23. L'assassin

Je réprime un soupir en voyant William Clarks s'avancer vers moi, tout sourire. S'exclame-t-il.

-Abby! Comment vas-tu?

-Très bien, monsieur. Et vous?

-Très bien aussi! Tu es ravissante ce soir. Suis-moi, je dois te présenter quelqu'un.

Je jette un regard à Esteban qui resserre sa cravate. En voyant mon air ennuyé, il esquisse un petit sourire.

-Fais un effort.

-Je sais. Soufflé-je.

Prenant ma robe à deux mains, je me fends un passage entre les gens et rejoint le président. Il serre la main d'un homme qui semble ne pas tenir en place.

-Abby, je te présente Harry Gerald.

Je lève les yeux vers son visage et mon sourire naissant se fige. Oh. Cet homme... Je recule d'un pas et mon dos heurte le torse d'Esteban.

-Hé... qu'est-ce-qui ne va pas? Me murmure-t-il à l'oreille.

Je suis incapable de lui répondre. Cet homme... Cet homme a tué ma mère. Il l'a tuée d'une balle dans la tête.

L'assassin me fixe ne comprenant sans doute pas ma réaction. Il ne doit sûrement pas savoir qui je suis. Du moins pas encore. Il a vieilli depuis mes souvenirs mais il est toujours chauve et ses yeux gris ne trompent pas. Je reconnaîtrais son visage entre mille. Mon rêve n'en était donc pas un. C'était bien un souvenir. J'ai envie de vomir. Je cherche désespérément la main d'Esteban. Quand je la trouve, je ne me sens finalement guère mieux.

-Abby, tout va bien? Me demande le président.

Je parviens à hocher la tête.

-C'est seulement des...des malaises. Je n'ai pas beaucoup mangé aujourd'hui.

Il hoche la tête, sans insister.

-Nous allons bientôt passer à table, de toute façon.

-Et donc, à qui ai-je l'honneur? Demande Harry.

Sa voix rauque me fait frissonner. C'est la même que dans mon cauchemar.

-Abby Hansen. Me présente Clarks.

Les prunelles du tueur de ma mère se mettent à briller. Il sourit. Ses dents sont blanches et parfaitement alignées. J'ai bien envie de les casser une par une.

-Abigaëlle... murmure-t-il si doucement que je suis la seule à l'entendre.

Dans sa bouche, mon prénom me donne des nausées.

Les doigts d'Esteban serrent les miens même si je suis sûre qu'il n'a rien entendu. Il a seulement senti que j'avais besoin de son réconfort et c'est un des traits que j'apprécie le plus chez lui. Sa capacité à deviner mes besoins.

Je bredouille je ne sais plus quelle excuse, et fuis vers les toilettes. Je suis rattrapée bien vite par Esteban.

Il me prend le bras et sors de la salle de réception. Nous arrivons devant l'ascenseur mais il tourne à gauche et nous nous retrouvons dans un couloir. Les murs sont faits de vitres et j'ai vu sur tout Neworld de nuit. C'est magnifique et féerique. Les lumières de la ville donnent une faible clarté dans le couloir. Même le sol est vitré, donnant une sensation de vertige en voyant tous les étages sous mes pieds.

La voix d'Esteban me remet les pieds sur terre:

-Qu'est-ce-qui se passe? Tu connais ce type?

Je ferme les yeux.

-Oui.

-D'où?

-Il m'est apparu dans un souvenir. Celui où je rêvais de ma mère. C'est lui qui l'a frappée et qui l'a tuée.

Après un long silence, je rouvre les yeux. Esteban se tient à quelques centimètres de moi et ses prunelles foncées fixent les miennes. Je détourne le regard sous le sien, si désarmant.

-Tu es sûre que c'est bien lui?

Je visualise la scène et tout se déroule comme je m'en souviens. C'est bien cet homme. Quelques années en moins, mais toujours les mêmes yeux et la même démarche. Il tire une balle dans la tête de ma mère. J'entends mes pleurs et mes tremblements. Comme par automatisme, je me mets à trembler.

-J'en suis certaine. Murmuré-je.

Esteban inspire longuement puis m'attire à lui et me serre contre lui. Le nez contre sa chemise, je hume son parfum. Je crois que je pourrais rester toute ma vie ainsi. Petit à petit, mes tremblements se calment.

