21. Confidences suspectes
J'ouvre les yeux et me redresse en grimaçant. Ma bouche est sèche et mes yeux sont gonflés. Je tente de me rappeler la soirée de la veille. Je crois bien avoir vomi tous les verres ingurgités dans la nuit. Je me lève de mon lit et constate que je porte toujours les mêmes vêtements, et qu'ils sont sales et collés à ma peau. Je ressemble sûrement à quelqu'un revenu d'entre les morts. Je file sous la douche en titubant.
Une fois propre, je retrouve Rafael dans le salon.
-Bonjour. Marmonné-je en me servant un verre d'eau.
-Bon après-midi. Il est deux heures.
Je grimace en m'asseyant. Déjà deux heures de l'après-midi? Pas étonnant que le soleil brille autant.
-Première cuite? Me demande-t-il.
-Non.
Il fronce les sourcils mais n'a pas le temps d'en demander plus car Esteban entre d'un pas lourd et s'écroule sur une chaise. Il a l'air autant mal que moi. Il se tourne vers moi et me jette un regard noir.
-Je ne sais pas d'où tu bois autant mais je ne veux pas que tu recommences. J'ai bien cru que tu allais faire un coma éthylique.
Je hausse les épaules. J'avais juste envie de boire. Mais je n'ai absolument pas envie de m'expliquer. En fait, je préfèrerais dormir jusqu'à demain matin. Ou la semaine prochaine. Je me lève et sors de la cuisine en baillant. Finalement, c'est ce que j'ai décidé de faire.
Juste avant de retourner me coucher, je m'arrête encore après la porte. Je sais que je prends une mauvaise habitude mais c'est plus fort que moi. J'ai deviné que le grand-frère a des choses à dire à son cadet. Et en effet, cela ne tarde pas.
-Tu savais qu'elle a déjà bu?
J'entendis son petit frère se lever.
-Ça ne m'étonne pas. On ne peut pas s'enfiler plus d'un litre de tequila sans avoir un minimum d'expérience.
Un long silence s'étire entre eux.
Après un long moment, la voix de Rafael demande:
-T'as couché avec elle?
Je me fige contre le mur et attend la réponse d'Esteban.
-Quoi? Non!
-Je l'ai vu sortir de ta chambre un matin.
-C'est pas ce que tu crois. Et ça ne te regarde pas.
Rafael se racle la gorge d'un air mécontent.
-T'es en train de foirer.
-Arrêtes. Lâches-moi, maintenant. Dit Esteban d'une voix ferme.
-Tu devrais aller voir Luna.
-Pourquoi?
-Tu sais très bien pourquoi.
Esteban soupire d'agacement et je l'entends sortir de la pièce.
Je file comme une fusée jusqu'à ma chambre en l'évitant de justesse. Juste avant de refermer ma porte, je réalise que tout en moi est embrouillé. Je ne sais plus quoi penser. Je m'assois sur mon lit et me prend la tête entre les mains. J'ai conscience que mon cœur me rapproche de plus en plus d'Esteban. Je ne peux pas le nier: je ressens plus qu'une simple amitié. Cependant, il me cache des choses. Et ce ne sont pas des choses qui concernent uniquement lui, sa famille ou ses amis. Je suis concernée par ces secrets.
Mon regard erre dans la pièce et se pose sur mon sac à dos, contre la commode. Ayant plongé avec, il était littéralement trempé et j'ai mis un temps considérable pour sécher mon livre avec l'aide d'un séchoir et de Luis. Au final, j'ai seulement pu sauver les papiers de mon identité et mon collier en saphir car ils étaient dans une boîte métallique. Mon beau livre illustré est illisible. Malgré tout, je n'ai pas pu m'en séparer. Je me lève et prend mon collier avant de le passer autour de mon cou. La fraîcheur de la pierre précieuse sur ma peau me procure un étrange sentiment d'apaisement. Je me recouche, encore épuisée par ma nuit mouvementée et m'endort.
********
Quelques jours plus tard, je suis accoudée sur le balcon de la fenêtre de la chambre d'Esteban, en sa compagnie.
-Tu crois en Dieu? Me demande-t-il soudainement.
Je tourne la tête, méfiante. Les questions de ce genre ne sont jamais bon signe.
-Pourquoi?
Il porte sa cigarette à la bouche, inspire profondément et souffle un épais nuage de fumée qui s'évapore dans l'air frais.
-Simple question.
-Je ne sais pas. Je ne crois pas. Si Dieu existe, pourquoi est-ce qu'il nous laisse dans ce monde recouvert par l'eau? Il aurait dû nous filer un coup de main il y a déjà longtemps au lieu de regarder la misère du monde sans agir.
