Chapitre 23 : dommage collatéral
Chapitre 23.
J'ai l'impression de vivre la scène au ralenti et pourtant, c'est encore trop rapide pour moi. Il y a quelques secondes, Eric m'a dit qu'il m'aimait et m'a embrassé -déjà là, j'ai l'impression d'avoir atterri dans une autre dimension. Maintenant, Tristan avance à grand pas, furieux, les chevaliers derrière lui, inquiets. En fait, furieux n'est pas vraiment le mot. On dirait un animal, il n'a plus rien d'humain tout en restant incroyablement beau -c'est Tristan, après tout.
-Je serais toi je partirais et vite, je rétorque à Eric.
Il soupire et secoue la tête.
-Maintenant ou plus tard, il finira par venir défendre son territoire, raille-t-il.
-Et tu trouves ça drôle ? je crache en le fusillant du regard une demi-seconde avant de revenir sur le principal problème.
Tristan est vraiment près maintenant et je commence vraiment à paniquer. Pour la survie d'Eric, je décide de réagir -ma bonté me perdra. Je rejoins Tristan qui ne semble pas me voir, le regarde rivé sur Eric, les traits déformé par la rage. Il ne m'a jamais fait peur mais aujourd'hui, il est tout simplement terrifiant.
-Tristan, je l'appelle en agrippant son bras.
Il ne semble même pas remarquer ma prise sur lui et continue d'avancer, m'entrainant avec lui.
-Enora éloigne toi, ordonne Bors en voulant me saisir le bras.
-Et le laisser le tuer ?
Tristan arrive devant Eric qui ne semble pas plus que ça touché par la rage de Tristan. Et avant que je n'aie pu ajouter quoi que ce soit, je me sens pousser en arrière. Quand je reprends mon équilibre c'est pour voir Eric à terre, se frottant la mâchoire et Tristan sur le point de lui sauter dessus.
Je réagis instinctivement et tire Tristan en arrière mais, il me repousse plus violemment et mes pieds se prennent dans ma robe. Je trébuche alors qu'une vive douleur se propage dans mes jambes.
-Bordel de Dieu, je crie, à terre, les larmes aux yeux.
-Enora ! s'écrie Arthur, choqué.
-Ce n'est pas vraiment le moment Arthur, réplique Dag en venant à moi.
Ma chute et mon juron ont au moins une bonne chose : Tristan semble avoir oublié sa folie meurtrière et me fixe, les yeux plein de culpabilité et de colère mêlées, ne semblant pas oser m'approcher. Ce qui est une bonne chose pour lui. Dagonet me relève.
-Tu tiens debout ? demande-t-il.
-Aie, je gémis en appuyant mon pied à terre, reperdant l'équilibre. Non et en plus ça fait mal, je geins en m'appuyant contre lui.
Il me prend dans ses bras et s'apprête à partir mais, il faut que Tristan intervienne, évidemment.
-Je vais le faire.
-Non, je réplique sans le regarder. Ramène-moi Dag.
J'ai conscience de bouder comme une enfant mais, c'est de sa faute si je suis tombée. S'il m'avait laissé régler le problème comme la presque adulte que je suis, on en serait pas là. Dagonet part donc et nous atteignons mes quartiers mais, je lui demande d'aller dans les siens. Il me lance un regard inquisiteur mais, m'amène dans sa chambre, me posant sur son lit.
-Tu as très mal ? demande-t-il en bougeant ma jambe.
-Mais oui, j'hurle en repoussant ses mains. Pas la peine d'en rajouter en me tordant encore plus la jambe !
Il lève les yeux au ciel et examine ma jambe plus délicatement.
-Tu es du genre à animer les soirées toi, remarque-t-il avec un sourire moqueur.
-On ne s'ennuie jamais avec elle, fait la voix de Lancelot que je n'avais même pas vu.
Génial. Je me bousille la jambe et eux ils appellent ça une « animation » ? Je les foudroie du regard et remarque que seul Arthur et Tristan manque à l'appel.
-Il est où l'homme de Neandertal ? je demande avec aigreur.
-Tu parles de Tristan ? réplique Gauvain. Arthur l'a entrainé avec lui avant qu'il ne tue ton ami...enfin, s'il n'est que ça, ajoute-t-il en me jaugeant.
-Très spirituel, merci. Oui, il n'est qu'un ami et si monsieur Je-tue-tout-ce-qui-bouge-et-j'aime-ça n'était pas intervenu, j'aurais réglé ce malentendu toute seule comme une grande. Mais, comme d'habitude, il a fallu qu'il essaye de décider à ma place. Mais ça ne se passera pas comme ça, c'est moi qui te le dit ! Attends un peu que je mette la main sur ces abrutis et je vais les émascu AIE.
-Arrête de gigoter, me gronde Dag.
