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ㅤㅤㅤ𝐄𝐓 𝐁𝐈𝐄𝐍, il est clair que j'ai choisi la mort.

— Arrête de faire ta tête d'enterrement.

Je reçois un coup d'épaule qui me ferais presque valser. Cette fille ne détient aucune notion de délicatesse. Si je suis dans cet état, c'est à cause du complot dont je suis victime.

— Je ne fais pas ma tête d'enterrement.

— Ah ouais ? Et t'appelle ça comment ?

Giselle m'a l'air très détendue. Un beau sourire trône sur ses lèvres. C'est ça, réjouis-toi.

— J'appelle ça, la tête que je fais d'avoir été sauvagement trahit par ma meilleure amie.

— Vois le bon côté des choses.

Je m'arrête, prêt à encaisser une raison solide. Elle s'apprête à parler, mais les mots s'échouent contre ses lèvres, sans jamais s'en décoller. C'est ce que je pensais.

— Euh, alors, quelques secondes.

— Tu vois ? Aucun argument !

Je presse le pas aussitôt. Nous sommes à Hannam-dong. L'un des coins les plus huppé de Corée. Nid à célébrités et personnalités importantes. Je suis incapable de nommer celui qui nous a ouvert tout à l'heure.

En petit comité, elle parle.

La salle de séjour est vaste, abrite les quelques âmes qui se sont joint aux festivités. Dans l'ensemble, les tons s'accordent. Ce n'est qu'une succession de nuances de brun. Un tapis et un toit plus clair, contre un sofa et des murs plus sobres.

Tout en haut, de petites ampoules enguirlandées s'entremêlent. Mis à part la table basse en verre, l'écran d'une superficie remarquable et la cheminée de gaz, il n'y a pas grand chose. Au bout de la salle, la baie vitrée coulissante donne sur une terrasse à la rambarde en verre, une piscine et une vue de rêve sur la ville enluminée.

L'ensemble est d'une beauté presque mirifique. L'agencement, l'architecture, ce côté luxuriant capable de faire perdre la tête à quiconque. Giselle débarque, plongeant ses mains dans les poches de son perfecto.

— Tu avais dit en petit comité, lui glissé-je d'une voix fluette.

— Oui bon nous sommes quoi ? À peine quinze.

La rousse croit pouvoir se défiler. La foule me gêne. Jake est le premier à nous repérer. Buste nu, exposant avec fierté ses muscles et un teint bruni par le soleil et un peu pompette.

— Vous voilà enfin !

— Salut, et au-revoir, dis-je.

— Oh mais— Soleil !

— Laisse-le, il est dans sa phase aigri.

Je suis loin d'apprécier autant de monde.

Comme de coutume, je me détache de l'ambiance festive, noyant les souvenirs douloureux. À petites foulées, je traverse la pièce sans savoir où je vais. Alors que la musique au volume acceptable s'estompe, je perçois quelques battements de mon cœur s'accentuer.

Mes yeux parcourent l'entièreté du salon comme s'ils étaient à la recherche de quelque chose. La curiosité m'enlace à bras ouverts. Un peu vicieuse, elle anime mon organe vitale et prend le contrôle du rythme sous lequel mon sang devrait être pompé et éjecté.

Est-ce qu'il est là ?

Évidemment. C'est chez lui. Nous sommes en weekend, loin des devoirs et révisions. Giselle a passé le reste de la semaine à tenter de me convaincre. Et j'ai accepté. J'enchaîne les verres, opposé à l'idée de socialiser.

Il faut que je me l'avoue, j'ai envie de revoir Heeseung.

Si dans les couloirs de Yosei, nos échanges se sont toujours montrées étranges, voir gênantes, j'ai remarqué que dans un cadre plus détendu à l'extérieur, nous arrivions à mieux communiquer. L'exemple de notre petite sortie à la supérette.

Chaque sensation de cette soirée s'est implanté dans ma peau. Je passe le temps à me les remémorer, à m'accrocher aux brides qui me font rêver. Des frissons dansent sur ma peau au changement brusque de température. Me voilà à l'extérieur. Le vent frais chatouille ma nuque.

Aucun doute, cette terrasse est des plus agréables.

