16. Nouveaux horizons

J'ouvre les yeux. Tout ce que je sens, c'est un souffle calme dans mes cheveux. Je tourne lentement la tête. J'essaie de visualiser où je suis sans bouger. Je me retiens de bondir hors du lit, quand je constate que j'ai le visage enfouit dans le cou d'Esteban. Nos jambes sont emmêlées entre elles, dans les draps et je suis à moitié sur lui, l'entourant de mes bras. Mon tee-shirt est remonté au-dessus de mon nombril et une de ses mains est posée sur mon ventre nu.
Oh mon Dieu, comment suis-je arrivée dans cette position?

J'ai soudainement très chaud. J'essaie de dégager mes jambes des siennes lentement et sans le réveiller. Je dégage doucement sa main de mon ventre. Soudainement, sa respiration change. Je reste pétrifiée. Il est réveillé.

J'ai envie de mourir sur place.

Je n'esquisse pas un geste. Je suis sûre qu'il peut voir la racine de mes cheveux devenir rouge écarlate.

En une seconde, il sort du lit, et je me retrouve seule dans les draps, lui debout face à moi. Il a les yeux écarquillés, les cheveux décoiffés et ses vêtements sont tout froissés. La première chose qui me vient à l'esprit, c'est «Il est vraiment craquant». La seconde «Mais, à quoi tu penses? Tu as autre chose à te soucier en ce moment même».

Esteban se passe la main dans les cheveux, les décoiffant encore plus, puis, soudainement il ouvre la bouche, l'air gêné:

-Je suis désolé.

Il fait demi-tour et sort de la pièce à toute vitesse.

J'enfouis mon visage dans l'oreiller, morte de honte.

********

J'observe l'horizon avec une pointe d'amertume. L'île se rapproche de plus en plus. Pour l'instant, tout ressemble à Newearth. Le port rempli de bateaux, les quais bondés de monde et les grands immeubles au loin. En détaillant les façades des maisons, je remarque toutes ces couleurs. Les maisons sont blanches ou grises, mais les volets sont de toutes les couleurs. Rouges, vert, bleus ou même orange. Chez moi, les volets sont tous en bois, marrons foncés. Nous n'avons pas le droit d'exhiber une différence sur l'extérieur des maisons.

Quand le bateau s'arrête enfin, Esteban serre la main aux deux pêcheurs en les remerciant une dernière fois.

-Bon retour sur Neworld. Sourit Steve.

Esteban me prend la main et enjambe la barrière du bateau.

-C'est partit.

Je le suis et pose enfin un pied sur Neworld. Sur l'île ennemie.

Des enfants crient et courent dans tous les sens, sans être rappelé à l'ordre par leurs parents. J'observe les gens autour de moi. C'est bruyant, joyeux et impressionnant. Une femme éclate de rire à ce que lui dit un homme et un autre passe à mes côtés en sifflotant joyeusement. Je l'observe intriguée. La plupart des gens ont le sourire, débordent de vie. Mais en marchant entre les passants, j'observe un jeune couple contre un mur. Le jeune homme embrasse passionnément la fille, qui a les bras autour de son cou. Ce genre de scène est interdite dans les rues de Newearth. C'est considéré comme de l'exhibition.

La main d'Esteban me ramène à la réalité, et il me tire vers une boulangerie d'où s'échappe une musique entraînante.

-Tu as faim?

Je hoche la tête. Il entre dans la boulangerie et demande deux croissants et deux muffins. Mais au lieu de lui donner quatre tickets de rations, il lui tend des ronds couleurs or. Je fronce les sourcils. Alors qu'il me donne mon petit déjeuner, je lui demande:

-Vous utilisez l'argent en monnaie?

-Oui. On fonctionne comme avant la Catastrophe.

-Je n'ai jamais vu de pièces de monnaie. Avoué-je.

Il sort quelques pièces de sa poche et me les pose dans la main. Elles sont de différentes couleurs de métaux. Cuivrés, argentés ou dorés.

-Ce sont des dollars. Là, tu as à huit dollars dans la main. Mais on utilise aussi des billets. Je t'expliquerai comment ça marche.

Je lui rends ses pièces et dévore mon petit déjeuner.

-On va où après?

-Je vais te faire découvrir un peu de Neworld. Et je t'emmènerai chez moi.

********

Les heures passèrent aussi vite que des secondes. Je n'avais pas passé une si bonne journée depuis bien longtemps. Après avoir flâné dans les rues commerçantes, Esteban m'avait emmenée manger dans une chaîne de restaurant bien connue sur Neworld.

Cette île est si différente de la mienne. Nous n'avons pas tant de magasins, de petites boutiques et de restaurants. Bien sûr, il existe des restaurants, mais ils sont tous hors-de-prix. Seules les classes aisées mangent au restaurant. C'est identique pour les transports: Pour se déplacer sur Newearth, nous utilisons le tramway même si on met des heures pour traverser l'île. Les seuls taxis existants sont extrêmement chers. Ici, les voitures sont oubliées depuis bien longtemps comme chez moi, mais par contre la plupart des gens ont une moto.

