Chapitre 11
Evi Van Der Meiden n'était pas l'enfant la plus sage et docile qu'un parent rêverait d'élever. Caractérielle et gamine égoïste, elle avait grandi dans une atmosphère favorable au développement de son individualisme et de sa vanité. En primaire, elle régnait sur la cours d'école et choisissait avec soin ses amis, ne s'associant sous aucun prétexte aux moches, aux pauvres et aux idiots. Son père n'aimait pas du tout la voie qu'empruntait sa fille, mais il travaillait et sa mère aussi. Ils la laissaient donc se moquer des autres et lui forgeaient la prestance d'une petite princesse exécrable en la gâtant et la couvrant de biens qui n'étaient clairement pas nécessaires pour son âge.
En entrant au collège, elle était tombée sur les troisièmes, les têtes de l'établissement, les véritables rois et reines. Son trône s'était effondré et elle avait été éjecté à la place des torturés, avec tous les moches, les pauvres et les idiots qu'elle ignorait auparavant. Son école privée comptait les plus fortunés et catholiques enfants de toute la région. Bien que ses parents possédaient suffisamment d'argent, son manque de foi lui faisait défaut. Elle était charriée, rejetée et certains essayaient de la convertir, profitant de sa jeunesse et de sa naïveté pour la rapprocher du Seigneur – que ce soit les élèves et les professeurs.
Les deux premières années, ce stratagème fonctionna à merveille. Elle se rendait gaiement à la chapelle de l'école et s'investissait dans les messes en chantant à plein poumon les paroles religieuses. Ceci exaspérait son père, d'ailleurs. Ses parents n'étaient pas forcément haineux de la foi, ni même contre le fait qu'elle puisse devenir chrétienne. Or, ils voyaient d'un très mauvais œil la manipulation exercée par les enseignants de ce collège. Ils envisagèrent de la transférer dans un autre établissement, mais Evi reprit ses esprits en quatrième.
La religion ne lui servait pas. Aucun dieu ne pouvait empêcher les autres élèves de la marginaliser de force, de la bousculer à ses passages et les professeurs n'aidaient pas, lui faisant souvent des réflexions devant tous les autres sur son absence de foi. Elle leur posait des questions piège à la fin des cours de catéchisme, en pointant un à un toutes les failles de la religion catholique. Des années après, elle comprend l'essentiel : il n'est pas question de croire à une femme vierge et enceinte ou de miracles, mais il s'agit de trouver un guide spirituel dans sa vie. Elle n'avait pas besoin d'une telle personne, alors elle avait tourné le dos volontiers à ces croyants.
Arrivée au lycée, la donne changea. Du privé, elle passa à un lycée public à la douteuse réputation. Certains anciens élèves le décrivaient comme une usine. Elle s'imaginait un endroit sans ami, encore, et sans goût. Trois années de plus sans saveur. Toutefois, cet établissement combla toutes ses douces espérances. Elle redevint dès les premiers jours la reine incontestée, la tendance, la joyeuse, celle que tous voulaient imiter pour avoir l'air cool. Le pouvoir retourna entre ses mains et un choix s'imposa à elle.
Soit elle écartait à nouveau les moches, les pauvres et les idiots, soit elle réalisait à quel point elle avait été stupide, égocentriste et peste en primaire. Evi Van Der Meiden n'hésita pas une seule seconde et à peine entra-t-elle dans la cour qu'elle se jeta sur les deux garçons solitaires et à l'écart. Le trio se forma ainsi, sur les ruines d'une enfance ingrate. A ce jour, elle ne regrette ni son égoïsme passé, ni son exclusion plus récente. Grâce à ses expériences, elle s'est façonnée un caractère, un vrai, qui lui appartient et qu'elle maîtrise selon son bon vouloir.
Son père partit dans ces années-là, permettant à sa mère d'enfin lâcher sa frustration sur elle en toute liberté. Quelques remarques par ci par là sur son style vestimentaire, sur ses notes moyennes ou sur sa nouvelle lubie sur le maquillage ; voilà ce qui engendra une boule de neige dévastatrice qui grandit et grossit tous les jours depuis. Evi s'était teinte les cheveux en violet, elle était sortie en boîte, elle avait bu, elle avait fumé et elle avait menti parfois. Une guerre basée sur les mots blessants et sur les actes rebelles perdure aujourd'hui et les deux ne savent plus comment se parler sans se critiquer.
