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ㅤㅤㅤ𝐍𝐄𝐔𝐕𝐄 𝐇𝐄𝐔𝐑𝐄𝐒, l'Artiste dans l'histoire de 1400 à nos jours.

C'est de l'histoire alors je n'aurai qu'à écouter les ballades assommantes du professeur. La salle de conférence est immense. Je me suis hissé au plus haut possible, le plus loin de l'estrade. Je remet mes airs pod et lance un nouveau titre. Tuya de Rosalia. Cette femme me rappelle sans cesse que je suis bi et non gay.

La salle de remplis peu à peu et bientôt, le silence tombe comme du plomb.

Monsieur Moron porte son habituel polo et son pantalon kaki droit, ainsi que ses lunettes de vue. Il tapote le micro comme pour tester la résonnance et lance la projection vidéo. C'est partie pour deux heures d'histoire et d'avalanche de débats autour d'échange de cultures, d'identité d'auteur et de modèles artistiques.

Des joutes verbales juteuses de peintres passionnés.

J'espère que ce ne sera pas le cas aujourd'hui. Parce que je prévois de dormir pour les heures à venir.

— Et si je vous parlais de romantisme ? Ça vous évoque quoi ?

Drame, folie, beaucoup trop de drame.

Et de folie.

— Oui, vous ?

— Bah, j'sais pas moi, Robin Son Crusoé ?

Ce qui suscite le rire de quelques étudiants. Mes bâillements les emportent d'un revers de main. Monsieur Moron est assis à son bureau, sa posture préférée lors des discussions générales.

C'est mauvais présage. Je prie pour qu'il ne cherche pas mon visage parmi l'auditoire. Heureusement, je suis parvenu à me glisser furtivement derrière un étudiant aux épaules larges, espérant ainsi que ma silhouette demeure dissimulée avec succès.

— Vous vous croyez drôle Casper ?

Je ne sais même pas de qui il parle.

— Oui, vous là ?

J'y pense, la Colombie me manque. Non pas les souvenirs que j'y ai laissé, mais l'ambiance. Je me suis toujours senti profondément connecté à sa culture. Sans doute à cause de ma défunte mère.

— Romeo et Juliette.

Mon maïs, mes petits déjeuners épicés. Ma tita (grand-mère) qui profère des injures en espagnol aux premières lueurs du matin.

— Bien nous y sommes ! Politique, révolution, passion... Shakespeare.

J'y ai aussi développé les pires vices, qui ont eut raison de moi.

— ...je suppose que vous avez de nombreuses réflexions à ce sujet à partager avec nous Kim Sunoo.

Et merde. Je voulais précisément éviter cette situation. Les regards convergent vers moi. Je retire mes écouteurs, me pinçant déjà les lèvres.

— Pardon ?

— Je vois que vous ne suivez pas.

Bien sûr que je ne suivais pas Cara e mondá (tête de nœud). Qu'on m'excuse mon vocabulaire étiolé, je suis un peu sur les nerfs.

— Un mot à dire sur Romeo et Juliette ?

Mon cerveau actionne les rouages au ralenti, me signalant qu'il n'est pas prêt à se lancer dans une séries de questions qui m'oblige à théoriser sur la critique de l'art dans la formation de l'opinion publique comme la dernière fois. Monsieur Moron est du genre perspicace, attaquant sur les thèmes les plus complexes.

— Votre silence voudrait-il signifier que vous n'avez aucune notion sur ce livre ?

Je répond, vague.

— Euh...

Un silence s'installe. Les attentions se focalisent sur nous. Je déteste ça.

— L'avez vous déjà lu ?

Il me fixe, aspire à une réponse. Et tout ce à quoi je pense c'est la façon dont il me fais chier en ce moment. Mes lèvres sont donc plus susceptibles de lâcher les premières idées qui me traverseront.

— Ça dépend... C'était sur un vieux pédophile ?

