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ㅤㅤㅤㅤ𝐋𝐄𝐒 𝐄𝐕𝐄𝐍𝐄𝐌𝐄𝐍𝐓𝐒 se sont enchaînés à une vitesse folle. Embarrassé à l'extrême par l'être qui me sert de cousin, et qui plus est devant Heeseung, je n'ai pas tardé à flamber. Hwang Hyunjin est une personne bien singulière ; grand, très grand, à la silhouette squelettique.
Je le soupçonne de consommer plus de drogue que grand-père ne lui autorise. Après, cela ne serait pas étonnant. Hyunjin est du genre à envoyer paître les règles qui lui sont imposées.
Sa masse capillaire est soyeuse, d'un rose tape à l'œil. Pour ça, nous sommes semblables. Ce qui brille, ce qui attire, on l'a en commun. Et juste pour ça, j'accepte de le porter. Enfin, j'oublie de mentionner l'aide précieuse que Heeseung m'a proposé.
Au final, sans lui, je ne me serais pas occupé de ce salaud.
On traverse de nombreux couloirs aux murs tapissés de cadres photos d'une famille heureuse, en apparence. Le ministre de l'économie dans un costume parfaitement taillé, en compagnie de celle qui je suppose être son épouse. La décoration est à la taille de leur fortune, toujours dans l'excès.
Après avoir caressé du regard ces détails, nous nous sommes arrêtés devant une porte à l'étage. Doucement, le blond a ouvert tout en accueillant avec lui le corps chétif et mou de mon cousin. Heeseung m'aide à le porter jusque vers un lit. Une fois fait, une question me traverse.
Pourquoi Heeseung m'aide ? Même si je n'ai pas à me plaindre. Il n'aurait pas été là que j'aurais abandonné Hyunjin au sol sans vergogne.
Un calme olympien s'est abattu sur nous.
Mon cousin est plongé dans un sommeil profond. Ses ronflements s'élèvent dans la pièce. Pièce d'ailleurs plongée elle aussi dans la pénombre. J'arrive quand même à apercevoir la rambarde au loin aux barres de fers peints en noir. Les rideaux blancs volent au rythme de la brise nocturne. C'est apaisant comme lieu.
— Merci, je glisse chaleureusement à mon vis-à-vis. Je ne sais pas ce que j'aurais fait de lui si tu n'avais pas été là.
Heeseung affiche un faible sourire. Il semble habité d'un calme étrange. Le même air mystérieux de taciturne pseudo tueur en série de la dernière fois.
— J'ai été au bon endroit, au bon moment.
Sa voix est proche et lointaine à la fois. Elle contient quelque chose de brute et en même temps une certaine délicatesse.
C'est assez troublant. Je reçois mille informations. Mon cerveau, loin de fonctionner à la normale, interprète à sa façon chaque partie qui constitue Heeseung. Je me perds à le décrire par des phrases poétiques, à m'imaginer le dessiner au crayon noir. Âme d'artiste, âme lyrique, je suis incapable de faire fi lorsque mon esprit veut s'exprimer. Il semble avoir trouvé un réel intérêt pour sa personne.
Le silence n'a pas l'air de nous déranger plus que ça. Au contraire, je trouve un étrange plaisir à le reluquer sous tous les angles. Au final, il est le premier à briser le silence.
— Je ne savais pas que les fêtes d'adolescents étaient ton genre.
De quoi me rendre perplexe.
Heeseung peut bien posséder des yeux de biche qui lui donnent un air innocent, j'ai l'impression de voir deux cornes pousser sur sa tête. Car mon ami d'enfance a consciemment choisi le vocabulaire employé. J'en suis persuadé.
— Si je suis présent entre ces quatre murs, c'est uniquement pour cet idiot, dis-je sans me presser en pointant Hyunjin.
Je savais que j'aurais dû patienter jusqu'à la fin du mois au déjeuner familial pour le voir. Seulement, l'envie plus que pressante de jeter Ni-ki hors de mon dortoir a pris le dessus.
— Et toi alors ?
— Je passais par là.
Une réponse bien vague, à son image.
