32. Rescapée mais qu'à moitié

J'aide Tom à se relever et il met quelques secondes à trouver l'équilibre.

-Vite, on s'en va.

Il hoche la tête et suit Esteban, déjà à la porte. Après avoir écouté et n'avoir entendu que le silence, celui-ci ouvre prudemment la porte. Nous le suivons à l'extérieur de la pièce. 

Mon cœur bat à cent-milles à l'heure. La peur et l'excitation fourmille en moi. Je dois sortir de ce trou à rat. Un mois sans voir le soleil m'a anéantit.

Esteban nous mène jusqu'à l'ascenseur. Celui que je prenais quand j'étais encore dans la chambre d'invitée. C'est étrange de le reprendre. Heureusement, l'ascenseur est vide. Nous rentrons et Esteban appuie sur le rez-de-chaussée. Je ne tiens pas en place, tremblante et stressée.

Esteban soulève son tee-shirt pour en sortir deux pistolets et se tourne vers nous.

-On va arriver au hall. Il y aura du monde. Courrez vers la sortie et prenez le tramway. Si jamais je ne vous rejoins pas, allez chez moi, Abby tu sais où c'est. Ma famille saura quoi faire.

Je fronce les sourcils.

-Tu nous rejoindras avant.

-J'espère. Dit-t-il en hochant la tête d'un air, pensif.

Il enfile une cagoule puis tend un des pistolets à Tom qui le prend sans hésitation.

-Et moi? Demandé-je.

-Tu n'es pas en état de tuer quelqu'un.

Je serre les lèvres pour ne pas l'insulter. De quoi il se mêle? Mais comme il nous fait sortir de cet endroit, je ne dis rien et me contente de me tourner vers Tom. Celui-ci me fait un minable sourire qui se veut encourageant.

Les portes finissent pas s'ouvrir et nous sortons d'un pas hésitant. Puis, sans me laisser le temps de courir, Tom m'attrape la main et me force à marcher tranquillement, comme si tout cela était normal, que nous n'étions pas en train de nous échapper. La luminosité reflétée par les grandes vitres m'aveugle et je cligne des yeux plusieurs fois. Mais c'est tellement bon de revoir la lumière du jour.

Alors que nous ne sommes plus qu'à une dizaine de mètres de l'entrée, un vigile s'approche de nous. Il jette un coup d'œil à ma tenue trempée et au sang sur le tee-shirt de Tom.

-Excusez-moi. Vous êtes?

J'ouvre la bouche mais aucun son n'en sort.

-Des acteurs. Lâche Tom d'un air sûr. Il y a un tournage quelques étages plus bas, vous ne le saviez pas?

Le vigile hausse les sourcils et nous fait signe de ne pas bouger. Il prend son talkie-walkie et y marmonne quelque chose. Une voix grésillée lui répond. L'homme relève les yeux vers nous, mais cette fois, ce sont des yeux beaucoup plus méfiants.

-Veuillez attendre ici. Je vais contacter quelqu'un. Je ne crois pas que...

PAN. Le vigile me fixe, les yeux écarquillés, puis tombe raide mort. Je regarde la tâche rouge sur son cœur, pétrifiée. Je suis bousculée par Tom, qui tient toujours son arme à la main.

-Bouges!

Il se met à courir, m'entraînant à la suite. Des gens crient derrière nous et des voix nous intiment de nous arrêter. Une balle siffle à quelques centimètres de mon bras et mon cœur manque un battement.

Nous franchissons la porte d'entrée et Tom emprunte une ruelle au hasard. Sans cesser de courir, j'entends les cris et les voix s'éloigner. Tom plonge derrière une poubelle et m'attire dans ses bras pour nous cacher. Après quelques secondes, deux vigiles passent en courant devant nous, sans nous voir. Nous attendons qu'ils s'éloignent, en silence et sans bouger. Au bout d'un long moment, la voix de Tom me murmure à l'oreille:

-Est-ce-que tu vas bien?

