28. Tu es tout ce que je déteste

Je redresse la tête en gémissant. Mon corps est tout ankylosé et ma tête gronde. J'ai l'impression d'être passé dans une machine à laver. Quelqu'un applique de l'eau fraîche sur mon front, me débarrassant de la sueur mélangée au sang. J'ouvre faiblement les yeux. C'est une des domestiques que j'ai déjà vue. Elle nettoie mon visage tandis que le sien n'est que tristesse. Elle doit tomber de haut en me voyant ici, moi qui portait des robes de couturiers il y a moins d'un mois.

-Vous pensez toujours que je suis une traînée? Dis-je d'une voix éraillée que je ne reconnais pas.

Elle me jette un regard compatissant et continu son travail sans me répondre. Je soupire et rien que cela me provoque un tiraillement dans la poitrine. La domestique finit par me donner à boire et repart, me laissant attachée à la chaise. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, mais ça doit faire déjà plusieurs heures. Je laisse aller mon crâne contre l'appuie tête pour réfléchir.

Je n'ai jamais autant souffert de ma vie que pendant cette séance. Autant physiquement que psychologiquement.

Soudainement, la porte s'ouvre. Je me redresse immédiatement, prête à endurer de nouveaux supplices. Esteban entre dans la pièce, seul, et referme la porte derrière lui. Mon cœur s'écrase sur lui-même. J'ai mal. Sa simple vue me fait terriblement mal.

Il traverse la pièce, prends un tabouret dans un coin et viens s'asseoir en face de moi. Il m'examine de haut en bas, s'attardant sur mes jambes bleuis, fronçant les sourcils devant les marques rouges des coups que j'ai reçus, puis pose ses coudes sur ses cuisses, la tête dans les mains. Un long soupire lui échappe. Puis, il relève la tête.

-Je suis désolé. Lâche-t-il d'une voix lasse, triste.

Je reste en silence pendant de longues secondes. Une éternité s'écoule.

Puis, je prépare ma salive, respire un bon coup, avance mon cou et lui crache dessus.

Mon crachat lui atterrit en pleine figure. Je le regarde glisser le long de sa joue d'un air impassible.

Il se redresse, surpris et essuie sa joue avant de me fixer, abasourdi.

Il doit enfin comprendre car il s'éloigne un peu de moi. Son dos recule légèrement sur le tabouret.

-Je comprends que tu...

-Non, tu ne comprends pas. Le coupé-je froidement. Tu ne comprends rien. Tu es tout, absolument tout, ce-que-je-déteste.

Ma voix dégouline de haine et de rancœur. Ça lui fait mal, je le vois à ses yeux. Et bien, qu'il souffre. Qu'il crève même. Si je n'étais pas attachée, je jure que je serais déjà en train de l'étrangler. La haine fait désormais partie de mon sang. Elle coule dans mes veines, se mélange au dégoût, à l'aigreur et à l'écœurement. Je ne suis plus que colère.

J'ai besoin de cette colère. Elle me donne de la force et cache ma douleur intérieure. Elle m'empêche de fondre en larmes et de lui avouer que je suis amoureuse de lui. Je le hais. Et en même temps je l'aime. Comment c'est possible?

Il se racle la gorge, se passe la main dans les cheveux.

-Je... je sais que dire pardon ne changera rien. C'est juste que... je n'ai jamais voulu que ça se passe ainsi. Tout ce que j'avais en tête, c'était nourrir ma famille, protéger ma sœur et ne pas aller en prison. Tu étais juste une mission de plus. Je n'avais pas le choix.

-On a toujours le choix. Cinglé-je.

-C'était toi ou ma famille. J'ai choisis ma famille.

-Explique. Ordonné-je, de ma voix cassée.

Il soupire.

-Il y a quelques années, je n'étais pas seulement ami avec Sean et Ryan. On était une dizaine, une bande de petits voyous. On passait nos nuits dehors, on volait dans les maisons au petit matin et on dealait un peu. Un jour, on a braqués un petit magasin. Le type a sorti son arme, et un de mes potes a paniqué, il lui a planté un couteau dans le ventre. On s'est tous barré le plus vite possible, mais les policiers sont venus me chercher le lendemain matin. Ce couteau, c'était le mien, ou plutôt celui de mon père avec notre nom de famille gravé dessus et il portait mes empreintes évidemment. Je n'ai trahis personne et c'est moi qui me suis tapé les gardes à vue et la prison. Puis très vite, Harry Gerald est venu me parler. Je ne le connaissais pas mais il me promettait beaucoup de choses. Si je devenais un agent secret du gouvernement, ma famille ne manquerait plus jamais de nourriture et je serai libéré immédiatement. J'ai accepté. J'ai suivi une formation très dure et je suis vite devenu bon. Je connaissais déjà la violence et je savais me battre, c'était mon monde. J'ai commencé les missions. Au départ, c'était tranquille, j'intégrais des soirées mondaines et surveillais des personnes en douces ou je devais voler certains documents dans des appartements. Mais c'est devenu de plus en plus dangereux.

