Chapitre 27 : Morgane
Chapitre 27.
« Il est des êtres dont c'est le destin de se rencontrer. Où qu'il soient. Où qu'ils aillent. Un jour ils se rencontrent. » -Claudie Gallay.
Nous n'arrivons pas à dormir, Tristan s'occupe dans la chambre alors que je regarde le ciel. Au bout d'un moment, je le sens s'approcher et me fixer un long moment. Je me tourne vers lui avec un air interrogateur.
-J'ai cru que je pourrais ne pas te poser cette question mais, j'ai besoin de savoir, explique-t-il.
-Quoi ? je demande en penchant la tête sur le côté.
-Qu'est-ce qui t'a fait choisir de rester ici ? Que s'est-il passé cette nuit-là pour que tu t'endormes avec la certitude de partir et te réveiller avec celle de rester ?
Je baisse les yeux. Comment répondre à cette question ? Je ne veux pas qu'il me prenne pour une folle. Je secoue la tête mentalement. Non, il m'a déjà prouvé que je pouvais lui faire confiance. Je prends une grande inspiration avant de prendre la parole.
-Ok, je commence. Ce que je vais dire est complètement dingue, mais... Merlin m'a rendu visite dans mon sommeil.
Il y a un blanc.
-Tu as rêvé de Merlin ? me demande-t-il avec une grimace.
-Quoi ? je réplique avant de comprendre. Non, beurk, c'est dégueulasse. Je te parle d'une vraie visite. Il voulait me parler de ce qui arriverait si je partais. De comment tout ça se terminerait.
-Et comment cela ce termine-t-il ?
-Tu n'as pas envie de savoir, je lui assure. Mais, de toute façon, ça n'arrivera pas puisque je ne suis pas partie.
Il y a un silence alors que j'évite son regard. J'ai toujours su mentir assez bien mais avec lui, c'est impossible, je perds tout mes moyens. Alors quand il me fixe avec ce regard inquisiteur qui dit clairement: « Allez, avoue, il s'est passé autre chose ? », je ne peux qu'essayer de résister en espérant qu'il n'insistera pas.
-Il s'est passé autre chose, dit-il et ce n'est pas une question.
-Peut-être bien, je grommèle.
-J'attends, ordonne-t-il et je grimace avant de répondre.
-Eh bien, j'ai pu dire au revoir à certaines personnes, j'avoue avant de me lever. J'ai sommeil, pas toi ?
-Qui ?
-La journée a été longue...
-Qui ? hausse-t-il la voix.
-Ça ne va pas te plaire, j'essaie mais son regard me fait comprendre qu'il veut une réponse. Julian.
-Julian ? répète-t-il alors que ses yeux se durcissent. Je vois.
-Non, je le contredis. On s'est juste dit au revoir.
-Alors il ne s'est rien passé ?
-Il...il se sentait coupable, Tristan, je déballe à toute vitesse. Il croyait que c'était de sa faute si j'étais morte. Il n'arrivait même plus à dormir tranquillement! Il fallait que je lui dise que ce n'était pas le cas. Il fallait que je le soulage.
-Ce n'est pas ce que j'ai demandé, crache-t-il avant de planter ses yeux dans les miens. S'est-il passé quelque chose dont je devrais être au courant ?
J'ouvre et ferme la bouche plusieurs fois. Si je lui dis non, il saura que je mens mais, si je dis oui, il ne m'écoutera pas, imaginera le pire et partira -ou me mettra à la porte, c'est sa chambre après tout. Je suis coincée et je n'arrive pas à sortir un mot.
Mais, mon silence a le même résultat qu'un oui. Il fait un pas en avant avec une expression dangereuse et je fais immédiatement un pas en arrière, mais il ne va pas plus loin. Une expression de froide indifférence -celle qu'il avait quand on venait de se rencontrer- reprend place sur son visage. Il tourne les talons et sort sans même claquer la porte.