Je hoche la tête et m'écarte de lui en me rendant compte que j'étais agrippée à ses épaules.

-Il faut qu'on aille chez Esteban. Ils vont sûrement envoyer des hélicoptères.

Tom acquiesce et se redresse. Soudain, des pas résonnent dans la ruelle et nous replongeons derrière la poubelle.

Je jette un œil discrètement et reconnais Esteban. Je sors de ma cachette sans hésitation et me rue vers lui, constatant qu'il est couvert de sang.

-Tu es blessé?

Il secoue la tête.

-Ce n'est pas mon sang. Et vous?

-Non plus.

-Tout va bien. Soupire-t-il avec soulagement. Rentrons chez moi.

********


Je fixe mon reflet dans le miroir de la salle de bain en tentant de me reconnaître. Je n'ai plus rien du soldat de Newearth, et je ressemble encore moins à la fille amoureuse en cavale. Mon visage m'est presque inconnu. Mes cheveux, qui m'arrivent à présent dans le cou sont sales et abîmés. Ma lèvre inférieure est fendue, écarlate. Une de mes joues porte un gros hématome violacé et mon visage me montre aussi d'autres traces de coups. J'ai d'immenses cernes noirs mais ce qui me frappe le plus, c'est la peur que je voie dans mes yeux. Je ressemble à un animal terrorisé et ça me fait mal, terriblement mal, car je ne me suis pas vue ainsi depuis le jour où j'ai quitté ma famille d'accueil. 

Je retire mon tee-shirt et le jette par terre. Je grimace en voyant mon corps. J'ai terriblement maigri. Mes os sont saillants et abîmés par les coups. Je tente d'effacer les traces de sang sur mon visage et mes bras mais elles ne partent pas. Je me mets à frotter furieusement sur mon avant-bras déjà meurtri. Il devient vite rouge et ma peau me brûle. Énervée, je relève à nouveau les yeux dans le miroir et croise mon regard. 

Une larme coule le long de ma joue mais je ne cherche pas à la retenir. Bientôt, c'est un flot de larmes qui me ravage et je m'appuie sur les bords du lavabo en hoquetant. Le bruit qui monte dans ma gorge me surprend. Cela fait des années que je n'ai pas sangloté de manière incontrôlable.

Tout à coup, la porte s'ouvre sur Esteban. Il me fixe l'air perdu quelques instants puis rentre dans la salle de bain et referme la porte derrière lui. Il tente de s'approcher de moi mais je tends la main vers lui.

-Ne m'approche pas.

Sa mâchoire se contracte et il détourne le regard une fraction de seconde avant de le reposer sur moi.

Ses yeux observent mon corps et il semble souffrir en voyant mes plaies. Je m'en fiche. Je ne désire que sa souffrance.

-Abby...

-Arrêtes! M'écrie-je à travers mes larmes. Arrêtes de faire ça! Tu m'as écrasée et jetée aux loups et tu fais le type compatissant! Je ne peux pas supporter ça, je te hais Esteban, tu m'entends? Je te hais!

J'attrape un flacon au hasard et lui jette dessus. Il l'évite de justesse et l'objet explose en mille morceaux sur le mur derrière lui.

-Écoutes moi une minute. Essaie de comprendre! Je me déteste de t'avoir infligé une chose pareille mais la vie de ma petite sœur était en jeu!

Je détourne le regard, les yeux embués.

-Il y a toujours d'autres solutions.

-Pas cette fois. Je ne te demande pas de me pardonner mais de comprendre! S'exclame-t-il.

-Tu m'as fait tomber amoureuse de toi consciencieusement, ça aussi je dois le comprendre?

Il soupire et passe une main dans ses cheveux.

-Tu ne comprends pas. Tu n'es qu'une gamine perdue.

J'ouvre la bouche, abasourdie.

-Pardon? C'est moi la perdue ici?

-Tu n'as pas de famille! Tu ne sais pas ce que c'est! Et tu auras beau prétendre être aimée, personne ne t'attends! Le monde ne tourne pas autour de toi Abby!

