18. Le bal
-Je n'ai pas vraiment compris le pourquoi d'un bal. Dis-je à Esteban qui consulte sa montre.
-Le gouvernement en organise régulièrement pour l'élite de Neworld. Cette fois, nous sommes tous les deux conviés. Mais ce sont plutôt des réceptions où on finit par danser.
-Tu fais partie de l'élite?
-Non. Mais je viens de rentrer d'une mission secrète. Disons que j'ai été important pour le pays. Alors ils me remercient.
-Mais, et moi? Demandé-je.
Il se tourne vers moi et me regarde dans les yeux. Une étincelle amusée apparaît dans les siens.
-C'est avec l'aide de l'État que je t'ai ramenée ici. Ils sont au courant qu'une échappée de Newearth est sur leur île. Ils veulent te rencontrer.
Le tramway s'arrête brusquement et je suis projetée sur le siège de devant. Je me rattrape de justesse avec mes mains.
-Je suis désolé de te faire encore prendre les transports en commun. Continue-t-il, mais je n'ai pas les moyens de payer un taxi. Et j'aurai bien pris ma moto mais disons que.... on serait arrivés décoiffés et froissés.
Je souris.
-Ce n'est pas grave. Ça ne me dérange pas.
Il se passe la main dans les cheveux, qu'il décoiffe un peu.
-Au fait... Tu es ravissante.
Je souris franchement même si je suis intimidée. L'entendre de sa part me réchauffe le cœur. Adriana m'a fait mettre une robe bleu foncé très élégante qui selon elle «mettait mes yeux en valeurs», et une paire d'escarpins qui me scient les pieds. Elle a réussi à faire quelque chose de mes cheveux courts et je me suis trouvée moi-même jolie.
-Merci, dis-je.
-Cette robe était à ma mère.
-J'ai cru le comprendre. Si ça te dérange, je n'y toucherai plus.
-Non, ne t'inquiète pas. Au départ, je n'étais pas très chaud c'est vrai... Des souvenirs reviennent avec les tenues. Mais elle te va vraiment bien. Et quelque part, ça me la rappelle.
Dans un geste improvisé, je lui prends la main. Il est surpris mais retient la mienne quand j'essaie de m'en dégager. Nous finissons par arriver au terminus.
Quelques rues plus loin, Esteban me montre un immense immeuble vitré. Plusieurs taxis sont garés devant en travers et dans tous les sens, et nous sommes les seuls à arriver à pied. Il donne un carton au gardien qui nous laisse passer, sans nous jeter un regard. Une fois entrée, je tente en vain de ne pas écarquiller les yeux. Je n'ai jamais vu un intérieur aussi moderne et beau, aussi high-tech et élégant. Je n'ai toujours connu que les rues sales de Newearth Ouest ou la décoration inexistante du Triomphe. Des petits canapés en cuir sont installés un peu partout et des hommes en smoking circulent avec leurs dernières tablettes mobiles ou leur ordinateur portable sous le bras. Derrière un comptoir en verre, une jeune femme attend que nous venions la voir, faisant taper ses longs ongles rouges sur le verre.
-Bonjour, nous venons pour la réception de printemps.
Elle fronce ses sourcils parfaitement épilés mais, devant le sourire charmeur d'Esteban, elle sourit à son tour.
-Bien-sûr. Votre nom?
-Esteban Torres.
-Et? Lâche-t-elle en m'adressant un bref regard.
-Abby Hansen. Dis-je.
Elle tique à mon nom et me jette un regard curieux mais si furtif que j'ai presque l'impression de l'avoir imaginé.
-15 ème étage. Les ascenseurs sont sur votre gauche.
Elle donne rapidement un bout de papier à Esteban qui m'entraîne vers les ascenseurs. Il jette le papier dès que nous sommes hors de la vue de la jeune femme et monte dans l'ascenseur.
-Qu'est-ce-que c'était? Lui demandé-je, une fois que nous montons.
-Son numéro. Me répond-t-il.
-Tu l'as jeté?
-Bien sûr. Ça ne m'intéresse pas. (Il m'adresse un regard moqueur): En plus elle était plus vieille que moi.
Je lui souris timidement. Cette jeune femme devait avoir un peu plus de vingt-cinq ans à tout casser. Elle n'était pas vraiment vieille. Je lui jette un bref regard. Il est très élégant en smoking. Je n'oserai pas dire canon, même si je le pense. Sa chemise cintré lui sied à la perfection et ses cheveux sont soigneusement coiffés avec du gel.
Sans réfléchir, je réajuste sa cravate qui s'est détendue. Je le faisais à Ben quand il était trop ivre pour le faire soi-même. Cependant, quand je redresse la tête, ses yeux bruns me fixent intensément. Il a l'air étonné. Comprenant ce que je viens de faire, je recule aussitôt en m'excusant. À ce moment, le «ding» de l'ascenseur retentit.
