30. Nouvel essai

PDV ESTEBAN

Je glisse mes doigts entre les siens et me met à courir, l'entraînant à ma suite. La pluie tombe de plus en plus fort et j'esquive les flaques d'eau sans lâcher la main de Luna. Je l'entends rire et je souris à ce son mélodieux.

Une fois devant chez moi, j'ouvre la porte sans taper et la tire à l'intérieur. Par habitude, elle jette sa veste trempée sur le porte-manteau et retire ses chaussures. Sans savoir l'expliquer, ça me fait plaisir. Chez moi, c'est chez elle aussi. Même après tout ce qui s'est passé, elle a ce don de dédramatiser et de vite reprendre ses marques.

J'entends ma sœur se disputer avec Luis dans la cuisine. Sa petite voix me réchauffe le cœur. Elle est à la maison. Depuis que le gouvernement m'a définitivement rendue Ana, un poids s'est échappé de mes épaules. Avec le temps, on s'était habitués à ses absences, ses fièvres soudaines, ses bleus et ses pleurs. Aujourd'hui, je me demande comment j'ai pu tolérer une chose pareille.

Je m'avance avec Luna jusqu'à la cuisine et souris en voyant les yeux d'Ana et Luis s'agrandir.

-Luna! S'exclame Ana en lui sautant dans le bras. Je suis contente de te revoir!

Elle éclate de rire et serre ma sœur contre elle.

-Moi aussi Ana. Ça faisait longtemps.

Elle fait un clin d'œil à mon petit frère et je m'appuie contre le chambranle de la porte. Tout va bien. J'ai ramené mon ex chez moi et tout le monde est ravi. Je devrai me sentir joyeux et apaisé. Alors pourquoi ce vide dans mon cœur et ce sourire est forcé?

********

-Rien n'a changé. Remarque Luna en observant mes cadres et photos pour la énième fois.

Je suis assis sur mon lit et l'observe détailler mes murs, s'arrêtant devant chaque photos et chaque objet. Tout en l'observant, je ne peux m'empêcher de l'admirer. Elle est sublime, comme toujours. Ses vêtements trempés lui moulent le corps mais elle ne semble pas s'en soucier. Ses longs cheveux noirs tombent en une cascade humide dans son dos.

Je me souviens encore de notre première sortie tous les deux. Ce n'était qu'un cinéma, mais je me souviens de la fierté que j'avais ressentie en l'ayant à mes côtés. À la base, je suis sorti avec elle par défi. C'était le canon du quartier, la fille que tout le monde aimait et qui était pourtant inaccessible. On ne savait pas grand-chose qu'elle, à part qu'elle respirait la joie de vivre tout en étant sexy et fêtarde. Je suis sorti avec elle pour un pari. Je suis sûre qu'elle le savait mais elle a quand même été d'accord.

Et puis au fil du temps, je suis devenu dingue d'elle. Ce n'était plus un pari. C'était mon coup de cœur. Elle était mon bonheur, celle qui me mettait le sourire aux lèvres. J'ai découvert la fille malheureuse sous ses airs joyeux, la peste sous son attitude bienveillante et la jalouse derrière son calme. Et je ne l'en aimais que davantage. Jusqu'à la trahison. Je ferme les yeux. Je ne dois pas penser à ça. C'est fini, on en a déjà parlé.

Je la regarde à nouveau. Elle est plantée depuis plusieurs secondes devant une de mes photographies. Je me lève et la rejoins.

-Elle est nouvelle, non? Me demande-t-elle en me désignant une photo d'elle.

Je m'en souviens. C'est une photo que j'ai prise à son insu. Elle s'était endormie dans mes bras après avoir longuement pleuré, comme souvent à cette période. En me réveillant, je l'avais contemplée dans mon lit, si belle dans son sommeil, et j'avais capturé l'instant.

-Oui. Je l'ai retrouvé juste avant de partir.