-Je suis désolé. Chuchote-t-il.

Je hoche la tête sans le lâcher. Ses mains glissent le long de mon dos et je réprime un frisson et les sentant sur ma peau nue. Je porte une longue robe doré dont tout le dos est ouvert. Je me sens chic et nue à la fois.

-Je suis vraiment désolé, Abby. Pas seulement pour ta mère.

Je lève la tête.

-Pour quoi?

-Pour tout. Pour avant-hier soir, pour t'avoir amenée ici, pour ne pas t'offrir la vie que tu devrais avoir, pour être distant avec toi alors que tu mérites tellement mieux.

Je penche la tête.

-C'est oublié pour avant-hier. C'est moi qui n'aurais pas dû te suivre ainsi. Quant au reste, je ne désire rien de plus Esteban. Être ici, avec toi, c'est tout ce que je voulais. Et c'est ce que tu m'as offert.

Il me fixe d'un air triste. J'ai l'impression que quelque chose m'échappe. Je lève la main vers lui et caresse doucement sa joue.

-Qu'est-ce-que tu me caches? Murmuré-je.

Ses doigts glissent le long de ma colonne vertébrale et je ne suis soudainement plus en mesure de réfléchir correctement.

-Tu es sublime ce soir.

Je ferme les paupières en sentant son autre main serrer ma taille. J'ai déjà oublié ma question.

Il me plaque avec douceur contre la vitre. Je glisse les mains autour de son cou et il se colle à moi, projetant son souffle sur ma peau. Je sens ses lèvres caresser les miennes sans vraiment les touchers. Je respire plus fort, mon cœur s'en donnant à cœur joie dans ma poitrine. Ce contact est presque inexistant et pourtant si douloureux. Esteban se colle encore un peu plus à moi et ses lèvres se posent à la commissure de ma bouche, puis tracent un sillon le long de ma mâchoire jusqu'à mon oreille. Il descend ensuite le long de mon cou et je bascule la tête en arrière, contre la vitre. Quand je frissonne, je le sens sourire sur ma peau et ses lèvres remontent lentement, jusqu'à enfin rencontrer les miennes. J'agrippe alors le dos de sa chemise, sous sa veste de costume. Mon cœur va exploser, c'est sûr.

Et il m'embrasse. Il m'embrasse avec fougue, avec désespoir, comme si c'était notre dernier baiser. C'est pourtant la troisième fois mais je n'ai jamais ressenti cette intensité. Je gémis et mes doigts quittent sa chemise pour glisser furieusement dans ses cheveux. Un grondement sourd se forme en lui et me fait perdre la tête. Il arrache sa bouche à la mienne pour reprendre son souffle mais je ne le lâche pas. Je dépose des baisers dans son cou, jusqu'à sa pomme d'Adam.

-Abby je... halète-t-il.

-Abigaëlle. Le coupé-je.

Ses yeux rencontrent les miens et paraissent surpris.

-Quoi? Bredouille-t-il.

-Abigaëlle. Mon prénom en entier c'est Abigaëlle.

Il sourit. Mon cœur se craquelle sous l'effet.

-OK Abigaëlle.

Et il m'embrasse à nouveau pendant ce qui me semble être des heures plutôt que des secondes. Je suis comme un feu d'artifice. Tout explose de mille en feux en moi. Mes émotions se bousculent entre elles et nous ne sommes plus que tous les deux. Rien d'autre n'existe. Il n'y a plus d'îles, plus de réceptions et plus d'assassin de ma mère. Seulement lui et moi.

Lorsque mes jambes menacent de céder sous mon poids, il s'écarte et m'observe. Un petit sourire naît sur ses lèvres gonflées.

-Je crois qu'on va louper le repas.

Je hoche la tête, tentant de reprendre mon souffle. Il tend la main vers moi et passe sa main dans mes cheveux pour les recoiffer. Je fais la même chose sur les siens. Sans ça, nous ne pourrions pas avoir l'air plus coupable.

Il me prend la main mais quand je lui souris, il ne me le rend pas. Ses yeux ont repris la teinte triste qu'ils avaient avant notre baiser.

-Allons-y.

