39. Allons sauver le monde

Je suis incapable de répondre, de bouger ou même de cligner des yeux. Ma grand-mère s'avance vers moi en clopinant et prend mon visage entre ses mains. C'est quand elle essuie une larme sur ma joue que je comprends que je pleure.

-Seigneur, Abigaëlle c'est bien toi.

Je finis par hocher la tête et elle prend mes mains dans les siennes, avant de les poser sur son cœur. Elle jette un coup d'œil aux autres autour de nous.

-Je suppose qu'on va discuter. Entrez.

********

Après nous avoir installés sur le canapé et servis à tous un chocolat chaud, ma grand-mère s'assoit sur un large fauteuil. Je réprime un sourire. Elle a tout du cliché de la mamie gâteau. Je me souviens à peine d'elle et pourtant, je sais que je l'aime. C'est une étrange sensation.

-Alors comment m'avez-vous trouvée?

Esteban me jette un regard, me demandant en silence si je veux parler. Je hoche la tête.

-Sur internet. Je n'y connais rien, mais Samuel ici présent a passé des heures sur son ordinateur.

Elle le fixe avec méfiance.

-Cela fait trois ans que je m'efforce d'être invisible. Qu'as-tu trouvé sur internet?

-Rien du tout depuis trois ans. Lui répond-t-il. J'ai seulement trouvé votre ancienne adresse. On a tenté le tout pour le tout et on y est allé. C'est un voisin qui nous appris votre nouvelle adresse.

-Personne n'est sensé en parler. Marmonne-t-elle. J'irais lui régler ses comptes.

-Pourquoi voulez... veux-tu être invisible? Demandé-je, hésitante.

Elle me regarde à nouveau et ses yeux s'adoucissent.

-C'est une longue histoire ma puce. Disons simplement que j'ai eu quelques problèmes. Et toi, que fais-tu ici? Pourquoi n'es-tu pas sur Newearth?

Je me racle la gorge et baisse les yeux sur mes mains.

-C'est aussi une longue histoire.

-J'ai tout mon temps. Insiste-t-elle.

J'hésite. C'est ma grand-mère, elle doit savoir. Mais d'un côté, je ne peux pas tout déballer devant Sam et Tom. Et puis, les choses qu'elle veut savoir viendront après. Pour le moment, les questions, c'est pour moi. Après quatorze ans d'absence, elle me doit bien ça.

-Pas maintenant.

Je pose enfin la question qui me brûle la langue:

-Pourquoi ne m'as-tu jamais fait savoir que tu étais vivante?

Je lis tout à coup de la souffrance dans ses yeux.

-Je ne pouvais pas, Abigaëlle. Je t'aurai mis en danger. Tu étais protégée sur Newearth.

Un flot de souvenirs douloureux remonte à la surface et mon cœur se serre.

-Protégée? Tu plaisantes? Placée en orphelinat puis dans une famille d'accueil violente tu appelles ça protégée? Toute ma vie, j'étais seule! Aujourd'hui, je le suis encore, parce que savoir que tu existes à 17 ans, ça ne changes rien! Et tu me dis que sans toi j'étais protégée?

-Tu aurais été encore plus en danger, ici avec moi. Tu ne peux pas comprendre.

Je secoue la tête, dégoutée. Et moi qui croyais retrouver une grand-mère aimante et désolée.

Des larmes brûlent de glisser sur les joues mais je les retiens car je commence à en avoir marre d'avoir l'air faible. Par-dessus tout, j'en ai marre de tout ça, de toute cette vie. Marre de ces responsabilités débiles de sauver le monde et marre de savoir que la seule famille qui me reste ne regrette pas une seule seconde de m'avoir abandonnée.

Je regarde Esteban et lâche:

-Je m'en vais. J'en ai marre de tout ça.

Je récupère ma veste et sors de la petite maison en claquant la porte. L'atmosphère chaleureuse et le parfum à la vanille qui y régnait me quitte brusquement et je me retrouve dans une ruelle sombre et glacée à trois heures du matin. Je commence à marcher avant de me rendre compte que je n'ai nul part où aller. Super. Bon sang, ma vie entière n'est qu'une succession de galères et de ratés.

-Abby?

Je soupire en entendant la voix d'Esteban. Il m'attrape le poignet et je tente de me dégager sans succès.

-Laisses-moi tranquille.

-Abby s'il-te-plaît, écoutes moi. On a besoin d'elle.

