1. Alex

Cinq ans plus tard.

Le couloir du deuxième étage est désert et calme. Seul les bruits de mon épingle à nourrice et les chuchotements de mon meilleur ami troublent le silence.

- Bon, avant que tu le lances encore une fois dans un truc aussi débile, j'ai trois choses à te rappeler. Les sujets sont normalement planqués dans le troisième tiroir du bureau, tu en prends un et tu mets celui-là à la place.

Il m'agite un papier devant les yeux qui me cache la serrure. Je le repousse en grognant pour pourvoir me concentrer sur ce que je fais tout en écoutant la suite de ses recommandations.

- Reste pas plus de dix minutes là-dedans, le prochain cours commence dans une demi-heure et le prof arrive toujours au moins un quart d'heure avant dans la salle.

J'acquiesce en retirant de ma bouche la seconde épingle qui va me permettre de crocheter la serrure.

- Et le troisième truc ? je demande tout en me mettant à tester le mécanisme de verrouillage.

- Des tarés comme toi, j'en ai encore jamais vus !

Au même moment, un léger bruit m'indique que le verrou vient de sauter. Je me redresse en souriant, impatient d'en découdre avec le bureau de ce vieux bouc qui sert de prof de physique aux troisièmes années, avant de m'emparer de la feuille que Tom me tend. Son air stressé refilerait des crampes d'estomac à n'importe qui !

- Détends-toi vieux, ça va aller !

Remarque aussi efficace sur lui qu'un Aspégic le lendemain d'une bonne cuite.

- Rappelle moi ce qui te pousse à faire ça ? me demande-t-il en soupirant.

- Un pari reste un pari !

- J'aime les paris, Alex, je les adore même ! Mais les tiens ont un petit côté suicidaire qui me dérangent parfois.

- Ils n'ont rien de suicidaire, je proteste, ils comportent juste ce qu'il faut de risques. La simplicité n'a aucun intérêt dans ce genre de défis.

- Alex, si tu te fais prendre... Il tente à nouveau en essayant une dernière fois de me raisonner.

Nous sommes encore loin du jour où ce genre d'argument suffira à me convaincre...

- Tout va bien se passer puisque tu restes là pour assurer mes arrières. Tu me couvres ?

- Comme toujours, il répond d'un air résigné. Je serai au bout du couloir, au moindre problème, je te bipe dans la seconde.

Je pénètre dans la salle après un bref hochement de tête et un dernier coup d'œil aux alentours pour m'assurer que personne ne me voit entrer. Comme à l'extérieur, le calme règne sauf que de ce côté-ci de la porte, je suis seul. Sans perdre une seconde, je me dirige vers le bureau et commence à fouiller le troisième tiroir. Les indications de Tom étaient correctes, les sujets sont là, en plusieurs exemplaires et prêts à l'emploi. J'en prends un tout au fond de la pile, avant de le remplacer par un exemplaire vierge du dernier partiel. Intérieurement, je jubile de constater à quel point c'est facile, mais à peine ai-je terminé l'échange que mon portable vibre légèrement dans la poche de mon jean.

Merde...

Je me fige l'espace d'une seconde avant de me précipiter derrière la paillasse la plus proche du bureau. Ça n'est clairement pas la meilleure idée de ma vie, mais je doute d'avoir le temps de sortir sans me faire repérer. Mon impulsivité me sauve la mise puisque le bruit de la porte me parvient alors que je finis de me cacher. Au début, je ne perçois rien d'autre que le silence. Puis, j'entends une respiration légèrement saccadée qui m'indique que je ne suis plus seul. Juste un souffle bruyant, rien d'autre. J'en viens rapidement à la conclusion que peu importe de qui il s'agît, il ne se déplace pas. J'étouffe le juron qui manque de m'échapper et réfléchis à toute allure. Tom avait raison, si je me fais pincer, c'en sera fini pour moi ! Or, sans même avoir besoin de regarder, je sais que le seul véritable accès qui mène à l'extérieur est non seulement fermée, mais également bloquée par quelqu'un. Impossible donc d'espérer m'échapper discrètement. J'hésite à jeter un coup d'œil par-dessus la paillasse contre laquelle je m'abrite, sans doute parce que je veux éviter de rencontrer un regard scrutateur et de me faire prendre dans la seconde, cependant le silence s'éternise et la tentation devient trop forte.