Or l'ennui me gagne, m'arrache des soupirs qui forment des buées. Mes pensées sont vides de sens, mais s'empilent, l'alcool me rend hilare, un peu idiot. Il arrive parfois que la réalité se déforme. Elle ondule, fait mouvoir la terre sous mes pieds, me force à rester plaqué contre ce mur, à chercher de l'air comme un désespéré, aux portes de la syncope.

J'attends, pendant que mes neurones se réorganisent. J'inspire, emplissant mes poumons qui font soulever ma poitrine. Et d'une démarche peu assurée, je reprends mon exploration de cette terrasse paradisiaque.

Les frissons m'agressent à chaque rafale. Mais pour rien au monde je ne retournerai à l'intérieur. Ici, je demeure imperméable aux bruits assourdissants. Je ferme les yeux, laissant le vent me marmonner aux oreilles, les échos de la circulation de la ville bavarde

Ce dernier abrite les murmures de chaque âme et les repartie aux quatre coins de l'univers. S'il fallait de se confesser au vent, je lui conterai de ces histoires qui parlent de blessures qu'on ne peut panser, qui sont les plus à même à vous ronger. Invisibles, et qui ne peuvent être cousues.

Les blessures de l'âme, qui confèrent cette sensation de mourir à petit feu.

On se serait perdus entre poésies morbides de damnés qui n'attendent que leur signal pour rendre leur dernier souffle. Un peu comme moi, pas assez désespéré pour provoquer la faucheuse. Le concept de la mort effraie et fascine. 

Plus loin, au fond à droite, la rambarde est fait de barres métalliques. Je me cramponne dessus malgré la hauteur. Séoul est un océan d'étoiles grâce aux bâtiments illuminés qui s'étendent jusqu'à l'horizon.

— Essaie de ne pas tomber, s'il-te-plait.

Mon sang bouillonne de plaisir, son timbre de voix essuyant toute trace maussade qui peignait mon âme de la mélancolie de l'automne. L'entendre est si jouissif, le savoir si proche de moi accentue l'extase qui se mêle à l'adrénaline dans mes veines.

— Tu me retiendrais si je tombais.

Rejetant la tête vers l'arrière, je fais face au ciel noir d'encre aux quelques nuages éparpillés de par et d'autres. Il existe une théorie selon laquelle on déconne mieux à deux, en compagnie d'un être aux idées aussi délirantes que les nôtres.

Ses mains s'agrippent à ma taille, soucieuses, exercent une pression suffisante pour me faire descendre. Certaines choses ne changeront donc jamais. Je n'égale toujours pas sa force musculaire.

— Je suis sérieux.

J'abandonne sans livrer bataille, regagnant l'herbe verte qui se froisse sous ma semelle. Je tends le cou à la recherche de ses prunelles sombres. Sa main remonte et je m'en saisis au passage, jouant avec ses doigts, les écartant et les pliant, sans me soucier du maigre espace qui nous sépare.

— Tu faisais quoi ?

J'atteins son poignet, point d'intersection de ses veines qui s'allongent par la suite et suivent le cheminement de ses tatouages, le long de son bras.

— Je parlais au vent, répondé-je en gloussant.

— Ah oui ? Et vous vous disiez quoi ? Rétorque le basketteur, rejoignant ma plaisanterie.

— Des secrets.

— Quels sortes de secrets ?

Son murmure se répercute contre ma peau et me provoque une marrée de frissons. Sa main glisse avec aisance le long de mon visage. Il s'arrête à mes lèvres, les effleure de son pouce. Je suis comme hypnotisé par le mouvement, me laisse faire.

— Je n'ai pas le droit de t'en parler. C'est un secret.

Un sourire en coin aux lèvres, ses yeux rieurs se joignent à mes éclats.

— Tu es saoule ?

Je secoue la tête.

— Nan, j'suis lucide.

— On dirait pas.

— Tiens, j'suis encore capable de compter tes doigts.

Je me saisis de son pouce épais.

— Un, deux, trois, quatre, cinq, compté-je. Tu vois ? Cinq doigts.

Heeseung éjecte de ses lippes de velours, de petits éclats cristallins, absorbés par mes oreilles qui se sentent comblés.

— D'accord, j'te crois.

— T'en as pas l'air. J'te compte tes orteils aussi, si ça te tente.

— Non, merci.

Pour sûr, je me serais abaissé, en quête de je ne sais quoi, à énumérer chaque doigt de pieds sous la tyrannie des liqueurs qui circulent dans mon corps. Néanmoins, j'me sens toujours sobre, conscient de chaque parole échangée, de son regard qui me couvre, de la douceur de sa main chaleureuse contre ma taille.

