Sacrifice douloureux (fin alternative)

Je poste donc la fin alternative. Je n'ai pas été en mesure d'en choisir une à l'époque et encore aujourd'hui j'en suis incapable. Elles ont toutes les deux leurs points positifs et négatifs, ce sont deux fins que j'aurais aimées de toute façon en tant que lecteur. 

-Sa vie, dit-il en montrant Tristan. Ou sa vie, finit-il en montrant mon ventre.

Vous avez déjà eu l'impression que le sol se dérobe sous vos pieds ? Vous avancez, prudemment, le sentant se fissurer à chacun de vos pas, vous appréhendez le moment où il cédera tout en espérant arrivez sur la partie stable avant que ça n'arrive. Puis, finalement, il cède et la résignation, le désespoir de voir que vous avez échoué est si lourd qu'il rend la chute plus terrible, plus lente, plus douloureuse.

La situation n'aurait pas pu être pire si on avait mis les deux personnes que j'aime le plus au monde en face de moi en me demandant de choisir lequel allait vivre ou mourir. Le tout en me plaçant en tant que meurtrière de l'un d'eux. Le pire étant que je n'ai pas le choix maintenant que j'ai posé la question.

Si je ne réponds pas, si je ne choisis pas, je payerai toute ma vie mon inaction.

Et pourtant... je les aime, tous les deux. Cet être que je n'ai pas voulu, que j'ai repoussé au plus profond de moi, refusant sa présence. Il m'habite, enfermant une partie de l'homme que j'aime. L'ensemble, le mélange que peut donner Tristan et moi.

Tristan. Celui qui fait que je me tiens debout aujourd'hui. Ma vie, mon âme. Allongé sur un sol rempli de sang dont le sien. Il se meurt et, quelque part, je sais que le choix est fait. Il a été fait le jour où mes yeux ont rencontré les siens. Parce que je suis liée à lui et que je partirai à la seconde où son souffle s'arrêtera.

Est-ce que je peux m'accorder cet acte si égoïste ? Sacrifier la vie d'un être innocent pour mon propre bonheur ? Tristan pourrait-il me pardonner de faire une telle chose ?

Mais, encore une fois, je me fiche qu'il m'en veuille ou non, tant qu'il vit.

J'ouvre les yeux que j'ai fermés sans le remarquer et les plonge dans ceux de Merlin. Je ne l'ai jamais autant haï qu'à cet instant. Tout est de sa faute, tout ce gâchis. Il est le responsable et je regrette presque que ce ne soit pas son sang sur mes mains.

Ma gorge est si sèche, si serré et ma haine m'étouffe avec tellement de force que je crains que les mots ne sortent pas. Pourtant, il claque dans le silence avec une dureté, une détermination en contradiction totale avec ce que je ressens.

-Ce sera toujours lui. Ça a toujours été lui.

-Alors sauve-le, soupire Merlin.

-Comment ?

Mon ancêtre me prend la main et je résiste à l'instinct qui me dicte de reculer. Il la place au-dessus du cœur de Tristan. Ce cœur qui ralentit encore.

-Remets-en-toi aux dieux, me dicte-t-il.

Alors je ferme les yeux, cherchant leurs voix dans ma tête. Ces voix que j'ai refoulées au fond de moi sans qu'elles ne cessent jamais. Je les trouve et mets toute ma détermination dans mon choix.

Elle a choisi. Elle l'a choisi.

Pourquoi le lui infliger ?

C'est ainsi. Une vie pour une vie. L'équilibre doit être respecté.

Elle aura mal.

Elle l'a choisi.

Le noir envahit mon esprit. Je voudrais ouvrir les yeux mais je me rends compte qu'ils sont déjà ouverts. Pourtant, je ne vois rien. Comme dans mon rêve. Enfin, une lumière aveuglante apparaît puis une deuxième. Je plisse les yeux mais n'arrive pas distinguer plus que ces lumières.

-Tu es sûre de toi ?

J'ouvre la bouche, incrédule. La voix est étrange. Ni masculine, ni féminine. Par contre, elle sonne comme la mort, elle fait froid dans le dos.

-Tu sais qu'elle l'est.

Cette voix, elle, est emplie de vie. Je pense même y trouver de la compassion, de la tristesse.

-Demande-le et nous le ferons, reprend la voix funèbre.

J'ouvre la bouche, prête à dire les mots qui sauveront l'homme que j'aime et tueront l'enfant que je porte. Pourtant, rien ne sort. Quelque chose me retient. Peut-être l'instant d'hésitation de Merlin quand il m'a exposé les conditions. Peut-être que je ne veux pas croire que tout se résume à la vie d'une des personnes que j'aime.

Le fait est que je me sens obligée de poser la question. Juste pour m'en assurer et ne pas commettre une erreur effroyable.

-Merlin m'a dit que c'était l'enfant ou Tristan, j'entame. Y a-t-il une autre solution ?

Il y a un instant de silence alors que je retiens ma respiration.

-Merlin s'arrange toujours pour que les évènements aillent dans son sens, rétorque la voix sombre.

-Donc, il y a une autre solution ? je demande avec espérance.

-Cela se pourrait, répond la voix douce et je fronce les sourcils.

-Ce n'est pas une réponse ! je m'emporte. Y en a-t-il une ?

-Oui.

Les voix ont résonnées ensemble. Ma respiration se coupe alors que la colère me gagne. Que m'a caché Merlin ? Quelle est cette solution qu'il refuse que je prenne ?

-J'attends ! j'exige.

-Il y aura un grand sacrifice de ta part qui pourrait tout changer, entame la voix douce.Mais, il aura du mal à l'accepter. Il pourrait même ne pas s'en remettre s'il n'ouvre pas les yeux à temps.