Lentement, je me redresse de quelques centimètres en prenant soin de rester le plus silencieux possible. Je suppose que le haut de ma tête doit désormais être visible alors je marque une pause, attendant une réaction, même infime, qui m'indiquerait que j'ai été repéré. Comme rien ne vient, je continue de pousser sur mes jambes, suffisamment pour être en mesure de voir discrètement l'entrée. Une robe verte claire est la première chose que j'aperçois. Viennent ensuite des chaussures ouvertes, plates et, entre les deux, des jambes aussi bronzées qu'élancées. Je relève les yeux et suis du regard le contour d'une taille fine, de bras minces et de longs cheveux châtain clair arrivant au milieu d'un dos.

Le soulagement qui m'envahit manque de m'arracher un soupir. Non seulement, il ne s'agit pas d'un prof ou d'un personnel administratif mais, en plus, qui que soit cette fille, elle reste le front appuyé contre la porte. De la même façon que je ne parviens pas à distinguer son visage, il n'y a aucun risque qu'elle puisse me voir de là où elle se tient. Je jette un coup d'œil à mon sac à dos posé à mes pieds. Il est fermé, abritant le précieux sésame et ne révèle en rien ce que je viens de faire. Peut-être que je pourrais tirer avantage de la situation en me montrant ? Je parie qu'en moins de vingt secondes, je suis capable de bafouiller une excuse bidon à cette fille et de disparaître de ce labo suffisamment vite pour qu'elle ne comprenne pas ce qu'il lui arrive !

Je commence à réfléchir à une sortie brillante, tout en lui jetant un nouveau coup d'œil. Un léger mouvement au niveau de ses épaules, infime, puis plus marqué lorsqu'il se répète presque aussitôt, m'arrête dans mes réflexions. Je me fige en comprenant qu'elle pleure, quelques secondes seulement, avant que le premier sanglot ne lui échappe. Très rapidement, un second arrive, suivi d'un troisième et ça continue, de plus en plus vite. De plus en plus fort. Gêné, je me laisse doucement retomber derrière la paillasse

Maintenant qu'elle est en larmes, plus question de me montrer sauf si j'y suis obligé. J'attends et j'écoute, espérant qu'elle se calme rapidement, non seulement parce que je veux ficher le camp d'ici le plus vite possible, mais aussi parce que je suis carrément mal à l'aise. J'ai l'impression d'être un putain de voyeur et clairement, ça me dérange ! Je ne sais pas combien de temps ça dure mais, malgré mes espérances, ses sanglots ne diminuent pas, je crois même qu'ils s'intensifient. C'est triste à entendre, presque déchirant. Je finis par me surprendre à vouloir faire quelque chose : dire un mot gentil, lui tendre un mouchoir, lui raconter une histoire pas vraiment drôle, mais suffisamment pour lui arracher un sourire, voire même la prendre dans mes bras comme je le ferais avec Tess ... N'importe quoi, pourvu qu'elle arrête de pleurer comme ça !

Mais elle n'a pas besoin de moi, finalement. Elle finit par se reprendre quand je l'entends essayer de prendre de grandes inspirations.

- Un...

Je sursaute en entendant sa voix, étouffée par les larmes. Il se passe quelques secondes avant qu'elle ne reprenne la parole.

- Deux...

Je comprends qu'elle établit une sorte de compte à rebours, avant un possible retour au calme. Quelque part, ça devient encore pire à écouter parce que sa décision d'en finir avec cette crise de larmes semble aller de pair avec un redoublement de ses pleurs. Elle met plus de temps à dire « trois » et je le distingue à peine, tellement sa respiration est entrecoupée par les sanglots. Je ne me considère pas comme un mec sensible, mais je jure qu'au moment où le « quatre » me parvient, quelque chose se brise en moi. Elle a l'air d'avoir tellement mal que j'ai l'impression de souffrir avec elle.

Qui est cette fille ? S'agit-il de quelqu'un que je connais ? Que j'ai déjà croisé ? Je ne fais pas spécialement attention aux gens qui m'entourent en dehors de mon cercle d'amis, mais elle semble trimballer tellement de chagrin que je suis presque certain qu'il doit être impossible de l'apercevoir quelque part, sans la remarquer.

Il se passe du temps avant qu'elle dise « cinq », mais quand elle le fait, un changement s'opère. Je l'entends à sa respiration. Tout redevient soudain plus calme, comme au départ. Elle bouge et moi, de peur d'être découvert, je n'ose plus me relever pour regarder ce qu'elle fait. Elle souffle doucement plusieurs fois. Au bout d'une minute à peine, j'entends la porte qui s'ouvre, puis se referme doucement.

Je suis seul.

Le silence qui envahit de nouveau la pièce me paraît assourdissant. C'est seulement à ce moment-là que je réalise que mon cœur me martèle violemment la poitrine. Je ferme les yeux et laisse échapper le profond soupir que je retiens depuis maintenant dix minutes.

- Putain, mais c'était quoi, ça ?


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