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ㅤㅤㅤㅤ𝐋𝐄𝐒 𝐑𝐀𝐘𝐎𝐍𝐒 de l'astre du matin et une légère odeur de café remplissent mes narines. Il semble aussi planer dans l'air, une vague humidité, en souvenir de la faible averse de ce matin. Des rangées de bancs sur lesquels siègent différentes silhouettes et un bureau derrière laquelle se tient Jisoo, notre professeur de peinture.
Ce paysage m'est tant habituel.
Encore un autre jour à absorber les mots coulant d'entre ses lèvres comme une rivière sortie de son lit et se jetant dans un fleuve. L'amphithéâtre a ce côté apaisant et, en même temps, stressant. Un vrai paradoxe. Mes cheveux rouge sang sont à moitié attachés en petite queue de cheval, dégageant mon front.
Je fixe avec nonchalance mes livres sur l'art.
— La composition est l'art de répartir les formes à l'intérieur d'un espace.
Le cours résonne comme de lointains échos qui me parvient à peine; mon esprit captivé par les brides de souvenirs d'il y a deux semaines, en compagnie de Karina.
Le temps morose n'aide pas à améliorer ma mauvaise humeur.
La frustration qui m'habite, m'empêche de profiter de ma matinée comme je l'aurais fait à chaque cours. Cette flamme dévorante qui ne peut pas exploser au grand jour. C'est une assez belle description de ma tempête intérieure. Ou alors un manque, un morceau qu'on m'a arraché et que je cherche désespérément à combler.
Depuis, impossible de me concentrer sur la moindre petite tâche. Même les minuscules dessins en marge de mes cahiers prennent la forme de son visage. Celui de Heeseung.
J'ai l'impression de le voir partout.
Il y a deux semaines, alors que je digérais encore la nouvelle de Karina, j'avais suivi la jeune femme auprès d'une brune à frange. Le terrain s'était rempli en une poignée de secondes. Des jeunes dans ma tranche d'âge, la majorité provenant sans doute de la fête foraine. J'ai reconnu les étudiants du centre. La deuxième meilleure université d'arr, tout juste classée derrière la mienne.
La Yosei académie : un établissement privé élitiste où il faut s'accrocher, car beaucoup d'appelés mais peu d'élus.
J'ai réussi à repérer des athlètes de chez nous. L'équipe de basket qui a remporté deux fois le championnat national. De ce que j'ai appris, de nouveaux joueurs ont été recrutés. Je n'ai pas tardé à faire le lien entre eux et Heeseung.
J'ai à peine porté attention aux gens qui m'entouraient, trop occupé à chercher Heeseung. Je n'ai pas tardé à croiser son regard, entouré de ses amis, et coéquipiers au vue de leurs carrures et tailles. Je me suis contenté de le fixer de loin, sans jamais l'approcher; comme craignant quelque chose. La peur qu'il ne me reconnaisse pas ? Après tout, il n'a jamais réagi et on s'est à peine lancé un mot.
Avec ses cheveux jaunes blés, il faisait la différence parmi son groupe.
À un moment donné, j'ai osé laisser trainer mon regard de nouveau en sa direction. Je n'aurai pas dû, si c'était pour tomber sur un Heeseung, langue sortie, jouant de façon sensuelle avec. Je suis resté confus devant ce geste, ne sachant pas comment l'interpréter. Déjà que notre rencontre me semble encore si réelle et surréaliste à la fois.
Malheureusement, pas une seule fois durant la soirée, on s'est adressé la parole.
La frustration n'en est que plus intense à chaque fois que je replonge dans mes souvenirs. Toutes les sensations éprouvées ce soir constituent une grande toile incomplète. Plusieurs fragments et couleurs manquent à l'appel. Seul, je ne peux pas tout peindre.
— Et donc, plusieurs compositions sont possibles. Quelqu'un pourrait-il m'en citer une ?
La voix clairsemée de la professeure me sort de ma rêverie. Ce n'est pas pour autant que je quitte ma feuille. Ma main s'active à dessiner quelques lignes, munie d'un crayon. Au loin, j'entends la réponse soufflée par une voix inconnue.