— Est-ce que tu crois que j'ai été trop dure avec elle ?
— Oh, tu sais que les gosses sont vraiment instables de nos jours. Qu'ils obtiennent ce qu'ils veulent ou non, ils râlent et se mettent contre leur parent. Et puis, peut-être qu'Evi n'a pas terminé sa crise d'adolescence. Elle est encore jeune et n'a toujours pas franchi le stade de l'âge adulte. Elle se calmera avec le temps.
Au téléphone avec une amie psychologue, la mère d'Evi s'inquiète. Leur dernière conversation remonte et elle ne peut pas l'oublier. Les mots de sa fille sont gravés dans sa mémoire.
— Elle... Elle a quand même dit haïr le fait d'être ma fille.
— Ouh ! La vilaine insulte !
Son amie ricane .
— Ne t'inquiète pas, ils prononcent tous cette phrase à un moment ou un autre ! D'ailleurs, tu ne t'en sors pas trop mal, elle aurait pu te balancer des grossièretés. Tant qu'elle ne te crache pas des injures au visage, elle est gérable.
— Je m'en fiche qu'elle soit gérable, soupire-t-elle. Je souhaite qu'elle retire ses mots !
— Eh bien, prive-la d'appareils technologiques. Ça marche à tous les coups avec cette génération !
— Tu n'aurais pas une solution qui n'implique pas des punitions ? Evi déteste être bridée. La priver de quoi que ce soit reviendrait à m'attirer sa haine définitive.
L'amie réfléchit un instant et demande abruptement :
— A quoi tient-elle le plus ?
Sa mère s'apprête à répondre elle-même. Evi, bien qu'elle se soit tempérée et s'intéresse désormais à d'autres individus, demeure accès sur sa propre personne. Elle prend soin d'elle, agit comme elle le désire et fait entendre sa voix qu'elle y soit autorisée ou non. Mais, en regardant les dernières années, la tête violette ne s'adore plus autant qu'avant.
— Ses amis. Elle rentre tard le soir après les cours et les voit tous les week-ends. Cette gamine ne peut pas les quitter plus de deux jours d'affilée.
— Alors, c'est simple, interdis-lui les sorties le week-end, impose un couvre-feu très tôt et assure-toi qu'elle obéisse à de nouvelles règles strictes. Certes, elle se révoltera au début, mais il lui faut un électrochoc pour se rappeler qu'elle n'est pas la reine à la maison ! Fais-la tomber de son piédestal.
Un silence s'ensuit. La mère n'en revient pas. Comment a-t-elle pu amener sa fille en consultation avec cette femme ? Une psychologue ? Elle a connu Evi jeune et l'a analysé par le passé, pourtant elle insiste pour la punir et la brider. Sait-elle que cette forte tête serait capable de retourner toute la maison ? Jamais, elle ne lui ordonnerait de s'éloigner de ses amis. Ils constituaient l'essence même de son bonheur, sa raison d'être. Lui ôter cette source de bien-être serait d'abord impossible, mais aussi terrible et quasi-inhumain.
— Je dois raccrocher, j'ai beaucoup de travail à finir ce soir.
Sans écouter la réponse de son amie, elle ferme le clapet de son téléphone.
— N'importe quoi ! Cette gamine m'exaspère et me rend la vie impossible, mais lui enlever ses amis...ah ! Autant creuser ma tombe tout de suite !
Bien sûr, elle n'harcèle pas sa fille de questions par pur plaisir. Par ailleurs, de son point de vue, elle ne la traitait pas comme une délinquante ; en revanche, elle l'interrogeait pour s'assurer qu'elle ne l'était pas. De par son métier, il n'est pas rare que les juges pour mineurs ou les juges s'occupant d'affaires avec des jeunes gens ne lui rapportent les histoires effrayantes et tragiques de drogués, de voleurs ou de tueurs. Des individus dans la fleur de l'âge qui dérapent, par accident ou par désir, et qui détruisent toute leur existence. En tant que mère, elle redoute affreusement que ce jour arrive.
