11 - Voici sur qui je porterai mes regards

« Puisque nous parlons de la vertu, il est bon d'examiner, après ce qui précède, si la vertu peut ou ne peut pas s'acquérir ; ou bien, si comme le prétendait Socrate, il ne dépend pas de nous d'être bons ou mauvais : – Demandez, disait-il, à un homme quel qu'il soit s'il veut être bon ou méchant ; et vous verrez certainement qu'il n'est personne qui préfère jamais être vicieux. Faites la même épreuve pour le courage, pour la lâcheté, et pour toutes les autres vertus ; et vous aurez toujours le même résultat. »

Maleficus avançait calmement dans la rue, ses sabots claquant contre le pavé. Près de son encolure, son maître se cachait. La chaleur du cheval le calmait un peu, comme toujours, mais Lucius revoyait son geste, dans la maison de Samuel Binyamin. Le commencement du discours d'Aristote sur la vertu lui était curieusement revenu en tête. Ce dernier critiquait Socrate, pour qui la méchanceté s'exprimait malgré la volonté de l'homme. Aristote concluait, lui, que malgré le fait que la volonté d'être bon compte pour beaucoup, la nature intrinsèque de l'homme est indispensable pour être bon. En guise de consolation pour les être à la nature mauvaise, le philosophe grec concluait ainsi : « Il faut admettre qu'il en est de même aussi pour l'âme. Pour être le plus vertueux des hommes, il ne suffira pas de vouloir, si la nature ne vous y aide pas ; mais, néanmoins, on en sera beaucoup meilleur, par suite de cette noble résolution. »

Or, songeait Lucius, tout dans sa nature était mauvais, il venait d'en avoir la preuve. Les dieux eux-mêmes ne l'avaient pas soutenu dans sa quête, pour le punir sans doute de leur avoir fait quelques infidélités ! Quant au dieu nouveau qu'il avait prié ces derniers temps, il devait rire de voir un être si mauvais tenter d'entrer dans ses bonnes grâces. Le centurion, la tête basse, songeait qu'il n'avait qu'une seule chose bonne dans sa vie, et c'était Livia. Ce fut à cause d'elle que le Romain décida de se rendre chez les Marcus de l'entrée sud. Livia avait une nature bonne, il en était certain, et il fallait qu'elle ait la volonté d'être bonne également.

Lucius se fit annoncer : Marcus père l'accueillit avec prudence – car il connaissait la réputation terrible du centurion – mais sans haine, curieux de savoir pourquoi il était dérangé en pleine cène. Son invité lui semblait un peu malade.

— Tu as acheté des esclaves qui étaient jadis à moi, Marcus, déclara Lucius. Deux Perses. J'aimerais te les racheter, ton prix sera le mien.

Marcus pinça les lèvres et se tortilla un peu sur son siège, gêné.

— Ah, ça, ces deux-là me servent bien, ils sont honnêtes, bons et très efficaces. Je ne les vendrais qu'à prix d'or.

— Tu me dis ça parce que tu n'as aucune intention de me les vendre, n'est-ce pas ?

— Écoute, voilà la vérité, mais ne te fâche pas : nous sommes différents. Vous, les Lucius, vous traitez les esclaves... comme vous les traitez, éluda l'homme en agitant la main. Mais nous préférons les traiter d'une autre manière.

— Je te donne ma parole que ceux-là, je les traiterai bien.

— Ha, rit Marcus, bien traiter un esclave, pour ta famille, ça veut tout dire !

— Et si eux désirent revenir chez moi ? T'ont-ils dit que leur fille unique vivait toujours à la villa ? Voudrais-tu les laisser séparés de leur enfant ?

Le maître de la grande maison fourmillante d'enfants de tous âges se figea. Quelle perversité, songea-t-il en perdant son sourire bonhomme. Vraiment, ce monstre n'avait pas changé. Il voulait certainement se venger d'une offense mineure et jamais il ne cèderait la fille de Sargon et Enheduanna.

— Fais-les venir, demande-leur, ajouta Lucius en choisissant d'ignorer la grimace de dégoût qui s'était attardée sur les traits du père de famille. Tu verras.

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