Il se rapproche de moi. Je suis quelque peu surpris par son geste mais ne bouge pas. L'une des caractéristiques remarquables des basketteurs est leur taille. Me voilà obligé de lever la tête pour soutenir son regard. Giselle aurait été là qu'elle se serait foutu de mon mètre soixante dix-sept qui fait un peu pitié face à ce géant. Je lui fait un doigt d'honneur dans mes pensées.
— C'est la deuxième fois qu'on se rentre dedans.
— J'avais remarqué, je réponds, les sourcils froncés.
Je suis d'autant plus perplexe lorsque Heeseung me tend une main, accompagné d'une expression indéchiffrable au visage.
— Enchanté, Lee Heeseung.
J'étais à ça de lui clamer qu'on se connaissait déjà, que nous avions fréquenté la même école ensemble, qu'il me poursuivait avec ses lombrics, que c'était un peu stupide qu'il se présente. Toutefois, la seule pensée que Heeseung ne m'ait pas reconnu me refroidit.
Et si j'avais cru à tort et que je m'étais trompé sur toute la ligne ?
Je lorgne sa main à l'allure puissante; à ses veines qui se comptent par milliers que je pourrais retracer du bout des doigts et le début d'un tatouage sur le dos de sa main. J'imagine la continuité du dessin le long de son bras, qui est malheureusement caché par la manche longue de son hoodie blanc et sa veste en cuir.
C'est la première fois que je le remarque. La dernière fois, je n'ai pas eu le temps de m'attarder sur les détails de son corps. Le regard de Heeseung se fait insistant. Je le sens brûler ma peau. Il attend, bras tendu. Mince, j'avais oublié !
Doucement, je glisse ma paume contre la sienne après avoir brassé mes pensées en vain.
— Sunoo. Kim Sunoo.
L'intérieur de sa main est étonnement douce, au vue du sport qu'il pratique. Je me surprends à apprécier sa chaleur, mes nerfs captant à la perfection chaque signal envoyé lors de ce contact.
— Je sais, Jake parle souvent de toi.
Je bondis presque au je sais me demandant si le silver m'a espionné. Qu'il évoque Jake est loin de me rassurer. Je pense à tout ce que ce terrible beau parleur a pu raconter sur ma personne.
— Ah ouais ? Et qu'est-ce qu'il a dit ?
Je déglutis d'avance de ce qui pourrait sortir d'entre ses lèvres.
— Rien de particulier...ah oui, Molière, c'est ça ?
Je me retiens de justesse d'éclater de rire, tant sa réponse m'étonne. Heeseung ne semble pas sûr de ce qu'il avance et ça m'amuse un peu.
— Non, je nie en douceur.
Je fais mine de réfléchir et oublie Jake.
— Je dirais plus Léonard de Vinci.
Il arque les sourcils, ne cachant pas son état de confusion. Ses yeux globuleux grands ouverts renvoient une image mignonne. Il se mord la lèvre, son regard perdu dans le vide, comme s'il cherche au fond à quoi était associé le grand Molière.
Je trouve la scène attendrissante. Je pourrais rester là à le regarder chercher.
— Et toi ? Je reprends pour sauver la conversation. LeBron James ? Micheal Jordan ?
Je sais que j'ai tapé dans le mile quand je le vois sourire.
— Ouais, dans le mile.
— Je devrais être inquiet que tu en saches autant sur moi ? Ajouté-je en avançant de quelques pas. Après tout, on ne se connait pas.
S'il ne me reconnais pas, il n'y a aucune raison que je lui rappelle notre amitié.
Toutefois, je pourrais jurer qu'il se paye actuellement ma tête. C'est tellement lui. Il ne bouge pas et ses lèvres s'étirent sur le coin, un peu séducteur.
— Tu crois au coup de foudre ? Ou je dois essayer de te baratiner pendant des heures ?
Déstabilisé, je cligne des yeux et me retient de rire.
— C'est quoi cette drague de beauf ?
— Ce n'est pas encore de la drague, réfute le blond avec aisance. Si c'en était une, crois moi, tu le saurais.