Heureusement, elle voue une entière confiance à ses deux fidèles amis. Les ayant rencontrés deux ou trois fois, Nicholas représente le calme, le respect et la bienveillance. Il parle peu, mais agit toujours en bien. En notant son anxiété lors d'une conversation qui commençait à dégénérer, il lui avait glissé de façon discrète qu'il surveillait sa fille en boite de nuit et qu'il la restreindrait si le besoin se faisait ressentir. Quant à Christopher, son légendaire enthousiasme mêlé à son grain de folie ne lui avait pas inspiré grand-chose. Cependant, elle avait repéré cette minuscule lueur dans son regard, celle qu'il peinait à cacher aux plus observateurs – l'amour. Il estime trop Evi pour la perdre dans l'alcool ou autres dérives de la jeunesse.
Avec eux deux à ses côtés, elle se détendait à chaque fois que sa fille lui annonçait sortir en boite. Qu'elle boive, qu'elle fume, se répétait-elle, ils se chargeront de tempérer tes ardeurs. Il arrive également qu'Evi rencontre d'autres amis ou connaissances seule. Dans ces moments-là, la mère pose plus de questions et hausse le ton quelquefois. Elle n'en a jamais discuté avec la jeune femme, mais en réalité sa paranoïa provient bel et bien de quelque part.
Sa sœur, une droguée qu'elle avait maintes fois tenté de ramener sur le droit chemin, a indirectement anéanti la vie de sa fille. Sa nièce a marché à travers la fumée des cigarettes toute son enfance et a senti les odeurs des substances illicites dès ses premiers pas. Elle en a goûté rapidement et puisque personne ne l'a prévenu des dangers de la drogue, elle trouvait cela normal et agréable. Les deux ont enchaîné les overdoses jusqu'à ce que la pauvre lycéenne décède à côté de sa mère sans que cette dernière ne s'en aperçoive.
Elle a toujours gardé Evi loin de cette sombre histoire. Cinquante ans et des poussières, une sœur en prison et une culpabilité énorme pesant constamment sur son âme, elle pense de temps en temps à sa nièce. Que se serait-il passé si les deux avaient maintenu le contact après le décès de leur parent ? Est-ce qu'elle aurait pu raisonner une droguée ? Est-ce qu'elle aurait pu sauver une enfant des griffes d'une ignoble génitrice ? Evidemment. C'est ce qui l'attriste le plus et l'a conforté dans son envie de gravir les échelons de la magistrature au plus vite. Les vies sont précieuses et uniques, pas de deuxième chance, pas de reboot. Il faut les chérir à tout prix ou elles vous échappent en un claquement de doigts.
La porte claque soudainement et la mère sursaute. Assise avec bien peu de grâce sur son canapé, les yeux embués en la mémoire de sa nièce et le visage dévasté, elle se redresse, se racle la gorge et attrape un de ses dossiers en le lisant distraitement. Du coin de l'œil, elle distingue la silhouette dénudée de sa fille. Un legging et un top recouvrant à peine sa poitrine, autant dire qu'elle désapprouve ce choix vestimentaire et elle amorce un geste pour la réprimander, mais elle se stoppe net. Des sillons noirâtres creusent ses joues, ses lèvres tremblotent et elle maintient le menton baissé. Quelque chose ne va pas.
Aussitôt, elle abandonne l'air grandiloquent et moralisateur qu'elle adopte en présence de sa fille et se lève d'un bond pour rejoindre le couloir. Evi ralentit en percevant les pas de sa mère derrière elle. Ne se retournant pas, elle s'efforce de ne pas pleurer à nouveau. Après sa discussion tendue avec Christopher et le coup de poing, la jeune femme ignore ce qui adviendra de leur trio. Elle comprend pourquoi le brun a réagi de la sorte. Apprendre que vos deux meilleurs amis ont couché ensemble et qu'en plus il est sa seule et première fois chamboule. Elle se doutait que ce serait une mauvaise idée de lui avouer.
— Est-ce que... Qu'est-ce que tu faisais ?
— Ça ne te regarde pas, répond faiblement Evi.