-Non. Tu ne comprends rien.

-Je ne comprends pas tout mais suffisamment pour savoir que tu as mal. Je sais ce que c'est ça, par contre. Je sais que tu as mal, qu'elle t'a laissé tomber quand tu en avais le plus besoin mais on fait tous des erreurs.

-Tu ne comprends pas Esteban! Jusqu'à hier, j'étais certaine de n'avoir aucune famille. Alors qu'elle était là, terrée dans ce petit coin pendant que je réfléchissais à la meilleure façon de fuguer à douze ans! Elle était là, cachée ici pendant que je m'endormais tous les soirs en pleurant alors que je n'étais qu'une petite fille! En venant ici, j'étais pleine d'espoir, je pensais qu'elle serait désolée et hâtive de rattraper le temps perdu. Au lieu de ça, je vois une vieille dame qui distribue des chocolats chauds et qui est plus intéressée par la façon dont on est venus, plutôt que par les quatorze ans que j'ai passée sans elle.

-Je sais. Je sais, Abby. Mais je crois qu'elle te croyait vraiment en sécurité là-bas. Je crois qu'elle a fait ça en pensant bien faire.

-Elle ne regrette rien. Je ne pourrais pas lui pardonner ça.

Au fond de moi, je sais que j'ai besoin de chercher un coupable. Et ma grand-mère apparaît comme le meilleur rôle pour celui-ci.

Esteban prends mes mains dans les siennes.

-Ça vient avec le temps. Mais on a besoin d'elle. On a besoin de renseignements sur toute cette histoire de puce.

-Je ne veux rien savoir de tout ça. Je ne veux pas de ces responsabilités, je ne veux pas être l'espoir ou je-ne-sais-quoi. J'en ai marre.

-Tu n'as pas le choix. Tu ne pourras pas toujours te cacher ici, sans rien faire. Tu as besoin de savoir.

Je secoue la tête, énervée. Qu'est-ce qu'il ne comprend pas dans «j'en ai marre»?

-Non, c'est toi qui as besoin de ça! C'est toi qui t'es mis toi et ta famille dans un pétrin pas possible!

Ses yeux s'assombrissent. Ça y est. J'ai réussi à l'énerver. Sans comprendre pourquoi, j'en éprouve une satisfaction malsaine. Qu'est-ce-qui cloche chez moi?

-Ouais, pour toi Abby! S'exclame-t-il. Est-ce-que je dois te rappeler que j'ai fait ça pour ne pas que tu sois noyée dans une baignoire?

-Je rêve! Maintenant, c'est ma faute? Tout est de la tienne! À cause de qui je me suis trouvée enfermée et torturée?

-A cause de moi! Et on dirait que tu fais semblant d'ignorer que tous les jours, je le regrette!

-J'en ai marre Esteban, tu ne comprends pas? J'en ai marre de tout ça, de toute cette vie. J'en ai marre de toi, je te déteste de m'avoir amenée ici, de m'avoir fait croire au bonheur et de me faire maintenant porter tout le poids du monde sur mes épaules.

Esteban soupire, et passe les mains dans ses cheveux d'air air rageur. Il paraît se calmer et quand il m'adresse à nouveau la parole, sa voix est calme:

-Cette conversation est complètement insensée. Ça ne veut rien dire. On est en train de s'accuser l'un l'autre et de s'excuser en même temps.

Les larmes finissent par couler sur mes joues en silence.

-Je sais. Bredouillé-je. Je sais. Je suis perdue, c'est tout. Et je t'en veux.

-Je m'en veux terriblement, Abby.

-Luna m'as raconté. Dis-je en tournant la tête.

Je vois du coin de l'œil son sourcil se hausser.

-Ah oui? Qu'est-ce qu'elle t'a racontée?

Je lâche un rire jaune et balance mon truc d'un ton hargneux:

-Comment vous avez profitez de mon absence. Dis, vous êtes de nouveau ensemble ou tu couches avec elle seulement pour t'amuser?

Il secoue la tête, mi-stupéfait, mi-énervé.

-Elle t'a dit qu'on avait couché ensemble?

Je croise les bras et hoche la tête avec défi, bien décidée à avoir mes explications. Je dois probablement avoir l'air ridicule avec mes joues encore mouillés mais je m'en contrefiche.

-Abby, tu devrais avoir compris que Luna ment beaucoup.