-Parle ! Quelle est ce moyen ?

-Tu...

- Non ! intervient la voix glaciale. Ce n'est pas ainsi que l'histoire était prévue !

-Nous ne pouvons mentir. Elle a posée la question, elle aura donc la réponse.

Une dispute s'entame alors que je sers les poings pour me calmer. J'ai autre chose à faire que régler leur problème d'entente ! J'ai fini par comprendre que ces deux là n'étaient jamais d'accord, ils m'ont assez pourri la tête pour ça ! Et j'en ai plus qu'assez de compter les points. Ils vont me dire ce qu'il en est et maintenant !

-JE VEUX UNE RÉPONSE ! je hurle pour couvrir leurs voix.

Un silence s'installe avant que la voix ressemblant à la mort ne s'élève, comme à contrecœur.

-Tu peux sauver ton chevalier tout en maintenant l'enfant en vie.

-Comment dois-je faire ? je demande avec espoir.

-Il te faudra donner la tienne.

Le choc me paralyse. Les sentiments m'envahissent, contradictoires.

Le soulagement, la joie, l'espérance. Je peux les sauver. Tous les deux. Je ne suis pas obligée de sacrifier l'un d'eux.

Le désespoir, la peur, la peine. Pour ne pas les sacrifier, je dois me sacrifier moi-même. Je dois donner ma vie pour la leur.

Je ne sais pas ce que je dois faire, ce que je dois choisir. Je ne veux pas mourir. J'ai peur de ce qui m'attend de l'autre côté, comme tout le monde. Mais...

Si je perds Tristan, je le suivrais de près. La vie sans lui n'a aucune consistance, aucun sens. Ce n'est même pas envisageable.

Et mon enfant. Tuer un être innocent, un être qui fait parti de moi alors que je sais que je suis en mesure de l'épargner est au-dessus de mes forces. Je peux le sauver. La seule chose que j'ai à donner pour ça, c'est ma vie. Les battements de mon cœur. Mon souffle.

L'image d'un enfant aux cheveux noirs et aux yeux sombres apparaît devant moi. Cette image peu devenir réel, il me suffit de faire le choix le moins égoïste de toute ma vie. Ce serait simple. Il suffit d'un mot, d'une phrase et ils vivront.

Tristan ne comprendra pas. Mais il n'a jamais vraiment compris mes décisions. Il les a acceptées, c'est un fait et je ne l'en remercierai jamais assez mais, il ne les a jamais comprises.

Mais cette décision, il ne la comprendra pas et ne l'acceptera pas. Il me détestera sûrement pour avoir choisi de le laisser au profit de cette vie que j'abrite. Sa haine me brûlera, me hantera de là où je serai. J'en souffrirai, j'en mourrai une seconde fois.

Pourtant, quelque chose me guide vers cette décision. Comme si la prendre me permettait quelque chose de meilleur. Ou peut-être est-ce simplement une des lumières qui me fait face et qui s'éclaire encore plus depuis l'annonce de ce troisième choix envisageable. Je sais que cette lumière est associée à la voix de la vie. L'autre a montré sa réticence très visiblement quant à ce choix.

Un coup est donné dans mon ventre. Presque imperceptible. Pourtant, il me réchauffe toute entière. La peur, le doute, le désespoir. Ces sentiments sont balayés par une tornade d'amour, un lac enflammé de cet amour maternel qui prend aux tripes. Cet amour qu'on ne peut envisager avant de l'avoir vécu, senti. Alors, pour la première fois, je comprends ma mère qui me disait qu'elle sauterait dans un volcan en éruption si ça pouvait m'assurer la vie. Parce que je sais que je suis prête à faire pareil pour cet enfant. Mon enfant.

-Je veux qu'ils vivent, j'annonce avec conviction. Tous les deux.

-Puisque telle est ta volonté...

Une onde de choc me frappe et j'ouvre les yeux, de nouveau sur le champ de bataille. Je fronce les sourcils en voyant Tristan toujours allongé et Merlin qui me fixe avec curiosité.

Puis, une douleur déchirante m'enserre le cœur, comme s'il se contorsionnait à l'intérieur de moi. Je gémis en y plaquant une main. C'est atroce. C'est alors que je vois Tristan bouger, du coin de l'œil. Je tente de me concentrer sur lui alors que la douleur en moi faiblit et que la respiration du chevalier s'accélère La douleur disparaît totalement et, avant que je ne puisse y réfléchir, Tristan papillonne des yeux avant que son regard ne se fixe sur moi.

-Enora, souffle-t-il doucement.

En réponse, un flot de larmes jaillit et des sanglots me secouent toute entière. Je laisse tomber ma tête sur son torse et il passe sa main dans mes cheveux. Il est vivant, il va s'en sortir. Le soulagement est tel qu'il m'empêche de respirer. Le monde extérieur disparaît, ne laissant que ce cœur qui bat à mon oreille et cette respiration que je sens dans mes cheveux.

Un cri nous fait sortir de notre bulle et je me redresse légèrement en cherchant d'où il provient

-Vous feriez mieux de rejoindre Arthur, conseille Merlin.

Je me lève, aidant Tristan à en faire de même. Je tourne ma tête dans toutes les directions pour retrouver Arthur et les chevaliers, la peur revenant aussi vite qu'elle a disparu. Tristan est en vie mais qu'en est-il du reste des chevaliers ? Ce cri ne présage rien de bon.