— C'est ça de passer son enfance à parler aux animaux.
Je me montre sans pitié.
Il semble ne pas bien le prendre. Ce léger rose à ses joues en est la preuve. Une réaction qu'il a l'air de vouloir cacher. Malheureusement, ces choses là ne se gardent pas pour soi. Elles apparaissaient par surprise et impossible d'y faire abstraction.
Une chose de sûre, je viens de renverser la situation à mon avantage.
— Comment tu peux le savoir ? On vient à peine de se rencontrer.
J'ai parlé trop vite.
C'est à mon tour d'être déstabilisé et lui, de se délecter de la tournure des évènements. Ça a tout l'air d'une compétition de celui qui avouera en premier.
— Oui, pas faux.
Il me détaille sans se cacher. Ça me provoque quelques frissons. Une petite gêne qui menace de me faire rougir.
— Mignon le crop top.
Je ne souhaite qu'une seule chose, combattre ces rougeurs qui luttent pour s'emparer de mon visage. Je vois le blond, ravi de voir que les rennes de cette conversation lui reviennent.
— Merci. J'aime tes tatouages, dis-je à mon tour, mes yeux braqués sur sa main.
Je poursuis sans lui laisser le temps de répondre.
— Je ne savais pas que c'était ton genre.
Je l'ai chuchoté comme s'il s'agissait d'un secret que je lui confiais. Et il n'a pas hésité à faire pareil.
— Il faut croire que les goûts changent en grandissant.
J'aurais parié une liasse de billets sur ce que deviendrait mon ami d'enfance, que j'aurais perdu mon argent.
Habituellement, les personnes à la vie sociale inexistante, qui remplacent les amis par des animaux de compagnies, finissent comme des perdants. Qu'on ne s'y méprenne pas, il n'y a aucun dédain dans ma phrase. Je ne fait qu'employer les termes de cette chère société. Les gens se retrouvant dans l'incapacité de sociabiliser ne sont pas vue d'un bon œil. On privilégie les mondains, ceux là qui savent user de leur langue pour sortir les plus belles niaiseries.
Il est vrai que Heeseung aimait s'isoler à l'époque.
Cependant, il restait un garçon comme ceux de mon âge qui rentrait dans les normes : aucune difficulté à s'adresser aux autres, parlait plus avec ses poings que sa langue et aimait soulever les jupes des filles. À ça, s'ajoute sa passion de me jeter dans ces grandes poubelles. Malgré tout, je ne l'aurais pas imaginé dans une équipe de basket et le corps couvert de tatouage; encore moins capable de lancer des regards aussi séduisants.
Je ne sais pas combien de temps nous avons passé à nous regarder dans les yeux. Sans doute une éternité. Et je crois qu'on serait resté comme ça encore un long moment si Hyunjin n'avait pas ronflé aussi fort. Un bruit atroce, pire que le moteur d'un vieux tracteur qu'on démarre. Mon visage se déforme en une grimace, à l'instar du basketteur qui ne se prive pas de montrer son dégoût.
Je réprime un soupir et jette un coup d'œil au corps endormi.
— Tu comptes rester lui tenir compagnie ?
Je lève les yeux vers lui, effrayé.
— Sûrement pas !
Tant pis pour Ni-ki.
— Je peux t'inviter à prendre un verre alors ?
Il me fait du rentre dedans là ou je m'emballe ?
— Pourquoi pas.
Tout ce qui me permettrait de quitter cette maison. C'est sans remords que j'abandonne Hyunjin derrière moi. C'est un grand garçon, il saura se débrouiller.
En voyant le sourire du blond s'agrandir, je décèle une petite source de chaleur dans ma poitrine. C'est sans compter sur l'état de confusion dans laquelle je plonge la seconde d'après. À savoir, pourquoi j'ai chaud. Je secoue la tête et le suis.
J'avance sans regarder autour de moi, mon regard planté sur le dos de mon ami d'enfance. Voilà ce que ça donne en étant sportif. Une posture qui évoque élégance, droiture et force.
Un côté brute et doux à la fois.