Elle hoche la tête en la regardant à nouveau. Puis me regarde-moi. Ses lèvres esquissent un minuscule sourire et j'ai terriblement envie de les goûter. Comme avant. Elle paraît comprendre car elle redresse le menton et sans me quitter du regard, retire son pull et le jette par terre. Elle ne porte plus que son jeans et son soutien-gorge.

Sans réfléchir, j'attrape son visage et l'embrasse fougueusement. Elle répond à mon appel et se plaque contre moi. Sans cesser de l'embrasser, je réalise la vérité de l'instant. Mon cœur bat normalement dans ma poitrine, mes sens ne sont pas sans dessus-dessous. Je ne ressens qu'une attirance physique pour Luna. Je ne retrouve pas ce besoin d'elle et ce sentiment délicieux que j'avais auparavant quand j'étais en sa compagnie.

Alors qu'elle calme ses ardeurs ressentant sûrement mon indifférence, je glisse mes mains le long de son corps pour l'inciter à continuer. Nous avons commencé, nous allons finir. Et j'espère que ça me permettra d'oublier l'autre visage dans mon esprit.

Alors que je glisse mes doigts dans son dos pour défaire l'agrafe de son soutien-gorge, elle rompt doucement le contact et s'éloigne de moi.

-Non. Pardon Esteban, mais non.

Je fronce les sourcils.

-Qu'est-ce-qui se passe?

Elle passe la main dans ses cheveux, d'un air contrariée. Puis elle m'observe. Ses yeux sont voilés de tristesse.

-Tu n'es plus amoureux de moi, n'est-ce-pas? Lâche-t-elle doucement.

Je reste bête. Je ne sais même pas quoi lui dire. Voyant qu'elle attend une réponse, je réponds honnêtement:

-Je ne sais pas. Je ne sais plus du tout.

Elle hausse ses minces épaules et s'avance pour prendre ma main.

-Je le sens. Je sens que je ne suis plus au même endroit qu'auparavant dans ton cœur.

-C'est toi qui t'ai déshabillé. Dis-je sèchement.
Je sais que je me comporte comme un sale type mais c'est plus fort que moi. Tout allait bien, j'allais oublier Abby pendant un moment et il faut toujours que Luna mêle les sentiments.

Elle plisse les lèvres et ramasse son pull pour l'enfiler rapidement.

-Il y a quelqu'un d'autre. Ne me mens pas Esteban. J'ai raison non?

Je soupire et me laisse tomber sur mon lit. Ça ne va pas recommencer?

-Non. Il n'y a personne d'autre que toi.

-Tu mens. Tu comptais te servir de moi pour oublier cette personne. Dès que tes mains m'ont touchées, j'ai su que tu ne voulais que du sexe. C'est qui cette personne?

Je me redresse, à présent bien en colère. Elle a visé juste et ça m'énerve.

-Comment tu peux me reprocher ça? C'est ce que tu as fait pendant des mois!

-C'est faux!

-Luna, je t'ai retrouvé dans le lit d'un de mes meilleurs amis, et tu as encore des choses à me reprocher? Comment tu peux être aussi horrible? Je n'ai pas le droit de dire bonjour à une fille, mais toi, tu peux te taper ma bande de potes? J'ai réussi à te pardonné un truc pareil! Alors qu'est-ce-que tu veux de plus?

Elle croise les bras et je sais qu'elle se retient de pleurer. Je la connais par cœur. Et ça me fait mal. Je me déteste de la faire pleurer. Mais je hais quand elle est comme ça. Frôlant l'hystérie.

-Je suis désolée, tu le sais. Mais je ne te dirai pas amen à tout pour me faire pardonner. Je ne veux pas être le deuxième choix.

Elle prend son sac et sort de la chambre. Je prends ma tête entre les mains. Comment je peux être dépendant d'une fille comme elle? Elle n'est pas bête. Elle sait très bien que je reviendrai vers elle.