Je les repère alors, plus loin. Si certains sont debout, je repère deux personnes à genou et un corps à terre. Ma respiration s'accélère alors que j'approche. Bors me voit, attirant les regards de Gauvain et Galahad sur moi. Dagonet se tourne également dans ma direction. Le soulagement se peint sur leur visage mais également une tristesse sans nom. Ils s'écartent, me laissant voir le chevalier allongé sur le sol, sans vie.

Lancelot.

Arthur parle mais sa voix résonne comme un bourdonnement dans mes oreilles. Ma poitrine se sert douloureusement alors que j'approche. Gauvain et Galahad s'écartent et je me laisse tomber à genou devant la tête de Lancelot. Je la prends doucement, comme de peur de le réveiller avant de la poser sur mes jambes.

Parce qu'il va se réveiller, c'est certain. Il va ouvrir les yeux, partir d'un grand rire et nous lancer une réplique graveleuse comme il en a le secret. Il ne peut pas être... C'est juste impossible. Quelqu'un comme Lancelot ne meurt pas !

Pourtant alors que je reste là, à fixer sa poitrine qui continue de ne pas s'élever, ses yeux qui ne s'ouvrent pas, ce sourire tranquille qui étire ses lèvres,... Il ne se réveille pas, ne rit pas, ne se moque pas. Et je comprends. Il ne reviendra pas. Ce grand frère moqueur qui m'a fait rire dans les pires moments, celui avec qui je pouvais avoir toutes les conversations possible -convenable ou pas-, cet homme avec qui j'ai vécu pendant plus d'un an est mort. Je le sens au fond de moi, comme une partie de moi qui se détacherait. Un lien dans cette vie qui disparaît.

Je pose mon front contre le sien en pleurant. Tout ce stresse, toute cette détresse que j'ai gardée en espérant les maintenir en vie se dévoile. Parce que ça n'a pas servi. Un des miens est mort. Une de mes attaches m'abandonne alors que je n'étais pas prête à la laisser s'envoler. Il n'avait pas le droit de partir ! Je ne lui en ai jamais donné l'autorisation, je ne l'ai jamais permis. Comment remplacer l'image de cet homme fort qui me criait dessus il y a si peu de temps par ce corps mort ? Pourquoi je ne peux pas le sauver, lui ? J'ai beau fermer les yeux, appeler ces dieux avec plus de conviction que jamais, ils restent sourds à mes appels. Les voix se sont tues.

Je ne peux pas le réveiller.

-Pardonne-moi, je murmure entre mes larmes, sachant pourtant qu'il ne m'entend pas. Je t'en supplie, pardonne-moi.

Une main douce me caresse le dos alors que les cheveux de Guenièvre entre dans mon champ de vision troublé. Sa tête se pose sur la mienne qui est toujours sur celle du chevalier.

Puis, quelqu'un m'attrape par les épaules et tente de me relever doucement alors que je résiste, secouant la tête sans pouvoir parler.

-Il ne se réveillera pas, me souffle la voix de Tristan alors que sa prise se fait plus ferme et qu'il arrive à me relever.

Je n'oppose plus de résistance, il la tuée en une phrase. Il ne se réveillera pas. Peu importe le temps que je pleurerais sur sa dépouille. Peu importe que je tenterais de garder la chaleur de son corps en le couvrant du mien. Peu importe la force de mes cris à ces dieux. Il ne sera plus jamais là. Et cette constatation me brûle de l'intérieur.

Je ne sais même pas comment j'ai atterri dans mes quartiers. Je reprends conscience de ce qui m'entoure assise sur mon lit, Tristan s'afférant dans la pièce.

Je le regarde faire d'un regard vide alors qu'il se lave la figure et les mains avec de l'eau claire. Je regarde l'eau virer au rose puis au rouge devant la quantité de sang. Pourtant, plus aucune blessure de Tristan ne saigne. En fait, toute les blessures importantes ont disparues, ne laissant que les bénignes.

Il tape ensuite sur la table. Je ne sursaute même pas, relevant un visage vide vers lui. Ses yeux brûlent de fureur et je sais que je devrais ressentir quelque chose mais c'est le vide. Mon esprit semble embrumé, incapable d'ingérer, d'accepter les derniers évènements. Comme si tout n'était qu'un rêve et que j'allais me réveiller d'une minute à l'autre.

-Te rends-tu compte d'à quel point tu m'as fait peur, articule lentement Tristan.

-Je sais, je réponds mécaniquement.

-Tu avais juré que tu reviendrais ! crie-t-il alors que mon regard se fixe sur le miroir et mon visage sale et pourtant vide de tout. REGARDE-MOI !

Je plonge mes yeux dans les siens, cherchant à mettre un sens sur ses paroles. Il est en colère mais, mon esprit n'arrive pas mettre des raisons sur sa colère. Parce que rien n'est réellement arrivé, n'est-ce pas ? C'est juste un cauchemar. Un de ses innombrables cauchemars. Ou une prémonition comme pour la glace. Et je pourrais donc arranger les choses le moment venu, le sauver.

Je me lève sans l'avoir décidé, prenant la direction de la porte sans savoir où je souhaite me rendre.

-Où vas-tu ? s'interpose Tristan avec force. Tu ne vas pas t'enfuir une nouvelle fois Enora ! C'est trop facile.

Je tilt au mot facile. Rien n'a été facile depuis mon arrivée ici. Les choses n'ont fait que se compliquer encore et encore. On ne m'a laissé aucun répit. Est-ce un crime de demander grâce ? De fermer mon esprit à ce qui se passe en ce moment ?

Je le sens me secouer légèrement et je grimace lorsque son geste provoque une douleur en moi, au niveau du ventre. Je fronce les sourcils alors que la douleur se fait plus forte.