Ma respiration s'échappe alors que je n'avais même pas remarqué l'avoir retenue. Je réalise peu à peu ce qu'il vient de se passer et ça fait mal. Pourquoi je n'ai rien dit ? J'aurais dû lui dire que je suis là, avec lui, ce qui devrait répondre à sa question. Je l'ai choisi lui parce qu'il est le seul qui compte. Parce que je l'aime. Voilà ce que j'aurais dû dire. Mais je suis restée bloquée, incapable de sortir un son alors qu'il m'échappait. Je me laisse tomber à terre, contre le mur, la tête dans les mains.
Comment expliquer à un homme comme Tristan que le baiser que j'ai échangé avec Julian était amical, que c'était un adieu parce que je ne le reverrai plus jamais ? Il ne peut pas comprendre ça. Mais j'aurais au moins dû essayer. Quelle conne, je fais.
J'entends qu'on toque à la porte et soupire. Je sais que ce n'est pas lui, il ne toque jamais alors pourquoi le ferait-il pour entrer chez lui ? N'empêche que Dag est la dernière personne que je m'attendais à voir.
-Hey, je souffle, pas sûr de moi.
Il me regarde un long moment avant de froncer les sourcils.
-Quelque chose ne va pas ? demande-t-il.
-Tout va bien, je réponds en essayant lamentablement de sourire.
-On ne dirait pas.
-Je pensais simplement à la dernière mission, je réplique en détournant les yeux.
Décidément, je deviens vraiment nulle pour mentir, c'est carrément affligeant. Mais, heureusement pour moi, Dagonet n'insiste pas.
-Tristan n'est pas là ? demande-t-il.
-Non, il... avait besoin de prendre l'air.
Il me lance un drôle de regard et je baisse le mien quand je sens mes yeux me piquer. Ha non, je m'interdis de pleurer. Tout ça, c'est de ma faute alors il est hors de question que je m'apitoie sur mon sort !
-Tu devrais aller te coucher, me dit-il finalement. Il ne te reste plus beaucoup de temps de repos avant le départ.
-À vrai dire, je commence avec hésitation. J'aurais quelque chose à te demander.
-Oh non, soupire-t-il avec fatalité. Je connais ce regard.
-Hé, je m'insurge. N'oublie pas que tu me dois toujours une dette pour abandon du poste d'ami !
Il me lance un regard perdu et je plisse les yeux. Alors comme ça, il a oublié ? Et bien, moi non.
-Tu te rappelles de l'état lamentable de ma pauvre jambe, je commence et il grimace, entrevoyant ou je veux en venir. Et de la manière cruelle dont tu as laissé Tristan m'emmener alors que je t'avais demandé de ne pas le laisser faire ?
-Je voulais que vous régliez vos problèmes tout seul, grommèle-t-il. Et ça ne s'est pas si mal passé, si ?
-Peu importe comment ça s'est passé, je soupire en levant les yeux au ciel. Le fait est que tu m'as abandonnée et est dans l'obligation de te faire pardonner.
-Je vois, marmonne-t-il. Et qu'attends-tu de moi exactement ?
-Je dois voir Éric, je dis à toute vitesse.
-Non.
La réponse est ferme, autoritaire et n'importe qui d'autre que moi aurait abandonné. Mais, j'ai l'avantage d'être moi ce qui inclus une capacité à obtenir pratiquement tout ce que je veux et un entêtement maladif.
Je le fixe dans les yeux sans rien dire, sachant qu'il comprendra que je ne lui laisse pas vraiment le choix. Soit il m'accompagne, soit j'y vais seule. Devinez avec quelle partie Tristan sera le moins heureux. Bien que je suppose que ce dernier aurait préféré que son ami me séquestre à l'intérieur de sa chambre mais là, c'est Dag qui est contre. Donc, je gagne. Et puis, vu l'état actuel des choses, Tristan doit se foutre totalement d'où je peux aller.
-Pourquoi moi ? geint-il en tournant les talons et je le suis avec un sourire satisfait.
J'adore avoir ce que je veux. Et aller dire un bonjour express à mon ami devrait me changer les idées.
On arrive rapidement devant la porte de chez mon ami et Dagonet se dandine, mal à l'aise. Il jette un regard derrière mon dos, se fige, fronce les sourcils et la colère passe dans ses yeux. Je veux suivre son regard, étonnée par son comportement mais il me parle.
