15. Échappée belle
-Tu es prête?
Le vent souffle et s'engouffre dans ma veste, la faisant gonfler. Je ferme les yeux.
-Je ne peux pas.
Je rouvre les yeux et fixe les vagues noires. Il est trois heures du matin mais la pleine lune projette sa douce lumière sur l'écume s'écrasant sur la paroi du bateau. L'océan est noir, profond et effrayant. Cette nuit, il n'est pas trop agité, mais les vagues sont quand même présentes, comme pour nous rappeler que nous ne sommes jamais à l'abri d'une tempête.
-Bien-sûr que si, tu peux. Je suis là.
-Esteban, je ne peux pas.
J'entoure mon ventre de mes bras. Je tremble de tous mes membres, autant de froid que de peur.
-Prends ma main.
Je ravale un sanglot.
-C'est au-dessus de mes forces. J'ai peur.
Il s'approche en encadre mon visage de ses mains. La chaleur de ses paumes m'apaise un peu.
-Tu n'as rien à craindre. Je suis là, d'accord?
-Je ne sais pas nager. Il... Il y a des requins.
-Moi, je sais nager. Je suis avec toi. On va sauter main dans la main. Je ne te lâcherai pas et je te porterai jusqu'au prochain bateau. Ils sont au courant qu'on arrive, ils nous attendent. Tu n'as absolument rien à craindre.
J'ai tellement envie de le croire. Mais mon cœur menace de sortir de ma poitrine dès que je jette un coup d'œil à l'océan.
-Et les requins?
Il sourit, amusé.
-Ne te moque pas. Le devancé-je. L'océan est remplit de requin.
-Tu sais, ici, les requins ont plus peur de nous que nous d'eux. Tu n'en verras aucun, je te le jure. Ce n'est pas dangereux.
Je hoche la tête, ravalant mes larmes. Je n'ai pas intérêt à pleurer. J'ai pourtant supporté bien pire qu'un bain de nuit. Mais je n'ai jamais trempé un doigt de pied dans l'océan. Sur Newearth, il y a bien des endroits où quelques rebelles allaient se baigner, mais ils étaient interdits. Les seuls endroits pour nager étaient les piscines municipales. Je n'y suis jamais allée.
-Abby, il faut y aller. On va finir par se faire repérer.
Je prends la main qu'il me tend et m'avance vers la barrière.
-Oh mon Dieu... murmuré-je en fixant à nouveau la distance entre moi et l'eau, puis l'obscurité de celle-ci.
Je me tourne vers Esteban. Il paraît parfaitement serein.
-Elle n'est pas trop froide? Bredouillé-je.
-On nagera vite. Sourit-il.
Tout cela me semble être un jeu d'enfant pour lui. Je m'étais juré de ne jamais confier ma vie à quelqu'un. Il semble que je dois rompre ma promesse.
-A...allons-y.
Avant que je ne me dégonfle... pensé-je en fond intérieur.
Esteban serre ma main dans la sienne et enjambe la barrière. Je l'imite, tentant de calmer mes jambes tremblantes. Elles menacent de s'effondrer sous mon poids.
-Un... Deux... Trois!
Je lâche la barrière de ma main libre et ferme les yeux. La chute semble durer une éternité, puis enfin, je sombre dans l'océan.
L'eau rentre dans mes vêtements, dans mon nez et ma bouche et je crache tout en tentant de remonter à la surface. Quand je me rends compte que j'ai lâché la main d'Esteban, je panique et bat des pieds pour sortir la tête de l'eau. Alors que je me débats sous l'eau, deux mains puissantes m'agrippent sous les aisselles et, en une seconde, j'arrive à la surface. J'avale de grandes goulées d'air, sans lâcher Esteban.
-Ça va?
Ses cheveux trempés lui tombent devant les yeux et il sourit. Être dans les vagues de l'océan, juste à côté d'un navire de guerre n'a pas l'air de l'inquiéter plus que ça. Très bien. Je ne sais pas qui de nous deux, est le fou.
-Euh, oui. Finis-je par lâcher, une fois ma respiration calmée.
Je sens ses jambes bouger doucement dans l'eau. C'est donc ainsi qu'il se maintient à la surface.
La lune éclaire son visage et nous nous fixons en silence. J'observe la courbe droite de son nez, ses lèvres pleines et ses yeux noirs, brillants. Je tends une main vers lui, hésitante et dégage une mèche de cheveux bruns de son front. Il plisse les yeux et je retiens mon souffle. Un ange passe.
Soudainement, il se racle la gorge. Pétrifiée, je n'esquisse pas un geste.
-Allons-y. Dit-il, d'une voix grave.
Il passe une de ses mains autour de ma taille et brasse l'eau avec l'autre. Sans savoir comment, je me retrouve sur le ventre, à avancer avec lui. Il nage rapidement, comme si je ne lui posais aucune difficulté. J'essaie de l'aider au maximum, battant aussi des pieds.