— La composition en frise, madame.
— Bonne répo...
La lumière de la projection du cours se reflète sur mon visage et cela ne suffit toujours pas à retirer ma concentration. Filtrant cet horrible sentiment qui s'empare de moi, je me focalise surtout sur chaque détail que j'ai pu garder.
Heeseung est grand, un peu mince.
Non, pas de muscles saillants; et jamais je ne m'en plaindrai. La beauté est présente là où l'œil sait l'apprécier. Je suis encore capable de tracer à la perfection la forme de ses lèvres. Le rendu me plaît. Un visage et le début d'un torse nu que je ne verrai jamais.
Un long soupir m'échappe.
La soirée d'hier refuse de quitter mes pensées.
Si lui et moi étions un tableau, nous serions paresse et la luxure en version homme ; ou peut-être qu'il serait Heat Noonday de Tuke. Représentés par des couleurs chaudes et vives, allongés dans l'herbe verte, savourant la chaleur de l'été, les rayons du soleil, l'amour de mère nature.
Je réprime un autre soupir devant mon dessin incomplet.
— ...lumière de la scène, les couleurs ou le sujet principal de l'œuvre.
La professeur, trentenaire, aux cheveux bruns lâchés, prend une petite inspiration, jetant un regard circulaire sur la salle. Je ne saurais dire si c'est la déception ou la satisfaction que revêt son visage. Difficile de deviner les émotions de Yang Jisoo, au vue de la mine neutre qu'elle arbore tout le temps.
— Dans le prochain cours, un tableau sera analysé. La naissance de Vénus d'Alexandre Cabanel. La séance d'aujourd'hui est terminée.
Aussitôt le monologue de la femme prend fin, les livres et ordinateurs sont rangés à la hâte. Des pas pressés de fuir la salle de cours, des foulées désireuses de retrouver la fraîcheur de l'extérieur.
Je ne suis pas l'exception parmi la foule.
J'ordonne mon calepin et quitte l'amphithéâtre. Les couloirs sont vastes et spacieux, une allée en marbre scintillant, donnant l'impression à chaque étudiant de défiler dans un château et d'en être le roi. À Yosei après tout, les étudiants sont assis sur des trônes.
L'excellence, l'art, la fortune.
Étant l'une des plus chères de Corée, l'école exige aussi la perfection, prône le talent à l'état brut, l'intelligence. Les trois quart des étudiants sont tous issues de familles fortunées. Le reste représentant les chanceux ayant pu obtenir une bourse. Ces derniers doivent redoubler d'efforts pour réussir. Il n'y a malheureusement pas que le talent qui prime, mais aussi le piston.
Je suis de la première catégorie.
Considéré comme un pur génie dans mon domaine — la peinture dans mon cas — comme ces athlètes, danseurs, sculpteurs, illustrateurs, écrivains, acteurs surdoués et plus.
Après le fin rideau de pluie à l'aube, le soleil prends peu à peu l'ascendant. Le mois de septembre s'annonce avec tout son lot de problème. Les partiels de novembre approchant à grand pas, les dernières vagues de cette chaleur constituent un frein à toute réflexion profonde.
D'ailleurs, mes séances de révision se sont transformées en torture. Il y a eu ce premier temps où j'assimilais facilement les premiers cours; et en allant plus loin, le chemin est devenu épineux. Je trainais comme une larve la semaine dernière, mes cheveux dans tous les sens, deux poches énormes sous les yeux et le bout du stylo mâchouillé avec hargne.
Dix-neuf ans, en première année en art, empruntant le même parcours que tous les héritiers de la célèbre famille Kim.
Je suis trop jeune pour avoir des cheveux blancs.
Giselle ne semble pas non plus de meilleure humeur. Elle s'approche telle une furie, des nuages orageux lançant des éclairs au dessus de sa tête.
— Fichu professeur ! Se plaint-elle une fois à ma hauteur, une pile de livres en main et ses lunettes de vues trônant sur son visage. Marson est vraiment un enfoiré de première.