-Je n'aurais pas non plus apprécié à sa place, intervient Bors. Et j'aurais réagi de la même façon.
-Ce qui prouve combien les hommes manquent de civilités, je marmonne. Il y a d'autre moyen de régler un conflit que de frapper, broyer, éventrer, écorcher ou autre. Non, mais, il s'attendait à quoi exactement ? Que je supplie Eric de me prendre à même le sol, je rage avant me mordre les lèvres -au risque de me répéter : il faut vraiment que j'apprenne à la fermer, ça devient une question de survie.
Les regards ébahis des chevaliers me fixent. Oui, je suis en colère et quand je suis en colère mon vocabulaire s'en ressent. Et encore, j'ai bien failli utiliser un autre terme mais, je ne suis pas sûre qu'ils le connaissent déjà à cette époque.
-Vous pouvez nous laisser ? demande Dag qui semble lasser de devoir immobiliser ma jambe. Vous l'énervez et elle n'arrête pas de bouger.
Ils acquiescent et partent, nous laissant seul. Je soupire et me laisse tomber sur le lit en grommelant encore contre Tristan et Eric. Les mecs sont une vraie source de problème. Je devrais songer à me faire nonne. D'ailleurs peut-on devenir nonne si on est plus vierge ? La colère finit par se dissiper alors que Dagonet étale un truc visqueux que j'évite de regarder sur ma cheville et la bande, laissant place à la tristesse. J'ai été stupide, je le sais.
J'aurais dû voir qu'Eric avait plus que des sentiments amicaux pour moi. Tout le monde me l'a dit, même ma Georgette -ma conscience, qui, d'ailleurs, déteste son nouveau nom mais soit. Mais moi, j'ai été aveugle. Je pensais qu'il ne m'aimait pas parce que ça m'arrangeait, je pouvais rester proche de lui sans m'en sentir coupable, j'ai été égoïste, je n'ai pensé qu'à moi. Et le pire, c'est que je sais que je ne m'éloignerais pas s'il ne me le demande pas.
Mais maintenant, c'est clair. Inconsciemment, j'ai associé deux parties de ma vie, j'ai associé Eric et Julian. Juste parce qu'ils se ressemblent comme des jumeaux, que ça me donnait l'impression d'avoir ramené une partie de la maison avec moi. Mais Eric n'est pas Julian. Les relations sont compliquées ici, mon comportement avec lui me semblait tout à fait normal parce qu'il l'aurait été chez moi mais ici, c'est différent. Peut-être que, sans m'en rendre compte, je l'ai poussé à avoir des sentiments pour moi, à espérer, à ne pas bloquer ce qu'il ressentait. J'ai pourtant toujours du mal à croire qu'il puisse être amoureux de moi.
Je ne suis pas le genre de fille dont on tombe amoureux. Chez moi, j'étais trop quelconque, même Julian n'est pas parvenu à m'aimer. Ici, je suis trop étrange, trop à part. Je ne suis pas particulièrement belle, je suis loin d'avoir un caractère facile, bien au contraire... alors comment diable a-t-il pu tomber amoureux de moi ? Oui, je sais question stupide. Ces choses-là ne s'expliquent pas. Moi-même, parfois, je me demande comment j'ai pu tomber amoureuse de Tristan. Il a beau être canon et me comprendre mieux que personne, il a tendance à me donner des envies de meurtre ! Et un jour, je nous surprendrais tous les deux en cédant à mes envies.
Dag se relève et s'apprête à sortir.
-Où tu vas ? je demande, paniquée à l'idée de rester seule.
-Dormir, répond-t-il en haussant un sourcil.
- Tu ne peux pas... dormir... ici ?
-Ce ne serait pas très convenable, rappelle-t-il.
-Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi, je grommèle. J'ai... peurderestertouteseule, je bafouille à toute vitesse.
-Plait-il ? demande-t-il, me prouvant qu'il n'a rien compris.
-J'ai peur de rester toute seule, j'avoue en regardant ailleurs, rougissante. Je n'ai plus dormi toute seule depuis... très longtemps et je sais que si je dors seule, je vais faire des cauchemars et me réveiller en hurlant.
-Enora, soupire-t-il alors que je lui lance LE regard avec lequel je suis presque sûre de gagner.
-Te plait, reste, je dis avec une toute petite voix. Personne ne sera au courant et puis, il n'y a rien de mal à dormir avec son grand frère, non ?
-Tu essayes de m'attendrir, m'accuse-t-il mais j'ai vu la lueur dans ses yeux qui me dit que j'atteins mon but.
-Non, tu es comme un grand frère, tu prends soin de moi et au début, c'était toujours toi qui venais me réveiller quand je faisais des cauchemars. Allez, te plait, te plait, te plait, te plait, te plait, te...