Au moment où je crains que mon compagnon ne soit épuisé, j'aperçois les lumières d'un bateau. Il n'a rien de comparable au Triomphe. C'est un simple voilier. Il semble perdu au milieu de l'océan.
Nous nous en approchons et je constate que deux hommes observent l'océan, une lampe torche à la main. Esteban s'arrête un instant de nager et siffle. Les deux hommes baissent la tête, et en nous voyant, ils jettent une corde vers nous.
-Attrape-là. Souffle Esteban, la respiration hachée.
J'attrape la corde d'une main, et attrape son bras de l'autre. À mon tour de l'aider. La corde me tire lentement vers le voilier et je m'autorise enfin à sourire. Première étape réussie.
-Vous êtes Esteban Torres? Demande un des deux hommes.
Il doit avoir une soixantaine d'année, et caresse de sa main sa barbe grise. Ses yeux rieurs me réconfortent. Il a l'air d'un homme bienveillant.
-C'est bien moi. Dis le concernée, en retirant sa veste.
Dessous, son tee-shirt est collé à sa peau. Je suis dans le même état. Je grelotte dans mes vêtements trempés.
-On a des vêtements de rechange pour vous. Nous dit le deuxième, sûrement le fils.
Il est le portrait craché de l'homme barbu, en plus jeune.
-Vous ne pouvez pas débarquer sur Neworld ainsi. Continue-t-il.
-Sommes-nous loin de la côte? Demandé-je, d'une voix hésitante.
Les trois hommes se tournent vers moi, comme s'ils étaient étonnés que je sache parler.
-Nous n'avons pas l'allure du Triomphe. Me répond gentiment le vieil homme. Nous naviguerons tranquillement, pour être sur l'île demain matin. Steve, conduit les là où ils vont dormir. (Il se retourne vers nous): Vous y trouverez aussi des serviettes et des vêtements secs.
Esteban les remercie puis nous suivons le dénommée Steve dans la coque du bateau.
Le plancher en bois n'a rien avoir avec la moquette de mon navire de guerre. Je bouge avec le voilier à chaque pas, alors que je ne ressentais pas une vague sur le Triomphe.
La pièce dans laquelle nous allons dormir est en fait presque vide. Seul un matelas recouvert de plusieurs couvertures est posé au centre. Sur le plancher, deux piles de vêtements.
-C'est spartiate. S'excuse Steve. On n'a pas l'habitude de dormir dans le voilier. On s'en sert juste pour pêcher.
-C'est bien assez. Merci beaucoup.
-Bon. Vous avez normalement tout ce qu'il faut. N'hésitez pas s'il y a un problème, je serai au gouvernail.
Une fois, Steve partit, Esteban commence à se déshabiller. Constatant qu'il n'a pas l'air pudique, je le préviens:
-Tournes toi.
Pour toute réponse, il me sourit malicieusement.
-Je ne plaisante pas. Tu n'as pas intérêt à regarder. Dis-je en me sentant rougir.
-Ne t'inquiète pas. Promis.
Il se tourne, dos à moi et je le vois retirer son tee-shirt, qui tombe dans un bruit sec. Je me tourne immédiatement, pose mon sac à dos imbibé d'eau et me déshabille à toute vitesse. Un souffle d'air vient caresser mon corps nu et je réprime un frisson. Je sèche ma peau trempée et enfile le jean, le tee-shirt noir et le pull offert par les marins en moins de cinq secondes. Quand je me tourne, j'aperçois de l'encre noire sur le flanc gauche d'Esteban, juste avant qu'il ne rabatte son tee-shirt noir par-dessus. Je n'ose rien dire, et fixe plutôt le matelas deux places. Donc... Nous allons devoir dormir ensemble.
-Prends le côté que tu veux. Me dit gentiment Esteban.
Je ne réponds pas. De toute façon, le nœud dans ma gorge m'empêche de le faire. Je m'allonge à gauche et rabat la couverture sur moi. Dès que ma tête touche l'oreiller, mes yeux menacent de se fermer. Je ne m'étais pas rendue compte à quel point j'étais épuisée. La lumière s'éteint puis un poids s'allonge à mes côtés et je retiens mon souffle.
Je sais que son visage et derrière moi. Je le sais car je sens son souffle chaud dans ma nuque. Je me concentre pour ne pas frissonner. Si je le fais, il saura l'effet qu'il me fait. Bien que je sois certaine qu'il s'en doute déjà.
Alors que je commence à croire qu'il s'est endormit, ses bras m'entourent la taille et me plaquent contre lui. Je me fige, mon cœur battant la chamade. Sa voix me murmure à l'oreille, aussi douce qu'une mélodie:
-Je suis là pour combattre tes cauchemars.
Mes yeux se ferment sur ces belles paroles.
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Holà!
Abby quitte enfin le navire pour aller sur l'île ennemi. Découverte au prochain chapitre !
Bonne journée,
Séléna
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