuel Binyamin partit, emmenant dans son sillage Kahina et Gunvor. Les trois Perses rentrèrent dans leur nouvelle chambre et Talitha resta un instant auprès d'Ancastos.

Ce dernier n'avait pas bougé, ennuyé que sa plaisanterie ait entraîné des conséquences si graves.

— Ah, m... mon maître, j'aurais v... voulu avoir a... a... avalé m... ma langue... dit-il, penaud.

— Ne te tourmente pas, Ancastos, encore une fois tout est de ma faute. Talitha, va te coucher, tu es déjà fatiguée. Non, ta chambre. Va te coucher.

— Elle v... veut t'ai... t'aider, m... maître, sourit le vieillard.

La jeune femme désignait le Gaulois et refusait d'obéir à un ordre qu'elle comprenait fort bien.

— Je n'ai pas besoin d'aide, grogna le centurion.

— Ah, ç... ça, c'est c... c... ce... que tu crois !

— Toi aussi, Ancastos, tu es fatigué. Je vais te chercher du vin chaud. Talitha, bo.

Il ôta sa cape et la plaça sur le vieil homme. Ce dernier eut la vivacité suffisante pour attraper la main du jeune officier avant que ce dernier ne s'éloigne. Il la serra fort et la porta à ses lèvres décharnées pour l'embrasser. Ce geste coupa le souffle de Lucius aussi sûrement qu'un coup en plein ventre. Le centurion se rapprocha de l'Osisme et tomba à genoux près de lui. À son tour, il embrassa la main osseuse et déformée par l'arthrose de son ancienne victime, les joues baignées de larmes. Sans dire un mot, sans bruit, il posa sa tête sur les genoux d'Ancastos en pleurant, tandis que le vieillard lui caressait doucement la tête, exactement comme il l'aurait fait à un petit-fils. Talitha, qui avait au fond fini par comprendre que ce centurion avait un passé bien lourd, resta sans bouger, un gentil sourire sur les traits. Ancastos lui rendit son sourire et cligna de son œil valide.

— M... mon maître... Et m... mon v... vin chaud ?

— Oui ! fit Lucius en relevant brusquement la tête. Je vais le chercher ! Talitha ?

Ana bo, ana bo, sourit cette dernière en montrant les cuisines du doigt.

Elle précéda le centurion et parvint à allumer quelques herbes sèches dans le foyer, qui s'illumina aussitôt. En chantonnant, elle parvint à trouver tout ce dont Lucius – qui ne connaissait rien de l'agencement de sa cuisine – avait besoin pour préparer un vin chaud. Il ajouta beaucoup de miel, car il savait que le vieillard avait une gourmandise pour tout ce qui était sucré. Talitha prononçait parfois un mot en latin, désignant un ingrédient ou un ustensile, ce à quoi l'officier répondait immanquablement par un « Tov ! » enthousiaste.

— Allons donc, Ancastos va mourir de soif, finit par dire Lucius. Attends ! Goûte d'abord. Je trouve que c'est trop sucré.

Talitha trempa les lèvres dans le breuvage sans boire. Elle ne supportait pas de boire de l'alcool, mais pour ce drôle de Romain, elle était capable de faire semblant. Ce dernier remarqua qu'elle n'avait pas avalé une goutte du vin chaud, mais elle sourit largement et lança « Tov ! » sur le même ton que celui que Lucius avait employé précédemment.

Le vieillard partagea l'avis de Talitha, s'amusant à faire claquer sa langue et à longuement apprécier le vin chaud.

— T... tu t'es... sou... souvenu ? fit le Gaulois en rendant la coupe vide à son maître.

— De ton incorrigible gourmandise, Ancastos ? Elle t'a valu bien des misères de ma part...

— T... tu peux... t... tu peux encore devenir... q... quelqu'un de... b... bien... déclara l'Osisme en appuyant cette déclaration d'un signe de tête. Ou... oui... Un... un b... bon maître... un... un bon fils..., oui.

— Talitha, va te coucher, à présent. Tu m'as compris, petite.

Le ton était grondeur et sans appel : Talitha fit la moue la plus cocasse qu'il était possible de faire devant un officier impérial et alla enfin se coucher. Lucius souleva Ancastos et l'emmena dans sa chambre.

— Je suis épuisé, cela te dérange-t-il que je dorme dans cette chambre avec toi ?

Le vieillard, surpris, voulut se pousser pour faire un peu de place sur le lit, mais le Romain tira de sous le meuble une natte roulée qu'il avait ramenée d'Afrique. Il l'étendit au sol et s'y allongea, enroulé dans une couverture.

— B... bonne nuit, m... m... mon petit maître, fit le vieil homme en mouchant la lampe à huile posée dans une alcôve, près de sa tête.

— Bonne nuit, Ancastos. Appelle-moi si tu as besoin de quelque chose. 

*

Ce chapitre était court, mais j'espère qu'il vous a plu ! 

Bonne semaine, 

Sea

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