Un mélange d'arômes poivrées émane de ses vêtements. De ses cheveux humides, roulent quelques gouttelettes d'eaux. Une odeur masculine fait chavirer mes sens olfactives. On se perd à se fixer, à chercher cette étincelle dans ces iris d'adultes qui perdent de leur tendresse enfantines.

— On va au terrain avec les gars. Tu viens ?

Enfin, ce n'est pas le cas de Heeseung.

— Ok.

***

La brise crépusculaire capture et véhicule chaque mot brassé par les jeunes adultes présents.

De petits bavardages qui forment une véritable fourmilière. Il y a du rap us en fond, la plus part des étudiants aux accoutrements sportifs de leurs équipes, signalant la présence de plusieurs joueurs de Yosei.

Certains me sont inconnus, d'autres non. C'est à l'image du festival précédent. À la différence des feux d'artifices qui viennent égayer la voûte. Cette dernière d'ailleurs demeure couverte d'un voile sombre, empêchant la lumière des astres de nous atteindre.

La pollution y est pour sûr, pour quelque chose.

En attendant, les vitrines éclairées partagent un peu de la magie que ces magasins abritent. J'éternue. J'avais oublié à quel point j'étais sensible au froid. Mes épaules sont remontées et mes bras se rattachent à mon corps pour conserver la chaleur de ce dernier. Mes mèches rousses s'envolent à chaque valse qu'effectue le vent.

Mon cardigan ne sert à rien contre le froid de la mi saison.

Il y a de petits groupes de part et d'autres comme la fois dernière. Je perçois dans ce brouhaha, les battements du ballon qui s'écrase au sol à un rythme effréné. Une vibe comme quand on arpente les rues de New York. Cette ambiance inégalée et la façon dont cette ville séduit.

L'atmosphère sur le terrain n'est qu'une pâle copie, mais conserve tout de même un charme propre à elle. Le cerceau se fait sans cesse maltraité par les dunk puissants de ces athlètes à la stature colossale, aux muscles qui se contractent sous leurs vêtements.

Parmi eux, Yeonjun se démarque.

À côté de moi, les yeux de Heeseung luisent de plaisir et d'empressement. Il parait amoureux de ce sport, comme moi je suis amoureux de l'art. Je serais peu vexé qu'il m'abandonne pour son ballon. Croisant mon regard, nous nous comprenons en silence.

Mais avant qu'il ne s'éloigne, il retire sa veste universitaire qu'il me met de force sur les épaules.

— Mais—

— Tu crèves de froid, me fait-il savoir, l'index contre mes lèvres m'interdisant d'argumenter.

Le sourcil arqué, je réplique malgré tout.

— Merci, charmant

Me lançant un clin d'œil, Heeseung rejoint son partenaire de toujours qui s'attèle sur des tirs à trois points. Dès lors qu'il pose pieds sur le terrain, un match silencieux l'oppose à Yeonjun. Il me semble y avoir une sorte d'histoire de rivalité entre ces deux là d'après les rumeurs.

— Yo bro !

Ça c'est Jake et son éternel air enjoué — qui a pour don de répandre la bonne humeur — en compagnie de Ni-ki et d'autres têtes que j'ai la flemme de citer.

— Quoi de neuf ?

— T'as un nouveau t-shirt, c'est pour impressionner qui ?

— Jake, t'as une copine ?

— Vos gueules. À vous croire, je suis pauvre et je porte les mêmes vêtements tous les jours.

— Ce qu'ils veulent dire, c'est que pour une fois t'as bon goût en t'habillant.

— T'es qu'une merde Ni-ki. Tu deviens chiant depuis que t'es célibataire.

Ils sont d'un coup tendus. Et Jake détourne le regard. Suspect. Giselle tousse et s'éloigne avec la cheerleader, Sakura.

— Ok les gars du calme, je vous paye une soirée en boîte tout à l'heure ça vous va ? J'vous sens tendu là.

Certains paraissent euphoriques, coups de coudes, de poings, convaincus par leur idée de virée en boîte. Programme dont je pense me soustraire. Ce soir, il n'y a qu'une personne pour laquelle je me rends disponible.

— Hé Hee ! Attends nous.

