Texte 27 : Journal d'Albrecht ~ Sombres pensées
Genre : Drame, tranche de vie
Époque : probablement entre 2995 et 2999
Protagonistes : Albrecht
Lien avec : L'Œil de Teikono (l'histoire principale)
Note : ⚠️ IMPORTANT : Exceptionnellement, je mets les notes à la fin. LISEZ-LES S'IL-VOUS-PLAÎT ! :)
Et en attendant, bonne lecture 📖
« On ne pleure pas dans les bras d'Albrecht. »
Sur la piste de danse, dans la grande salle de bal, je danse. Ma partenaire se laisse entraîner, elle n'est rien de plus qu'un corps anonyme, sans visage. Je danse. Mes pieds esquissent les pas au rythme de la musique. Elle est la seule à qui j'obéis, la seule que je suis.
Je ne réfléchis pas à guider mes pas, mon corps bouge naturellement et me libère de ma prison de chair, le temps d'une valse, le temps d'un rock ou d'un swing.
Inaccessible. C'est ce qu'on dit de moi. Peu m'importent les rumeurs qui courent à mon sujet, tant qu'il y a des partenaires pour se presser à ma porte pour danser.
« On ne pleure pas dans les bras d'Albrecht. »
Je n'ai que faire de ces égocentriques, seuls m'intéressent leur corps, le temps d'une danse. Ils viennent chercher mon contact et en échange, je peux danser. L'échange est équitable, je ne donne rien de plus.
« On ne pleure pas dans les bras d'Albrecht. »
Ma présence est naturellement réconfortante, elle délie de nombreuses langues et les gens se confient facilement à moi. Trop facilement.
Mais moi, je ne me réconforte pas moi-même et mes épaules ont absorbé trop de larmes étrangères.
Je ne veux que danser. Je n'écoute rien ni personne dans ces moments-là, à part la musique. C'est ma liberté.
« On ne pleure pas dans les bras d'Albrecht. »
Parce qu'Albrecht ne les sèche pas. Parce qu'Albrecht n'a plus rien à offrir. Je ne suis qu'un pantin vide, hermétiquement fermé à quiconque tente de briser mes barrières. Les pleurs et le malheur des autres m'ennuient et je demeure entièrement indifférent aux jérémiades de mes partenaires de bal. On ne pleure plus dans mes bras parce que je me lasse.
Parce que je peux me détourner d'une personne qui me raconte sa vie et ses problèmes sans aucun remord. Je m'éloigne simplement, fragile poupée de porcelaine que je suis.
Je sais sourire, de bien des façons. L'ironie et le sarcasme sont mes expressions favorites. Je les utilise à tort et à travers. Elles tranchent et coupent le moindre lien que les gens cherchent à tisser avec moi.
Leur égocentrisme les pousse vers moi, je les attire instinctivement. Mon cynisme les rejette au loin.
Je suscite l'admiration et l'envie. Un bel homme distingué et malicieux, sobre et danseur de talent qui attire irrésistiblement la moindre personne. Magnétique.
Les gens sont attirés par ceux qui semblent posséder exactement ce qui leur manque, qui paraissent capables de combler leurs failles les plus profondes et douloureuses.
Moi, j'ai tout ça en moi. Mais personne n'a ça en lui pour moi.
Tout le monde me veut pour lui, mais je n'ai personne pour moi.
Je veux simplement danser. Je n'ai pas à écouter vos peines de cœur ; personne n'entend les miennes.
« Mon âme hurle dans le silence de mon ignorance pour votre cœur blessé. »
A quoi bon ? Dissimuler ses émotions est un exercice incroyablement facile. La plupart du temps, ce qui trahi un secret, c'est la peur qu'il soit découvert.
Moi, je n'ai jamais eu cette peur. J'ai depuis longtemps perdu l'illusion que tout le monde pouvait entendre mon cœur cogner dans ma poitrine lorsqu'il battait à tout rompre.
Je sais parfaitement qu'il peut bien frapper aussi fort qu'il veut, personne ne l'entend quand il hurle.
« Ecoutez-moi ! »
Il fut un temps où j'observais les gens. Les humains sont fascinants. Ils croient souvent tout savoir. Qui sait quelque chose au fond ? De quoi je parle sans savoir, moi ?
