4. Retour aux sources
Je suis sur la proue depuis presque deux heures et j'observe l'océan. Cependant, cette fois, l'océan n'est pas à perte de vue, on distingue au loin quelque chose. Une ville. Des immeubles, des maisons et surtout la tour qui s'élève au-dessus de tout, même des plus hauts gratte-ciels. C'est là que réside notre président.
Cette ville-continent, c'est Newearth.
Le bateau étant très abîmé, nous revenons sur l'île pour quelques temps. La plupart des soldats en sont ravis. Ils vont pouvoir revoir leur famille, leurs amis, leur maison.
Pour ma part, je n'ai aucune envie de revenir ici. Je n'ai aucune attache et je ne retournerais certainement pas à l'orphelinat ou chez mon ancienne famille d'accueil. Je préférerais encore me jeter à la mer.
Nous arriverons dans très peu de temps, selon les hauts-parleurs qui ont été réparés. Je repense aux 567 personnes décédées pendant cette attaque. Pour des raisons d'hygiène, nous avons dû les jeter dans l'océan. C'était un moment terrible. Je sais que nous ne pouvions pas les ramener à leurs proches mais voir nos soldats les plus courageux les jeter dans cette eau si immense et sans frontières a été un des pires moments de ma courte vie. Ils ont simplement été engloutis. Cette fille blonde est maintenant sous l'eau. Elle a beau être une ennemie, je ne peux pas me réjouir de sa mort. Elle avait peut-être des parents qui l'aimaient, des frères et sœurs. Peut-être qu'elle était amoureuse. Peut-être qu'elle avait des rêves et des objectifs. Elle était simplement trop jeune pour mourir. Chacun des soldats morts étaient trop jeune.
Je me redresse et passe une main dans ma courte tignasse. Je repose mon béret militaire sur ma tête et constate que nous sommes à l'entrée du port de Newearth. Il n'est pas très grand et le bateau ne met pas beaucoup de temps à se ranger parmi les autres.
J'entends des exclamations joyeuses de la part des soldats sur le bateau. Ils sont de retour chez eux. Je soupire, prend mon sac à dos qui contient toutes mes affaires et me dirige vers le pont 0, où se déroule le débarquement.
Lorsque je pose mes pieds sur l'île, je suis assaillie par des odeurs et des bruits qui m'avaient manqués pendant trois mois. L'odeur des friteries, des glaciers et des boulangeries sur les quais, les cris des poissonniers postés près de leur petit bateau ou encore ceux des marchands de journaux, les enfants qui courent entre les passants et toutes sortes de moments quotidiens de la vie dont on est tous les jours spectateurs, mais qui sont inexistants sur un bateau de guerre. La première chose que je vois, c'est cette foule d'adultes devant le bateau.
Un garçon qui n'a pas plus de quatorze ans me bouscule et saute dans les bras d'une femme rondelette, les joues humides et les yeux rouges. Ce n'est pas le seul. Cris de joie et larmes d'émotions sont au rendez-vous. Chacun a quelqu'un à retrouver, quelqu'un à qui il a manqué. J'essaie de repérer Tom dans la foule. Il serre dans ses bras, une femme bien plus petite que lui. Un homme moustachu lui assène une tape amicale dans le dos.
Tom me voit et me fait signe de venir. Je m'avance timidement et il se dégage de l'étreinte de sa mère pour passer un bras autour de mes épaules.
-Abby, je te présente mon père, ma mère et ma sœur jumelle.
Il me désigne une fille blonde qui a les mêmes yeux verts que lui. Il m'avait parlé d'elle. Elle a des airs de la jeune soldat décédée et c'est troublant.
-Et voici Abby. C'est mon amie et la fille la plus courageuse que je connaisse.
Sa sœur m'adresse un sourire timide et me tend une main que je serre poliment.
-Enchantée. Il t'a citée dans ses lettres. Je m'appelle Elsa.
-Si tu veux venir dîner et même rester chez nous, ce serait avec plaisir, propose gentiment sa mère.
-Oh, c'est vraiment gentil, mais je ne peux pas. Je dois rejoindre de la famille. Ils m'attendent. Merci beaucoup. Vraiment.
Je ne sais même pas pourquoi je mens. Mais je ne veux pas m'incruster chez eux. Sa mère hausse les épaules en souriant.
-Tant pis. J'espère te revoir quand même un jour à notre table. Mais tu as raison, va retrouver les tiens.
-Bonne soirée, Abby, c'était un plaisir. Dit le père de Tom.
Je hoche la tête sans répondre. Tom ne s'en rend sûrement pas compte mais il a de la chance d'avoir une famille comme celle-ci. Il me serre dans ses bras.
-À bientôt.
Je parviens à sourire.
-Profite bien de ta famille.
-Toi aussi.
Il me fait un clin d'œil et s'éloigne. Je ne peux pas lui en vouloir. Je ne lui ai jamais rien dit sur celle-ci.
Je me retourne et constate que beaucoup de personnes sont parties. Quant à ceux qui étaient toujours là, ils s'éloignent maintenant. Je ne tarde pas à être seule sur le quai. Je soupire et enlève ma casquette. Bon. Je constate que le jour commence à décliner. Il faut que je trouve un endroit pour dormir et quelque chose à manger. On verra pour le reste demain matin. Alors que je regarde autour de moi pour décider où aller, quelqu'un surgit devant moi.
