3. C'est la guerre (bis)
Je tousse et crache de la poussière. Ma tête est lourde et mes oreilles sifflent. Il ne faut pas que je referme les yeux. Je me force à me relever et je regarde autour de moi.
Le plafond s'est effondré et je suis prisonnière entre des blocs de murs. Je suis au milieu d'un tas de poussière et de ciment et je sens la poussière partout sur mon corps, mon visage jusque dans ma bouche. Une légère lumière venant d'entre les parpaings me fait voir que mes mains sont ensanglantées. Comme si les voir avait déclenché quelque chose, je ressens soudain une vive douleur à l'épaule. Je pose ma main dessus et tressaille au toucher. Je tourne la tête et je ne vois que de la chair et du sang. Oh non. Le coup de feu de tout à l'heure m'a donc finalement touchée.
Je n'ai pas d'autre choix que de déchirer le bas de mon pantalon et que de l'appuyer sur mon épaule. La douleur est forte et je suis obligée de m'asseoir pour ne pas tomber dans les pommes.
-Esteban?
Je ne reçois aucune réponse. Il est tout le temps là quand il ne faut pas et quand j'ai besoin de lui, il n'apparaît pas. J'entends encore les coups de feu et des cris mais cette fois, je ne peux rien faire. Être ici, prisonnière entre des murs, alors que je me suis entraînée pendant des mois m'agace au plus haut point. Malgré la peur, je suis venue sur ce bateau pour me battre. Je n'arrive qu'à me faire blesser. Je ne suis même pas en sécurité car ma blessure n'a pas l'air d'être anodine. Si je m'évanouis, personne ne sera là pour empêcher mon sang de se répandre. À cette pensée, la peur me comprime le ventre. Je peste entre mes dents.
J'entends encore des cris lointains suivis de coups de feu et d'explosions. Le bateau tangue et je viens me cogner le genou contre un bout de ciment. S'ils continuent ainsi, nous allons finir par couler! Cette journée mouvementée serait peut-être finalement la dernière de ma vie. Une nouvelle explosion retentit et le sol penche dangereusement sur la droite. Je glisse de nouveau et cette fois c'est ma tête qui cogne contre quelque chose. Puis plus rien.
-Hansen, vous êtes là? Hansen?
J'ouvre faiblement les yeux et essaie de me relever. Un éclair de douleur me traverse et m'en empêche.
-Hansen?
-Je suis là. Dis-je d'une voix rauque et abîmée que je ne reconnais pas.
-Nous allons vous sortir de là, tout va bien. Vous êtes blessée?
Je me racle la gorge et prend une grande inspiration.
-Oui, à l'épaule. Mais ça va.
-Tenez fortement votre épaule pour empêcher l'hémorragie, nous arrivons.
J'entends des outils traverser les murs effondrés et je vois la lumière percer à travers les briques. Au bout de ce qu'il me semble être une éternité, un homme que je reconnais être le médecin de bord m'apparaît.
-Donnez-moi votre main, il faut sortir de là.
J'obéis et me relève à bout d'ultimes efforts. La douleur me broie l'épaule et je manque de retomber. J'arrive à ramper par le passage que les soldats ont creusé pour moi et je sors enfin. J'écarquille les yeux en voyant le couloir à moitié effondré, les bouts de plafond qui pendent.
Que nous ne soyons pas tous au milieu de l'océan à cette heure-là, est un miracle. Les dires de mon lieutenant sont vérifiés: notre bateau est réellement le plus costaud de toute la flotte de Newearth. Le médecin ouvre une porte au hasard et rentre dans ce qui devait être une cabine, il y a quelques heures. Le lit est presque éventré.
-Asseyez-vous sur le lit, je vais examiner votre blessure. Dit-il avec un air inquiet.
J'obéis et grimace quand il retire mon pansement de fortune.
*********
Je sors sur le pont une fois mon épaule bandé. Mes bras et mes mains sont couverts de poussière, le bas de mon pantalon déchiré et mon visage doit être noir aussi. Je dois avoir fière allure. Je sors et constate qu'il fait déjà bien jour. L'attaque a été longue. Des formes longues sont au sol un peu partout entre les débris.
Étonnée, je m'avance plus pour les distinguer. C'est en voyant Kristen James pleurer à genoux devant un, que je comprends. Ce sont des corps. Il y en a beaucoup trop. Je refrène une panique soudaine et m'avance. Mes mains tremblent à nouveau. Certains me sont familiers d'autres non. Certains sont habillés en bleu foncé, d'autres en noir. Mais je constate que le bleu est plus présent. Les pertes ont dû être considérables. Pourvu que ni Tom, ni Esteban ne soit allongés parmi eux.
Je parcours le pont en jetant de brefs regards aux cadavres. Leurs visages sont gris et leurs yeux tous fermés. Certains sont maculés de sang tandis que d'autres en ont à peine. C'est injuste. Personne n'aurait dû mourir. Un haut-le-cœur remonte en moi et je me contiens pour ne pas vomir. Alors que je change de pont, d'autres corps s'y trouvent encore. Des soldats pleurent ou restent accroupis devant eux, le visage livide et stupéfait. Personne ne réalise.
Je distingue une silhouette debout au loin et j'ai envie de pleurer de soulagement. Tom. Il est vivant.
Je cours presque jusqu'à lui.
-Oh mon Dieu, Tom, tu es vivant.
Il se tourne vers moi et le soulagement emplit ses yeux aussi.
-Toi aussi. Soupire-t-il
Mais il ne me prend pas dans ses bras comme je m'y attendais. Il regarde de nouveau le corps devant lui. Je me tourne vers celui-ci, légèrement déçue de son attitude.
C'est une fille blonde en uniforme noir. Elle ne porte pas de cagoule contrairement à beaucoup et doit être un peu plus jeune que moi. Une trace de sang séché sépare son visage en deux et un point rouge est visible au niveau de sa poitrine. Je ne dis rien. J'attends qu'il parle.
Il se racle la gorge et ouvre la bouche avant de la refermer. Il a l'air sous le choc.
-Je l'ai tuée. Finit-il par lâcher
Je comprends soudainement. Nous avions été préparés à cela, mais le faire réellement, c'est terrible.
-Elle ressemble à ma sœur.
Je prends sa main et la serre avec compassion. Elle est gelée.
-Tu n'avais pas le choix. Finis-je par dire, hésitante. C'était elle ou toi.
-Je sais. C'est ce que je me répète en boucle. Mais cela ne change rien. Je l'ai tuée de ma propre main.
Je veux dire quelque chose mais je ne sais pas quoi. Il n'y a rien à dire. J'ai peur d'ouvrir la bouche et de dire quelque chose qui semblera si nul en comparaison de la matinée atroce que nous venons tous de passer.
Le monde dans lequel nous vivons est cruel et injuste, et nos actes le sont aussi. J'aimerais partir de ce bateau, l'emmener loin d'ici, sur un véritable morceau de terre qui n'a pas été submergé par l'océan. J'aimerais tant qu'il oublie à jamais le visage de cette fille et que je ne pense plus à l'homme qui a voulu m'étrangler. Au lieu de quoi, je lui prends la main et je le conduit à l'intérieur.
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Bonjour!
Désolée du retard, je n'ai pas eu le temps de poster ces derniers jours... Voici la deuxième partie du chapitre 3. Si ça vous a plus, n'hésitez pas à voter et commenter! 😉
Bonne journée :)
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