34. Nouveaux secrets
Je me tourne encore en encore mais le vieux matelas grince à chacun de mes mouvements. La maison des Torres était simple, mais chaleureuse et conviviale. Ici, rien ne donne envie de s'attarder. La pièce dans laquelle Tom et moi dormons sent l'humidité et la fenêtre donne sur celle d'une autre maison. Je suis sûre qu'en tendant la main, je peux toucher les rideaux des voisins.
Je n'ai pas visité toute la maison, mais tout à l'air dans le même état. Vieux, presque sale et pas entretenu. J'ai dû prendre ma douche dans une baignoire émaillée et redoutant qu'un scorpion sorte de nul part.
J'essaie de changer de position pour m'endormir, mais je redresse la tête en entendant des bruits bizarres. Des pas résonnent dans le couloir puis une porte claque. Des gémissements me parviennent ensuite. Je me lève doucement, sans réveiller Tom à mes côtés.
Je traverse la pièce et ouvre doucement ma porte. Au fond du couloir, je vois de la lumière, entre la porte et le parquet. Je m'avance à pas de loups et me fige en entendant à nouveau les gémissements puis des petits cris. Oh mon Dieu. Dites-moi que ce n'est pas ce que je crois.
Je m'éloigne de la porte et descends l'escalier jusqu'à la cuisine. Je crois que je vais rester au rez-de-chaussée jusqu'à ce que ça se termine. Mais j'entends des voix d'hommes qui montent l'escalier. Paniquée, je remonte à toute vitesse et file dans la pièce la plus proche, la salle de bain. Un œil entre la porte et le mur, j'observe deux hommes passer devant moi et parlant doucement.
Je n'entends pas ce qu'ils disent, mais ils se mettent à ricaner. Une fois partie, je sors de ma cachette et descends l'escalier en grimaçant. Où Esteban nous a-t-il amené?
Le rez-de-chaussée est plongé dans la pénombre. Je traverse le salon et arrive dans la cuisine où je suis arrivée ce matin. La lumière de la lune éclaire la petite pièce et je découvre Luna, assise sur une chaise, les coudes posés sur la table de la cuisine et les mains sur les oreilles. Elle ferme les yeux et son visage est crispé, comme si elle se forçait à rester dans cette position.
-Luna?
Elle sursaute et redresse la tête. En me voyant, elle fronce les sourcils et ses yeux deviennent des couteaux. Elle se lève lentement, et s'avance vers moi avec souplesse et élégance. Une fois son visage à quelques centimètres de moi, je ne distingue plus que ses yeux froids et tranchants.
-Si tu le dis à quelqu'un, je te tue.
J'ouvre la bouche pour répondre mais elle me coupe:
-Est-ce-que c'est clair?
Je hoche la tête et elle fait de même, avant de retourner s'asseoir. Je reste plantée là, ne sachant que faire.
-C'est ta mère à l'étage? Je demande bêtement.
-Non. Répond-t-elle sans hésitation. Cette femme n'est pas ma mère. Je ne sais pas qui elle est.
Je hoche la tête et pour la première fois depuis que je l'ai vu, je ressens de la peine pour elle. Pas de la pitié, non, je sais que tout le monde déteste ça, moi la première. Je ressens simplement de la compassion pour cette fille que je jugeais encore ce matin alors que je ne savais rien d'elle.
-Je peux rester ici? Demandé-je. Je ne veux pas retourner à l'étage.
Elle hoche la tête et je tire une chaise pour m'asseoir.
-Personne ne le sait?
-Non. Seulement Esteban. Tout le quartier la connaît, mais personne ne sait que je suis sa fille.
Je ne parle plus et un long silence s'étire. Elle finit par parler, et je me tais, craignant de briser cet instant d'aveux.
-Je ne lui parle quasiment pas. Dit-elle. Nous ne mangeons pas ensemble et ne nous voyons quasiment pas. Je la hais, tu sais? Je la hais.
Je hoche encore la tête, l'invitant à continuer.