-Hey, dit Esteban.
Il est seul aussi. Je ne l'avais pas revu depuis l'attaque. J'avais consulté les listes des décédés et il n'y figurait pas. J'en avais conclu qu'il s'était terré quelque part. Malgré tout, je suis soulagée de le voir en chair et en os.
-Personne n'est venue te chercher? Demandé-je, surprise.
-Je n'ai personne, ici. Et toi?
-Je n'ai personne tout court.
-Vraiment? Dit-il d'une voix étonné.
À quoi s'attendait-il? Pensait-il me voir serrer dans mes bras, des parents ou des frères et sœurs? Je hausse les épaules en acquiesçant.
-Allez viens. Lâche-t-il après quelques secondes
-Où?
-Chez moi.
Je recule, méfiante.
-Je croyais que tu n'avais personne.
-Je suis un grand garçon, Abby. J'ai un endroit pour dormir, c'est tout. Mais personne ne m'y attend. Allez viens, juste pour cette nuit, je ne vais pas te laisser dehors.
-Je ne te connais presque pas. Je ne suis pas du genre à aller chez les gens comme ça.
-Tu sais très bien que je ne te ferais aucun mal.
Je hoche la tête. Il m'a également sauvé la vie. Autant dormir au chaud ce soir. Je réfléchirais à la suite, demain. Il commence à partir et me fais signe de le suivre.
*******
Il fait déjà nuit. La ruelle dans laquelle Esteban m'a amenée est sombre et très peu éclairée. Nous sommes en plein dans les quartiers ouest, c'est-à-dire les plus pauvres et les quartiers mal fréquentés. C'est également ceux où j'ai grandis. Il s'arrête devant une porte taguée et enfonce une clé dans la serrure. Je suis mal à l'aise. Je ne suis jamais venue ici mais je n'aime pas cet endroit. La porte s'ouvre devant des escaliers étroits et sales.
Esteban montre trois étages et s'arrête devant une porte pleine de graffitis, elle aussi. Il entre et appuie sur un interrupteur. Une simple ampoule au plafond éclaire la pièce. Celle-ci est presque vide. Un vieux canapé abîmé mais propre est contre le mur et des cartons sont entassés dans un coin. Une table en bois et trois chaises sont posés de l'autre côté de la pièce, près d'une petite cuisine. Des placards, un four, un plan de travail et des plaques chauffantes. Tout à l'air vide, inhabité. Je ne sais pas si c'est rassurant ou angoissant.
Esteban enlève ses chaussures et sa veste et se dirige vers la cheminée près du canapé. Pendant qu'il y dispose des bûches, je retire aussi mes chaussures et m'avance vers la fenêtre. Elle donne sur la ruelle sombre. Je remarque soudainement un homme qui m'observe derrière la fenêtre en face de la nôtre. Son visage m'est vaguement familier. Son regard est indéchiffrable. Je réprime un frisson et recule pour fermer les rideaux usés.
-Qu'est-ce qu'il y a? Me demande Esteban alors qu'il craque une allumette.
-Un homme. Derrière sa fenêtre.
Il se redresse et s'approche de moi pour regarder discrètement derrière les rideaux.
-Les gens sont bizarres ici.
-Je pense qu'ils ont peur.
Il se tourne vers moi, l'air intrigué. Peut-être que je ne devrais pas parler autant.
-Qu'est-ce-que tu veux dire?
-Nous sommes dans les quartiers pauvres. Les gens d'ici vivent constamment avec la peur au ventre. Ils observent tout et surtout les changements. Et des nouveaux voisins, c'est un changement. De plus, nous sommes habillés en militaire. Cet homme se demande qui nous sommes, c'est tout. Nous pouvons êtres des criminels, des espions ou encore des fugitifs.
-Tu as sûrement raison. Comment sais-tu tout cela?
-Je le sais, c'est tout.
Ses sourcils se froncent.
-Tu vivais ici? Avant?
Je ne veux pas et ne peux pas déballer ma vie. Il faut que je réfléchisse et vite. Comment expliquer tout cela? J'ai dit que je n'avais pas de famille.
-Écoute, j'ai une proposition à te faire. Je ne te pose aucune question sur ta famille, ta vie avant l'armée et tu ne m'en pose aucune. OK?
Il m'observe longuement.
-OK. Lâche-t-il après plusieurs secondes.
Il se retourne vers la cheminée. Le feu est maintenant lancé et une agréable chaleur envahit la pièce.
-Je te fais visiter?
Il ouvre une porte et j'entre dans une pièce minuscule avec pour tout meuble, un matelas au sol et des couvertures.
-Je te laisse dormir ici, je vais dormir sur le canapé. La salle de bain et au fond, dit-il en désignant une autre porte en face du matelas. Mais avant, on va trouver quelque chose à manger.
--------------------------------------------------------
Bonjour,
Voici le chapitre 4, en entier! Il est un peu long mais je ne voulais pas le couper. Bonne lecture et comme d'hab, "si ça vous a plu, commentez et votez"! Si vous lisez depuis le début et que vous appréciez, lâchez un petit commentaire, ça me ferait vraiment vraiment vraiiiment plaisir! 😉
Merci et bonne journée ;-)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top