J'entends Tristan parler, crier mais, comme avec Arthur, c'est un bourdonnement incessant. Ma respiration s'accélère avant que je ne recule légèrement la main à l'endroit de ma douleur.

Tristan se fige, je sens son regard inquiet sur moi. Je prends appui sur le lit, tremblant de tous mes membres. Les mains de Tristan entre en contact avec mes épaules mais, je me dégage d'un mouvement brusque. La douleur est trop forte, je ne supporte pas qu'il me touche.

-Vanora, je réclame en serrant les dents.

-Enora, proteste-t-il, ne voulant sûrement pas me laisser.

-S'il te plait, je le supplie.

Il se détourne rapidement et sors presque en courant.

Quand Vanora arrive, essoufflée, Tristan sur ces talons, la douleur a cessée. Bors, Dagonet, Gauvain et Galahad suivent de près, inquiet. La main sur le ventre, je lève un regard angoissé à Vanora. Celle-ci fixe mon ventre, ce petit bidon qui ressort seulement et que j'ai réussi à cacher tout ce temps. Ses yeux s'écarquillent et je sais qu'elle l'a vu. Le sang. La rousse plonge ses yeux d'une tristesse infinie dans les miens. Je ferme les yeux en tremblant. Ce n'est pas possible, pas si tôt, pas maintenant. L'enfant ne vivra pas s'il vient au monde cette nuit.

-Je vais vous demander de sortir, articule doucement Vanora alors que les chevaliers, ayant suivi des yeux le même chemin que la rousse sont devenus blême.

-Il est hors de question que..., entame Tristan.

-Crois-moi, tu ne peux pas l'aider maintenant, insiste Vanora avec douceur.

Celui-ci me regarde mais, je détourne les yeux. Je sais qu'il attend de moi que je le rassure mais ce serait mentir de dire que tout ira bien. À la fin de ce combat, l'un de nous deux -mon enfant ou moi- mourra. Je n'ai plus qu'à espérer que ma volonté soit respectée.

-Allez... allez me chercher Guenièvre, ajoute-t-elle avec hésitation. Je crois que je vais avoir besoin d'aide cette fois-ci.

-Il faut faire venir une guérisseuse, intervient Bors avec difficulté.

-Bors, nous manquons de temps, fait remarquer Vanora.

-Mais elle saigne ! proteste-t-il.

-Et plus vous traînez, plus vous aggravez les choses !

Cette remarque à l'effet d'un électrochoc. Ils sortent tous sans autre protestation alors que la douleur, qui avait cessée, reprend, plus forte encore et je me mords la langue pour ne pas crier.

Vanora accourt et m'allonge. Elle me retire le pantalon et je l'aide comme je peux, oubliant toute pudeur. Elle me couvre d'un drap, le relevant juste assez pour passer ses mains. Elle me palpe le ventre un moment, concentrée avant de se figer un instant.

-L'enfant est en vie, annonce-t-elle avec soulagement et je soupire profondément, un poids s'enlevant de mes épaules alors qu'elle s'affaire autour de moi.

Je la regarde faire un instant avant qu'un sentiment d'urgence m'étreint et j'attrape Vanora par le poignet quand elle passe près de moi.

-Si... si les choses tournaient mal, je commence et elle me coupe.

-Ne dis pas ce genre de chose ! s'emporte-t-elle sans oser me regarder. Tu...tu es jeune et en bonne santé.

-Vanora, le sang, ce n'est pas bon signe, n'est-ce pas ? C'est pour ça que tu pensais que l'enfant était mort ? je demande en connaissant la réponse et seul le silence répond. Van, tu dois me promettre, si le choix se faisait nécessaire...

-Ne me demande pas ça ! supplie mon amie en se détachant de moi.

-Je le fais parce que je sais que tu aurais pris la même décision que moi.

Vanora me regarde longuement avant de fermer les yeux, la résignation faisant place sur son visage.

L'entrée fracassante de Guenièvre met un terme à la discussion que je sais avoir gagnée.

-Je suis venue aussi vite que j'ai pu, rentent la voix de Guenièvre. Arthur est très in... Qu'a-t-elle ? demande-t-elle d'une voix inquiète.

-Le bébé arrive, je réponds à la place de Vanora en grimaçant sous une nouvelle vague de douleur. Et il le fait savoir.

Guenièvre reste un instant pétrifiée, ouvrant et fermant la bouche plusieurs fois. Elle me regarde avant de passer à mon ventre, à Vanora et une nouvelle fois à mon visage. Je crois que, si la situation était différente et si je n'avais pas autant mal, j'aurais rigolé.

La douleur se fait cependant plus forte, me faisant échapper un cri. À ce son, Guenièvre semble revenir parmi nous et se place à côté de moi.

-Reste près d'elle, ordonne Vanora. Je vais chercher ce qu'il nous faut.

-Que dois-je faire ? demande Guenièvre.

-Lui tenir la main, la rassurer et surtout l'encourager. Ce ne sera pas facile. L'accouchement présente des difficultés.

Vanora s'éloigne sur ces mots alors que la brune ouvre la bouche pour poser une question, le visage inquiet. Comprenant ce qu'elle veut savoir, je lui explique du mieux que je peux.

-C'est trop tôt, je souffle. Et j'ai perdu du sang. Van est certaine que l'enfant va bien mais, on ne sait pas pour combien de temps. De plus, les dégâts peuvent venir de moi.

L'inquiétude se fait plus présente sur le visage de Guenièvre qui comprend ce que j'insinue.

-Je suis certaine que tout ira bien, assure-t-elle, semblant se parler à elle-même. Il est rare que des personnes de ton âge...