Je sens comme un poids se soulever de mes épaules dès qu'on atteint l'extérieur. Le vent frais, il n'y a rien de plus thérapeutique. Loin des rires sauvages, loin de cette musique tapante, je peux enfin respirer.
Je n'ai pas le temps d'en profiter cependant car Heeseung ne s'arrête pas. On se dirige tous les deux vers le parking. Le lieu est conquis par un calme fantomatique, éclairé par une lumière blanche presque aveuglante. Il n'y a que des voitures de luxe à perte de vue. Heeseung est sans doute venu avec la sienne.
Alors que je m'imagine tomber sur une carrosserie étincelante, c'est à ma grande surprise vers une moto que se dirige le blond.
Elle n'est pas moche. C'est le genre de bécane au moteur rugissant comme un lion et qui coûte des milliers de dollars. Le genre de bébé qu'on garde précieusement et qu'on caresse comme s'il s'agit de notre vie entière. Ne m'y connaissant pas en moto, je ne saurais donner la marque. Mais n'importe qui peut deviner la valeur de l'engin rien que par sa beauté.
— La couronne de la princesse, me susurre-t-il une voix mielleuse.
Quel dragueur, je roule des yeux.
Pour accompagner ses mots, Heeseung se baisse et me tend le casque.
— Je ne suis pas—
— Une princesse ? Tu as raison, tu serais l'ogre dans la princesse et l'ogre.
Je n'ai jamais eu autant envie de courser quelqu'un.
— Évite par contre. Je ne suis plus un gamin. Je suis capable de te faire subir des tas de choses atroces.
Je n'ai pas peur du grand frigo qu'il est devenu.
— Je tremble, dit-il en s'éloignant à reculons.
Ce à quoi je réponds par un doigt d'honneur. Il affiche un sourire et monte en mettant son casque.
— Tu peux me serrer si tu as peur.
— Ça risque pas.
Je monte en second et passe mes bras autour de sa taille malgré moi. Je suis bien obligé. Il fait vrombir son bijou qui crée un tapage nocturne. J'aime ce bruit, la sensation, le moteur qui rugit.
C'est à ça que ça ressemble le fait de renouer avec son ami d'enfance ?
***
L'enseigne grésille lorsque nous nous arrêtons devant la supérette.
Je pousse la porte, l'air conditionné venant fouetter mon visage. Comme s'il ne faisait pas déjà assez froid dehors. Enfin, je pense ça mais je me dirige quand même vers les rayons de glace, laissant mon partenaire du soir derrière moi. Ma veste est retombée de mes épaules, geste devenu habituel. Mes doigts tapotent contre la vitre, analysant soigneusement les différents parfums.
Quelques minutes plus tard, je sens une ombre dans son dos. Heeseung ne prend pas mon espace vitale en compte, se penchant vers l'avant, son menton se posant sur mon épaule. Je suis allergique aux contacts physiques. À quelques exceptions près. C'est en fonction de la personne. Giselle et Karina par exemple. Donc voyons voir, un ancien persécuteur qui s'est métamorphosé en Adams Levin.
Ça va, je peux laisser passer pour cette fois.
— Tu choisis ?
Surtout qu'il me semble différent. Le timbre de sa voix descend dans le grave. Je mordille ma lèvre inférieure. Cette proximité, c'est quelque chose. Son corps épouse le mien. Aucune sensation n'est laissé au hasard.
— Tu offres des glaces aux inconnus maintenant ?
— Une vocation très noble, me chuchote-t-il à l'oreille.
Mes lèvres s'étirent d'elles même.
Alors que nous nous dirigions vers le premier bar, j'ai eus une soudaine envie de sucrerie. Heeseung n'y a pas trouvé d'inconvénient. Qu'on se l'avoue, les glaces sont bien meilleures. De plus, il est préférable que je reste éloigné de l'alcool. Surtout quand on peut très vite perdre toute notion sous son emprise.
— Si tu le dis.
Je me retourne, pensant qu'il aurait la présence d'esprit de s'éloigner.