Des rires surviennent de tout part. Le professeur n'a pas l'air affecté, habitué à nos ripostes aléatoires par moments.

— Je vois.

Il tiens bon en poursuivant son cours, ne semble pas vouloir se laisser démolir par mes répliques ludiques. La projection laisse apparaître un tableau de Delacroix. Je ne l'ai jamais aimé à vrai dire.

— ...et du fait que à l'époque, Shakespeare est revenu avec le romantisme qui a pris de l'ampleur après ce bouleversement sociopolitique et spirituelle.

Roméo et Juliette. Je cherche encore le romantisme au sein de cette œuvre. La lecture fut traumatisante.

— Dans le temps, prolétaires comme nobles se mariaient sous des arrangements stratégiques.

L'époque tragique.

— L'amour du romantisme, lui, nous parle de passion, d'un être qu'on aura réellement aimé, et non pas parce qu'il fallait l'épouser pour, par exemple, perpétuer les biens familiaux. Et ça, ça allait à l'encontre des normes religieuses.

Je cale ma tête bien sagement entre mes bras. Et puis, pourquoi ça parle d'amour ? Je suis agacé. Parce que je pense à Heeseung.

— Les gens se sont mit à croire en l'amour, le mettre au centre de toute chose.

Il marque une pause.

— Et il reste perpétuel, dans la pop culture, à travers nos romans que nous lisons de nos jours qui est devenu prolifique. Qu'on le veuille ou non, ce sentiment nous domine.

J'y vois là, un canal qui se rattache à Aristophane. À sa théorie des âmes sœurs, l'amour qui est au cœur de toutes choses. À tout ce qui fait rêver. Aux inspirations diluviennes, aux dessins romanesques.

— Vous allez encore dormir longtemps pendant mon cours, Kim ?

Je souffle presque de façon bruyante et maudit le garçon censé me cacher à la vue de monsieur Moron. À croire qu'il m'a dans le viseur. Je me redresse à contrecœur et plante mes yeux sur sa silhouette. Il n'est pas impressionné, se tient toujours aussi calme, en parfaite maîtrise de lui. Et peut-être même qu'il semble jubiler au fond d'être la source de mon agacement.

— Vous avez peut-être des réflexions à nous partager sur les sacrifiées du romantisme, notre sujet d'aujourd'hui.

J'allais plaquer un non sec, puis une autre idée a germé dans mon esprit. Je prend une grosse inspiration. Il s'attend à quelque chose d'intelligent. Son expression faciale s'altère de façon subtile en remarquant un soupçon d'intérêt dans ma façon de me repositionner.

— Delacroix, dis-je en pointant le tableau de la projection...

Monsieur Moron se montre attentif.

— ... était misogyne.

Éclats de rires.

Et peut-être qu'il y a un fond de vérité dans ce que je dis. Mais à voir de la manière dont je l'exprime, comme si je m'étais drogué, nul doute que ce soit hilarant.

— Un peu comme ces artistes du dix-neuvième siècle. Ce qui leur ait reproché est de représenter des dites héroïnes d'un roman, en exposant leurs nibards dans des positions de vulnérabilité extrême qui ne les valorise pas vraiment.

Le calme revient peu à peu.

— Et comment argumentez vous cela ?

— Une étude démontre que plusieurs tableaux venant de peintres qui n'ont rien avoir entre eux, semblent suivre un schéma bien particulier : La représentation de la femme qui se suicide mais dans un cadre qui pousse à la réflexion. L'accent sur le teint diaphane, ce côté fragile mise en valeur, frêle et délicate, la nudité exposée. Ces toiles ne font que retranscrire une idée précise de l'image de la femme née du patriarcat.

C'est pire qu'un cimetière. Chaque présence se transforme en pierre tombale.

— C'est exact, conclut mon professeur.

Je retrouve mon souffle comme si je sortais d'apnée. J'ai du mal à déchiffrer ce à quoi pense monsieur Moron à travers son regard. Il se décale juste et poursuit dans son aparté.