-Je n'ai pas peur, tu sais, j'affirme en lui souriant. Quoi qu'il arrive, je sais que j'ai pris toute les bonnes décisions. Je recommencerais tout de la même manière si c'était à refaire.

-Ne parle pas comme si tu étais condamnée, me reproche Guenièvre.

La douleur me reprend avant que je ne puisse parler, encore plus forte et un cri m'échappe. C'est insupportable.

Vanora revient avec des tissus, de l'eau. La douleur revient, encore et encore tout en devenant plus intense à chaque fois. Guenièvre se contente de me serrer la main tout en épongeant mon front couvert de sueur.

-Enora, il ne faut pas que tu t'arrêtes, supplie presque Vanora alors que je me laisse tomber en arrière, fermant les yeux.

J'ai l'impression de souffrir depuis une éternité. Vanora semble épuisée ce qui confirme qu'un bon moment est passé. Pourtant, quelque chose ne va pas. J'ai beau pousser, donner tout ce que j'ai, rien ne bouge. Je me sens à bout de force, mon corps s'engourdit alors que des points noirs dansent devant mes yeux.

Vanora semble désespérée, rongée d'inquiétude.

-Que se passe-t-il ? interroge Guenièvre. Pourquoi cela prend-t-il autant de temps ?

-Je ne sais pas, réplique Vanora avec angoisse. Elle s'épuise, elle ne pourra bientôt plus faire le moindre effort. Je ne sais plus quoi faire.

Je tente de reprendre ma respiration. Si je ne le fais pas sortir, si je ne donne pas tout ce qu'il me reste de force pour lui donner la vie, nous mourrons tous les deux. Et ça n'aura servi à rien. Pourtant, je sens que je ne saurai bientôt plus en mesure de résister contre la fatigue qui me gagne.

Déjà, je me sens partir doucement, mes yeux se fermant sans mon autorisation alors que j'arrive à peine à respirer. Une partie de moi abandonne, accepte ce qui arrive. Notre mort à tous les deux.

-Enora, tu dois pousser, tente de me raisonner Vanora comme consciente de ce qui se passe.

Je ne peux que secouer la tête, incapable de trouver la force d'y arriver. J'ai beau hurler intérieurement à mon corps de réagir, je n'y arrive pas.

-Pense à Tristan, ordonne Guenièvre. Tu n'as pas le droit de renoncer maintenant !

Comme en écho à ses paroles, on tambourine à la porte et la voix du chevalier retend.

-Pourquoi ça prend autant de temps ? hurle-t-il. Laissez-moi entrer !

-Tristan tu n'arrangeras rien, fait la voix de Gauvain.

Pourtant, sa voix me réveille. Mon corps au bord de l'épuisement semble trouver une force nouvelle. Mon cœur reprend de l'allure, ma respiration s'accélère de nouveau et je me redresse légèrement.

Je prends alors une grande inspiration et pousse aussi fort que je le peux alors que la douleur me transperce. Un léger cri m'échappe mais, je me contrôle, tentant de ne pas angoisser Tristan encore plus qu'il ne semble l'être.

Et je recommence. Une deuxième fois, une troisième, une quatrième.

Alors que j'ai arrêté de compter, Vanora soupire de soulagement.

-Un dernier effort et ce sera fini, m'assure Vanora.

Alors je le fais. Sans savoir d'où me vient cette force. Un hurlement m'échappe alors que je sens l'enfant passer, me déchirant.

Le cri d'un nourrisson emplit la pièce alors que je me laisse tomber en arrière.

-C'est une fille, annonce Vanora. C'est une fille, crie-t-elle, riant et pleurant en même temps.

Je souris en tendant les bras comme je le peux. Je sens le reste de mes forces m'échapper, mon souffle se heurter. Les signes indéniables sont là mais je résiste comme je peux. Je n'ai pas encore fini.

-Donne-la-moi, j'exige d'une voix faible.

Guenièvre me passe une main dans les cheveux alors que Vanora me donne l'enfant. Je prends cette petite fille gigotant dans tous les sens. Le sang la recouvre en assez grande quantité mais elle reste la plus belle chose qu'il m'ait été donné de porter. Et la certitude que j'ai fait le meilleur des choix m'étreint. Le plus petit doute s'efface pour laisser place à la fierté.

Je sais que Tristan m'en voudra s'il apprend les circonstances mais ça en vaut la peine. Cette enfant vaut tous les sacrifices. Je ne l'aurais sûrement pas choisi à la place de Tristan mais je n'hésite pas à lui céder ma place dans ce monde. J'ai fait ce que j'avais à faire, j'ai donné tout ce qu'il y avait à donner. Évidemment, j'aurais voulu rester et voir ma fille grandir, Tristan être un père. Mais la vie n'a pas été aussi généreuse avec moi. Je crois que je la remercie déjà pour m'avoir fait rencontrer des personnes que j'aime si fort, des personnes exceptionnelles. Et surtout, Tristan.

Le futur sera difficile pour lui, je le connais suffisamment pour savoir ça. Mais je sais aussi qu'il n'est pas seul. Alors oui, tout finira par bien aller avec le temps.

Vanora ouvre la porte de la chambre avant d'appeler Tristan.

-C'est terminé, annonce-t-elle. C'est une petite fille.

-Laisse-moi passer, ordonne sa voix bourrue.

J'entends des pas et je le voix approcher mais, il n'est pas seul. Les chevaliers le suivent de près, un air inquiet sur le visage.

-Voilà qui n'est pas très convenable, j'énonce faiblement, l'humour à peine perceptible tant j'ai du mal à parler.