Il semblerait que le blond ne soit pas du même avis. Il ne bouge pas d'un pouce. J'hésite un moment à poursuivre, passant un bref coup d'œil entre son visage et sa pomme d'Adam. L'éclairage artificiel paraît capable de rendre aveugle tant il déploie toute sa puissance. Le silence est faiblement troublé par ce qui ressemble à un clavier qu'on maltraite.
Il y a de ces signes qui ressassent quelque chose en vous. Des indices sont dissimulées derrière chaque mot, chaque geste. Je ne suis pas sûr d'avoir saisi les règles du jeu auquel nous jouons.
Or je suis dans l'incapacité de m'y soustraire.
Je le pousse avec douceur et parcoure de nouveau les rayons, laissant mon doigt glisser sur les vitres. Je réfléchis encore à quoi choisir, mon pouce calé sur le bord de mon jean. Je l'aime bien parce qu'il est confortable.
En quelques enjambées, Heeseung me rattrape. Il s'arrête en face, son regard croisant les pots de glace à la vanille.
— Je vois que tes goûts n'ont pas changés.
Pour le coup, c'est bien vrai. J'aime toujours autant la vanille. Il le sait. C'est celui qu'il m'a gâché quand nous étions encore au primaire. Ais-je manqué de mentionner à quel point j'étais rancunier ? Je fais parti de ceux qui font une liste noire depuis la maternelle. Gare à ces personnes qui me l'ont fait à l'envers dans le temps. Il ne faudrait pas que nos chemins se recroisent.
Il y a bien deux choses capables de contrarier l'âme sensible que je suis. Qu'on s'attaque à ma taille et à ma nourriture. Heeseung coche les deux cases. Pas sûr qu'il s'en sorte indemne. Je pince sa côte, le faisant gémir de douleur.
— Fais attention à ce que tu dis. Je pourrais presque croire qu'on se connait déjà.
Il écarquille les yeux, ébahi. Le voilà pris à son propre jeu. J'affiche un sourire victorieux, ne m'en voulant nullement pour la douleur causée.
— Toujours aussi violent...
Il croit que je n'ai rien entendu mais c'est faux. Je laisse passer pour cette fois. Ce n'est pas parce qu'il me jetait dans les poubelles que je ne savais pas me défendre. Des années plus tard, j'ai appris à répliquer et piquer comme un scorpion.
Je récupère ce pot qui me fait tant de l'œil.
Entre temps, son regard s'est stationné sur moi. Je le sais parce qu'il me brûle tant la peau que je suis obligé de le fixer en retour. Ses deux billes sombres paraissent briller. Il papillonne des yeux, me reluquant sans même s'en cacher. Comme s'il cherchait à comprendre quelque chose.
Ou plutôt qu'il restait dubitatif sur un détail.
Le genre de regard qui demande s'il est possible de changer sans pour autant changer. Comme si malgré les transformations subits par le corps au cours des années, on gardait encore ce point qui renvoyait à l'enfance.
— Tu vas arrêter de me fixer comme un psychopathe ?
Il quitte son état transi, dès lors que la question lui est posée. Il cligne doucement des yeux, ses lèvres fines entrouvertes. Il fait peur comme ça à toiser en silence et sans bouger.
— Hm.
Il m'imite en sortant une glace au chocolat. Celle qu'il préfère. Moi aussi je suis doué pour mémoriser ces choses. Il affiche un fier sourire comme s'il venait d'accomplir le plus grand des exploits.
— C'est bon.
Je secoue la tête, à moitié attendri par ce ton enfantin.
— Tu viens ? On va payer.
On passe rapidement à la caisse. Sauf que je ne retrouve plus mon téléphone.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Me demande-t-il.
— Rien, j'te rejoins. Je crois que j'ai oublié un truc.
Je retourne sur mes pas, l'apercevant près d'une étagère.
Je rejoins ensuite la caisse. Or une fois arrivé, on m'indique que Heeseung est déjà sorti. Je gagne l'extérieur en quelques enjambées. Il est là, penché sur sa bécane, une clope en main. Sa veste en cuir et ses cheveux qui virevoltent au gré du vent. Je suis surpris. Il renvoie une image que je trouve captivant malgré moi.