-Vas-y vite, me dit-il en se forçant à sourire. Moi, je vais m'en aller.
Il toque à la porte lui-même avant de s'en aller. Je le fixe, abasourdie. C'était quoi ça ? Mais je n'ai pas le temps de penser plus à ça que la porte s'ouvre sur un Éric légèrement débraillé.
-SURPRISE, je crie en entrant.
Il me lance un regard étonné alors que je lui passe devant pour entrer... avant de me figer.
-Félicie ? je m'étonne. Mais qu'est-ce que...
Blondie est là, rouge comme une tomate, les lèvres rougies et gonflées, les cheveux en bataille. Et Éric semble être dans le même état.
-Ben merde alors, je jure, les yeux écarquillés.
-Bonjour, couine Blondie en regardant partout sauf dans ma direction.
-Surprise, grommèle Éric en me lançant un regard plein de reproches.
-Wouah, je veux dire... si je m'attendais à ça, je bégaye. Félicitations... je suppose.
Il y a un silence gênant et je me rends compte que je suis légèrement de trop.
-Bon, je reprends alors qu'ils restent silencieux et évitent mon regard. Je venais juste te dire bonjour et au revoir. Maintenant, je vous laisse.
-Comment ça, au revoir ? intervient Éric, me figeant près de la porte.
-Oui, je commence en me raclant la gorge. On repart déjà demain... ou plutôt dans quelques heures.
-Encore ?
Je le regarde dans les yeux. Il semble en colère et inquiet. Il secoue finalement sa tête de gauche à droite et inspire profondément avant d'acquiescer.
-Bien, fait attention à toi, dit-il simplement.
Je lui souris, fais un signe de main pitoyable à sa compagne de chambre -et sûrement plus- avant de prendre la porte.
Voilà qui fut... intéressant.
-Le lendemain. Je n'arrive tout simplement pas à y croire. Et il... VOUS dites oui !
-Ce n'est pas comme s'il avait le choix Van, je soupire.
-IL n'a pas le choix, mais toi si, s'écrie-t-elle, les larmes aux yeux.
-Van, je souffle en lui prenant la main. Tout va bien se passer. Tu me fais confiance, pas vrai ?
Elle me regarde et acquiesce en soupirant avant de s'en aller.
-Comment fais-tu ça ? me demande Bors que je n'ai pas entendu approcher.
Je hausse les épaules en jetant un coup d'œil à Tristan qui m'ignore complètement depuis que je suis arrivée et qui n'est même pas rentré de la nuit. Bors suit mon regard et son expression se fait plus paternelle, protectrice.
-Que ce passe-t-il entre vous ? demande-t-il. Vous n'êtes jamais séparés par une telle distance.
-Rien, je souffle en sentant les larmes monter.
-Qu'a-t-il encore fait ? grommèle mon ami.
-C'est moi qui ai fait quelque chose, je le contredis.
-Toi ? Je n'en crois pas un mot. Tu es incapable de faire du mal aux autres.
Je lui lance un regard plein de sous-entendus.
-Je ne considère pas les Saxons comme des personnes, se défend-t-il. Plus comme des animaux sauvages à éradiquer.
J'acquiesce, je ne peux être que d'accord avec ça, ressentant la même chose à leur égard de mon côté.
Nous nous mettons en route, Tristan devant comme à son habitude. Sauf que cette fois, il ne m'adresse pas un regard. Je soupire lourdement. Il faudra bien qu'il m'écoute, qu'il le veuille ou non ! Il est peut-être têtu, mais je le suis encore plus que lui... enfin je crois...J'espère.
On s'arrête quand la nuit tombe, et considérant les regards prudents des chevaliers, je crois qu'ils préféraient continuer. J'en conclus donc qu'on ne s'arrête que pour moi, ce qui m'agace. Je n'ai pas besoin d'être ménagée, je suis une grande fille et sais très bien à quoi je m'expose en les suivant. J'avoue toutefois être fatiguée. Je cherche Tristan du regard et le trouve à l'autre bout, m'ignorant toujours totalement. Je soupire et m'installe dans un coin, essayant de l'ignorer également de mon côté.