Fais donc Giselle, fait. Je préfère encore ça à la fille qui étouffe ses émotions.
— Laisse-moi te dire, le système universitaire est corrompu !
— Ce n'est pas nouveau. Mais encore ?
Giselle souffle, l'expression de son visage traduisant son état. Outré.
— Je refuse de m'intéresser à un personnage qui trouve normal de comparer sa femme à une table, sous prétexte qu'il s'agit d'un classique de la littérature.
Je prends de longues minutes pour intégrer chaque phrase et comprendre leurs sens.
— C'est compréhensible.
Nous arrivons dans cette zone peu fréquentée de la cour Est. Propice pour quelques clopes, histoire de faire redescendre la pression.
— T'en veux une ? Me demande-t-elle.
Je secoue la tête.
— Ça me tend. Il m'a viré de son cours juste parce que je lui ai sorti ses quatre vérités. Qu'il aille se faire foutre.
— Laisse-moi deviner, tu as sorti le fameux mot.
— J'ai sorti le fameux magique.
— Gi', ça fait juste un mois.
Elle écrase sa cigarette à peine entamée sous ses pieds.
— Il l'a mérité. C'est un putain de misogyne. Voilà, je l'ai dit !
La jeune femme, scandalisée, tourne les talents. Je soupire et la suit.
***
Mon dortoir, ce lieu censé être mon havre de paix.
Je n'aurais cependant pas dû m'étonner qu'à mon arrivée, j'y retrouve mon coloc' et ses potes défoncés sur le canapé. L'odeur du cannabis mêlé à l'alcool est devenu mon quotient, sans oublier The Weeknd en fond. Exaspéré, je ramène ses cheveux en arrière et referme derrière moi.
— Hé, bro ! Me lance l'un des idiots depuis la table basse.
Encore un crétin sans doute sous l'emprise de la drogue au vue de son sourire béat. Je pourrais presque les comparer à des sacs plastiques échoués sur la plage.
Mon colocataire, torse nu, a les pupilles dilatés. C'est un mensonge de ne pas avouer qu'il est bien foutu. Ce con le sait en plus ! Pourquoi passerait-il la moitié de son existence à se balader presque à poil dans notre dortoir, si cela en était autrement ?
— T'es un enfoiré de première, Ni-ki.
Je le foudroie du regard, lui, ses mèches raides sombres et sa fichue manie de tout prendre à la légère. Et donc, même si Ni-ki est beau, ça reste un gamin immature addict à ses drogues.
Un peu comme moi il fut un temps.
— Ça va, relax.
— Tu te fous de ma gueule ? Imagine que tu te fasses choper. Je ne veux pas être mêlé à tes sales histoires.
Si jusqu'à maintenant, Ni-ki est tout souriant, tenant entre ses doigts une clope, son air heureux s'envole. Il se lève, s'approchant d'un air menaçant. Je ne suis pas impressionné par cette démonstration de pouvoir primaire.
Mon colocataire, dans toute son insolence, aspire la fumée toxique de sa nicotine et me le souffle au visage.
— T'es complètement défoncé, lui fais-je savoir.
— En réalité...pas tant que ça. T'aurais pas de l'herbe à nous fournir ?
Un rire sans joie m'échappe.
— J'ai l'air d'un dealer peut-être ?
— Ça dépend. T'es bien roulé.
Au secours ! Il se transforme en Jake.
— T'es vraiment stupide.
— Allez Sunoo, juste pour une petite soirée...en petit comité. Je sais que tu peux m'aider à en trouver !
— Tu rêves. C'est toujours non.
Je le quitte pour rejoindre ma chambre mais c'est sans compter sur lui qui me suis.
— Si tu fais ça, je disparaîs avec mes potes pour le weekend.
— Tu me fais chanter ? Ça ne marche pas sur moi. Et puis, qu'est-ce qui te fais croire que je transporte de la came ?
— À d'autres. Je sais que t'es le petit fils de Kim et par conséquent, le cousin de Hyunjin. Je sais aussi pour le réseau à Hanlin.