La main d'Esteban se pose au creux de mes reins et me pousse vers la porte. Ses lèvres frôlent ma joue.
-Allons-y. Murmure-t-il.
********
Je porte à mes lèvres la coupe de champagne offerte par Esteban. Des milliers de bulles explosent dans ma bouche tandis qu'un goût alcoolisé me pique les yeux.
-Tu aimes?
-C'est délicieux. Dis-je.
Un homme d'origine asiatique s'approche de nous et serre la main d'Esteban.
-Monsieur Torres. Je constate que vous nous êtes revenus en un seul morceau.
-Bien entendu, monsieur Xiu. Je mène toujours mes missions à bien.
Dès l'homme partit, j'interroge Esteban sur le ballet de salutations qu'il reçoit:
-Tu connais tout le monde ici?
-Presque. Sourit-il.
Tandis que je choisis un petit four sur le plateau d'un serveur, un homme m'apostrophe.
-Mademoiselle Hansen?
Je relève les yeux, surprise qu'il s'adresse à moi et non à Esteban.
-C'est bien moi.
Il sourit et me tend sa main que je serre. C'est un homme d'une cinquantaine d'année, grand et mince. Il porte un costume très chic qui doit coûter plusieurs années de mon salaire.
-Je suis le président de Neworld. William Clark.
Je me tiens aussitôt plus droite. C'est tout de même le premier homme de l'île sur laquelle je suis.
-Je... Enchantée. Bredouillé-je.
-De même, mademoiselle Hansen. J'aimerai beaucoup parler un peu avec vous, après tout, nous sommes censés être vos ennemis. Je dois absolument être sûr que vous ne représentez aucun danger pour Neworld.
-Je comprends. Mais personne ici n'est mon ennemi, je vous le promets. J'ai quitté mon île et à présent et je suis ici. Je ne suis plus de Newearth.
Il sourit et ses yeux bleus pétillent.
-Si ce que vous affirmez est exact, je vous souhaite la bienvenue sur Neworld. Je vous propose que vous vous asseyiez à mes côtés quand nous passerons à table. Ainsi, nous discuterons.
Il interpelle un serveur et lui intime de mettre Esteban et moi à la table principale. Quand il me demande de lui rappeler mon prénom, je lui réponds et lui sourit timidement. Malgré son air gentil et ses yeux rieurs, un mauvais pressentiment me serre la poitrine. Tout me paraît étrange. Trop étrange.
Je finis mon assiette jusqu'à la dernière miette. Je suis sûre de n'avoir jamais mangé un repas aussi délicieux.
-Vous me disiez que vous avez grandis en orphelinat puis en famille d'accueil?
-C'est exact. Dis-je en reposant mes couverts.
Durant le repas, le président m'a interrogé sur ma vie et mon parcours jusqu'ici. Je suppose qu'il veut s'assurer que je ne représente aucun danger pour sa chère île et que je ne suis pas une taupe.
-Et vos parents? Vous ne les avez jamais connus?
Je me tortille sur ma chaise, gênée, comme à chaque fois où j'ai dû répondre à cette question.
-Ils m'ont abandonnée quand j'étais bébé. Je n'ai aucun souvenir d'eux.
-Absolument aucun? Demande-t-il, surpris.
-Rien du tout. Je ne vois même pas leur visage.
Inutile de parler du rêve. Je ne suis même pas sûre que ce soit bien un souvenir et pas un rêve fabriqué par mon esprit. William Clark fronce les sourcils.
-Vous connaissez tout de même le nom de vos parents? Me demande-t-il.
-Ruth et Tomas Hansen. Ma mère était d'origine juive et mon père norvégien. Je l'ai su grâce à mes dossiers familiaux.
-Un joli mélange. Lâche-t-il d'un air pensif.
Il jette ensuite un regard à Esteban qui n'a pas décroché un mot. Ce n'est pas un simple regard. Il est lourd de sous-entendus. Je n'arrive pas à le décrypter mais je sens qu'eux se comprennent. Soudainement, l'orchestre au fond de la salle se met à jouer doucement. Aux tables alentours, des couples se lèvent et vont au milieu de la salle pour danser.
-Ah, voici le début des danses. S'exclame le président d'un air satisfait.
La musique va de plus en plus rapidement et petit à petit, de plus en plus de femmes virevoltent entre les bras d'hommes élégants. J'observe le tourbillon de robes d'un air admiratif. Certains savent mieux danser que d'autres mais aucun n'est à la ramasse.
-Vous ne dansez pas? Demandé-je à monsieur Clark.
Il sourit.
-Non. Je déteste ça. Je préfère regarder. Mais vous, allez-vous amuser!
Je secoue vivement la tête.
-Jamais de la vie.
-Bien sûr que si!
-Je ne sais pas danser.
