[Chapitre 1 - 4/4] La fautive
La douce lumière de l'aurore éclaire les poings vengeurs et levés de la foule. Je me blottis contre les murs du Prioir, humble et discrète. Détruite. Le cristal bleuté du sol gèle mes pieds nus. La foule chamarrée retient son souffle. De-ci, de-là, je peux voir des lèvres s'agiter en une dernière prière. Mes tympans saignent encore, déchirés par l'implant qu'on a arraché.
Au petit matin, ma force s'est éteinte, aussi n'ai-je pu me défendre à l'heure de ma punition. J'ai trop tardé, mes soldats m'ont surprise pactisant avec Mathusalem. Mes haillons gris bruissent dans la brise. Contre mon palais, mon moignon de langue me fait mal. La tête baissée, je termine de chasser la poussière de mon balai.
Les pieds de Chandra, amenée au centre du Prioir, arrivent dans mon champ de vision. Un Inquisiteur l'attache au poteau expiatoire. Je lève les yeux vers son torse que soulève une respiration saccadée. Ses yeux, ces effrayantes billes laiteuses parcourues de vaisseaux à vifs, sont exposés au public. Ses doigts effleurent son épaule et des larmes dévalent son visage. Elles dévalent aussi le mien. De douleur et de désespoir.
Enfin le soleil se lève au-dessus de l'horizon. Suurya, cette impostrice que je hais, dispense quelques maigres rayons. Pourtant ceux-là suffisent. Aussitôt, la bouche de la suppliciée s'ouvre pour un cri d'agonie qui se perd dans mon silence. Une odeur de brûlé s'élève. Ils ne lui ont donné qu'une demie dose de nano-composants. Le feu maléfique dévore son corps. Ressent-elle une quelconque fierté d'être ainsi brûlée vive par sa déesse vénérée ?
Sa mort sera lente, et douloureuse. Enfin, elle connaît ces tourments qu'elle a infligés à tant de Dustas au nom d'une illusion. Pourtant cette loi du talion n'apaise pas la douleur de perdre ma sœur.
L'Inquisiteur prononce son prêche, qui est traduit en langue des signes et en émotions pour tous ceux qui ne peuvent entendre. Mon supplice, qui a duré depuis l'aurore, se poursuit :
« Nobles Dinae, fidèles de Suurya, que la Lumière aujourd'hui vous guide vers un futur meilleur. Aujourd'hui, tout Prakaasa est en deuil, car un de nos Chevaliers a oublié les commandements de sa Déesse, car l'une des nôtres a succombé aux chants maléfiques des Apostats. »
Les flammes du brasier s'élèvent. Malgré la douleur, la suppliciée a ravalé ses larmes. Fière, elle se tait pour périr dignement.
« Après la Première Malédiction, qui a forcé la moitié de la population à vivre la nuit, les Apostats ont persisté dans leur aveuglement et ont refusé de voir tout le blasphème de leur science qui voulait améliorer l'humain en le modifiant dans sa nature la plus profonde. Jour après jour, ils détournent les plus purs et les plus fiers d'entre nous de la Lumière Salvatrice. Jour après jour, ils empoisonnent les âmes. En corrompant l'une de vos protectrices, ils voulaient vous blesser vous, nobles enfants de Suurya. »
La chaleur devient presque insupportable. Je me recroqueville contre les parois du Prioir. Contrairement à la condamnée, je ne parviens pas à retenir mes pleurs.
Après un silence solennel, l'Inquisiteur reprend :
« Cette femme a succombé aux illusions des Apostats. Elle a succombé aux charmes de ces sirènes maléfiques qui l'avaient déjà attirée par le passé. Et c'est pourquoi aujourd'hui, elle va périr, châtiée par Suurya elle-même. »
Je retiens un cri de surprise. Il se dirige vers la suppliciée et dénude son épaule pâle, révélant un tatouage en forme de Vajra.
« Chandra, fille de notables, à qui Suurya avait presque tout donné, est née aveugle. Grâce à son âme, la Déesse parvenait à donner à sa servante des substituts et Chandra vivait comme une princesse. Néanmoins le désir grandissait en son esprit et elle voulait commettre le blasphème. Elle voulait recouvrer cette vue que sa Déesse lui avait interdit de connaître.
Une première fois, elle a tenté de passer un pacte avec le diable. Contre son âme, Mathusalem lui rendait la vue. Nous l'avons sauvée in extremis. Nous l'avons protégée et placée au seul endroit où le Mal ne pourrait l'atteindre, en l'adoubant Chevalier de l'Inquisition. En échange de ce salut que nous lui offrions, elle devait combattre les ténèbres et veiller à ce que sa corruption n'éclabousse pas sa cadette, encore mineure.
Chandra, protectrice des populations, n'a su protéger sa propre sœur. Nous ne pouvons laisser son incapacité risquer de vous blesser. Nous ne pouvons laisser une âme corrompue par le Mal parcourir le monde et risquer de vous contaminer. Nous ne pouvons lui laisser de troisième chance.
Néanmoins je suis certain que, malgré la marque infamante qui orne son épaule, son âme reste aussi brillante que la Lumière dont elle est issue. C'est pourquoi aujourd'hui elle doit rejoindre Suurya. »
Le discours se poursuit jusqu'à ce que ma propre sœur soit réduite à un tas de cendres. Je m'effondre au sol. Des bras puissants me retiennent et me relèvent.
Tandis que la foule se retire, je reste encore quelques instants afin de prier pour mon humble personne. Tout en parlant, je garde mes doigts sur l'infamant Vajra gravé au laser sur mon épaule. Je jure à Suurya de les détruire un jour, elle et sa religion intolérante. Je pleure tout mon chagrin d'avoir perdu ma sœur et ma liberté. Mes oreilles ont cessé de saigner et ma langue découpée ne me fait plus souffrir. Seul le regard de l'Inquisiteur m'empêche de lever un poing enragé vers le soleil.
Ma détermination s'enflamme et brûle désormais plus fort que le brasier qui a dévoré ma sœur. Le soleil, maintenant haut dans le ciel, nourrit les micros panneaux solaires que l'Inquisition n'a pu me retirer. Il me faudra bientôt rentrer me mettre à l'abri et attendre l'apparition de la Lune, ma complice, pour prendre ce rôle d'esclave de l'Inquisition qui m'a été attribué.
La tête baissée, je termine de chasser les cendres de mon balai.
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