Je dépose lentement mon sac sur sa table d'étude, tandis que mon charmant colocataire se tient au milieu de la pièce. Peu sont au courant pour mon appartenance à l'empire Kim. Après, je n'en parle jamais. Qu'on sache pour mon grand père passe encore. Mais qu'on sache pour le trafic de Hyunjin de quand nous étions encore au même lycée, c'est surprenant.
— Qui t'as parlé de ça ?
— Tous les dealers de cette ville connaissent ton cousin, pouffe le jeune homme.
— Tu dois donc aussi savoir que je ne vends pas de drogue.
— Je sais. Mais tu pourrais m'aider à le contacter. C'est vachement difficile de l'avoir. Penses-y.
Je reste loin de la drogue sous les ordres de la famille. Il arrive malgré tout qu'on tente de m'approcher pour atteindre Hyunjin.
— Il ne voudra jamais. Ça craint de fournir de la drogue à Yosei.
— Pourtant, il pourrait se faire un max de thune.
Il affiche une moue comme pour accentuer son désespoir face à mon refus catégorique, de quoi le rendre adorable malgré le côté froid qu'il dégage en temps normal. Ni-ki est mon colocataire depuis la rentrée. Au début, je l'ai trouvé trop dramatique. Pas étonnant qu'il fasse du théâtre.
Dire que nous sommes de grands amis serait mentir. Dire qu'on se déteste serait un peu fort. Dès le premier jour, j'ai simplement décrété que nous étions trop différents pour nous entendre. Et ce n'était pas Ni-ki qui ferait le premier pas. Non, pour sûr, ce futur acteur n'était pas en quête de créer un lien d'amitié solide et durable. L'habitude a juste contribué à nous rapprocher à notre discrétion.
Et c'est encore plus étrange de voir ce garçon doué (oui, il est incroyable sur scène) consommer autant de drogue. Un truc d'artiste ? J'en sais quelque chose. Ni-ki n'en est pas encore au stade du toxicomane.
Et je voudrais qu'il ne franchisse jamais cette étape.
— D'accord.
Je fini par capituler, non pas parce que je n'ai pas le choix, mais bien parce que je vois là un moyen de le dégager du dortoir pour de bon.
— Mais je ne te promet rien. Et après ça, tu fous le camp d'ici.
— Ça me va.
Je me demande encore dans quoi je me suis fourré.
***
20h 03.
Université Yosei.
Une moue se forme mon visage quand je regarde à travers la glace.
J'ai grandis, changé en quelques années, c'est indéniable. Grandir ne veux pas forcément dire évoluer physiquement. Ce visage poupin aux joues pleines, ces yeux de renard, ces lèvres pulpeuses, ces tâches de rousseurs, je les ai toujours eu. C'est plutôt quelque chose dans le regard qui me fait dire que je ne suis plus un gamin.
Mon père a toujours trouvé cela mignon que j'ai de petits pieds et mains. Il dit que je tiens de maman. Tout comme les tâches de rousseurs. Je n'ai aucun souvenirs d'elle, ne l'ayant jamais connu.
Je laisse mon regard couler sur mon piercing. Chaque douleur a laissé une marque indélébile. Ils sont précieux pour moi. Ceux aux oreilles, l'anneau à la narine, le septum en forme de fer à cheval toujours à mon nez et le labret sous ma lèvre inférieure. Mais je n'ai mis que ce dernier et le navel à mon nombril en forme de serpent. Il est vrai que j'en ai beaucoup.
Je me suis entiché pour ces bijoux, ce brillant, ce tape à l'œil.
Un corps est à façonner à nos goûts, à modeler comme nous le souhaitons. À notre naissance, il n'est que de l'argile. La vie son eau et le monde le moule. Il nous suffit de nous sculpter à notre image. Notre enveloppe corporelle cache nos blessures internes, sauf quand elles s'expriment.
Et chacun de mes piercings est une partie de moi.
Je quitte la salle de bain avec mes cheveux mouillés. Giselle est allongée sur le lit, occupée par un bouquin. Et moi, je ne cesse de tourner en rond en me demandant si je prend la bonne décision.