********

-Tu t'es encore disputé avec Luna? Quand ça?

-Hier. Marmonné-je, allongé sur mon lit, une clope à la bouche.

Sean est assis sur mon bureau, les pieds sur ma chaise.

-Mais, tu la revois maintenant?

-Pas depuis hier. J'ai écouté Rafael, je n'aurais pas dû.

Mon ami soupire et souffle un rond parfait de fumée de tabac.

-Tu sais très bien qu'il ne faut pas écouter ton frangin. Dit-il en se levant.

Il ouvre la fenêtre et un vent frais traverse la chambre.

-Pourquoi tu ouvres? Fermes ça!

-Ton père va t'engueuler, s'il sent l'odeur. Et puis, on se croirait dans un fumoir.

-Mon père s'en fout, Sean.

Il fronce les sourcils et se rassoit sur mon bureau.

-Il a rechuté?

Je hoche la tête. Mon meilleur ami ne dit rien alors que je me contente de tirer sur ma cigarette comme un forcené, comme si ce poison était tout mon avenir. Après tout, c'est sûrement ça. La mort finit forcément par arriver, mais pas au même moment. Les gens comme moi ne méritent pas de vivre longtemps. On leur a donné leur chance, ils ont échoués. La faucheuse viendra donc rapidement. Je ne sais plus pourquoi je fume. Si c'est pour m'apaiser ou pour mourir plus tôt.

Sean se lève et s'assoit sur le bord de mon lit. Il me fixe longuement et je hausse les sourcils attendant sa question. Quelle morale vais-je recevoir aujourd'hui?

-C'est quoi ton problème? Finit-t-il par lâcher.

-Quel problème?

-Ça!

Il me désigne d'un geste vague.

-Tu t'es vu? Continue-t-il. Mon frère, tu ressembles à une pauvre carcasse déprimé. Pourquoi tu te laisses aller? Tu ne fais plus rien, à part courir et fumer! Le truc illogique en plus!

Je grogne et détourne les yeux.

-C'est quoi le souci? Depuis que t'as ramené cette fille ici, t'es plus le même.

Je me redresse soudainement, méfiant. Il peut jouer le paternel, mais qu'il ne parle pas d'Abby.

-Ah! S'exclame-t-il en agrandissant les yeux devant ma réaction. C'est ça! C'est cette Abby qui te met dans cet état!

-Arrête de dire n'importe quoi. Il n'y a rien. Cinglé-je.

Mais il se fiche de mes protestations. Il a compris.

-Écoutes Esteban, j'imagine à quel point tu t'en veux et je sais que c'était mal. Mais tu l'as fait pour ta famille. Tu ne peux pas regretter ça.

-Je sais.

Je soupire longuement. Il ne peut pas comprendre. Il ne peut pas sentir le vide dans mon ventre et le mal-être que je ressens. Jamais de ma vie je ne me suis sentie aussi lâche et pourtant, j'ai ai eu l'occasion.

-Si tu le sais, pourquoi tu es aussi mal?

-Tu ne comprends pas Sean. C'est dur. Elle avait rien demandé et là, elle est train de se faire torturer.

Il grimace. Il ne savait sûrement pas ça.

-Et si je vais l'aider, soit je crève, soit mieux, Clarks tue toute ma famille pour me le faire regretter. Je ne sais pas quoi faire. Avoué-je.

Il hoche la tête.

-Je suis désolé. Je ne savais pas. Dit-il.

Je passe une main dans mes cheveux d'un air rageur.

-Je pense à elle tout le temps, mec. Ça en devient terrifiant. Elle n'est pas là et elle est partout en même temps. Je suis en train de devenir fou.

Sean se lève à nouveau et s'appuie contre le mur. Un long silence s'étend alors que nous sommes tous les deux plongés dans nos pensées.

-Je suis sûr qu'au fond de toi, tu sais ce que tu dois faire. Alors arrête de te réfléchir et fais-le.

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