********

Je serre la main d'Esteban sous la table. Harry Gerald n'arrête pas de me fixer. Je n'arrive pas à décrypter son air. Je ne sais pas si c'est de la curiosité, de la perversité ou simplement de la pure méchanceté. Tout ce que je sais, c'est que cet homme est une ordure. Esteban a capté ma gêne et ma peur mais il ne bronche pas. Il se contente de serrer mes doigts. Il a l'air absent. Je ne sais pas ce qui se trame mais la tristesse dans son regard n'est pas pour me rassurer. Harry se racle soudainement la gorge et je me crispe.

-Au fait, où vis-tu en ce moment, Abigaëlle?

Je serre les dents avant de répondre.

-Chez la famille d'Esteban. Pourriez-vous m'appeler simplement Abby?

Dans sa bouche, mon prénom sonne comme une insulte. Cela n'a rien avoir avec l'effet tendre et doux qu'il possède quand Esteban le prononce.

L'homme fronce les sourcils et paraît réfléchir.

-Pourquoi?

-Simple préférence. Dis-je plus sèchement que je ne l'aurais voulu.

Une certaine tension électrise l'air mais le président ne doit pas s'en rendre compte ou alors, il s'en fiche. Il découpe son magret de canard d'un air appliqué. Il finit par relever la tête et me sourit d'un air hésitant.

-D'ailleurs Abby... J'aurais une demande à te faire.

Le corps d'Esteban se tend d'un coup. C'est discret et imperceptible, pourtant, je le sens à travers sa main.

-Oui? Demandé-je, méfiante.

-Je voudrais que... (Il s'arrête un instant, semblant calculer ses mots). Je voudrais que tu restes ici. Je possède des chambres pour les invités. Je voudrais que tu passes quelques nuits ici, dans la tour.

J'ouvre la bouche mais rien n'en sort. En fait, je ne sais pas quoi dire. Comment dire non au président de l'île sur laquelle j'ai émigré?

La pression des doigts d'Esteban m'aide à répondre.

-Euh... Je... Enfin... Pourquoi? Bredouillé-je.

-J'ai quelques questions supplémentaires à te poser et je veux te montrer quelque chose.

Je baisse les yeux, ne sachant quoi répondre.

-Mais... Je me sens bien chez les Torres. Je peux venir ici quand vous le souhaitez.

-Ce n'était pas vraiment une question Abby. Dit Clarks d'une voix froide.

Je déglutis difficilement.

-Je comprends. Excusez-moi. Quand ça?

-Ce soir.

Je l'observe, tentant de déceler un sourire ou une étincelle de gentillesse dans ses yeux sans succès. Son visage est froid et fermé.

Je jette un regard paniqué à Esteban mais il fixe son assiette.

-Et mes affaires? Demandé-je dans un dernier espoir.

-Esteban te les apportera demain.

Je ne dis plus rien. Après tout, je n'ai rien à dire. Je regarde Harry Gerald. Il m'observe avec un petit sourire en coin. Nous ne sommes que tous les quatre, à une table et plus personne ne parle. Ils attendent sûrement que je dise quelque chose, mais la vérité, c'est que je ne sais pas quoi dire. Je ne sais même plus quoi penser. Je pense que les «quelques nuits ici» vont s'éterniser. Cela veut dire que je ne verrais plus les frères et sœurs d'Esteban. Je ne verrais plus Sean. Je ne me réfugierais plus dans le lit d'Esteban après un cauchemar et je n'aiderai plus Ana à faire la cuisine.
Et tout cela m'affecte bien plus que je ne l'aurais pensé.

En quelques semaines, leur vie est devenue la mienne. La maison des Torres est devenue ma nouvelle maison.

Je termine mon repas sans prononcer un mot. Harry et le président font la conversation à eux seuls.

A l'heure de l'au revoir, Esteban se contente de me serrer brièvement dans ses bras. J'ai comme l'impression que notre dernier baiser a eu lieu ce soir.

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Bonjour!

J'espère que vous allez bien et que ce chapitre vous a plu. Profitez de ces moments romantiques parce que ça va bientôt devenir plus sombre! 😉

Votez et commentez, ça me ferait suuper plaisir! 💖

Love,

Séléna.

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