— Tu vas me dire ce qui ne va pas ? Tu me donne le tournis.
— Tu te rappelle de Ni-ki ?
Elle a l'air surprise que je lui réponde. Je suis trop stressé pour jouer les cachottiers comme d'habitude.
— Euh, ton coloc' Japonnais accro au cannabis ?
— Ouais. Il sait pour le réseau et évidemment, il veut que je le mette en contact avec Hyunjin. Sauf que ce connard me demande de le rejoindre à une fête.
— Hum, fait-elle avec son air de psychanalyste.
Ses lunettes de vues accentuent le côté studieux de son regard, et moi j'ai l'impression de faire face à ma psy.
— Jusque là, je ne vois pas le soucis. Ce n'est pas le premier.
Je sens ma mine se décomposer instantanément. Elle se lève, soucieuse de m'avoir vexé et me mime de m'approcher. Je cède et me jette dans ses bras. C'est un pur réconfort. Le mouvement a du être brusque puisse que l'emporte dans une chute. On se fait accueillir par la surface molle du matelas.
J'aime enlacer cette femme. C'est comme si tous mes soucis s'envolaient. Je passe mes bras autour de sa taille et enfouis mon visage dans son cou. C'est un geste purement affectif, sans aucune ambiguïté.
— Gi'... ? Soufflé-je.
Le son meurt, étouffé par son buste.
— Qu'est-ce qui te tracasse autant, sunshine ? Je te sens tendu. C'est à cause de notre dernière sortie ?
Mes yeux s'écarquillent. Comment le sait-elle ? Je n'ai rien dit pourtant. Oh et puis ce n'est pas si étonnant. Giselle est pire qu'un détective quand elle veut.
— J'ai revu quelqu'un, j'avoue dans un soupir. Un ami d'enfance on va dire.
— Attend, le gamin par qui tu t'es fait bully quand t'étais qu'en maternelle ?
Ah, elle sait.
Après, j'ai du être trop bavard sur cette époque. Je me détache d'elle sans pour autant mettre trop de distance, juste pour pouvoir la regarder dans les yeux et pouvoir lui dire ceci :
— Connasse.
— Imbécile, renchérit-elle. Et donc ? Ce mec ne serait pas Lee Heeseung par hasard ?
— Comment connais-tu son nom ?
Elle me rit au nez. Tout ce que je vois moi c'est Maléfique et ses cornes monstrueuses.
— Parce que je te connais trop bien. Vous vous mangiez carrément du regard.
Je me demande pourquoi je suis si perplexe. C'est Giselle bon sang. G I S E L L E. À quel moment tu lui cache des choses ? Je rougis malgré moi en sentant mon visage brûler. Je déteste quand les capillaires sanguins se gorgent de sang sous la peau. On pense que c'est mignon, rougir.
Il n'y a rien d'adorable là dedans.
— T'es rouge sinon.
— Je sais.
J'étouffe un cri de désespoir dans ses draps de soie.
— N'en parlons plus ! Je m'exclame en bondissant sur mes pieds. Bon, je dois rejoindre une fête d'ado ce soir, tout ça pour de l'herbe.
— Je ne pourrais pas t'accompagner. J'ai un livre à finir pour la fac. Tu me tiendras au courant ?
— Ouais. Souhaite moi bonne chance de loin.
***
Il fait plus frisquet que d'habitude.
Le vent glacial viens frôler ma taille lorsque je lève les bras, s'amusant à me provoquer des frissons. Heureusement que ma veste me tiens au chaud.
La fièvre de la jeunesse, la liberté de vivre sans contrôle parental entouré de jeunes de son âge, il n'y a que de cette façon que je les vois. J'ai la sensation de faire tache, environné d'adolescents sous l'emprise de l'alcool. Voir autant de gamins dégénérés me rappelle moi-même des souvenirs peu glorieux.
C'était il y a trois ans. On ne dirait pas pourtant. C'est encore frais tout au fond. Je me demande si le temps guéri pour de vrai. Parce qu'on se tient debout à se dire que tout va bien. On fait semblant alors que ça pulse toujours à l'intérieur.