— Je suis ta mère, que cela te dégoûte ou pas. Avec qui étais-tu ?
La mère se souvient d'une phrase en particulier. Sa fille, sans qu'elle ne le sache, a failli être abusée et elle n'aurait jamais été au courant.
— Est-ce que...les personnes qui t'ont agressée... Est-ce qu'ils ont recommencé ? Est-ce que...ça va ?
L'angoisse lui agrippe subitement l'estomac. Et si Evi vient tout juste de vivre l'horreur ? Elle n'arrive même pas à l'imaginer, mais la jeune femme semble à bout, défaite et fébrile.
— Je n'ai pas été violée, si c'est la question.
— Evi !
— Quoi ? Appelons un chat un chat ! Un viol, c'est un viol.
— Ce n'est pas le sujet. Ton épouvantable mère peut-être exiger une explication sur ton état actuel ou suis-je écartée de ce privilège ?
— Pourquoi ça t'intéresserait ? réplique Evi, sèchement. Pour tout te dire, mon état n'a aucun rapport avec un quelconque acte de délinquance et me concerne. Tu n'as pas à t'en préoccuper, je n'ai pas commis de...
— Arrête un peu !
Sa mère a crié. Evi relève vivement le regard sur elle en la dévisageant. Perdue dans ses pensées, elle susurre, la voix vacillante :
— Ne sois pas gentille ou maternelle envers moi, je n'aime pas ça. Tu n'as pas le droit de me critiquer sans cesse pendant des années et t'inquiéter pour moi. Non, le privilège ne t'est pas octroyé. Mais, uniquement parce que tu ne me lâcheras pas, je vais te dire ce qu'il s'est passé. J'ai fait ma première fois avec Nicholas et je l'ai admis à Christopher qui a pété un câble. Pour résumer, il est possible que j'aie perdu un ami très cher aujourd'hui. Je n'ai pas envie que tu me perturbes davantage en jouant à la mère modèle.
Elle ne rétorque rien et observe en silence sa fille gagner sa chambre en titubant. Au final, elle mérite sa colère. Traumatisée par le destin abominable de sa nièce, elle a étouffé Evi jusqu'à ce que la jeune femme n'en puisse plus. Elles discuteront à cœur ouvert bientôt, il le faut. En attendant, elle se contentera de la soutenir de loin et de se soucier de son bonheur sans empiéter.
Evi s'écroule sur son lit et ne bouge plus, bien décidée à dormir pour oublier ses ennuis. Elle lance des regards à son portable et songe à de nombreuses occasions d'appeler le brun, mais elle y renonce. Elle pourrait envoyer un message à Nicholas et s'enquérir de sa lèvre fendue, ou penser à elle et à ses sentiments troublés. Seulement, les traits déçus de Christopher ne s'effacent pas de son esprit. Elle se questionne sur sa réaction, la jugeant tantôt excessive, tantôt logique. A sa place, elle aurait supprimé son numéro, impulsive. Comment va-t-il ? S'est-il apaisé ? Où est-il ? Plein de questions qu'elle balaye finalement.
Tout comme elle, toutes les pensées de Nicholas sont dirigées sur le brun. Il connait l'affection que Christopher porte à la jeune femme et il ne doute pas d'à quel point la nouvelle a dû le bouleverser. Mieux vaut ne pas le contacter pendant quelques temps. Avec son caractère, sa fierté et le choc, il ne serait pas bon de converser maintenant. Le châtain se gare devant chez lui, déconcentré et coupable. Min-Hee est assise à sa droite, méditative. En coupant le moteur, il se tourne vers elle et chuchote, désolé :
— J'espère que ça ne te causera pas de problème. Evi a mal choisi son moment pour tout lui révéler ! N'en veux pas à Chris. Il...n'a pas cherché à déranger ta séance de dédicaces et...
— Ce n'est pas à lui que j'en veux, ni à personne d'ailleurs ! tranche-t-elle, sur un ton presque solennel. J'ai vu dans son regard qu'il n'a pas été en mesure de réprimer ses émotions. Les vendeurs n'ont rien remarqué, en plus. Tu devrais t'occuper de ta lèvre. Tu saignes.
Il pouffe sans sourire.