-Bon d'accord, soupire-t-il en se pinçant l'arrête du nez. Tu obtiens toujours ce que tu veux, pas vrai ?
-Presque toujours, je corrige. Quand j'avais cinq ans, je voulais un vélo mauve pour mon anniversaire mais mes parents avaient déjà acheté mon cadeau. J'ai beau avoir fait une fugue, rien n'y a fait.
Je hausse les épaules avec fatalité alors qu'il me lance un regard perplexe. J'entends d'ici sa question intérieure « Mais qu'est-ce que c'est un vélo ? » ou alors « Mais a-t-elle définitivement perdu la tête ? » ou finalement « Je me ferais bien un steak ».
Ça ne s'arrange pas toi.
Je suis fatiguée.
-Une fugue ? demande-t-il finalement. À cinq ans ?
-Oui, enfin, tout est relatif. Est-ce qu'on peut appeler une fugue le fait de se cacher dans la cabane du jardin pendant une journée ?
Il secoue la tête en soupirant et je comprends qu'il a décidé de ne pas essayer de comprendre. Je me pousse sur le côté du lit et tapote la place à côté de moi. Il fronce les sourcils en secouant la tête.
-Ce ne serait pas...
-Dit convenable et jambe blessée ou non, je t'étripe, je le menace. On dirait que tu as peur que je m'en prenne à ta vertu, pourtant aucun doute que quelqu'un s'en est prit à elle avant moi, j'ajoute.
-Effectivement, raille-t-il en haussant un sourcil.
-Alors arrête de jouer les vierges effarouchées et viens me servir de doudou, je commande.
Il soupire en baissant la tête, apparemment exaspéré mais, je m'en fiche. Je ne supporte plus de dormir seule et, au point où j'en suis, je serais prête à le menacer pour le forcer à ne pas partir. Et je ne peux pas le laisser dormir sur une chaise ou pire par terre, donc il viendra dans le lit. J'ai dormi plus d'une fois avec Antonio et il n'en est pas mort.
Sauf que c'était au XXIème siècle alors qu'ici tu dois en être au cinquième tout au plus.
-Si tu veux, je prends la chaise, je propose. Mais je ne vais pas te laisser dormir, toi, là-dessus. Tu vas te faire mal au dos.
-Je ne vais pas te faire dormir sur une chaise, grommèle-t-il en se couchant sut le lit mais en laissant un écart entre nous.
L'écart ne me gêne pas. Il est assez près pour que sa chaleur me rassure et je m'endors presque tout de suite.
Je me réveille quelques heures plus tard en sursaut quand on frappe à la porte. Enfin, frapper est un mot assez léger, je dirais plutôt qu'on essaye de défoncer la porte.
L'aube se lève à peine et tu fais déjà de l'esprit.
Je t'envois te faire enquiquiner par une bande d'écureuils norvégiens diabétique.
Toi, tu as une affinité plus que suspecte avec les écureuils, tu peux parler de Tristan et son faucon. En parlant de Tristan, va savoir pourquoi mais, en entendant la force avec laquelle on chercher à défoncer la porte, c'est tout de suite son visage qui me vient à l'esprit.
Parle pas de malheur, il est trop tôt pour crier.
Dagonet se lève en ronchonnant et va ouvrir la porte.
-Elle est là ? demande la voix glacial de l'homme que je suis assez maso pour aimer.
Je me cache la tête dans le matelas en gémissant de dépit. Trop tôt, il est définitivement trop tôt.
-Oui.
Dagonet, je te hais, sale traitre.
-Mais elle n'a pas envie de te voir.
Bon finalement, je t'aime bien mais juste un peu.
-Sauf que je ne lui laisse pas le choix, réplique Tristan, toujours aussi pragmatique.
Sur ses bonnes paroles, j'entends ses pas comme un compte à rebours menant à ma mort prochaine se diriger vers moi. Il semble s'arrêter très proche de moi. J'ose un coup d'œil craintif sur le côté. Personne. De l'autre côté. Une paire de jambe. Déglutissement. Inspiration. Relèvement lent du regard pour trouver le sien. Colère qui revient comme je l'espérais en voyant son air glacial.
-Quoi ? je marmonne de mauvaise grâce alors qu'il se contente de me fixer.
-Sors de ce lit, ordonne-t-il.
-Ha oui et comment ? À cloche pied ? Tu m'as bousillé la jambe Néandertalien sadique, tu te souviens ? Et puis, je n'ai pas envie, je termine en me rendant compte que je n'ai pas à me justifier.
-Je ne te demande pas ton avis Enora, répond-t-il. Et si tu n'es pas capable de te lever seule, je te lèverais moi-même. Je suis lassé de te voir fuir.
-Je ne fuis... ha.