-Esteban va vous montrer.
Je me tourne vers Esteban dans l'espoir qu'il refuse gentiment mais celui-ci sourit. Il me tend la main.
-Allez Abby. Je te guide.
-Non, non. Protesté-je en sentant avec panique la situation m'échapper.
Il me prend la main et me force à me lever avec lui. Je tente de m'accrocher à ma chaise. Je tourne la tête vers le reste de la table, principalement composé de ministres et de femmes aux bijoux luxueux mais ils sont occupés à regarder la piste. Une femme d'un certain âge assise en face de moi, qui m'a demandé mon prénom tout à l'heure me sourit gentiment:
-Eh bien allez-y! Ne laissez pas ce beau jeune homme filer avec une autre demoiselle.
Je rougis et me lève, hésitante.
-Je ne sais pas danser.
-Tu n'as qu'à me suivre. Je te guiderai.
-Je... Je vais me ridiculiser. C'est quoi comme danse?
-Une valse. Ça tombe bien, dans la valse c'est toujours l'homme qui mène. La femme suit ses pas.
Il m'entraîne vers les danseurs et j'ai l'impression que tout le monde me fixe. Ma peau me brûle.
-Au milieu. Chuchoté-je, là où personne ne peut nous voir.
Il rit doucement et m'emmène au milieu des autres danseurs. Sa main glisse dans mon dos tandis que l'autre prend ma main et entrelace ses doigts au miens. Il commence à bouger et je l'observe. Il fait élégamment un pas à droite.
-Tu dois me suivre. On va y aller doucement. Quand je fais un pas à droite, tu dois l'anticiper et me suivre à droite. Ça va venir tu vas voir.
Je tente de suivre ses pas, maladroitement au début puis, plus facilement ensuite. Je commence à devenir à l'aise et comme par hasard, l'impression du regard des autres s'estompe.
-C'est bien Abby. Dit Esteban au bout de quelques minutes.
-C'est toi qui danses. Je ne fais que suivre. Dis-je en souriant.
-Tu suis bien, alors.
-Où as-tu appris à danser la valse?
-Ma mère. Ma mère était une excellente danseuse. Elle a appris à Rafael et moi toutes sortes de danses, de la valse à la salsa. Je me souviens qu'elle mettait la musique très forte et qu'elle nous demandait de saluer avant de danser. Dit-il en souriant, plongé dans ses souvenirs.
Je n'ose rien dire, craignant de briser la mélancolie.
-Mon père était déjà handicapé, continue-t-il. Il ne pouvait pas danser avec elle, alors elle utilisait ses fils.
-Qu'est-ce-qui s'est passé? Murmuré-je.
-Règlement de compte. Ça n'a jamais été très clair, je crois que c'était une histoire de dettes. J'étais encore petit, je devais avoir trois ou quatre ans. Je me souviens vaguement d'un coup de feu et de sang. Beaucoup de sang.
Je hoche doucement la tête, sans l'interrompre. J'ai comme l'impression qu'il parle rarement de sa famille.
-Tu sais, j'ai grandis dans cette atmosphère. Les règlements de comptes, les coups de feu et le sang. Alors que mon père soit lui-même touché, ce n'est pas très étonnant. Il est loin d'être un saint. Il parait que quand il était jeune, il faisait toutes sortes de bêtises. Et quand on chasse le naturel, il revient toujours au galop.
Je hoche la tête. Je ne connais que trop bien ce monde.
-Tu connais tout cela, non? Me demanda-t-il.
-C'est vrai. Ma famille d'accueil vivait dans ces coins-là.
-Tu aurais aimé grandir autre part?
-Je ne sais pas. Et toi?
-Tu n'aimes pas parler de toi, hein? Dit-il sans répondre à ma question.
-Pourquoi tu dis ça?
-Dès qu'on te pose une question, tu en repose une ou tu n'y réponds pas directement.
Je me mords la lèvre. Il a tellement raison et pourtant, je ne l'admettrais jamais.
-Toi non plus. Tu ne parles pas beaucoup de toi.
-Tu vois! Tu le fais encore! S'exclame-t-il.
Je souris amusée, et pose ma main sur sa bouche.
-Ne gâches pas tout.
Il ferme les yeux comme si le contact de mes doigts sur ses lèvres l'apaisait. Après cela, nous ne parlons plus. Esteban se contente de me faire tournoyer dans ses bras sans s'arrêter. Les coupes de champagnes et les danses me font perdre la tête et seuls les bras d'Esteban me permettent de continuer à rire et danser. Et encore danser.
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Bonjour!
J'espère que ce chapitre vous aura plu, pour ma part j'ai adoré l'écrire! Le prochain sera encore mieux, il va y avoir un truuuc <3. Bref, votez et commentez!
Passez une bonne journée et de bonnes vacances !
Séléna. :)
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