— Un de mes amis me déteste sûrement et l'autre doit être ravagée de remords. Ma lèvre, à côté de ça, je m'en moque !
— Je ne vous côtoie pas depuis longtemps, mais...
Min-Hee se tait un instant, fronçant les sourcils. Elle se replonge dans le souvenir où Christopher frappe Nicholas. Tous avaient les yeux rivés sur cette scène-là, tandis qu'elle scrutait la tête violette avec attention. Evi en a versé une larme. Mais, elle ne ressemblait pas à une fille assistant à une dispute entre ses deux meilleurs amis. Il lui est apparu en revanche que cet événement fâcheux s'associerait plutôt à une tourmente entre une demoiselle et ses deux amants, tel un épisode romantique et dramatique d'une série télévisée à l'eau de rose. A ceci près que le châtain n'est pas un de ses prétendants – ou alors elle s'est trompée sur leur compte.
— Mais, je suis sûre et certaine que votre amitié ne se terminera pas et qu'elle se renforcera.
— C'est une affirmation risquée, souffle Nicholas.
— Si j'appréciais les paris, je t'en aurais proposé un, mais je déteste ça ! Peu importe ! Tu peux me croire sur ça. Et dans l'hypothèse où j'ai tort, eh bien..., ça ne sera pas le cas !
Sa certitude l'amuse. Il hoche vigoureusement de la tête en lui offrant ce point, espérant que son intuition se confirme. Ils sortent de la voiture et Nicholas entre promptement dans la maison, esquivant ses parents pour ne pas affronter la gêne de ce matin et ne pas exposer sa lèvre fendue. Il s'empresse d'ouvrir la porte de sa chambre et l'aurait refermé si Min-Hee ne l'avait pas suivi. Tandis qu'elle s'assoit sur son lit sans un mot, il la fixe de manière étrange. Nonchalante, elle pointe son visage et déclare :
— Tu dois soigner ça.
Il acquiesce et se risque derechef dans le couloir, guettant les bruits de sa famille. Fouillant dans l'armoire de la salle de bain, il dégote du désinfectant et saisit un des cotons à maquillage de sa mère, puis retourne dans sa chambre. Min-Hee empoigne la bouteille d'alcool. Nicholas prend place sans broncher près d'elle. La jeune femme pose délicatement sa main sur sa lèvre et tapote. La plaie ne l'alarme pas. Petite et peu profonde, elle disparaîtra sous peu. Elle ne se rend pas compte de leur proximité, focalisée sur sa tâche. Au contraire du châtain dont les yeux ne retiennent pas leur envie de contempler la belle brune.
— Tu veux en parler ?
Sa chaude voix le sort immédiatement de sa contemplation. Il cligne de nombreuses des yeux et se ressaisit assez vite pour ne pas paraître suspect.
— Parler de quoi ? De cette fin de journée désastreuse ?
— De ce qui a provoqué la colère de Christopher et la panique d'Evi.
— Ce n'est pas très compliqué. En fait, cette histoire est similaire à beaucoup d'autres. Evi et moi...
Il peine tout à coup à trouver les mots. Pour une raison floue, son cœur lui dicte de ne rien lui dévoiler. D'un autre côté, Nicholas a toujours prôné la sincérité dans toutes les situations. Il inspire profondément et lui confie, pendant qu'elle nettoie lentement sa lèvre :
— Evi est venue me voir en deuxième année du lycée. A cette époque, Chris affichait sa bonne humeur et sa joie de vivre à n'importe qui, il se cachait bien plus qu'aujourd'hui. J'ignorais qu'il aimait bien Evi. Quand elle m'a demandé de coucher avec elle et d'être sa première fois, je n'ai pas anticipé les conséquences et j'ai accepté. Elle souhaitait sauter le pas avec une personne de confiance, sans sentiment ni couple. Je n'ai pas prévu que Chris en serait jaloux deux ans plus tard.
Il ne quitte pas l'asiatique des yeux, étonnamment angoissé de sa réponse. Égale à elle-même, Min-Hee délivre une conclusion pragmatique et évidente.