Ils se concertent entre eux pour aller jouer. Alors je me place de nouveau sur les mêmes escaliers en pierre que la première fois, observant un blond d'un œil admiratif. Puis j'accroche un écouteur dans l'une de mes oreilles, fermant les yeux pour me laisser aller à la musique.

MARIA DA SILVA disait : “ Oui, mes toiles peuvent ressembler à de l'architecture. Je me suis toujours sentie un peu faible et la peinture est une manière de me construire moi-même, en produisant mon tableau. ”

J'ai gardé ces mots gravés en moi.

À son instar, je me suis souvent senti faible. Brisé par moment. Et je me suis tourné vers mon plus grand amour, celui-là qui guérit lorsqu'on se remet complètement à lui. Pensant que ma toile était mon esprit cassé, le pinceau, ma nouvelle arme pour me réparer.

Alors j'ai peins, encore et encore, chaque nuit, en compagnie des astres nocturnes, ne me guidant que par leur lumière, me persuadant qu'un jour, je poserai le pinceau contre mon tableau et y trouverait une grande satisfaction, l'impression que les morceaux se sont recollés.

Mais parfois, des vases restent brisés pour de bon, sans qu'aucune colle ne puisse réunir les fragments. Une conclusion bien triste.

Je soupire en rouvrant les yeux. La présence de Karina me surprends. À croire que ces marches en pierres souhaitent nous réunir à chaque fois. Un sourire se dessine sur mes lèvres. Elle me parle de ses défilés, de ses voyages, et moi, de l'incroyable histoire ses deux exs qui seraient amis d'enfance.

À un moment, elle a dû s'en aller. Je me suis senti seul. Alors, naturellement, mes pensées se sont dirigés sur Heeseung. C'est fou comme je ressens le besoin constant d'être auprès de lui. Comme deux aimants séparés qui, une fois lâchés, cherchent hardiment à rejoindre l'autre morceau.

De plus, Giselle et moi nous sommes perdus de vu. Du coup je pars à sa recherche. Sauf que je ne le trouve nul part sur le terrain. Je descend alors, me tordant presque le cou à force de tourner la tête.

— Wow, Sunoo est-ce que tu fais ?

Je me fais intercepter par Ni-ki mais arrive à lui échapper.

— Désolé, pas le temps.

— Attend, où est-ce que tu vas ?

Le fait qu'il me suive, me stoppe.

— Chercher Heeseung, déclaré-je sans jamais penser qu'une telle phrase pourrait être mal interprétée. Tu sais où il se trouve ?

— Euh, au parking je crois. Pourquoi ? Si je peux me permettre.

— Je dois récupérer un truc chez lui.

Un mensonge bien ficelé qui à mon sens, passe.

— Tu n'as qu'à l'attendre.

Je m'arrête. C'est Jake qui débarque, un peu essoufflé suite à une course. Je le sens nerveux. Et c'est bien une première qu'il soit nerveux. Je porte mon regard curieux sur sa personne.

— Pourquoi ?

— Il est... occupé.

Le malaise me ronge de l'intérieur. Voulant l'ignorer, je tente de passer. Jake me retient.

— Je te l'ai dis, il est occupé. Il reviendra, dit-il en rigolant de façon nerveuse, pensant détendre l'atmosphère.

— Occupé à quoi ?

— Ça concerne l'équipe, notre match. Alors attend le.

— D'accord. Tu me laisses passer ?

Ses sourcils se plient mais avant qu'il n'ait le temps de me sortir quoi que ce soit, je réplique.

— Je vais juste rejoindre Giselle. Ou bien ça aussi, c'est interdit ?

Je le dépasse, le bousculant presque, un peu agacé. C'est la première fois que je suis confronté à un Jake aussi sérieux. Comme si l'homme que j'ai toujours connu s'était métamorphosé en un autre. Ça peut paraître de trop, or c'est ce que je ressens. Le Jake taquin et dragueur n'est peut-être qu'une façade au pire.

Je traine des pieds et lance quelques salutations à des gens que je n'aurai jamais approché en temps normal. Ils paraissent surpris. J'ai un air crispé cousu au visage. Ils ne sont qu'un leurre, le temps que l'attention de Jake et Ni-ki se détournent de moi. Et à la moindre faille, je m'échappe.

Mes pas me mènent au parking. Je m'y déplace avec la boule au ventre, à pas hésitants, à me demander ce qui se trame.