-Ah tiens donc. Donc c'est elle qui ment. Tu es totalement innocent. Ben, bien sûr.

Il croise les bras, mécontent.

-Tu l'as cru? Tu penses vraiment que je m'envoyais en l'air alors que je t'avais envoyée chez les loups, que ma petite sœur souffrait tous les jours et que comme ma mission était finie, je n'avais plus de paye? Tu crois que je n'avais pas autre chose à faire?

J'ouvre la bouche puis la referme. Je sais très bien que Luna est une vipère. Je n'ai même pas réfléchis, je l'ai cru.

-Je... Je ne sais pas. Avoué-je. Quand j'étais chez toi, tu es sorti un soir dans une boîte de strip-teaseuses avec elle. Excuses-moi de douter de ta droiture... Je sais que tu ne me dois rien mais... ça fait mal.

-Abby je te jure que je n'ai pas fait ça. Et bien sûr que si, je te dois quelque chose. Je t'ai fait énormément de mal.

-Tu m'as fait croire à un avenir. Tout était du cinéma, depuis le début.

Il baisse les yeux, échappant à mon regard.

-Je ne sais pas comment me faire pardonner.

Ses yeux bruns retombent sur moi et mon ventre se serre douloureusement. Quelque chose se passe entre nous, d'inexplicable. En une seconde, nous nous retrouvons au début de notre histoire.

-Ne m'abandonnes pas, c'est tout. Murmuré-je, comme un appel à l'aide.

La seconde d'après, ses lèvres étaient sur les miennes.

-Je te le promets. Murmure-t-il contre ma bouche. Plus jamais.

Mon esprit me hurle de m'écarter, de m'enfuir. C'est faux. Tout est faux, je le sais. Esteban ne m'aime pas, il ressent tout au plus un simple désir. Pourtant, mon cœur refuse de l'admettre et fait glisser mes mains dans ses cheveux, colle mon corps au sien. Ma tête tente encore une fois de me raisonner en me criant que je ne fais que profiter d'une situation factice mais comme toujours, c'est le cœur qui gagne. Alors repoussant la raison, je l'approche encore plus de moi. Ses lèvres bougent avec passion contre les miennes et mon cœur explose dans ma poitrine. Un flot pur de passion coule dans mes veines. Sans comprendre comment et sans chercher à le comprendre, je me retrouve contre le mur froid. Son corps brûlant me fait vite oublier le mur et la fraîcheur de la nuit. Mon cœur tape si fort que c'en est douloureux mais sa bouche m'enivre. Soudain, une porte claque et la réalité me rattrape.

Je recule les yeux écarquillés, tremblante. Esteban me fixe dans le même état. Ses cheveux ébouriffés et ses joues rouges ne le rendent que plus désirable mais je tente de ne pas y penser.

-Pardon. Bredouille-t-il.

Je baisse la tête pour qu'il ne voie pas mes yeux s'embuer. Mon Dieu. S'il savait à quel point j'ai aimé ça. À quel point j'aime ça. Je ravale mes larmes et redresse la tête. Je prends sa main dans les miennes et la serre sur mon cœur. Il regarde nos mains, impassible. Je prends une grande inspiration et dit ce qu'il faut dire:

-Retournons à l'intérieur. On doit sauver le monde.



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Bonjour!

J'espère que vous allez bien et que vous passez tous un bon dimanche 😉

Je ne suis pas satisfaite de ce chapitre alors si vous avez des suggestions, des idées ou n'importe quoi le concernant je suis preneuse ^^. Vous le trouvez bien ou quelque chose ne va pas pour vous aussi? 😊

Comme toujours, votez et commentez (ou au moins votez, ça me fait tellement plaisir!) 🌟🌟🌟

Un grand merci à vous tous 💕 toujours présents au 39ème chapitre mais aussi à mes copines qui me soutiennent, me donnent des idées et me lisent:

Laulaudu13 ma pole danceuse LaurieRobert, Lenouille la fripouille LnaBensimon , Camille le poisson camiillerod, Océ la sorcière oceane-98 (même si elle lit de la même façon qu'elle mange c'est-à-dire trèèèès lentement), mon Clafoutis au raisin Avriella , Cam ma pintade hypermétrope qui m'envoie ses copines Pintadehyper et enfin (bien-sûr t'as cru que je t'avais oubliée?) : Gwenny8213 mon amour de ma vie ❤

Bonne journée à tous et merci de me lire!

Séléna. ❤

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