-Elle n'est même pas capable de m'acheter deux ou trois fringues, ou de me faire à manger. Tout son fric, elle le donne à des types, je ne sais pas qui, mais je sais qu'elle bosse pour eux. Je suis obligée de servir dans des bars de strip-teaseuses pour acheter du pain et des pâtes. Elle me dégoûte. Tout chez elle me dégoûte. Alors, non, cette femme n'est pas mère.
Je croise les bras en frissonnant. Il fait froid ici. Observant, mes mouvements, Luna s'excuse:
-Je suis désolée de vous faire vivre ça. C'est juste que... Esteban ne savait pas où vous cacher.
-Tu n'as pas à t'excuser. C'est super de ta part de bien vouloir nous cacher chez toi. Tout est de ma faute. Je mets en danger tout le monde et je ne mérite en aucun cas des excuses. Je comprends si tu m'en veux.
-Je ne t'en veux pas pour ça, Abby.
-Pour quoi, alors?
-Pour Esteban. Tu m'as volé Esteban et je savais que tu me l'avais pris à l'instant où il a prononcé ton prénom. Il ne t'avait pourtant pas encore rencontrée.
Je fronce les sourcils. Pause. Je ne comprends pas tout.
-Comment ça?
-Avant de partir sur Newearth, Esteban a étudié ton dossier pendant des mois. Je ne sais pas quelle formation il a reçu mais il était entraîné a toutes les situations qu'il pourrait rencontrer dans votre armée. Il connaissait tout de toi, je le sais, parce que j'ai découvert chez lui des photos de toi le jour de ta naissance. Le gouvernement l'a préparé comme aucun autre. Le jour où il m'a annoncé qu'il partait pendant plusieurs mois sur l'autre île pour ramener une fille ici, je me suis énervée. J'ai été tellement jalouse qu'il sache autant de choses sur toi! Il a dit ton prénom d'une façon qui m'a mise hors-de-moi, comme s'il était déjà proche de toi. On a rompu. Et quand il est revenu avec toi, je l'ai vu dans ses yeux. Abby, il est amoureux de toi. Et c'est pour ça que je te déteste.
Je déglutis. Elle se trompe sur toute la ligne. Mais vu sa façon de parler, rien de ce que je dirai ne changera son avis.
-C'est faux Luna. Il est loin d'être amoureux de moi. Il m'a séduite pour me trahir et m'a laissé me faire torturée pendant des semaines.
Un bruit nous parvient au-dessus de nos têtes et nous sursautons de concert. Nous levons la tête. L'ampoule au-dessus de nous bouge lentement. Il doit se passer des choses répugnantes, en haut.
-Je la hais. Chuchote Luna.
Je me tourne vers elle dans l'espoir que nous continuons notre conversation mais je n'aperçois plus la Luna de tout à l'heure. Elle est redevenue froide et distante. La Luna méchante que je connais.
Elle hausse ses épaules.
-Tu as peut-être raison. Dit-elle. Je pensais qu'il était amoureux de toi mais aujourd'hui, j'ai des doutes. Pendant ces semaines où tu n'étais pas là, on s'est revu. Je crois qu'on va se remettre ensemble.
-Vous... Vous vous êtes revus? Qu'est-ce-que tu veux dire?
Elle lève les yeux au ciel comme si c'était évident.
-On a couché plusieurs fois ensemble. Et c'était comme avant! Tu sais, Esteban est un homme, il s'en va et revient. Et je crois qu'à présent, il revient. Alors je te prierai de t'écarter de notre chemin. Il n'a pas besoin d'une gamine de 16 ans, il a besoin de moi.
Je me lève et m'écarte d'elle. Mon sang est en train de bouillir dans mes veines.
-Bonne nuit Luna.
Je retourne dans ma chambre, me coucher. Je suis énervée et serre les poings pour me calmer. Je ne dois pas provoquer un scandale. Cette fille a le pouvoir de me livrer au gouvernement. Je ne dois pas la tenter.
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