Je suis agressé par la vague de chaleur et la musique en fond. Je suis présent mais je me sens déconnecté. J'avance comme un spectre et slalome parmi les lycéens. Hyunjin est introuvable dans cette foule. Je veux lui parler au plus vite et quitter cet endroit. D'après mon cousin, il s'agirait de l'anniversaire de Choi Sunchol, le petit fils du ministre de l'économie. C'est une fête pour mineurs. Et s'il est là, c'est pour distribuer de la drogue. Je suis à peine surpris.
Je viens de ce milieu, je sais ce qui se cache derrière le rideau.
Depuis tout petit, nous sommes vus comme les rois du monde. C'est si facile de perdre la raison dans un univers comme tel. Un jour, on croit pouvoir tout avoir et la seconde d'après, on chute dans un gouffre sans fond. Drogue, alcool, sexe sans oublier cette pression d'être toujours les meilleurs, que ce soit au niveau scolaire qu'au sein de la société.
Être ici me met mal à l'aise. Mon corps se rappelle l'effet d'une ambiance festive, les éclats de rires, les jeux de soirées, les baisers volés, les limites poussées à l'extrême, les effluves d'alcool, l'euphorie qu'on ressent sur la piste de danse.
Pendant un moment, je crois me voir plus jeune sur l'estrade avec une bouteille en main. Je n'aime pas ce qui s'impose à mon esprit. Ce Sunoo à l'air heureux mais c'est illusoire. Il est rongé et l'alcool inhibe la douleur. Il s'amuse et s'accroche au peu de fierté qui lui reste. Il bouscule, se laisse absorber par l'adrénaline. Cette dernière ne dure pas, étant procurée par quelque chose de néfaste. Sur le champ, on ne sent pas ses effets.
Ce n'est qu'avec le temps, lorsque les âges s'ajoutent qu'on s'aperçoit de ce qu'elle a brisé.
Je me fais bousculer. L'adolescent murmure une excuse et s'en va. Ça a pour don de me faire redescendre sur terre. Je secoue la tête pour ne pas perdre mon objectif principal de vue. Je puise dans mon courage en apercevant un brun discuter joyeusement avec ses potes.
Plus vite je vois Hyunjin, plus vite je sors d'ici.
— Hey, tu sais où je peux trouver Hyunjin ?
À côté du petit groupe se trouve une table et des gobelets en plastique rouge, contenant un liquide ambre. Sans doute préparent-ils une partie de beer pong. Le brun que j'ai ciblé se tourne avec lenteur, au même rythme que ses amis. Il a des traits communs, à l'exception de la forme de ses lèvres qui sont charnues.
Il m'adresse un rictus qui m'annonce la couleur.
— Qu'est-ce que j'en sais ? Il peut-être défoncé quelque part...pas vrai les gars ?
— Ouais, grave, répond un de ses potes, semblant détaché de la discussion.
— T'es l'un de ses clients, c'est ça ?
C'est si facile de déceler cette mesquinerie dans sa voix. C'est ça, joue au mec supérieur, ça te rend plus pathétique. Je suis habitué aux types comme lui. Et non, ce n'est pas dans mon programme de gérer une bande d'ado sous l'influence des hormones.
— Laisse tomber.
Je compte m'éloigner mais mon avis n'a pas l'air de l'intéresser puisqu'il attrape mon poignet avec force.
— Attends, on n'a pas fini de causer toi et m—
— Ne me touche pas.
Je me dégage plus violemment que je ne l'aurais voulu, comme brûlé à vif. Je déglutis, sentant mon cœur faire un bond. C'est bien de faire semblant mais jusqu'où peut-on porter les masques ? On fini par être rattrapé par certaines choses. Je m'en veux d'avoir réagit au quart de tour.
L'autre a l'air surpris un bref moment, ce qui est le cadet de mes soucis, mais se reprend.
— T'excite pas mec, on ne faisait que discuter. Suceur.
