Jour 15 - Fort Boyaux

Pinocchio savait qu'il n'était pas un petit garçon ordinaire. Après tout, il était né pantin, avant de devenir petit garçon par la magie de la Fée Bleue. C'était déjà énorme et peu croyable. Mais voilà, Pinocchio n'était pas revenu indemne de son voyage.

Jour et nuit, pendant longtemps, il songea à ce moment où il s'était retrouvé dans le ventre de la baleine, et à comment il avait trouvé ça à la fois effrayant et excitant. Après tout, on n'est pas avalé par une baleine tous les jours !

Il se passionna tellement pour les intestins de la baleine qu'il décida de devenir scientifique. Non pas pour le plaisir de découvrir de nouvelles choses, bien que cela en fasse partie, mais bien pour avoir la chance, un jour, de pouvoir retrouver Monstro et étudier sa taille hors norme.

Alors Pinocchio étudia, étudia, étudia, encore et encore, jusqu'au jour où, diplômé, il fut enfin autorisé à aller chercher Monstro. Trouver un bâteau ne se révéla pas une mince affaire, personne n'ayant envie de partir chasser une baleine capable d'avaler le Titanic tout entier. Alors Pinocchio fit confiance à son instinct et vola un bâteau de nuit. Si la Fée Bleu le voyait, elle n'approuverait certainement pas, mais elle n'était pas sa mère, donc elle ne pouvait rien lui dire. C'était ce qu'il avait prévu de lui crier si elle se pointait pour l'engueuler comme s'il avait encore six ans et demi. Il était adulte à présent !

Sa conscience pas si tranquille que ça, Pinocchio partit donc à l'aventure sur les mers du sud. Il vogua, vogua, vogua sur les flots, encore et encore, sans jamais rien trouver. Dépité, et craignant déjà de se faire arrêter en retournant à terre avec son bâteau volé, Pinocchio ne vit pas l'énorme masse noire bondir hors de flots, seulement la disparition brutale du soleil.

— Oh, il va faire tout noir, remarqua-t-il.

Et tout noir il fit. De nouveau, Pinocchio s'était fait avaler par Monstro, la baleine. Ou son fils. Il n'était pas certain de l'espérance de vie de l'animal. Cette fois-ci, cependant, il ne chercha pas à s'enfuir. Ce n'était pas exactement de cette manière qu'il avait prévu d'analyser Monstro - il pensait plus à une dissection -, mais d'une certaine manière, ça fonctionnait.

Alors Pinocchio descendit de son bâteau et, vaillamment, s'en alla visiter les profondeurs du ventre de la bête. Il inspecta, scruta, annota, surveilla, palpa, sauta, dansa, palpa encore, jusqu'à ce qu'un grondement inquiétant le fasse arrêter tout net. La dernière fois, ce n'était pas arrivé.

Il fallait dire aussi que la dernière fois, il n'était resté enfermé que quelque minutes. Pinocchio s'était toujours demandé pourquoi ils n'avaient croisé personne dans le ventre de Monstro. Lorsqu'il vit un étrange liquide translucide remonter de l'estomac de Monstro, il songea que c'était peut-être parce qu'ils s'étaient faits digérés. Étant donné que les bâteaux en bois étaient encore intact, il en déduisit que, s'il était encore un pantin, il aurait pu survivre à ça.

Ironique.

Paniqué, Pinocchio se décida enfin à réagir, et, en tentant de remonter vers la bouche, hurla le nom de la Fée Bleue pour qu'elle vienne le sortir de ce mauvais pas. Saoulée par tant de sollicitations, celle-ci finit par apparaître.

— Sors-moi de là ! cria Pinocchio. Je suis encore tombé dans le ventre de Monstro !

— Oui, et tu as aussi volé un bâteau. Tu n'es pas digne, Pinocchio.

— Oui, je ne suis pas digne ! Retransforme-moi en pantin !

La Fée Bleue réfléchit.

— Hum... Non.

Puis elle disparut. Sous le choc, Pinocchio hurla, hurla, et hurla encore plus fort lorsque l'acide commença à lui lécher les jambes. Monstro digéra enfin la petit garçon qui lui avait donné tant de mal, un sourire de satisfaction plaqué sur le visage. Enfin, les méchants gagnaient pour une fois.

Geppetto, abandonné par son fils, mourut de chagrin quelques jours plus tard, après avoir insulté la Fée Bleue de tous les noms, venue lui annoncer qu'elle aurait pu sauver son fils, mais qu'elle ne l'avait pas fait parce que ce n'est pas une bonniche.