— Il ne sait pas qu'Evi et toi ne vous aimez pas. Il croit que vous sortez ensemble ou entretenez une sorte de relation sans l'avoir mis dans la confidence. Qui plus est, tu peux le dire clairement, Christopher est amoureux d'elle. Je t'aurais jeté toute la table au visage si j'étais lui.
Nicholas renvoie une mine offusquée et se scandalise :
— Heureusement que tu n'es pas lui ! Comment j'aurais pu deviner ?
— Pour être franche et directe avec toi, je ne vois pas la moindre raison qui te pousserait à te sentir coupable de tout ça. Une fois que vous lui aurez expliqué, il ne vous considérera pas de la même façon, se souvenant de toi comme celui qui a pris la virginité de la fille qu'il aime, mais votre amitié ne tournera pas au drame pour une histoire sans lendemain. Sauf si...vous vous aimez.
— Non !
Il a répondu avec trop d'entrain. Min-Hee tressaille et jure en coréen. S'écartant pour mettre à la poubelle le coton, leur proximité se brise et manque déjà à Nicholas. La chaleur qui se dégage de leur corps l'attire et il en veut encore. Il se rapproche d'elle dans un mouvement inconscient. En revenant à sa position initiale, la jeune femme note avec surprise que la distance a diminué entre eux. En plongeant ses yeux dans les siens, elle y lit une envie enfouie, un désir qu'il essaie visiblement de refouler. Ce qui lui tire, contre toute attente, un rire. Le châtain est interloqué et reste perplexe jusqu'à ce qu'elle raille :
— Qu'est-ce qui te prend ? Hors de question que j'intègre la liste de tes conquêtes que tu n'aimes pas. Ma première fois peut attendre, ce n'est pas un problème. Ton manège de tombeur ne fonctionnera pas sur moi.
— Suis-je si prévisible ?
Il arbore l'expression de l'embarras et recule légèrement. Mais, un détail dans ses mots l'intrigue.
— Et si tu faisais partie d'une autre catégorie ?
— Quelle catégorie ? réplique-t-elle du tac au tac. Je te signale que nous en avons discuté à deux reprises déjà.
— Nous ne sommes pas le même type de personne, contredit-il. De nous deux, tu n'as pas encore aimé. Moi, j'aime, mais je ne parviens pas à le montrer.
— Oh, et tu m'aimes peut-être ?
Brusquement, tous les muscles de son corps se contractent, les poils sur ses bras s'hérissent et il se pétrifie. Elle a lancé cette phrase en signe de défi, une question rhétorique. Pourtant, elle constate les changements soudains chez lui et se fige aussi.
— Han Min-Hee...
Le rauque de son timbre mélangé à son aura séduisante enchante complètement la jeune femme qui fond à chaque syllabe.
— Tu dois t'observer plus souvent dans un miroir et arrêter d'examiner les autres pour que tu découvres enfin tes qualités. Tu t'exprimes comme une vieille érudite, mais c'est très plaisant. Je sens avec toi que je peux te livrer toute ma vie, tu m'apporteras toujours les meilleurs conseils. Tu dissimules ta véritable gentillesse derrière tes allures faussement hautaines et condescendantes. Tu as expérimenté de mauvaises choses et tu réussis tout de même à écrire tes livres, étudier à distance et te défaire de la néfaste emprise de ton père. Tu prétends n'aimer personne, mais tu te mens ou tu t'en empêches, parce que ton connard de père t'a conditionné pour que tu n'éprouves rien. Mais, c'est totalement l'opposé ! Tu ressens énormément, mais ton éducation t'a forcée à tout réprimer jusqu'à présent. J'admire cette force que tu possèdes, celle que tu utilises pour te battre contre ton passé, ne pas pleurer en pensant à ta mère et ne pas haïr en pensant à ton père. Tu m'impressionnes et j'ai l'air stupide à côté de toi à ne pas pouvoir clamer mon affection autour de moi. Et si la beauté n'est pas censée jouer un rôle dans les sentiments, comment est-ce que je pourrais ne pas être attiré pour toi ? Tu es magnifique et...pardon, mais tu me captives et...je te désire, Han Min-Hee.
A la fin de son discours, elle s'autorise à respirer. Aucun mot ne rendrait justice à une telle déclaration, ainsi elle opte pour les paroles qui pourraient détendre l'atmosphère embrasée.