Tout ce que je remarque, c'est ce qui se dit sur moi sans qu'ils le sachent.
Je ne dis plus rien. Je me moque d'eux, silencieusement.S'ils savaient. Mais ils ne savent pas...
Ils ne savent rien mais parlent de tout et surtout de rien. Les statistiques n'existent que pour la moyenne qui définit leur norme. Les exceptions n'existent pas dans leur monde. Les probabilités disparaissent dès qu'elles sont trop petites et ils effacent nos existences à grand coups de certitudes.
Au nom de n'importe quoi ils ou n'importe qui, ils clament leur réalité, incapables d'admettre qu'ils ne s'expriment qu'en leur propre nom.
*
Je n'ai jamais rien mérité. Mes échecs me définissaient quand mes réussites ne pouvaient être que le fruit du hasard ou de l'injustice.
Personne ne croyait en moi, parce qu'il ne fallait surtout pas croire en moi. Des années durant, j'ai tenté de me faire le plus discret possible, appliquant à effacer mon existence comme je le pouvais.
Il fallait qu'on m'oublie et moi je voulais oublier leur regard fuyant.
Mais tout ça est normal. On n'encourage pas, on ne regarde pas un monstre dans les yeux. Parce que je suis un monstre.
Je le sais parfaitement depuis longtemps. Je suis enfermé dans une prison invisible.
Tous mes efforts n'y peuvent rien et je reste prisonnier. Je suffoque.
Ma geôle n'a pas grandi avec moi et l'espace étroit me pèse autant que ma solitude. Personne ne m'entend et la paroi déformante renvoie au monde une image de moi qui ne me correspond pas.
*
Je suis bizarre. Mais le suis-je à la base, ou bien est-ce une conséquence de la folie dans laquelle ils m'ont poussés de toutes leurs forces ? J'en deviens dingue !
Mes réactions me paraissent parfois inadaptées ou exagérées, mais dans quelle réalité le sont-elles ? Est-ce qu'elles reflètent ce que je suis ou bien le pantin qu'ils ont fait de moi ? Qui suis-je, au plus profond de moi-même ? Où est l'Albrecht d'autrefois, est-ce l'original ? Ai-je seulement un jour été mon propre original ?
A quoi ressemblait celui qui s'est mutilé pour rentrer dans leur moule ? Est-il mort d'une hémorragie ou bien s'accroche-t-il toujours, incapable de ressortir de la prison dans laquelle il a lui-même souhaité s'engouffrer ?
Cette image de moi ne me convient plus. Je la garde parce qu'elle préserve le peu de ce que je suis parvenu à sauver, mais j'aimerais retrouver ce que je suis.
Peu importe le regard des autres, ils ne remplaceront jamais mon rapport à moi-même, ils ne combleront jamais ma personnalité.
*
Je fais le même cauchemar toutes les nuits, inlassablement, mais je n'en comprends pas la signification ni ceux qui les hantent. Est-ce que ce sont eux ? Est-ce que c'est moi ? La part de moi qui meurt toutes les nuits avec eux demeure incapable de me donner la réponse.
NOTES : J'ai choisi de partager ces quelques extraits du journal d'Albrecht, personnage appartenant à l'univers de la BD et mort en 3000, mais sous plusieurs conditions que je me suis imposées.
Tout d'abord, Albrecht est un personnage complexe, sombre, torturé et surtout détruit. Tout ce qu'il écrit dans son journal est sombre et pessimiste. « Sous sa plume » j'ai ainsi écrit des passages très noirs et parfois très violents. J'ai donc choisi de ne retenir que les passages que j'ai estimé les moins rudes.
Ensuite, je tiens à clarifier ce point : je n'approuve en aucun cas les pensées et réflexions de ce personnage ! Elles sont le fruit de ses années de souffrances liées à sa condition particulière et en sont ainsi biaisées et négatives. Albrecht est un personnage torturé et malmené, mais il possède aussi ses défauts et je ne veux en aucun cas l'élever en un personnage qui n'a strictement rien à se reprocher.
Aimez-vous. Le point de vue d'Albrecht n'est pas un point de vue sain, qu'il en soit responsable ou non.
Merci d'avoir lu jusque-là, prenez soin de vous :)
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