Pas à cause de cette fumé nocive mais pour l'allure, la gestuelle, la façon dont il se tient. Toute sa personne.
Lorsqu'il entend mes pas, il jette le bâton de nicotine à peine entamé au sol et l'écrase. Au même moment, un éclair déchire le ciel, illuminant ce dernier. Le vent se lève et me fait frissonner. Je pense qu'il va pleuvoir.
— Je crois qu'on a un problème.
Je regarde au dessus de moi. Rien à la devanture de la supérette qui puisse nous permettre de nous mettre à l'abri.
— On devrait y aller, dis-je en prenant son casque.
Heeseung s'apprête à monter. Or les premières gouttes se font déjà sentir et s'abattent sur la ville, entachant nos mines.
— On n'aura pas le temps, me fait-il savoir.
Il abandonne finalement la moto Il est vrai que conduire sur un sol glissant est juste de la pure folie. J'aurai du me fier à cet air glacial et à l'odeur suspecte de tout à l'heure.
— Viens avec moi.
Heeseung ne me laisse pas le temps de répondre qu'il retire sa veste en cuir et la pose sur mes épaules. Mais...lui... il risque d'être frappé par la pluie. Je m'en voudrais s'il tombait malade par ma faute. C'est à croire que ce détail ne figure pas sur sa liste de priorité. Il est plus occupé à me tirer comme un fou en transe.
Les ruelles à Hongdae sont étroites et vides.
Assez étonnant pour un quartier continuellement vivant. La nuit est avancée à présent. La plupart doivent déjà être à l'abri chez eux. Les éclaboussures tachent nos chaussures. Les gouttes se heurtent à nos peaux, nos vêtements, un peu plus violemment à chaque minute jusqu'à former un rideau épais.
Mon cœur effectue des bonds dans ma poitrine.
C'est fou comme nous deux ensemble me fait penser à une scène de k-drama. C'est très cliché et tendance, les courses sous la pluie.
Dans notre réalité, n'y a ni sentiments, ni mouvements passés au ralentis. Juste l'odeur insoutenable de la pluie et les frissons qu'elle provoque. Un sol glissant qui menace de nous faire tomber à tout moment, des lampadaires éteints, une route sombre et une rue où règne un silence de mort. Si je fais fi du torrent que décharge le ciel sur la ville bien sûr.
Avec beaucoup de chance, on atteint un abri.
La devanture de ce qui ressemble à une épicerie. Mais le mal est déjà fait. Nos hauts sont trempés. J'ai moins de dégâts parce que j'avais sa veste et le cuir ne laisse pas passer l'eau aussi facilement.
Ce n'est qu'en échappant aux flots d'eaux que je me rends compte de l'effort que m'a coûté cette course surprise. Ma respiration est bruyante, mon torse se soulevant à un rythme un peu trop rapide. Ma main tremblante lâche celle de Heeseung pour s'accrocher à mon genoux, tandis que je me penche vers l'avant avec l'impression que mes voies respiratoires ont rétrécis.
— Hey, ça va ? S'enquit le blond, sa paume contre mon épaule.
— Ouais, je lui réponds difficulté. Je suis juste entrain de...mourir. Rien de grave.
Je le jure que je ne dramatise pas. Ma fin approche avec lenteur.
Bon d'accord, il me faut juste un peu de temps, histoire de retrouver mon calme. Ce qui est sûr, ce n'est pas aujourd'hui que je deviendrais un champion olympique. Oh et puis de toutes les façons, je n'étais pas super fan du taekwondo. Pantouflard dans l'âme, les soirées couettes, cookie, lait, Netflix et chat sont plus appréciées.
Peu à peu, je sens un soulagement au niveau de ma poitrine. Malgré les cliquetis d'eau qui ne cessent de frapper avec violence le toit au dessus, il y a cette espèce de calme fantomatique. Pendant un instant même, j'ai cru que Heeseung était mort.
Deux minutes plus tard, on se retrouve tous les deux assis sur un banc abandonné, adossés au mur.