— Ose encore dire que tu es incapable de clamer ton affection ! C'était quoi ça ?
Nicholas pouffe et profite de sa gêne pour combler l'espace entre eux. Min-Hee se tend. Il glisse doucement sa main sur sa joue et s'avance peu à peu vers elle. Mais, il n'atteint jamais sa bouche. Il dévie et chuchote à son oreille :
— Est-ce que je peux t'embrasser ?
La jeune femme ne pèse absolument pas le pour et le contre ; elle hoche la tête et ferme les yeux, désireuse de recevoir son premier baiser. Nicholas remonte avec lenteur, sa bouche frôle chaque parcelle de peau qui la sépare des lèvres charnues de Min-Hee. Elle commande à son corps de se décrisper, mais celui-ci se montre capricieux et se raidit d'autant plus à l'instant où il l'embrasse. Il reste immobile, ne la brusquant jamais. Elle s'habitue rapidement au contact et ses mains ne serrent plus sa robe.
Il a seulement posé ses lèvres contre les siennes et tous les deux brûlent d'envie d'aller plus loin. Nicholas entremêle sa main libre avec celle de Min-Hee, tandis que l'autre caresse tendrement sa joue rougie. Elle ravale sa timidité et joint ses doigts à ses cheveux, descendant quelque peu dans sa nuque. Ceci l'encourage à continuer et cette fois il l'embrasse réellement. Leurs bouches se rencontrent avec une ardeur doucereuse. Il fait de son mieux pour rendre ce premier baiser aussi enivrant que possible. Elle a le goût d'un fruit défendu qu'il savoure langoureusement. Cette femme paraissait inaccessible et si lointaine, l'avoir si près de lui le fascine.
Nicholas s'écarte abruptement ; par réflexe, elle s'approche de lui et se retrouve perdue sans ses lèvres sur les siennes. Min-Hee ressent les effets grisants d'un contact charnel, ce qu'elle décrit parfois dans ses romans et dont elle ignorait tout. Il lui faut une poignée de secondes pour qu'elle reprenne contenance et se redresse, les joues tout aussi rougies par la gêne que par la chaleur de leur baiser. Cependant, elle s'aperçoit sans mal que le châtain oscille, le front plissé.
— Quoi ? susurre-t-elle.
Son souffle se répand sur son visage et il frissonne. Dieu seul sait qu'il aspire à bien plus, mais quelque chose le retient. Honteux, il lui avoue :
— Evi a mis en place une règle importante. Nous ne pouvons pas coucher avec ses amis.
— Coucher ? répète-t-elle, un sourcil haussé.
— Non pas que je comptais te..., mais, euh...! L-La Règle s'applique à toute forme de relation, alors...
— Alors, si elle n'est pas contente et t'en tient rigueur, cette fille n'a rien compris. Or, ce ne sera pas le cas. Crois-en-moi.
— J'ai extrêmement envie de croire en tes intuitions, tu sais.
Elle lui sourit et cela suffit à le faire chavirer. Sans plus de cérémonie, il retourne là où il s'est arrêté. Sa main resserra sa poigne sur la sienne et l'autre ondule jusqu'à ses hanches. Elle sent ses doigts serpenter sur sa peau, la réchauffant au passage. A son toucher, son corps s'enflamme et la jeune femme ne parvient pas à contrôler le frisson le long de son échine, ni sa respiration chaotique. Quand Nicholas l'embrasse à nouveau, il est déterminé à faire de ce moment un songe inoubliable. Sa langue se fraye un chemin et reconnait instantanément sa jumelle.
Décontenancée par cette nouvelle sensation, elle s'offre sans rechigner à lui, le laissant diriger cet échange voluptueux. Leurs langues apprennent très vite à se connaître et ne cessent de jouer l'une avec l'autre. Ce baiser l'électrise, elle suit avec peine et s'accroche à son épaule pour ne pas perdre pied. Il lui transmet toute l'affection qu'il n'arrive pas à traduire en trois simples mots, tout le respect qu'il a pour elle et tout le désir. Nicholas rêverait de l'embrasser des heures durant, de la déshabiller et de la recouvrir de son corps bouillonnant dans un ballet torride dont elle se souviendrait encore et encore. Mais, il se l'interdit. Pour ne pas hâter leur relation tout juste naissante et pour lui prouver sa sincérité. Néanmoins, c'est à elle d'arrêter brutalement leur échange.