Je suis conscient de passer pour un être un peu trop curieux. Je pensais être devenu plus confiant avec la thérapie. Or au fond, il y a cette crainte qui persiste. D'après la psy, ça forge une personnalité méfiante d'avoir été trop déçu. C'est différent avec Heeseung. Je ne devrais même pas avoir à douter de lui.

Oui et il ne te doit rien.

Pourquoi mes réflexions partent en ce sens ? Je veux juste le retrouver, rassurer le moi insecure dès qu'il démarre une relation, amicale ou amoureuse, tout en priant pour ne pas me tirer une balle dans le pieds.

C'est le moment pour ces nombreuses séances de psy de porter leurs fruits. J'ai déjà réussi ce cap avec Giselle en lui ouvrant la porte accédant à mon intimité, à ce côté plus secret de ma personne, à simplement accepter qu'elle compte pour moi sans devoir combattre une peur excessive.

Je peux le refaire.

Je suis capable de construire des relations saines. J'ai juste besoin de savoir ce que Jake semble autant vouloir me cacher. Il avait l'air étrange. J'en ai besoin.

C'est vital, je—

Je me stoppe près d'une moto. En premier, c'est l'immense joie d'avoir retrouvé Heeseung qui m'envahit. Cependant, cette joie décline avec une seconde présence. Un jeune homme à la chevelure ébène.

Je ne sais pas pour quelle raison, Heeseung a l'air tendu à ses côtés. Je le remarque au fur et à mesure que je m'approche, presque inconsciemment, comme si mes jambes me portaient sans mon aval.

— On pourrait y aller ce weekend, t'en dis quoi ?

— Je verrai, lâche Heeseung.

Les deux me jettent un regard une fois que j'arrive à leur hauteur. J'ai l'impression que l'individu me lorgne d'une air dédaigneux. Presque hostile.

— On parlera plus tard, annonce-t-il.

Heeseung se contente de lui fournir un hochement de tête.

— C'est qui ? Demande-t-il ensuite.

Je me fige. Je ressens de l'agacement dans la voix de l'inconnu. Heeseung, lui, ne bronche pas. Paraît statique comme un fort aux murs solides qui ne laisse rien transparaître.

— À samedi Jungwon, appuie le blond en mettant fin à leur conversation.

L'inconnu, le sourcil arqué, continue de nourrir mon malaise en me toisant sans filtre, avant de finalement décrocher ses yeux de moi d'un air ennuyeux. C'est, d'un regard plus tendre qu'il s'adresse au blond.

— Pense à m'appeler. Bon, j'y vais.

Heeseung se mure dans son mutisme. L'autre s'en va. Pendant une seconde, je m'en veux de ne pas avoir répliqué de façon cinglante. Et la seconde d'après, je me rassure en disant que mon impulsivité aurait pu provoquer une situation ambiguë.

Car après tout, j'ai trouvé cette personne peu sympathique en me basant sur mes propres ressentis. Ces derniers peuvent être erronés. 

Je plisse des yeux, gêné par la lourdeur de mon cœur au fond de ma poitrine. Pourquoi ais-je ce drôle de sentiment ? Les épaules de l'athlète sont relâchées, les yeux rivés au sol, ses paupières retombant et ne laissant percevoir qu'une infime partie de ses pupilles.

— C'était qui ?

Je me contiens de laisser la curiosité exploser. Or cette question m'a échappé lorsque je me suis laissé aller à mes réflexions, assez pour que mon subconscient prenne les rennes. Heeseung semble d'un coup reprendre son souffle, ses épaules se rehaussant tout en lenteur et sa tête remontant tandis que ses paupières se replient un peu plus vers le haut.

— Enfin, t'es pas obligé de répondre bien sûr.

Il ne me regarde pas, affiche un faible sourire.

— Personne.

Il s'approche, entoure mon corps de ses bras larges, me surprenant au passage. Mais je me laisse faire, avec l'étrange impression que cette étreinte est un besoin pressant.

***

Le réveil a affiché neuve heures ce matin.

Ce qui m'a déprimé, m'empêchant de quitter le lit. À cette heure-là, j'avais déjà raté bon nombres de cours. J'ai pu rattraper avec celui de dix heures et demi. Une histoire à laquelle je porte peu d'attention. 