Je m'attendais à mieux quand même. Je ne pensais pas être tombé sur un putain d'homophobe. Mon estime pour lui était à zéro. Il vient de descendre au négatif.
— Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas avec ce que t'as entre les jambes que je serais satisfait. Retourne chez ta mère, p'tit puceau.
Il faut toujours que ce soit eux qui l'ouvrent le plus. Au moins, j'aurais fait rire ses potes car ils ne cachent pas leurs dents. Je ne suis pas d'humeur à me lancer dans un concours d'insultes avec un gamin sous l'emprise de l'alcool.
Alors, je ne perds pas de temps avant de m'éloigner.
J'approche de l'entrée en lançant des malédictions à Hyunjin. Je savais que je n'aurais pas dû venir ! Je pense déjà à comment assassiner mon cousin, découper sa chair et jeter sa carcasse aux vautours. Je réfléchis aussi au jour de son enterrement et aux vêtements que je porterai.
On m'a souvent tagué comme quelqu'un de sanguinaire lorsque je me transforme en esprit vengeur. Je ne peux que confirmer.
— Je vais lui noircir les yeux au crayon moi, il va v—
Alors que j'échafaude moults plans diaboliques dans ma tête, lançant des insultes à tout va, je me heurte contre un torse, vacillant presque vers l'arrière. Sur le coup, mon nez endolorie est ma seule préoccupation. La douleur est minime, or en bonne drama Queen que je suis, je me dois de gémir de souffrance.
Cette soirée prend une tournure chaotique.
— Hey, doucement, susurre une voix inconnue, puis maintient mes bras, m'empêchant de tomber.
À ce moment, je me fige avec cet étrange goût de déjà-vu. Je suis incapable de lever les yeux, encore moins de faire un mouvement, tant la surprise me cloue sur place. La peur indicible que la silhouette dans laquelle je sois rentré soit la même que mon taciturne me fait déglutir.
Son cerveau n'est pas préparé à revoir son visage qui me hante. Mon cœur, pompant furieusement le sang, cogite dans sa cage thoracique comme un animal enfermé de force.
— Est-ce que ça va ?
Non, ça ne va pas. Je veux fuir.
J'espère au fond que ce ne soit pas lui. Malheureusement, lorsque j'ose enfin soulever la tête, je rencontre les mêmes traits que je griffonne inlassablement dans mon carnet.
Heeseung. Heeseung qui est juste sous son nez. Heeseung qui me tient par les épaules. Heeseung avec un sourire amical. Heeseung qui ressemble à un ange avec ses cheveux presque argentés. Déconnecté du monde, je ne fais que fixer ses yeux de Bambi, cause de mes cauchemars d'enfance. Se souvient-il de moi ? J'aurais pu l'affirmer hier, à cause de ce regard étrange qu'il m'a lancé.
Seulement, ce soir, j'ai l'impression d'être un inconnu à ses yeux.
— Heho ? M'appelle-t-il, l'inquiétude se lisant facilement sur son faciès.
— Euh, ouais.
Je me soustrais en douceur de son emprise.
— D'accord, répond-t-il, rassuré.
C'est bel et bien mon ami d'enfance. Ses yeux de biches ont quelque chose d'aguicheur. Son teint hâlé luit sous les néons, la fine couche de son maquillage approfondissant son regard, le rendant presque irréel.
Alors que je comptais sortir un mot, n'importe quoi qui pourrait combler ce blanc, je sens une masse se jeter contre moi et des bras s'accrocher à mon cou. L'odeur de l'alcool me frappe en plein fouet. Au moins, je n'ai pas à trop réfléchir pour deviner à qui appartient cette longue chevelure rose et ces lèvres pulpeuses d'entre lesquelles sortent des mots incompréhensibles.
— Oh mais c'est mon p'tit Sunny. Barbapapa. Mignonne licorne. Hé...j'peux te manger ?
— Jin'... soupiré-je, sur le point de pleurer.
Il est défoncé. Je le sais rien qu'en voyant ses pupilles dilatées. Heeseung est toujours là.
Et moi, je veux me cacher dans un trou.
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