— Tu ne veux pas que je te réponde ? s'enquiert-elle, le souffle erratique.
— Répondre à quoi ?
— A ta déclaration ! Pour le coup..., je ne serais peut-être pas aussi éloquente que d'habitude.
Il l'attire contre lui et l'embrasse lascivement. Le baiser s'éternise et elle abandonne vivement le cheminement de ses pensées. Sans précipitation, il bascule au-dessus d'elle en la couchant avec délicatesse sur le lit. Elle n'émet pas la moindre opposition, ni lorsqu'il l'enjambe et s'appuie sur ses coudes pour la surplomber, ni quand il dépose sa main au niveau de ses côtes, au bas de sa poitrine. Cette caresse lui coupe le souffle et dès qu'il éloigne sa bouche enjôleuse, elle rive son regard dans le sien. Un silence onctueux leur permet de calmer leur respiration et d'échanger sans un son beaucoup de paroles ineffables.
— Je t'ai observé, Min-Hee, j'en ai déduit une grande partie de ta personnalité. Si tu ne me désirais pas un peu ou que tu ne m'aimais pas un peu, tu m'aurais déjà repoussé. Je mettrai du temps à prononcer les trois petits mots qui changent apparemment tout et tu mettras autant de temps pour t'avouer que tu m'apprécies plus que tu ne le présumes. Je t'attendrai, si tu m'attends.
— J'adore que tu es éloquent, toi aussi.
Il glousse et plonge sur elle, picorant ses lèvres. Elle se délaisse au-dessous de lui, désorientée dans le bon sens du terme. Pris par une ardeur plus violente que les précédentes, il fait glisser sa main sur sa jambe nue. Un incendie de passion embrase Min-Hee, mais son corps pur réagit différemment. Il se tend et Nicholas n'insiste pas. Des premiers baisers et quelques caresses tendres, c'est vraiment un excellent début. Il roule sur le côté et les prend dans ses bras, l'enlaçant fermement. Le jeune homme dégage sa nuque et enfouit son visage contre sa peau et l'embrasse lascivement.
Min-Hee, submergée par des émotions inédites, revient à elle et s'empourpre deux fois plus. Stupéfaite de réagir comme une adolescente – ce qu'elle est techniquement – elle se racle la gorge et essaie de redevenir la jeune femme assurée et dominante dans sa façon d'être, au lieu de cette fille succombant devant l'intensité de son regard. Avant de réitérer l'expérience, elle compte bien se préparer à recevoir ses baisers sans flancher. Nicholas constate avec amusement la crise existentielle de l'asiatique en quête de sa contenance. Il la serre plus fort et elle se ramollit contre lui, ce qui le fait rire.
— Tu te moques de moi ? demande-t-elle de sa voix posée qui cache sa contrariété.
— Je te trouve adorable.
— Je ne suis pas adorable !
— Ah bon ? Qu'est-ce que tu es ?
Elle réfléchit une seconde et affirme :
— Sexy !
Son accent coréen ressort et Nicholas éclate de rire. Il repense à sa vie avant Min-Hee. Qu'elle était morne ! L'amour fait tourner les têtes, il le comprend aujourd'hui. Tout lui semble plus léger et moins grave. Elle claque sa langue contre son palais et tente de le pousser, mais il se cale confortablement contre elle et ne montre pas la moindre envie de la laisser partir.
— Ne t'imagine pas m'embrasser tant que tu n'auras pas admis que je suis sexy, gronde-t-elle.
Il se redresse aussitôt, tout sourire.
— Han Min-Hee, tu ne pourrais pas être plus sexy. Je peux t'embrasser ?
— Tricheur !
Et voilà. Sa mine indifférente est revenue et elle s'allonge mollement contre lui, pendant qu'il bataille avec lui-même pour ne pas l'embrasser à nouveau. Pour l'instant, il souhaite profiter de cette paix et de cette harmonie entre eux, rien de plus.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top