Il me prend de force dans ses bras avec un juron qui ferait pâlir Bors lui-même, me choquant légèrement au passage.
-Repose-moi, j'ordonne en lui donnant un coup de poing -ridicule je l'admets- dans son épaule.
-Maintenant que je t'ai, je ne lâche plus, marmonne-t-il et sa phrase semble avoir plus de sens qu'il n'y parait mais, je suis trop en colère pour le remarquer.
-Dag, dis à cet imbécile congénital atrophié de me déposer, j'hurle.
-Me mêle pas de ça moi, réplique celui-ci en se jetant sur son lit sans plus nous prêter attention.
-Lâcheur, je crie alors que Tristan se dirige vers la porte et sors. Repose-moi Tristan, je crie en me débattant lamentablement -je voudrais bien vous y voir moi avec une jambe en moins.
-Arrête Enora, fait-il d'une voix menaçante.
-Ce que tu fais, c'est ni plus ni moins qu'un enlèvement. C'est illégal de là d'où je viens. Si je rentre chez moi, je porte plainte.
-Continue de crier et de te débattre et je te donne une fessée, me menace-t-il.
Je me fige et lui lance un regard outré, m'étranglant d'indignation. Non mais... il n'est pas sérieux ? Pour plus de sécurité, je croise les bras su ma poitrine et me plonge dans un silence boudeur alors qu'il entre dans ses quartiers. Il me pose sur son lit puis s'accoude au mur en me fixant d'un regard impénétrable. Je redresse le menton dans une attitude de défi. Après tout, je n'ai rien à me reprocher, MOI.
-La nuit était bonne ? demande-t-il froidement.
-Courte, je réplique.
-Je m'en voudrais de vous avoir déranger, dit-il alors que je lui lance un regard ahuri.
-Qu'essayes-tu d'insinuer ?
-Je n'ai pas revu ton ami Eric, pourtant je l'ai cherché. Mais peut-être que tu sais où il se trouve, toi ? À moins que tu n'étais plutôt occupé avec Dagonet ?
-Tu ne penses tout de même pas que j'aurais pu coucher avec Eric ou Dagonet ? je m'insurge. Ce n'est pas parce qu'Eric est soit disant amoureux de moi que je vais avoir une révélation et tomber amoureuse aussi, je rétorque en le fusillant du regard.
-Les femmes n'ont pas besoin de ça !
-ET BIEN MOI SI, j'hurle avant de blanchir.
Il se fige et me regarde avec un ahurissement qui aurait pu être comique dans une autre situation. Une situation où je ne lui aurais pas fait une semi-déclaration. Je détourne le regard alors qu'il ne bouge plus, me fixant toujours. La situation est vraiment gênante alors, je prends mon courage à deux mains. Je soupire et parle.
-Je n'y peux rien si tu n'es pas capable de me faire confiance Tristan. Tout ce que tu as vu, c'était un baiser innocent -du moins de mon côté. Que tu sois en colère contre Eric est plus que logique, je le sais mais, tu n'as pas le droit de t'en prendre à moi parce que tu n'as pas pu passer ta colère sur lui !
-Tu ne l'as pas repoussé, m'accuse-t-il.
-Tout c'est passé trop vite... et j'étais trop... surprise. Je ne m'attendais pas à ce qu'il m'embrasse. Mais il n'attend rien de moi, il sait que je ne l'aime pas, pas comme ça. D'après ce que j'ai compris, il tenait juste à ce que je le sache.
-Et il était obligé de t'embrasser ?
-Je n'en sais rien, je m'écrie, exaspérée. Tristan, je contrôle les éléments, je ne lis pas dans les pensées, merde.
-J'ai détesté voir ça.
-Sans blague, je n'avais pas remarqué, je raille. Si tu ne nous avais pas suivi, tu n'aurais rien vu et j'aurais pu gérer ça moi-même. Ça t'apprendra.
-Quand je le vois, je le tue, me prévient-il.
-Tu as déjà tué ma jambe, ça suffit pour l'instant, non ?
Il s'approche enfin et s'assied à mes pieds, prenant ma jambe redevenue douloureuse dans ses mains et malgré la douleur, son contact me fait frissonner.
-Tu as très mal ? demande-t-il.
C'est sa façon de s'excuser, je suppose. Il ne dira jamais clairement « Je suis désolé » mais c'est déjà bien.
-Ça allait jusqu'à ce que tu débarques pour m'arracher de mon sommeil, je marmonne.
-Si j'avais su que la simple menace de la fessée suffirait à te faire taire, je l'aurais utilisée plus tôt, sourit-il.
-Tu... ne l'aurais pas vraiment fait, n'est-ce pas ? je demande avec hésitation.
-Et bien, tu ne le sauras qu'en me poussant à bout, n'est-ce pas ?
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