Dagonet laisse échapper un rire en secouant la tête.

-Au diable les convenances, réplique-t-il et même Arthur n'y trouve rien à redire.

Tristan s'approche avec précaution. Il regarde l'enfant qui a arrêté de pleurer dans mes bras et je sais que je ne suis pas la seule à voir l'émotion dans ses yeux pour une fois.

Son regard revient cependant vers moi. Je tente un sourire mais sans y arriver. J'ai de plus en plus de mal à garder les yeux ouverts, les personnes m'entourant se font de plus en plus floues et je sens mon cœur, ce traire si faible, ralentir déjà.

-Enora ? interroge Tristan d'une voix blanche.

-Ça va, je souffle dans un murmure qui m'épuise.

Je sens l'ambiance dans la pièce se tendre alors que les regards me sondent. Tristan fait un signe à Guenièvre qui prend ma fille sans que je n'arrive à protester. Le chevalier passe ensuite une main sous mon cou, là où on sent le cœur battre. Il appuie légèrement puis plus fort avec une expression très inquiète. C'est ensuite le tour de mon front sur lequel il reste bien moins longtemps.

-Le cœur est trop faible, énonce-t-il rapidement. Et elle est brûlante.

Il se tourne vers Vanora qui reste figée.

-Que s'est-il passé ? crie-t-il. Pourquoi est-elle dans cet état ?

-Sortez, souffle Vanora. Il faut que...je regarde s'il n'y a pas de séquelle.

J'entends des protestations, des voix qui tentent d'apaiser mais j'ai de plus en plus de mal à comprendre ce qui se dit. J'imagine qu'ils ont dû finir par sortir puisque le drap se soulève, apportant un courant d'air alors que j'ai déjà si froid.

-Elle continue de saigner, retend la voix de Vanora.

-Pourquoi ? s'inquiète Guenièvre alors que j'ouvre les paupières à demi.

-Je... je ne sais pas, avoue Vanora d'une voix paniquée.

-Une vie pour une vie, je souffle avec difficulté.

Guenièvre se tourne comme au ralenti dans ma direction, une expression d'horreur peinte sur le visage.

-Tu n'as pas fait ça ? me supplie-t-elle.

-La seule fois... où je ne fais pas preuve d'égoïsme...ça me tue, je rétorque avec ironie.

-De quoi parle-t-elle ? interroge Vanora.

-Elle les a sauvé, explique Guenièvre comme si elle le réalisait seulement maintenant. Elle a donné sa vie pour celle de Tristan et l'enfant.

-Qu...

Vanora me regarde avec incompréhension.

-Ce sera...toujours lui, je répète dans un souffle.

-Et comment crois-tu qu'il réagira...

-Il ne...le saura jamais, je rétorque d'une voix ferme qui m'étonne. Vous ne direz...rien du tout.

-Tu nous demandes de mentir ? demande Guenièvre sans accusation.

-Le silence...n'est pas un mensonge.

Elles n'ajoutent rien, me regardant avec des larmes pleins les yeux. Je fixe l'enfant dans les bras de Guenièvre intensément, tentant de garder chacun de ses traits pour la fin.

-Je veux... Tristan, je demande à Van.

Vanora acquiesce, sortant en me laissant seule avec Guenièvre. Cette dernière sort quelque chose de sa poche et me le met dans les mains. La statuette de Lancelot.

-Il voulait que je te dise...de ne pas pleurer. D'avancer. De laisser le passé derrière toi, énonce-t-elle des larmes dans les yeux. J'imagine que tu n'as pas besoin de ses conseils finalement.

-Mais toi, si, je souffle alors que la porte s'ouvre, laissant entrer un Tristan perdu et pâle comme la mort.

Guenièvre n'attend pas qu'on le lui dise. Elle me laisse caresser le doux visage de ma fille une dernière fois et s'en va.

Tristan se met face à moi, me regardant sans rien dire, le visage impassible.

-Ça ira, je dis simplement.

Et le masque tombe. Ses sourcils se froncent alors que sa mâchoire se crispe. Ses yeux se remplissent de colère mais également de désespoir, de douleur, de supplication.

-Tu as dit que tu ne partirais pas sans moi, rappelle-t-il douloureusement sans s'approcher.

-Je ne partirai jamais vraiment, j'assure. Je serais en elle, en toi.

-Ce n'est pas suffisant ! Ce ne sera jamais toi !

Je ferme les yeux, laissant échapper une larme.

-Ça n'aurait jamais dû se passer comme ça, murmure-t-il d'une voix douloureuse.

L'intonation de cette voix me fait mal et je tente de me redresser, échouant lamentablement. Ça a au moins le résultat de le faire venir près de moi. Il me recouche et me prend la main. Nous restons un instant sans parler avant que je ne me décide.

-Je n'ai pas peur, je lui assure.

-Moi si, avoue-t-il.

-Comme quoi... tout arrive, je souris doucement.

Il secoue la tête en me caressant le visage, éloignant quelques mèches de cheveux qui me collent au front, aux joues.

-Tu..., commence-t-il avec hésitation avant d'inspirer profondément. Tu n'as vraiment pas peur ?

Je réfléchis un instant, ce simple fait me demandant plus d'énergie que je n'en ai.

-Je crois..., j'entame avant de tousser légèrement. Je crois que j'ai juste... peur de me retrouver sans toi. Parce que... une existence... sans toi... ce n'en est pas une.

-Alors ne me laisse pas, souffle-t-il dans une supplique déchirante.

-J'aurais voulu... être là... pour te voir en père, j'avoue en souriant. Tu seras parfait.