Je remarque à peine que Dag l'emmène avec lui sous le regard hébété des autres chevaliers. Bors me lance un regard, semblant se demander ce qui a bien pu se passer et je lève les yeux au ciel. Il devient une vraie commère quand il s'y met. Je sens qu'il va venir m'interroger alors je me lève et part faire un tour de mon côté.
Au bout d'un moment, j'entends des éclats de voix et fronce les sourcils en reconnaissant la voix de Dagonet. Je m'approche en silence, consciente qu'il est mal d'écouter aux portes mais, comme il n'y a pas de porte, ça ne compte pas vraiment, si ?
C'est l'excuse la plus bidon que tu n'aies jamais trouvée. Et pourtant, tu en as déjà une bonne liste.
J'ignore la remarque de ma conscience et tend l'oreille en m'approchant à pas silencieux.
-...t'ai vu, gronde Dag. Tu partais de là !
-Bien que ça ne te regarde pas, entame la voix de Tristan et je sursaute. Je ne...
-Si ça me regarde, l'interrompt mon ami. Tu lui as déjà fait du mal avec Félicie et voilà que tu recommences.
Mon cœur fait un bond dans ma poitrine alors que je me fige dans ma progression. Comme ça il recommence la même chose qu'avec Félicie ?
Il te faut un dessin ?
Je les regarde alors qu'ils ne m'ont toujours pas vu. Tristan a cet air froid et distant, comme si ce que venait de dire Dag était la chose la plus normale alors que ce dernier semble sur le point de le frapper.
-Tu connais pourtant ses sentiments à ton égard, reprend-t-il.
-Je ne connais rien du tout, réplique Tristan. Et...
-Comment peux-tu dire que tu ne le savais pas ? s'écrie mon ami. Et comment as-tu pu retourner la voir ? Est-ce que tu te rends compte qu'Enora aurait pu te voir sortir de chez elle, hier ?
-Parce qu'elle allait voir cet Éric encore une fois, siffle-t-il. Et elle ne le saura pas puisque tu ne diras rien. Et pour la dernière fois, je n'ai...
-Je n'arrive pas à le croire.
Les mots m'ont échappé alors que je le fixe avec un regard perdu et douloureux. J'ai du mal à respirer, chaque inspiration me brûle et mes yeux me piquent de larmes contenues, de rage mais aussi de tristesse.
-Enora, commence Dag mais je ne lui accorde pas un regard.
-Alors c'est comme ça que tu comptes régler tout nos problèmes ? je souffle.
-Il ne s'est rien passé, intervient-il.
Je me contente de le fixer. J'ignore ce qu'il lit dans mon regard mais, il semble avoir du mal à le supporter et baisse le sien. Il inspire profondément et me regarde de nouveau.
-Ne me regarde pas comme ça, je dis la vérité, s'exclame-t-il. Il ne s'est rien passé avec cette fille, je te l'assure même si je l'ai envisagé...
-TAIS-TOI, je hurle en plaquant mes mains sur mes oreilles -sa voix me semble insupportable en cet instant.
Il semble ensuite changer de méthode et crache :
-Tu es mal placé pour me faire des proches, je te rappelle. À moins que je ne doive te rappeler la discussion que nous avons eue ?
-Tu oses comparer un rêve à ce que tu as fait ?
-Je n'ai rien fait !
-Et je devrais me sentir soulagée que tu te sois contenté de l'imaginer ? je crie de toute mes forces.
-Parce que toi tu t'es contenté de l'imaginer ?
-C'était un rêve, un stupide, un putain de bordel de rêve ! Et je disais adieu à une personne que j'avais aimée, avec qui j'avais grandi. Et je l'ai simplement embrassé. Mais évidemment, on ne peut jamais s'expliquer avec toi, tu penses toujours au pire et tu prends un malin plaisir à accuser les autres et à leur faire payer ce que tu penses qu'ils ont fait sans t'avoir assuré s'ils l'ont vraiment fait !
-Tu crois que je me sens mieux de savoir que tu l'as juste embrassé ? Alors que je sais que vous avez fait bien plus avant ?