Un long soupire lui échappe, puis il reprend:

-La dernière c'était toi. La plus dangereuse de toutes. Je devais aller dans un autre pays, une nouvelle armée et te ramener ici, toi qui n'avais rien demandé. J'ai refusé. Je n'étais pas prêt à gâcher une vie. Ta vie. Quand Harry a compris que ni la prison ni l'argent ne me ferait changer d'avis, il m'a pris Ana. Il m'a dit que tant que je ne t'avais pas ramenée ici, il se servirait de ma sœur comme d'un cobaye pour des tests en tout genre. Au début, je croyais que ça ne serait pas grand-chose. Puis quand elle est revenue avec des bleus et qu'elle a failli mourir d'une forte fièvre, j'ai accepté. J'ai dit que j'allais te ramener ici.

Il finit son discours les yeux rivés au sol, les poings serrés sur ses jambes. Je sais qu'il ne ment pas. On ne peut pas mentir sur ça.

Quand il comprend que je ne répondrai pas, il redresse la tête et dit:

-Je suis encore désolé, Abby. Je me déteste en te voyant ici. Je me déteste en t'ayant livré à ces monstres. Je n'aurais jamais pensé m'attacher comme ça à toi. Mais si tout était à refaire, je referais la même chose.

Il se redresse et traverse la salle pour la quitter.

-Attends! L'interpellé-je.

Il se retourne, hésitant.

-Oui?

Je me racle la gorge. C'est dur à demander. Mais j'ai besoin de savoir.

-Les baisers... C'était du cinéma?

Il ouvre la bouche puis la referme. Je vois qu'il veut me dire quelque chose, mais son visage prend un masque et il hausse les épaules d'un air contrit.

-Oui. Tout était du cinéma.

********

Je fixe le plafond de ma cellule comme s'il pouvait m'apporter quelque chose. Je compte les fissures pour la énième fois. Je crois que ça m'empêche de penser à la douleur.

Ma gorge est serrée comme un étau et mes yeux réclament des pleurs. J'ai terriblement envie de pleurer. Je veux me rouler en boule et sangloter, lâcher enfin les larmes que je retiens depuis si longtemps. Même mon cœur réclame de pleurer. Mais ma tête, elle, ne veut pas s'y résoudre. Alors, je reste bête, allongée sur ce lit, à regarder le plafond.

Comme s'il pouvait apporter des réponses à mes questions.

Je ferme les yeux douloureusement. L'histoire d'Esteban explique tout mais ne pardonne rien. Je lui en veux terriblement. Mais je m'en veux encore plus. Je n'ai pas tenu comptes de mes doutes et j'ai agis comme une débutante. Le cœur est traître, tout le monde le sait. Alors pourquoi l'écoutons-nous tous? Pourquoi courons-nous tous à la catastrophe, en sachant qu'elle va forcément arriver et que rien ne peut la retarder?

Et elle arrive toujours à l'heure. Voilà ce que ça donne. On écoute le traître et on s'étonne de se faire avoir si facilement.

Tout me criait qu'il était louche. J'ai même entendu des conversations, j'ai compris qu'on me mentait. Et pourtant, j'ai tout fait pour oublier. J'ai tout fait pour ne plus entendre la voix dans ma tête. Elle avait raison depuis le début. Je me suis blessée seule, sans l'aide de personne.

J'ai toujours cru en l'amour. J'ai toujours cru qu'un jour, j'y goûterais. Dans mon esprit, c'était simple, léger et doux. Je trouverai mon homme et nous nous aimerons, nous nous respecterons et il m'aiderait à recoller les morceaux cassés de mon âme. Je n'avais pas prévu qu'il les écrase.

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Bonjour!

Un chapitre plein de révélations! J'espère qu'il vous a plu 😉

Alors, qu'avez vous pensé des "excuses" d'Esteban? Et j'ai besoin de savoir: est-ce-que vous aimez bien Esteban? Ou même Abby, appréciez-vous mes personnages? 🙋

Votez et donnez votre avis, 🌟🌟

Bon week-end,

Séléna. 💓

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