Il n'insiste pas. Je tente de bouger un peu et le collier que je porte se rappelle à moi. Je porte une main faible à mon cou. Elle tremble et l'effort me semble insurmontable mais je finis par le détacher. Je le dépose ensuite dans la paume de Tristan qui sert le collier dans son poing.

-Elle aura... un souvenir de moi, j'explique.

Il acquiesce sans rien dire, serrant d'autant plus la mâchoire alors que le silence tombe sur la pièce.

Puis le froid m'envahit, plus fort qu'avant. Je frissonne, tremble.

-J'ai froid, je réplique en serrant sa main plus fort.

Il s'allonge à mes côtés, me serrant contre lui avec force. Ça ne me réchauffe pas mais, il m'apporte du réconfort, un soutien. Pourtant, je sais que je ne peux pas partir comme ça, que je dois avouer cette chose. Cette chose que je n'ai jamais osée par peur d'un non retour assuré. Pas parce qu'il n'y a pas de réciproque mais parce que les mots ne lui ont jamais été indispensables. J'ai cru que moi non plus mais il semblerait que je me sois trompée.

-Tristan ? je l'appelle.

Il ne répond rien, me pressant juste un peu plus forte contre lui.

-Je t'aime, je murmure.

La pression se fait encore plus forte alors que je sens le noir m'envahir de plus en plus.

-Je t'aime, je t'aime, je t'aime, je t'aime,...

Je murmure ces mots sans m'arrêter alors que ma voix se fait toujours plus faible. Les mots m'accompagnent alors que je me sens sombrer. Puis, juste avant que le noir complet ne me gagne, une larme coule sur ma joue.

Une larme qui n'est pas la mienne.

(Oui, je sais vous avez déjà envie de me tuer mais, patientez un peu ^^)

POV Externe.

La vie ne fait pas de cadeau. Tristan le sait. Sans compter son expérience personnelle, Enora le lui a montré plus d'une fois.

Cette femme, éloignée des siens pour vivre une année de souffrance, de combats qui n'étaient pas les siens avant de mourir d'une manière stupide, banale.

Morte en couche. Comme nombre de femme. Une mort qu'une femme sait envisageable à chaque accouchement.

Pourtant certaines survivent. Plusieurs fois. Vanora a enfanté onze fois sans y laisser la vie, revenant plus forte que jamais.

Enora ne l'a fait qu'une seule fois et y a laissé toute sa force.

Tristan ne comprend pas. Cette blonde, si forte, si déterminée. Cette force de la nature prête à tout pour arrivée à ses fins. Cette femme qui l'a aimé de manière indescriptible, celle qui a aimé au-delà de l'inimaginable certains chanceux ayant croisés sa route...

Cette femme n'est plus.

Cette femme qui n'était pas destinée à mourir aussi stupidement. Son nom aurait dû marquer l'histoire, elle aurait dû accomplir de grande chose. Enora était faite pour guider. Guider les chevaliers, guider Arthur comme elle l'a fait dés son arrivée parmi eux. Et pourtant, elle morte dans l'anonymat. Donnant sa vie, sa force à un peuple qui l'aura oublier au bout de quelques années, quelques siècles avec un peu de chance.

On racontera son histoire, au début. L'histoire d'une femme bien étrange arrivée d'un monde inconnu pour les sauver. Une femme qui a survécu au dernier combat pour mourir des heures plus tard en donnant la vie. Cette histoire si banale ne traversera pas le temps, les gens finiront par l'oublier et dans plusieurs millénaires, personne ne se souviendra d'Enora, la belle blonde aux pouvoirs surprenants qui a voué sa vie dans leur monde à les aider, à les sauver.

Tristan a tenu son corps froid pendant des heures, il a senti son cœur s'arrêter de battre, ses murmures douloureux se taire et son souffle s'éteindre. Pourtant, il ne réalise pas.

Il reste là, assis, à attendre qu'elle franchisse la porte en riant aux éclats ou même en lui hurlant après. Tout plutôt que ce silence et ce bois qui ne bouge pas.

Le chevalier n'a pas assisté à l'enterrement. Il aurait accepté de le faire pour Lancelot, pour lui dire un dernier au revoir. Mais pas pour la belle blonde. Ça aurait été accepter l'inacceptable. Ça aurait été cautionner l'inadmissible vérité qu'il ne restait d'elle que des cendres et des souvenirs douloureux qui le déchire.

Alors il reste là, mangeant les repas déposés devant sa porte de manière mécanique, répondant à ses besoins de manière instinctive parce qu'il n'a pas vraiment le choix.

Et il regarde les jours qui passent, se transformant en semaines puis en mois. Et les mois terminant par se transformer par une année.

Les chevaliers tentent régulièrement de le sortir de son apathie mais, la disparition de la jeune femme les a frappés avec une telle force qu'ils ont eux même du mal à s'en remettre.

Difficile d'imaginer une journée sans cette petite blonde si spéciale pour les éclairer de ses sourires, de ses mots incompréhensibles, de ses anecdotes qu'elle seule comprenait. Ils leurs semblent parfois entendre son rire dans les ruelles désertent, dans les couloirs vides ou même dans les silences pesant à table.

Jeune femme disparue et planant pourtant au-dessus d'eux comme un fantôme revenu vous tourmenter. Revenu accroitre votre souffrance déjà si profonde qu'elle est inconsolable.

Bors prend appuie sur Vanora qui s'en remet elle-même à l'enfant que la blonde a laissé derrière elle.