-Mais tu viens juste de dire le mot essentiel à toute cette histoire Tristan ! AVANT ! Mais je suis là maintenant ! J'ai abandonné ce que je connaissais parce que je voulais être là. J'aurais pu rentrer chez moi, retrouver ma famille, ma vie d'avant où je ne me faisais kidnappée et torturée mais j'ai choisi de rester ! Avec toi ! Pourquoi est-ce que ça n'a pas d'importance ? Pourquoi tu ne vois jamais que le mal sans voir le bien ? Pourquoi tu ne vois que mes erreurs et pas tout ce que j'ai sacrifié pour toi, parce que je voulais être avec toi ?
Je me tais, essoufflée, alors qu'il me fixe, hébété. Dagonet est dans le même état, il a suivi notre conversation comme on suit un match de tennis. Les autres chevaliers, sûrement alertés par mes cris, sont arrivés et nous regardent avec inquiétude, colère -pour Bors- et interrogation. Je soupire profondément et tout mon corps s'affaisse.
-Tu sais quoi ? je reprends. Peu importe au fond. Ce qui s'est passé est la preuve que je me suis peut-être trompée. On y arrivera peut-être jamais. Le fait est que... j'en ai marre de me battre, de me battre seule. Si tu veux tout foutre en l'air -ce pour quoi tu sembles avoir un talent particulier- alors vas-y, je t'en prie. Mais ne compte pas sur moi pour t'y aider ou regarder tout s'effondrer. Tu peux regarder les morceaux cassés sans moi parce que je ne regarderai plus en arrière !
Il continue de me regarder sans expression particulière, même si je vois que son masque pourrait tomber au moindre mot supplémentaire de ma part. Mais je n'en ai pas envie. Je ne vois pas l'intérêt de le faire souffrir ou l'énerver. Je veux juste que ça s'arrête. Alors je tourne les talons. Une partie de moi s'attend peut-être à ce qu'il me retienne, car quand je vois que ce n'est pas le cas, la colère ressurgit et je ne peux m'empêcher de me retourner et de rétorquer :
-Tristan, encore une dernière chose: va te faire foutre !
Et je m'en vais. Déprimée, énervée et épuisée. Mais c'est sans compter sur Bors qui m'a suivie.
Je m'assieds là où j'ai laissé mes affaires et ramène mes genoux contre ma poitrine, serrant autant que je peux, à m'en faire mal aux côtes. Mon regard se perd dans le vide et je ne vois pas Bors se mettre à mes côtés jusqu'à ce qu'il parle.
-Il a juste peur, dit-il et je sursaute avant de le regarder, étonnée qu'il prenne sa défense. Ce n'est pas une excuse, il n'avait pas à se comporter comme le crétin qu'il est, mais c'est un fait. Il a peur.
Je continue de le regarder avec interrogation. Voir Bors sérieux est tellement rare que je reste sans voix à chaque fois. Je lui demande silencieusement de m'expliquer, et il me comprend.
-Il a eu le cœur brisé, même s'il ne l'avouera jamais, entame-t-il. Elle s'appelait Morgane.
Je sursaute une nouvelle fois et fronce les sourcils. Si je m'attendais à ce que Tristan ait été amoureux, je ne m'attendais pas à ce qu'elle s'appelle Morgane. Allez savoir pourquoi, j'étais presque sûre que Bors allait dire Iseult.
-C'était aussi la demi-sœur d'Arthur, continue-t-il et mes yeux s'écarquillent -bon sang, ça s'éloigne vraiment de ce les histoires racontent. Il l'a aimée au premier regard je suppose, c'est Tristan après tout. Il lui suffit d'un regard pour savoir si sa vie sera liée à une personne ou non et quand il l'a vue, il a cru que ce serait elle. Il faut dire que cette fille était une sacrée manipulatrice mais ça, on ne l'a su que plus tard. Au début, on ne voyait qu'une nouvelle jeune femme timide, rougissante et discrète.
Tout le contraire de moi, je me rends compte.