Esteban fixe l'autre côté de la rue d'un air pensif.
-Je pense qu'on ne peut pas le lui reprocher. Il n'a aucune raison de nous aider. Dit-il enfin.
-S'il existe, c'est lui qui nous créé. Alors si, il devrait nous aider.
-Mais c'est les humains qui ont saccagé le monde. On ne peut s'en prendre qu'à nous.
Je lui jette un regard suspicieux, attendant qu'il continue.
-C'est un peu comme un enfant bien élevé. Mais un jour, il dégénère et fait les quatre-cents coups. Tu ne peux pas le rapprocher à son père. C'est l'enfant qui a fait son choix.
Je hausse les épaules, pas complètement convaincue.
-Tu y crois toi. Dis-je comme une affirmation.
Il sourit et écrase sa cigarette sur la rambarde.
-Peut-être.
Un long silence s'étire entre nous. Mais il n'est ni gênant, ni dérangeant. C'est un silence appréciable. Je décide de changer de sujet et de lâcher une partie de ce que j'ai sur le cœur.
-Quand tu m'as parlé de Neworld, j'avais l'impression que c'était le paradis. Avoué-je. Ça fait presque un mois que je suis ici, et je me rends compte que cette île a aussi ses problèmes.
Esteban se tourne vers moi, soucieux.
-Tu voudrais rentrer sur Newearth?
-Je n'ai pas intérêt. Je me ferais couper la tête.
-Mais tu m'en veux de t'avoir emmenée ici. Dit-il.
-Non, pas du tout. Je me sens bien ici, avec toi. Mais il y a plein de choses.
- Quelles genres de choses?
-Je suis partie comme une voleuse. Je n'ai dit au revoir à personne. Même pas à Tom.
-Je pensais que tu l'avais fait.
-Je ne pouvais pas. Quelle excuse j'aurais pu lui donner? Je n'aurais pas pu lui mentir. Et je sais, qu'aujourd'hui, il doit s'inquiéter et se demander si je vais bien. Je m'en veux tellement de ne pas l'avoir au moins rassuré avant de partir! La dernière chose que je lui ai dite, c'est que tu me suffisais.
Il ne répond pas pendant quelques secondes. Enfin, il ouvre la bouche:
-Et c'est la vérité?
-Je ne sais pas. Je n'ai plus vraiment le choix, en fait.
Il prend ma main et entrelace ses doigts aux miens.
-Je suis désolé, Abby. Mais je vais tout faire pour que ça soit la vérité. Et pour que tu ais moins mal en pensant à Newearth.
J'esquisse un petit sourire. J'ai envie d'enfouir mes mains dans ses cheveux et de humer sa peau mais je me retiens. Nous ne nous sommes embrassés qu'une fois. Et parfois, je me demande si ce n'était pas une erreur. Rien n'est clair entre nous.
La preuve, Esteban ne semble pas capter que je fonds sous son regard.
-Au fait... Demain, on retourne dîner chez le président.
Sa voix sérieuse me remet les pieds sur terre.
-Encore? On y a été avant-hier!
-Le président veut mieux te connaître. C'est tout ce qu'il m'a dit.
-Je le trouve étrange parfois. Avoué-je.
Je vois Esteban se raidir et je fronce les sourcils. La curiosité commence à me ronger les entrailles. Je suis peut-être au bord d'un secret.
-Comment ça? Demande-t-il.
-Il me pose sans arrêt des questions sur mes parents. Seulement, j'ai déjà dit que je ne me souvenais de rien. Mais il insiste.
Esteban se détend et resserre ma main dans la sienne.
-Il doute peut-être encore. Tu sais, tu viens de l'ennemi. C'est normal pour un président, de vouloir être sûr que tu n'es pas une espionne ou quelque chose dans le genre.
Je fais la moue. Il ne comprend pas ou peut-être, il ne veut pas comprendre.
-Non, c'est autre chose. Il n'est pas intrigué par moi. C'est mes parents qui l'intéressent. Je pense qu'il sait des choses sur eux que je ne sais pas moi-même.
Esteban tend la main et vers moi et place une mèche de cheveux derrière mon oreille. Ce geste me fit frissonner.
-Je pense que tu te trompes, Abby. Il n'a aucune mauvaise intention, j'en suis certain. Il est seulement inquiet et il s'y prend maladroitement pour te parler. C'est un humain imparfait.
Je hoche la tête. Il a sûrement raison.
-Rentrons, on va attraper froid. Chuchote-t-il.
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