— Tu trembles, me fait-il savoir.
Moi qui croyais que ça passerait inaperçu. Il faut croire que même avec sa veste, je sois en proie au froid mordant.
— Ça va aller. T'es dans un pire état que moi.
Et franchement, je me sens coupable.
— Pas tant que ça. Tu veux que je te réchauffe ?
Je me tord presque le cou en voulant croiser son regard.
Je peine à savoir qu'il est sérieux ou s'il se moque de moi. Il m'ouvre ses bras pour appuyer sa proposition. Je regarde ses mèches qui lui collent au front et les gouttelettes d'eau ruisseler de sa tempe jusqu'à son cou. Je détourne le regard, mon cœur ayant fait un bond en zieutant de nouveau sa pomme d'Adam.
Je dois ressembler à un pervers, ainsi. J'espère qu'il ne s'en est pas rendu compte.
— Ton pull est trempé Heeseung.
— Laisse-moi arranger ça.
Je le regarde enlever le vêtement en question.
Il a de la chance, seules les épaules ont pris l'eau. Il utilise le bas sec pour se nettoyer. Je suis surpris de voir qu'il portait un débardeur en dessous. Ce dernier au moins est resté sec. Je suis inquiet malgré moi. Il tente de sécher ses cheveux aussi et m'ouvre ses bras la seconde d'après.
— C'est bon. Viens là.
Il semble si enthousiaste à l'idée de me prendre dans ses bras. Étrangement, je ressens une gêne.
— Ça va.
— Arrête de mentir et admet que tu serais mieux ici.
Je me rabat sur la plaisanterie.
— Sache que je n'enlace pas les inconnus.
Il me fixe avec cet air que je déchiffre facilement comme « t'es sûr de toi » ? Je n'ajoute rien de plus mais un autre coup de vent m'indique que je devrais reconsidérer ma décision. Quand j'ose jetter un coup d'œil en sa direction, il a toujours les bras ouverts et un sourire aux lèvres.
— Sérieusement.
L'univers ne semble pas prendre en compte mon avis. Je suis à deux doigts du claquage des dents. Je n'ai pas d'autres choix que d'accepter.
— Bon d'accord.
Je soupire et cède mais avant que je ne bouge, il reprend son pull.
— Attends.
C'est ce que je fais. J'attend en me demandant ce qu'il prépare. Il nettoie le dessus de la veste et je comprends qu'il ne voulait pas être trempé à son tour. Une fois fait, elle est comme neuve. C'est un peu froid au toucher mais rien d'alarmant.
— C'est bon, cette fois-ci, je peux te prendre dans mes bras.
— Ne cache pas ta joie.
— Tu as raison. Que c'est terrible. Je vais devoir traverser cette horrible souffrance qu'est de t'avoir aussi proche de moi.
Je suis perdu entre, trouver sa réplique sarcastique plaisante ou irritante.
Quand j'ai froid, j'ai l'impression de fonctionner au ralenti. Je me sens lourd, dépourvu de mes forces alors, je ne cherche pas à lui répondre, me glissant juste contre lui. C'est plus confortable que je le pensais. Il entoure mes épaules et me resserre contre sa poitrine. Mon oreille contre cette dernière, je peux entendre les battements de son cœur.
C'est presque une berceuse pour moi. Son parfum emplis mes narines. Non seulement j'accepte son étreinte mais je m'accroche à lui comme à une bouée.
— Il y a un arrêt de bus pas loin. On ira si la pluie se calme un peu.
Il me chuchote à l'oreille de sa voix enrouée. L'odeur de tabac est à peine perceptible. Et pour être honnête, j'y suis habitué alors, ça ne me dérange pas tant que ça. Je sens mes paupières devenir lourdes tandis que je hoche la tête.
Plus tard, je me suis demandé comment les choses auraient tourné s'il était resté avec moi. Si j'avais eu ces bras réconfortants, aurais-je ressenti le besoin de me foutre en l'air ? Je me suis perdu.
Et me voilà, gamin cassé qui tente de se reconstruire.
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