-Ils se sont rapprochés petit à petit, au fil du temps ils sont devenus amis et puis plus. Arthur a eu du mal avec ça, rit-il et je souris en imaginant Arthur en grand frère protecteur. Mais en voyant combien Tristan était attaché à elle, il a fini par accepter. Puis, un romain riche et puissant est arrivé au mur. Il s'est lui aussi intéressé à Morgane -elle était plutôt jolie après tout- mais personne ne la forçait à rien, elle avait entièrement le choix. Le choix entre un chevalier Sarmates asservi aux romains ou un homme puissant, romain et indépendant, donnant plutôt des ordres qu'en recevant. Je te laisse imaginer la suite, soupire-t-il en me regardant.
Oui, je vois assez bien ce qui a pu se passer. Cette fille a choisi la facilité matérielle plutôt qu'un homme qui aurait donné sa vie pour elle. Elle l'a trahi, lui a fait croire à des sentiments qu'elle n'avait, finalement, pas.
-Elle n'a pas montré son choix de la meilleure manière, enchaine Bors. Un jour, elle était dans les bras de Tristan à lui déclarer sa flemme et le lendemain, elle revenait mariée à ce romain. Tristan ne s'en ai jamais vraiment remis, je suppose. Il faisait déjà difficilement confiance aux autres à l'époque et quand il a fait une exception, on lui a fait regretter d'une manière plutôt cruelle.
Il me regarde enfin, avec un air sévère et sérieux que je ne lui connais pas.
-J'ignore ce qu'il s'est passé entre vous et ce que tu as fait n'est peut-être pas si grave mais...pour lui si. Il se contente de se défendre à sa manière et tu devrais en quelque sorte le comprendre. Après tout, depuis ton séjour chez les Saxons, tu te défends de tous les hommes même s'ils sont dignes de confiance. Sauf Tristan.
Je baisse la tête. Bien sûr que je comprends qu'il se défende d'un risque de se faire briser le cœur mais je ne suis pas Morgane. Et il devrait le voir, comme j'ai vu qu'il n'était pas un de ces horribles Saxons. J'appuie ma tête contre mes genoux. Ma colère s'est déjà atténuée et je me demande si j'ai réagi de la bonne manière, si je n'ai pas -encore une fois- été trop excessive. C'est juste que penser qu'il a voulu me faire tant de mal -même sans le faire- me fait peur. Est-ce que je devrais me méfier de chaque dispute que nous aurons ? Est-ce que je devrais me demander s'il ne rejoint pas une femme à chaque fois qu'il claquera la porte ? Est-ce que je serais capable de vivre avec ce doute constant ? Non, sûrement pas. Parce qu'au final, il me fait plus de mal que les Saxons ne m'en ont jamais fait. On peut s'éloigner de la douleur physique, l'ignorer, mais la douleur psychologique, c'est impossible. On ne peut pas fuir ses sentiments, c'est impossible.
Je ne sais combien de temps passe, mais je me rends compte que les autres se sont couchés sans me déranger, sauf Tristan dont j'aperçois la silhouette un peu plus loin. Je tergiverse un moment puis, finis par me lever et le rejoins. Il ne bronche pas quand je m'installe à ses côtés, même si je sais qu'il a senti ma présence. Je reste silencieuse un moment alors qu'il attend que je parle.
-Je ne suis pas Morgane, je dis finalement.
Il se tourne vers moi en fronçant les sourcils. Il jette ensuite un coup d'œil aux chevaliers et soupire.
-Il n'aurait pas dû t'en parler, souffle-t-il.
-Non c'est vrai, j'approuve. Parce que tu aurais dû le faire avant qu'il ne le fasse. C'était à toi de me le dire. Ça fait parti de ta vie, de qui tu es. Je t'ai raconté ma vie en long, en large et en travers et toi tu continues à tout me cacher, à rien me dire. Je t'en veux pour ça.
-Tu m'en veux déjà pour beaucoup de choses, remarque-t-il en haussant les épaules.
-Oui, c'est vrai et j'ai mes raisons, tout comme tu as les tiennes. Je sais que tu as totalement le droit d'être en colère après moi après ce que je t'ai dit, mais... ta façon de réagir face à ça me terrifie. Est-ce que tu comptes retourner voir tes conquêtes chaque fois que nous aurons un problème ? Parce qu'autant te prévenir, j'ai un caractère tellement difficile que tu passeras plus de temps chez elles qu'avec moi.