— À cette époque où le culte des sentiments de soi est prépondérant, l'artiste se met à peindre l'amour. Mais pas n'importe lequel. Les histoires qui décrivent un couple épanouie sont considérées comme des niaiseries de bonnes femmes. C'étaient des hommes eux. Il fallait donc quelque chose de poignant. L'amour impossible, les personnages principales souvent féminins dites « héroïnes » mettent alors fin à leurs jours pour un récit plus tragique. Et lorsqu'on se concentre sur les toiles, les peintres choisissent des scènes où la femme est sexualisée...

Je n'écoute pas le reste, espère qu'il me laissera cette fois-ci obtenir un repos bien mérité.

***

Vous
Je ne vois pas de quoi tu parles.

Gigi 🍂
T'es sérieux là ?
T'es en tord mec alors lève ton petit cul et va le voir.

Vous
🖕🏻

Gigi 🍂
Sérieux Sun' faut que t'arrête avec ça.

Je lui fous un vent. Une autre réponse ne tarde pas à venir.

Gigi 🍂
Hijo de puta

Vous
Lâche l'espagnol frr

Dix-sept heures pile. C'est la fin des cours. Je fais tout pour cacher ma mauvaise foi.

Je me suis réfugié à l'extérieur sur un banc avec mon burrito. Le ciel est couvert, l'air glacial, et le temps morose. Elle s'accompagne de tristesse et de mélancolie, brassant quelques feuilles oranges à coups de rafales. C'est désert, au vue du ciel qui menace de ses larmes.

J'aimerais qu'il pleuve. Je me laisserai tremper jusqu'aux os.

Seule une brise transporte avec elle les particules de poussières, faisant courber les brins d'herbe, sifflant entre les haies taillées à la perfection. Les effluves florales sont décuplées par cette dernière qui la répand un peu partout. Les réverbères se dressent comme de petits soldats bordant les ruelles de l'université. Une en particulière se trouve à côté de mon banc. Ce soir encore, ils éclaireront de leurs lumières jaunâtres.

Mon en-cas terminé, je jette l'emballage dans une poubelle non loin.

Vous pouvez. Vous pouvez me traiter d'idiot. J'ai été pire qu'un imbécile et je n'ai aucune idée de pourquoi je fais la gueule, ignorant Heeseung comme s'il était responsable. Giselle a raison, je devrais peut-être aller m'excuser, peu importe la tâche ardue que cela représente.

Nishimura
T'es où ?

Mes doigts s'activent d'elles même. Je me lève en prenant mon sac.

Vous
Dehors. Alors ?

Nishimura
Terrain de basket. Dépêche toi, ils ont presque finit.

Ma gorge se noue d'avance à l'idée de comment je compte l'aborder. Je me déplace à vive allure. Mon ventre se tord d'angoisse tandis que je m'approche du gymnase en espérant ne pas le rater. Le crissement des semelles de leurs baskets contre le parquet résonne en fond dans les vestiaires.

Je cherche Heeseung. Je passe devant quelques salles quand d'un coup, j'atterris devant une porte légèrement entrouverte, dévoilant une silhouette qui se tient dans ce qui semble être une réserve à ballon et autres objets.

Je me fige et reconnaît de dos, Heeseung.

Je suis absorbé par ce qui se déroule sous mes yeux; de la même façon que mon angoisse grimpe en flèche quand une seconde silhouette se détache de la sienne. Je fronce les sourcils, me rapprochant comme pour m'assurer de ne pas me tromper.

Je frôle à peine la porte et remarque le maillot de Heeseung soulevé et des mains qui glissent contre sa peau.

— On peut essayer...

Cette voix... c'est celle de Jungwon.

Les deux sont entrelacés comme des amants, les supplications vocales de Jungwon voyagent jusqu'à moi sous formes de confessions.

— Juste une fois. Tout va mieux entre nous n'est-ce pas ?