Dagonet ne sais pas, ne sait plus. Cette fin si prévisible qu'il a tenté d'empêcher en mettant en garde son amie. Si prévisible et pourtant si inattendue. Parce qu'il n'aurait jamais cru qu'après avoir survécu aux saxons, un enfant aurait raison d'elle. Cette sœur qu'il a tant aimé, cette femme qui l'a sauvé sans rien demander en retour. Enora, la martyr, terminant sa vie sur un sacrifice alors que sa vie en comportait déjà tant. L'ultime sacrifice de sa vie pour donner celle-ci à une partie d'elle qu'elle a sûrement aimé autant que Tristan. Et Dagonet a mal. Il se sent coupable de ne pas penser plus à Lancelot, son ami, son compagnon. Mais la mort de la blonde l'a frappé comme une masse et la réalité de son absence qui s'affirme avec le temps l'empoisonne, le ramenant à cette femme qu'il a tant aimé. Cette femme qui a abandonné sa vie pour ne pas vivre sans son soldat bien aimé. Pourtant, Dagonet accepte. Et il n'en veut pas à Enora de ne plus être là. Parce qu'il l'aime d'un amour authentique qui empêche toute rancœur de subsister en lui. Un amour ni totalement fraternel, ni totalement passionnel.

Et Arthur, ce roi, est déchiré. Il se cache derrière ces « Et si », derrière ces « j'aurais dû » qui accompagnent la culpabilité. Tout en sachant qu'il n'aurait jamais pu empêcher cette femme-enfant de n'en faire qu'à sa tête, il se prend à imaginer ce qui se serait passé s'il l'avait renvoyé avec les autres. Lui, qui n'a pas eu le temps de se remettre de la mort de son meilleur ami que la fille qu'il avait pris sous son aile rendait son dernier soupire. Il se souvient comme hier de ce vide écrasant lors de son mariage. Ce vide laissé par deux personnes qui comptaient plus que tout dans sa vie.

Gauvain et Galahad tente d'oublier. Oublier celle qu'ils n'ont jamais compris tout en aimant comme on aime une petite sœur rebelle qu'on se sait incapable de remettre sur le droit chemin et celui qui les ont fait rire quelque soit le moment. Enora et Lancelot. Deux forces de la nature qui se sont envolées sans prévenir. Des êtres dont l'absence plane avec persistance, rappelant l'inéluctable vérité. Alors, ils aident les autres à passer au-dessus des morts. Ils continuent de rire malgré le goût amer dans leur bouche. Ils continuent de plaisanter malgré la douleur de ne pas entendre les remarques qu'ils guettent sans s'en rendre compte.

Et ils tentent d'aider Tristan. Cet homme qui ne semble pas vouloir se relever, se raccrochant aux souvenirs de sa vie pour ne pas penser à la mort. Ne cherchant pas à voir l'enfant que la femme qu'il aime tant a laissé derrière elle pour lui rendre hommage. Cette petite fille qui grandit sans savoir qui appeler maman et encore moins qui appeler papa. Et Tristan qui se contente de serrer le médaillon de cette femme disparue sans leur laisser le temps de s'y préparer.

Tristan qui continue d'espérer la voir réapparaître. Pourtant, il sait qu'elle ne reviendra pas.

Alors qu'il reste là, regardant le quinzième mois de sa disparition commencer, le chevalier attend juste qu'il finisse pour passer au suivant. Sachant que la porte ne s'ouvrira pas malgré ses espérances continuent.

Pourtant, alors que ses yeux rougis par le manque de sommeil et la peine fixe le vide, la porte grince.

Le regard de Tristan, vif, se précipite sur le battant. Son cœur s'accélère attendant de voir ce qui passera le seuil. Mais, rien ne vient. Rien n'est là. Juste ce vide constant.

Pensant que le vent lui a joué un mauvais tour, il baisse la tête pour tomber sur une chose minuscule qui hésite sur le pas de la porte.

Tristan sent le choc le frapper devant la chevelure blonde comme les blés et ses grands yeux à la couleur indéfinissable qui lui font face. Ce bleu-vert qu'il connaît par cœur mais doté d'une innocence toute nouvelle. Il fixe la fillette au nez joliment retroussé, aux cheveux d'une blondeur incroyable et aux yeux qu'il a tant aimé.

La fillette de son côté le regarde avec interrogation et gêne. Puis, finalement, celle-ci brise le silence.

-Papa ? demande-t-elle avec hésitation.

Tristan la regarde sans comprendre au départ. Il ne sait quoi dire, lui qui n'a plus parlé depuis si longtemps sauf pour envoyer les autres paitre. Pourtant, les mots sortent tous seuls, sans qu'il n'ait besoin de se forcer alors que la révélation de ses mots le frappe:

-Oui, c'est moi.

Et la fillette lui sourit, faisant éclater la blancheur de ses petites dents alors qu'une lueur malicieuse et espiègle brille dans son regard finalement pas si innocent que ça.

Et Tristan l'entend. Son rire si joyeux raisonner entre les murs. Et il la voit dans le rayon du soleil qui éclair la chambre, juste derrière l'enfant.

Plus belle que jamais, son ombre hoche la tête en signe d'approbation alors qu'un léger sourire gagne ses lèvres et qu'une larme unique coule sur sa joue.

Tristan voit sa main transparente toucher l'épaule de la fillette avant qu'elle ne disparaisse totalement. Un murmure à peine perceptible glisse dans la pièce, nommant cette petite chose blonde. Une voix que Tristan n'a toujours pas oubliée.

Yseult

Et Tristan sait que peu importe le temps, peu importe les efforts à déployer, il la retrouvera.

Parce qu'il sent, au fond, qu'Enora n'est pas vraiment morte et qu'elle l'attend, quelque part.

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