Il a un sourire en coin en me jetant un coup d'œil significatif.
-Au moins tu l'avoues, dit-il et je lève les yeux au ciel.
-Parce que tu crois être facile, toi, peut-être ?
-Non, pas du tout même.
Je soupire et regarde le ciel un moment. J'ai envie de le toucher mais j'ai aussi envie de m'en aller loin de lui. J'ai envie de l'embrasser, mais aussi de le faire souffrir, de le voir se tordre de douleur comme j'ai eu mal.
Lui aussi a eu mal.
Je sais, c'est pour ça que je m'en veux de penser ça. À croire que seule ma souffrance m'importe. Ce côté égoïste de moi m'a toujours rebutée sans pour autant que j'arrive à le changer...
-Je n'ai pas menti, m'assure-t-il une nouvelle fois et je sais qu'il parle de ce qui ne s'est pas passé avec cette femme.
-Je sais, je soupire. Et je ne t'ai pas menti non plus. Julian... il sera toujours spécial pour moi, je ne peux pas changer ce que j'ai vécu avec lui, je ne peux pas changer le fait qu'Éric lui ressemble comme deux goutes d'eau. Mais je suis là, j'ai choisi d'être là et je pense que ça devrait compter plus que ça.
-Et ça compte, réplique-t-il. Même si je sais que tu dois regretter ce choix maintenant, ajoute-t-il d'un ton amer.
Je soupire. Est-ce que je regrette ? Non, jamais. Parce qu'il y a plus que notre relation à sauver. Il y a sa vie et celle de Dagonet. Et puis, j'ai besoin de lui. Autant ne pas me voiler la face. Il fait partie de moi et une vie sans lui, c'est comme vivre en plein enfer. La vie est déjà si compliquée que je ne me vois pas en plus me passer de sa présence.
- « Il y a des êtres dont c'est le destin de se rencontrer. Où qu'ils soient. Où qu'ils aillent. Un jour ils se rencontrent », je cite alors qu'il me lance un regard interrogateur. C'est une femme de mon époque qui a dit ça, je l'éclaire. Je trouve que la citation nous correspond bien. Je veux dire que quoi que je fasse, où que j'aille, ma vie sera toujours liée à la tienne. Tu pourras me faire autant de mal que tu le souhaites, même si je pars, même si je meurs, je sais qu'il n'y aura jamais que toi.
Je prends sa main et la plaque sur ma poitrine, là où mon cœur bat la chamade de sentir son contact.
-Il n'y a que toi qui arrives à le faire battre à cette allure avec un simple contact, j'avoue. Quand tu es là, c'est comme si les deux parties de moi se reformaient enfin. Quand tu me regardes, mon corps entier tremble. Et quand tu me touches... Tristan tu es le seul à y parvenir sans qu'un peu de panique me submerge et tu es le seul à me faire parvenir toutes ces sensations. Ça me fait mal, mais c'est une douleur qui me fait du bien. J'ai l'impression de brûler de l'intérieur, je voudrais que tu ne cesses jamais, que tu ne t'éloignes plus. J'ai besoin de toi à un tel point que ça me fait peur mais... Regretter ? Je ne pourrais jamais regretter de t'avoir choisi parce que rien ne vaut ce que tu me fais ressentir chaque jour. TU es le bon choix pour moi et tu le seras toujours.
Il me fixe un instant avec une expression que je n'arrive pas à identifier. Puis il baisse les yeux.
-Alors on oublie ? demande-t-il avec ce qui ressemble à de l'espoir dans la voix.
-Ce n'est pas vraiment possible Tristan, je soupire. Au fond, tu m'en veux encore et je ne suis pas sûre de ne plus t'en vouloir mais... on y arrivera. On est plus fort que ça. De plus, on a autre chose à penser que nous deux. Quelque chose me dit que cette mission ne sera pas une partie de plaisir.
Je l'embrasse sur la joue et pars me coucher, seule. Oui, on y arrivera, mais pour l'instant, je dois me concentrer sur la survie du groupe, sur la survie de ceux que j'aime.
Et j'y arriverai, quoiqu'il m'en coûte.
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