— Le romantisme, une nouvelle approche de l'art qui s'oppose au néo-classisme et règles académiques. Une nouvelle vague aux saveurs de l'orientalisme, de la passion des légendes médiévales et où les sentiments s'enflamment.

Le dix neuvième siècle ?

J'ose lever les yeux sur le diaporama et les tableaux qui se suivent. Le professeur Henny, un homme à la barbe rasée au près et portant des lunettes de vue semble passionné par son récit. Il évoque après tout, une ère un poil trop dramatique pour moi.

Mais qui à sa façon, me parle, tout comme les impressionnistes.

— Dans ce courant pictural, on retrouve Le radeau de la méduse, de Théodore Géricault, 1819.

Le tableau apparaît en grand. Je me suis mis en dernier rang aujourd'hui. Moi qui pourtant apprécie me placer en avant, emporté par tout ce que cette filière a à m'offrir. Que ce soit au niveau de l'histoire, la pratique, technique et autres, je suis un réel amoureux à tout ce qui touche la peinture.

— Les peintres de l'époque du romantisme prônent les émotions de soi. L'idée étant de retranscrire quelque chose de fort et de puissant. Une sphère où les sentiments implosent.

Elle coule dans mes veines, c'est indéniable. Je me demande, aurais-je eut un si fort intérêt pour tout ceci si je n'avais pas connu mon grand-père ? Il m'a nourrit dès le bas âge.

Il représente mon premier professeur.

— Ils s'impliquaient aussi dans l'actualité, la politique, la dénonciation. C'est ce que traduit le naufrage de Théodore.

Je me suis imprégné de ce monde comme une éponge qui absorbe sa saveur. Et j'ai appris à en manier toutes les nuances et substances qui le constituent.

— Le romantisme place le peintre dans son individualité face à la toile vierge. C'est l'idée d'y déverser ce qui anime l'artiste. C'est l'instant où il se dévoile. On pénètre alors sa tête, découvre ce qu'il propose à travers ses yeux.

Je me retrouve absorbé par ce qu'il raconte malgré moi. C'est plus fort que ma volonté, je m'y sens happé. Il s'emballe et emporte l'ensemble de l'amphithéâtre avec lui.

— Caspar David Friedrich est l'un des piliers du romantisme en allemagne.

Le romantisme est teinté de folie à mes yeux. C'est ce qui la caractérise le mieux. L'intensité de chaque flamme est à son paroxysme. Ça rejoint ce que Heeseung déclenche chez moi. Tout une tempête violente qui me secoue à l'intérieur.

Cependant, la tempête m'inspire à sa façon.

Elle désordonne ce désert chaud et soulève un écran de sable qui dévoile ce qui se cache sous terre. Un tas de minéraux inexplorés de milles couleurs, une exaltation fantasque qui fait rêver. Leurs brillances est une mine d'or qui alimente mon inspiration.

Une mine, des roches diamantifères, des rêves, de l'imagination, une muse.

Je souffle quand j'entends du mouvement à côté. Le cours a pris fin, sans que je ne m'en rende compte. Je suis la masse, me noie en elle, tout aussi désireux de gagner l'extérieur à pas flegmatiques.

Mais le romantisme, ce n'est pas que du joli ou de l'amour. C'est aussi les sentiments ténébreux. Et quand je pense à l'aspect sombre, je pense encore à Heeseung. À son regard lubrique et sincère.

Aux secrets qu'il abrite. On ne connait jamais totalement les gens.

Tout le monde se forge une image du séduisant blond ténébreux habillé de sa veste en cuir, une clope entre ses lèvres, debout tout près de sa bécane. Prétentieux, couvert de tatouage et as de son équipe de basket.

En ce qui concerne Lee Heeseung, ce n'est pas un fumeur invétéré. Au-delà de son regard énigmatique et ses tatouages, il cache son histoire, comme tout le monde. Parce que nous en avons tous une. On pourrait essayer de trouver quelque chose de poétique à la sienne.

Je revêt le manteau de Sherlock Holmes, prête à l'ambiance morbide de l'automne, toute la mélancolie dont s'abreuve Londres tous les jours. Je m'imagine dans les années milles huit cent au 221b Backer street en me jetant sous le rideau d'eau de pluie, après avoir déployé mon parapluie.

Torturé par les milliers de questions que la rencontre d'hier soulève en moi. Jungwon.








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