Je reste choquée par tant de méchanceté.

-Alors c'est lui le vrai Esteban? Celui qui laisse les gens se faire torturer et jette le fait d'être orphelin comme une insulte?

Il m'adresse un regard noir et serre les poings.

J'attrape un autre flacon sur une étagère et me prépare à lui jeter dessus mais il se rue vers moi pour me l'arracher des mains.

-Ne touches pas à ça! Hurle-t-il.

Je sursaute, surprise, avant de me reprendre:

-J'aurais voulu ne jamais te connaître! J'aimerais qu'on redevienne des inconnus et que je puisse te haïr tranquillement. Alors arrêtes d'essayer de te faire pardonner et de jouer au gars désolé, parce que je ne peux pas et je ne veux pas te pardonner!

Je me mets à sangloter de plus belle et Esteban tente de m'attraper les poignets mais je résiste et le repousse de toutes mes forces. Il ne bouge pas d'un millimètre et m'attrape pour me plaquer à lui. Je me débats de toutes mes forces mais il ne me lâche pas. J'ai une sensation de déjà-vu. La première fois où il a tenté de me maîtriser, c'était dans la salle d'eau du Triomphe. Sauf que là, j'étais en colère pour quelque chose de beaucoup plus futile. Aujourd'hui, je hais Esteban et j'ai envie de le tuer à mains nues.

Comprenant que je n'arrive même pas à le frapper, j'abandonne et enfoui mon visage dans son cou en pleurant. Mes sentiments se bousculent. Je l'aime et je le hais. Mais par-dessus tout, je suis terriblement déçue. Il m'enlace la taille et me serre contre lui. J'attrape un morceau de son tee-shirt et le froisse dans mon poing pour évacuer ma rage et ma tristesse.

-Je ne pensais pas ce que j'ai dit. Lâche-t-il doucement.

Au bout de longues minutes de silence, seulement interrompues par mes sanglots, Esteban m'attire vers la baignoire et allume l'eau, qui se met à la remplir. La vapeur envahit la pièce.

Il m'écarte doucement de lui et retire son tee-shirt et son jean d'un geste souple, restant en caleçon. Puis, il retire doucement mon short, et je me laisse faire, bien trop épuisée pour résister. Une fois tous les deux en sous-vêtements, il me soulève et rentre avec moi dans la baignoire. 

L'eau est brûlante mais je ne lâche pas une syllabe parce que ça fait du bien. J'ai l'impression que l'eau bouillante apaise la douleur que je ressens et soigne mes plaies. Esteban s'assoit derrière moi et rince mon dos avec douceur, effaçant le sang et la saleté encrassés sur ma peau. Je ramène mes genoux contre ma poitrine et les entoure avec mes bras, le regard perdu dans le vide. Quand ses doigts pleins de shampooing commencent à masser mon crâne je ferme les yeux.

-Je suis désolé Abby. Tellement désolé... Je vais arranger ça, je te le jure. Murmure-t-il comme s'il se parlait à lui-même.

Je ne réponds pas, fixant l'eau claire devenant grise puis blanche de savon. Je laisse la chaleur de l'eau infiltrer mes pores et tenter de me guérir. Puis sans même m'y attendre je pose ma tête entre mes genoux et pleure à nouveau. Le flot de larmes qui s'échappe de mes yeux se mêle à l'eau brûlante.

Des bras m'attirent doucement vers l'arrière et je me retourne vers Esteban, et m'accroche à lui pour pleurer. À présent sur le ventre, je sanglote contre son torse de plus en plus fort. Il me tient fermement, comme s'il avait peur que je disparaisse. 

Et je me laisse aller contre cette chaleur réconfortante, parce que ce sera la dernière fois. Demain, je le haïrai à nouveau.

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Bonsoir!

Un nouveau chapitre un peu long mais j'espère qu'il ne vous a pas lassé et que ça vous a plus! Abby est tirée d'affaire, du moins, pour le moment. 😉

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Séléna. 

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