Heeseung demeure silencieux, ou alors c'est que je ne l'entends pas s'exprimer. Soudain, Jungwon semble se hisser vers le haut, plaquant ses lèvres contre celles de mon ami d'enfance. Les bruits de succions s'élèvent assez haut pour qu'aucune miette ne m'échappe.

Mon cœur lâche comme celui d'un condamné. Mon âme s'effrite et s'éparpille en cendres lorsque Heeseung agrippe la taille de ce garçon, le poussant avec violence contre une armoire. Ils se dévorent les lèvres, brûlent d'une passion aux saveurs de l'érotisme.

Guidés par l'enivrante luxure, les gémissements s'arrachent à leurs lèvres gonflés par le baiser vorace qu'ils s'échangent. Leurs corps s'arquent, les bouches s'emboîtent pour étouffer les sons volages.

Mes espérances s'amenuisent, celles de croire qu'il ne s'agit que d'illusions. Des ombres façonnées par un esprit endommagé. Or les souffles incessants gorgés de plaisir, qui transpirent leurs désirs me ramènent à la réalité.

Tout est réel.

Lorsque j'entends des voix et des pas approcher, mon instinct me pousse à fuir pour m'assurer que Heeseung ne m'aperçoive pas. Je me dépêche de quitter le gymnase. Pour l'instant, tout va bien. J'ai juste eus le malheur de surprendre une scène érotique.

À part ça, tout va bien.

Je traverse la cour, enchaîne avec les couloirs espacés des dortoirs. D'une démarche morne, je me faufile dans mon dortoir et ferme derrière moi. Mon sac m'échappe et s'échoue au sol. Mes clés suivent la cadence, l'impact contre le parquet créant un tintement désagréable.

Je me tourne, mon regard circule sur l'entièreté de la pièce. Les murs sont imprégnés d'un sentiment maussade. Je n'ai jamais apprécié ces lieux de toute façon. Le fait est que je déteste ce lit, mon dortoir, ma chambre, les rideaux.

Tout est hideux. À vomir. Je ne me sens pas à l'aise, coincé dans cet espace étriqué. L'impression que les murs peuvent me comprimer à tout moment, que le toit peut s'écrouler sur le haut de mon crâne.

J'ai envie de pleurer. C'est plus fort que moi. J'éclate en sanglots. C'est un coup des cachets, j'en suis sûr. Je me laisse glisser contre le mur jusqu'au sol. Juste un coup des cachets, rien d'autre.

Ils ont cette capacité à commander les émotions humaines et les manipuler à leur guise. Alors, peut-être que bientôt je me retrouverai sur un petit nuage, un sourire burlesque aux lèvres.

Mes sanglots s'intensifient.

Alors, j'appelle mon père. Cet homme qui me disait : “ Quand la mer déborde de tes yeux, appelle-moi. ”

Les larmes dévalent car ils ont ce besoin urgent de s'exprimer, dit-on.

Papa ?

Sa voix résonne aussitôt au bout du combiné.

Bonsoir Sunoo.

Elle est douce et tranchante à la fois. Là est tout le mythe des Kim. Tout est si rigide dans les mouvements de cet homme, mais doté d'une apparence délicate qu'il paraît irrel.

Je, j'ai encore—

Avec lui, je retombe de nouveau en enfance, l'époque heureuse, l'époque risible.

Respire profondément et reprend.

Mon père est patient. Je sais qu'il restera au bout du fil le temps qu'il faudra, telle une statue, il ne bougera pas.

Tu veux que je te parle de ma journée ? Me demande-t-il.

Mes lèvres s'étirent tout en douceur.

Oui. S'il-te-plait.

Il s'exécute aussitôt.

Enfant, j'aimais entendre mon père me parler à l'oreille. Sa voix est apaisante. J'aimais dormir avec lui. Il est et a toujours été mon bouclier. Mon père est capable de chasser les nuages sombres de mon existence chaotique.

Et ce, malgré les images de ce baiser qui s'est inscrit dans ma tête.






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