Après s'être encore promené tous l'après-midi, nous finissons par rentrer chez Esteban. Alors que nous sommes dans le tramway, je constate par la fenêtre que les villas et les immeubles propres et colorés laissent place a des petites maisons grises et fissurés. Pendant une seconde, j'ai l'impression dans Newearth Ouest. À mes côtés, Esteban se racle la gorge et je tourne la tête vers lui.

-Abby... On a passé la journée dans les beaux quartiers de Neworld. Mais tout n'est pas non plus rose partout sur l'île. Il y a aussi des endroits pauvres et... c'est là que ma famille habite. Désolé si tu t'attendais à autre chose. Chez moi, on ne roule pas sur l'or. Dit-il d'une voix gêné.

Je suis étonnée. Je n'aurais pas pensé qu'il venait du même milieu que moi.

-Tu n'as pas à t'excuser. Tu m'accueilles déjà chez toi, je ne t'en remercierai jamais assez.

Il esquisse un petit sourire, mais son regard reste grave.

-Je voulais aussi te prévenir que... Enfin, si jamais mes frères ne sont pas très accueillants, pardonnes-les. On traverse une mauvaise passe en ce moment.

Je hoche la tête en masquant mon malaise. J'ai soudainement l'impression d'arriver sans être invitée. Je ne veux pas être une gêne ou une bouche de plus à nourrir pour eux. Dès demain, je cherche un travail. Il est hors-de-question d'être un poids.

Dès sortis du tram, Esteban me prend la main et je me sens protégée. Alors qu'il a fait beau toute la journée, ce soir le ciel s'est obscurcit et il menace de pleuvoir. Nous traversons des rues sombres et longeons des murs couverts de graffitis.

Dès que nous croisons des personnes, Esteban accélère. À un moment, quelqu'un l'interpelle par son prénom, mais il m'intime de ne pas regarder ni de m'arrêter. Rien qu'en tenant sa main, j'y sens tout son corps crispé. Alors qu'au détour d'une petite rue il ralentit, je lui pose la question:

-C'est un endroit dangereux?

Il me regarde enfin.

-C'est comme tous les quartiers pauvres Abby. C'est dangereux pour ceux qui le veulent.

-Pourquoi je te sens si tendu alors?

-Je connais beaucoup de personnes, ici. Soupire-t-il. Mais je n'ai pas envie de les voir maintenant. C'est pour ça qu'on marche vite. Je ne veux croiser personne.

J'acquiesce en silence.

Esteban finit enfin par s'arrêter devant une façade grise.

La maison qu'il observe n'a rien de spécial par rapport à toutes celles que nous venons de voir, à part la boîte aux lettres peinte en rose bonbon. Voyant mon regard, Esteban sourit.

-C'est l'œuvre de ma sœur.

Alors que j'observe en douce cet air triste sur son visage, la pluie se met soudain à tomber. Esteban semble soudain se réveiller et s'avance vers la porte qu'il tape, puis ouvre sans attendre de réponse.

Je le suis, hésitante. Nous arrivons dans une petite entrée. Des chaussures sont alignées en bas des murs, et deux porte-manteaux sont recouverts de vestes. Esteban retire ses chaussures en me faisant signe de l'imiter.

-C'est moi! Crie-t-il.

Je le suis jusque dans le salon.

-Esteban? Demande un gamin en se levant du canapé.

Sa tignasse brune disparaît dans les bras d'Esteban quand il s'y jette.

-Salut sale gosse. Répond celui-ci avec un sourire radieux.

J'observe timidement la pièce. Une télévision est posée en face du canapé. Sur la droite, une table à manger qui n'a plus l'air de servir. Elle est recouverte de livres, de magazines et d'objets en tout genre. C'est plutôt un vide-poche géant.

Les murs sont blancs mais les rideaux orange aux fenêtres et le bois clairs des meubles donnent un aspect chaleureux.

Tout à coup, je remarque qu'un jeune homme est appuyé contre l'encadrement d'une porte de l'autre côté de la pièce. Il observe les deux frères sans un mot. Puis son regard tombe sur moi. Il me détaille de haut en bas sans une émotion, et je décide d'en faire pareil. Il y a un air avec Esteban, c'est sûr. Mais je vois même de loin que ses yeux sont clairs contrairement à ceux de son frère. Il doit avoir quelques années de plus qu'Esteban, la vingtaine, à peu près.

Finalement Esteban se redresse et tombe sur le jeune homme. Enfin, il sourit.

-Tu es rentré. Lâche le jeune homme.

-Un vrai Sherlock.

Il s'avance vers lui et le serre aussi dans ses bras.

-Ça fait un bye.

-Presque trois mois.

Il se racle la gorge et me désigne d'un signe de tête interrogatif. Esteban se tourne vers moi d'un air surpris, comme s'il avait oublié ma présence.

-Oh pardon! Les gars, je vous présente Abby. Abby, voici Rafael et Luis, mes frères. Dit-il en me montrant d'abord son grand frère, puis le gamin qui doit avoir une douzaine d'années.

-Tu viens de Newearth, non? Me demande Luis.

-Oui, c'est ça.

-Où est Ana? Demande soudainement Esteban.

Luis baisse les yeux.

- On ne sait pas.

-Comment ça, vous ne savez pas? S'énerve-t-il. Elle est rentrée, non?

-Calmes toi. Lui demande Rafael. Elle est rentrée, oui. Mais elle est sortie tout à l'heure et elle n'est toujours pas revenue.

-Et personne ne va la chercher? Votre sœur de six ans a disparue et personne ne s'inquiète?

Il jette un coup d'œil à la fenêtre.

-La nuit tombe et il pleut! Bon sang, mais vous êtes tous stupides?

Il retourne dans l'entrée et nous l'entendons remettre ses chaussures et sa veste.

-Je vais la chercher. Installez Abby en attendant. Nous crie-t-il depuis l'autre pièce.

Puis, la porte claque.

-Votre sœur disparaît souvent? Demandé-je a Luis, une fois dans la chambre.

-Ouais. Soupire-t-il. Et ça ne sert à rien d'aller la chercher. Quand elle a décidé de se cacher, personne ne peut la trouver. Enfin, à part Esteban, mais lui c'est différent.

-Pourquoi?

Luis s'appuie contre le mur.

-Esteban et notre sœur, c'est une vraie histoire d'amour. Ana l'a toujours préféré. Ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas proche de Rafael ou de moi, mais c'est différent.

Sentant le petit frère d'Esteban attristé, je détourne la conversation.

-Merci beaucoup pour la chambre. Pour tout en fait.

Il sourit d'un air étrange.

-Tu peux aller te doucher si tu veux, la salle de bain est au bout du couloir. C'est juste que... Ne laisses pas trop couler l'eau s'il-te-plaît. Conclue-t-il d'un air gêné.

-Ça marche, merci. Ne t'inquiètes pas, c'était pareil chez moi. Enfin, avant l'armée.

Il fronce les sourcils.

-L'armée?

-Oui, l'armée. Esteban et moi étions sur un navire de guerre.

-Ah bon? Je ne savais pas.

-Mais tu pensais que ton frère était où? M'étonné-je.

-Je ne sais pas. Sur Newearth, c'est tout. Tu sais, tout ça c'est un peu... Top secret. Il n'en parle pas trop. On sait juste qu'il s'en va.

Il se rapproche de moi, l'air curieux.

-C'est comment là-bas? Sur l'autre île?

À l'instant où j'ouvre la bouche, des cris et des pleurs se font entendre sous nos pieds. Nous nous précipitons hors de la chambre et tombons face à Esteban qui remonte de l'escalier avec une petite fille dans les bras. Celle-ci sanglote en s'accrochant à lui. Ses vêtements trempés gouttent sur le parquet.

-Luis, va chercher une serviette. Dit-il à son frère qui déguerpit à toute vitesse.

Esteban m'ignore et ouvre du pied une porte un peu plus loin. Ne sachant quoi faire, je le suis timidement.

J'entre dans une chambre dont les murs sont recouverts de dessins et de toiles peintes.

Esteban dépose la petite fille sur le lit et lui retire ses vêtements avant de l'enrouler dans la serviette tendue par Luis. Je fronce les sourcils en remarquant que les bras et le ventre de la petite sont recouverts d'ecchymoses. Il lui enfile des vêtements secs en lui répétant que tout va bien et qu'il est là. Finalement, les pleurs de la petite fille se calment et elle finit par lever la tête vers moi. C'est la petite fille de la photo. Ses boucles brunes sont emmêlées et elle me fixe avec de grands yeux bleus embués, pourtant elle est ravissante. Elle finit par se tourner vers son grand frère.

-Dors avec moi. S'il-te-plaît.

Celui-ci hoche la tête et soulève les draps roses. Il borde la petite fille et se couche à ses côtés.

Il fait un signe à Luis, puis, enfin il me regarde. Il m'adresse un sourire timide, presque contrit. Luis me tire par le bras et éteint la lumière. Nous sortons de la chambre.

-Laissons-les tranquilles. Bon. Tu veux manger quelque chose?

-----------------------------------------------------------------

Bonjour!

Chapitre long je sais, mais je n'arrivais pas à trouver un bon endroit pour le couper ^^.

Est-ce-que le fait qu'il y ait des images dans ces derniers chapitres vous plait ou bof? N'hésitez pas à me donner votre avis!

Ceux qui votent, je vous vois et je vous remercie! Ne vous arrêtez pas ! ;-)

Bonne journée,

Séléna.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top